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29 mars 2013 5 29 /03 /mars /2013 10:20

L’économie chinoise a connu une croissance exceptionnellement rapide au cours des trois dernières décennies. Avec un taux de croissance annuel moyen qui s’est maintenu à environ 10 % entre 1978 et 2011, le niveau de production a été multiplié par 20 sur l’ensemble de la période. Le taux de croissance s’est même accéléré au fil du temps en passant de 9,1 % dans les années quatre-vingt à 10 % dans la dernière décennie. Bien que la croissance chinoise ait régulièrement dépassé les conjectures tout au long de ces trois dernières décennies, certains éléments suggèrent qu’un tel rythme d’expansion ne va indéfiniment continuer. La croissance chinoise se compose d’une part de la croissance de l’emploi et d’autre part de la croissance de la production par travailleur. Or, à l’avenir, chacune de ces deux composantes sera susceptible de moins contribuer à la croissance. Par conséquent, non seulement la croissance chinoise pourrait fortement décélérer, mais l’économie elle-même est susceptible de tomber dans une trappe à revenu intermédiaire et empêcher la Chine d’atteindre le club des pays à haut revenu. Pour Jane Haltmaier (2013), cette décélération est une certitude. Elle s’est alors focalisée sur les facteurs du côté de l’offre qui déterminent la croissance économique pour identifier l’ampleur du ralentissement.

Tout d’abord, la croissance de l'emploi ralentit en même temps que celle de la population en âge de travailler. Cette dernière est en effet passée de 2,5 % en 1979 à moins de 1 % en 2011 et devrait devenir négative avant 2020. Comme dans les autres pays, la population chinoise vieillit : le pourcentage de la population âgée de plus de 60 ans, qui s’élevait à 12 % en 2010, devrait atteindre près de 25 % en 2030. Puisque déjà 80 % de la population en âge de travailler est déjà employée, la croissance de l’emploi va difficilement excéder la croissance de la population en âge de travailler. Sa contribution à la croissance a déjà considérablement diminué au cours des trois dernières décennies. Elle contribuait à 3 % de la croissance économique en 1979 et à 0,5 % de la croissance en 2011. En conséquence, l’essentiel de la croissance du PIB chinois ne pourra ainsi provenir ces prochaines décennies que des hausses de la productivité du travail. 

Les gains de productivité fournissent déjà la majeure partie de la croissance chinoise. La croissance de la productivité s’est accélérée pour compenser la moindre contribution de la croissance de la population : elle est passée de 6,5 % dans les années quatre-vingt à 9,25 % ces dernières années. La plupart des gains de productivité proviennent de l’augmentation de la productivité au sein des trois secteurs. La croissance de la productivité fut la plus importante dans l’industrie : elle y atteint 10 % par an depuis les années quatre-vingt-dix. La réallocation de la main-d’œuvre depuis le secteur primaire vers les secteurs manufacturier et tertiaire a également contribué à la croissance de la productivité agrégée, puisqu’elle explique environ 2 points de pourcentage de cette dernière.

Or, Haltmaier estime que la croissance de la productivité sera nécessairement plus faible ces prochaines décennies. En effet, celle-ci avait été favorisée par une croissance rapide du stock de capital. Or, l’économie chinoise pourra difficilement maintenir à l’avenir des taux d’investissement aussi élevés, ne serait-ce que dans la mesure où le niveau de vie s’améliore et où la demande de biens de consommation s’élève. En outre, avec l’accroissement du stock de capital, une part toujours plus importante de l’investissement est consacrée à l’investissement de remplacement, ce qui réduit l’investissement net. Enfin, des rendements décroissants sont à l’œuvre : comme le ratio capital-travail continue de s’élever alors que l’emploi stagne, le rendement de chaque unité supplémentaire de capital va chuter. 

La réallocation intersectorielle de la main-d’œuvre va elle-même moins contribuer à la croissance de la productivité. Même s’il demeure encore un excédent en main-d’œuvre dans le secteur primaire susceptible d’être réaffecté dans les autres secteurs, cette réserve tend inévitablement à s’épuiser [Das et N'Diaye, 2013]. La part du secteur primaire dans les emplois est passée de 70 % en 1978 à 35 % en 2011. Sa part dans la valeur ajoutée atteint désormais 10 %. Elle est relativement élevée, puisqu’elle atteint 2 % dans les pays avancés et 8 % dans les économies émergentes. Sur la même période, la part du secteur secondaire est passée d’environ 30 % à désormais environ la moitié du PIB. Elle est aussi relativement élevée, puisqu’elle atteint 26 % dans les pays avancés et 35 % dans les pays émergents. Par conséquent, la part du secteur tertiaire dans la production, toujours en comparaison avec les pays avancés et émergents, est relativement faible, ce qui suggère que la main-d’œuvre excédentaire du secteur primaire va dorénavant davantage se diriger vers le secteur tertiaire. Avec le rééquilibrage de l’économie chinoise en faveur de la demande domestique, les ménages chinois seront également en mesure d’exiger que la production nationale comprenne une plus grande part de services. Ainsi, la part du secteur tertiaire dans la production, qui est passée de 30 à 40 % entre 1978 et 2011, devrait continuer à fortement croître, or le potentiel de gains de productivité est relativement limité dans ce secteur. 

Haltmaier juge alors opportun de comparer la Chine d’aujourd’hui avec le Japon d’hier. L’économie insulaire connaît elle-même un déclin de sa main-d’œuvre. Depuis milieu des années cinquante jusqu’au milieu des années soixante, le taux de croissance japonaise n’était inférieur que d’un point de pourcentage au taux de croissance. Le taux de croissance japonais de l’emploi était alors de 1,5 %, soit un peu plus élevé que le taux actuel en Chine. Même si le taux d’investissement et le taux de croissance du ratio capital-travail se sont par la suite élevés, le taux de croissance de la productivité a régulièrement diminué et n’a été que de 1 % au cours des deux dernières décennies. La faiblesse de l’activité japonaise reflète en partie la difficulté à maintenir une croissance rapide de la productivité lorsque la main-d’œuvre stagne. 

Haltmaier analyse plus finement la décélération que l’économie chinoise est susceptible de connaître ces prochaines décennies. Son scénario de base suggère que la croissance devrait ralentir pour atteindre 8 % en 2020, puis 6 % en 2030. Elle suppose ici que le taux d’emploi reste à son niveau actuel, que l’investissement demeure élevé, que les travailleurs continuent de quitter le secteur primaire et que l’investissement se réoriente en faveur du secteur tertiaire. L’auteur observe également des scénarii alternatifs en examinant cette fois-ci quatre hypothèses plus pessimistes, mais qu’elle estime toutefois réalistes : une moindre croissance de l’emploi, un plus faible investissement, de moindres incitations à investir et un déclin de l’industrie à haute productivité. Dans tous les cas, le ralentissement de la production chinoise est bien plus marqué que dans le scénario de base. Dans le worst-case scenario, les quatre facteurs se conjuguent pour ramener la croissance économique à 5 % en 2020, puis inférieure à 1,5 % en 2030.

La croissance chinoise a puissamment soutenu la croissance mondiale lors des dernières décennies et se révéla essentielle pour la reprise de l’économie mondiale suite à la Grande Récession. Une puissante décélération de la croissance n’aurait pas seulement des répercussions sur l’économie domestique et sur la société chinoise, elle se révèlerait en outre particulièrement dommageable pour le reste du monde.

 

Références

BULL, Alister (2013), « Fed study says China's growth could slow sharply by 2030 », in Reuters, 26 mars.

DAS, Mitali, & Papa N’DIAYE (2013), « Chronicle of a decline foretold: Has China reached the Lewis turning point? », FMI, working paper, n° 13/26, janvier. Traduction disponible ici.

HALTMAIER, Jane (2013), « Challenges for the future of Chinese economic growth », Réserve fédérale, international finance discussion paper, mars.

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