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6 novembre 2015 5 06 /11 /novembre /2015 18:33

Avec la poursuite de l’intégration financière mondiale, notamment l'ouverture de chaque économie aux mouvements internationaux des capitaux, les conditions financières prévalant dans un pays sont davantage influencées par celles en vigueur dans le reste du monde. Hélène Rey (2013) a observé que la politique monétaire des pays avancés et en particulier celle des Etats-Unis influence directement les conditions monétaires domestiques des pays émergents à travers les flux de capitaux, la croissance du crédit et l’endettement des banques, et ce qu’importe le régime de taux de change des pays émergents. Les pays périphériques sont sensibles à un véritable cycle financier mondial : l’assouplissement de la politique monétaire américaine les inciterait à assouplir leur politique monétaire, tandis qu’un resserrement de la politique monétaire de la Fed est susceptible de les amener à resserrer leur politique monétaire. Les pays émergents ne feraient donc pas face à un « trilemme » ou « triangle des incompatibilités » comme le suggère les théories traditionnelles à la Mundell-Fleming, mais à un « irréconciliable duo » : ils peuvent avoir soit une politique monétaire indépendante, soit une libre mobilité des capitaux, mais pas les deux simultanément. Autrement dit, l’instauration des contrôles de capitaux est peut-être nécessaire pour que les pays retrouvent la pleine autonomie de leur politique monétaire.

L’un des canaux les plus importants dans la transmission internationaux des effets de débordement est le taux de change. Or les fluctuations des taux de change peuvent jouer un rôle déterminant pour la soutenabilité des déséquilibres externes et pour la soutenabilité des modèles de croissance orientées à l’exportation. Elles peuvent affecter la stabilité financière via divers canaux, notamment les effets de bilan. La substitution entre monnaies et les désajustements de devises ont souvent été liés aux crises bancaires et aux crises de la dette que les pays émergents ont connues par le passé.

Les mouvements de capitaux peuvent eux-mêmes tout particulièrement contribuer aux variations des taux de change : les entrées de capitaux tendent à entraîner une appréciation du taux de change, tandis que les sorties de capitaux tendent à entraîner une dépréciation du taux de change. Ainsi, durant la crise financière mondiale, les politiques monétaires non conventionnelles mises en œuvre par les banques centrales des pays avancés, notamment les achats d’actifs dans le cadre de l’assouplissement quantitatif, ont entraîné de larges afflux de capitaux dans les pays émergents et poussé à la hausse leur taux de change. Inversement, depuis l’évocation d’un ralentissement (tapering) des achats d’actifs de la Fed en 2012, plusieurs pays émergents ont connu davantage de sorties des capitaux et une dépréciation de leur devise ; leurs banques centrales ont pu réagir en resserrant leur politique monétaire afin de contenir la sortie des capitaux et la dépréciation du taux de change, mais un tel resserrement monétaire est susceptible de dégrader l’activité domestique. La perspective prochaine d’un relèvement des taux directeurs de la Fed n’est pas sans susciter des inquiétudes quant au maintien de la stabilité financière dans les pays émergents.

En outre, de nombreuses études ont souligné le lien étroit entre la composition des mouvements des capitaux et les variations des taux de change. Les flux de portefeuille auraient tout particulièrement un impact significatif sur les taux de change. La composition des mouvements de capitaux est devenue plus importante pour les fluctuations du taux de change, dans la mesure où les flux de court terme sont les plus susceptibles de se tarir soudainement. La récente vague de sorties de capitaux en-dehors des pays émergents a précisément pris la forme d’investissements de portefeuille, ce qui aurait contribué à la dépréciation de leur devise.

Les études portant sur les pressions sur le marché des changes durant et après la Grande Récession sont encore rares. Toutefois, Joshua Aizenman, Jaewoo Lee et Vladyslav Sushko (2010) ont cherché à déterminer dans quelle mesure les crises ont généré des pressions sur le marché des devises des pays émergents. Joshua Aizenman et Michael Hutchison (2010) ont utilisé les pressions sur le marché des changes comme indicateur pour déterminer comment la crise financière mondiale émanant des Etats-Unis s’est répercutée sur les pays émergents. Ils ont constaté que les pays émergents caractérisés par les passifs étrangers les plus élevés se révélèrent les plus vulnérables à la crise.

A partir de données trimestrielles relatives à 50 pays de l’OCDE et pays émergents sur la période entre 2000 et 2014, Joshua Aizenman et Mahir Binici (2015) ont récemment étudié la manière par laquelle les facteurs domestiques (« pull ») et externes (« push ») ont affecté les pressions sur le marché des changes avant et après la crise financière mondiale, ainsi que le rôle de ces facteurs lors de l’épisode du tapering de la réserve fédérale. Ils constatent que les facteurs externes, notamment l’appétit pour le risque, la liquidité mondiale, l’orientation de la politique monétaire de la Fed et les prix des matières premières, ont joué un rôle significatif dans les pressions de marché des changes, que ce soit dans les pays de l’OCDE ou dans les pays émergents, mais encore plus significativement dans ces derniers. Ils constatent également que la composition des mouvements de capitaux est déterminante pour expliquer la puissance des pressions sur le marché des changes. Alors que l’impact des flux de capitaux nets sur les pressions sur le marché des changes est négligeable, les flux de portefeuille bruts de court terme contribuent tout particulièrement aux pressions sur le marché des changes. Les flux de portefeuilles de court terme et les investissements directs à l’étranger de long terme ont un impact significatif sur les pressions sur les devises des pays émergents, mais pas sur celles des pays de l’OCDE. Les contrôles des capitaux semblent significativement réduire les pressions sur le marché des changes, bien que l’ampleur de cet impact semble dépendre étroitement de la qualité de l’environnement institutionnel.

Aizenman et Binici concluent leur étude en soulignant qu’il n’y a pas de solutions simples qui s’offrent aux pays émergents pour réduire leur exposition aux politiques mises en œuvre par les pays avancés et aux pressions que ces derniers génèrent sur le marché des changes. Les contrôles de capitaux peuvent certes atténuer cette exposition, mais leur efficacité dépend de la qualité des institutions, or cette dernière est moindre pour les pays émergents que pour les pays de l’OCDE. Les résultats obtenus par Aizenman et Binici sont ainsi cohérents avec ceux obtenus il y a peu par Joshua Aizenman, Menzie Chinn et Hiro Ito (2015) : ces derniers constataient que le régime de change et l’ouverture financière influençaient tout particulièrement l’exposition des pays périphériques aux économies du centre.

 

Références

AIZENMAN, Joshua, & Mahir BINICI (2015), « Exchange market pressure in OECD and emerging economies: Domestic vs. external factors and capital flows in the old and new normal », NBER, working paper, n° 21662, octobre.

AIZENMAN, Joshua, Menzie D. CHINN & Hiro ITO (2015), « Monetary policy spillovers and the trilemma in the new normal: Periphery country sensitivity to core country conditions », NBER, working paper, n° 21128, avril.

AIZENMAN, Joshua, & Michael M. HUTCHISON (2010), « Exchange market pressure and absorption by international reserves: Emerging markets and fear of reserve loss during the 2008-09 crisis », NBER, working paper, n° 16260, septembre.

AIZENMAN, Joshua, Jaewoo LEE & Vladyslav SUSHKO (2010), « From the Great Moderation to the global crisis: Exchange market pressure in the 2000s », NBER, working paper, n° 16447, octobre.

REY, Hélène (2013), « Dilemma not trilemma: The global financial cycle and monetary policy independence », document de travail présenté à Jackson Hole, 24 août.

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