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26 juin 2021 6 26 /06 /juin /2021 16:36
Pourquoi les reprises sont-elles lentes après les crises financières ?

Suite à la crise financière mondiale de 2008-2009, la reprise de l’activité dans les pays développés et émergents a été bien plus lente que ne l’anticipaient la plupart des prévisionnistes. En l’occurrence, malgré la reprise, l’activité économique n’a pas réussi à rejoindre la trajectoire tendancielle qu’elle suivait avant la crise : la crise financière semble avoir irrémédiablement réduit la production potentielle [Haltmaier, 2012 ; Ball, 2014 ; FMI, 2015]. Ce n’est pas propre à cet épisode : plusieurs études ont depuis montré que les reprises couplées à une crise financière tendaient à être suivies par de lentes reprises [Cerra et Saxena, 2008 ; FMI, 2009 ; Reinhart et Rogoff, 2009 ; Reinhart et Rogoff, 2014].

Mais s’il y a un certain consensus sur le profil des reprises dans le sillage des crises financières, il n’y en a pas en ce qui concerne les raisons pour lesquelles elles endommagent de façon permanente la production. Plusieurs analyses ont récemment cherché à expliquer la baisse de la production et de la productivité globale des facteurs en s’appuyant sur des modèles de croissance endogène [Anzoategui et alii, 2019 ; Bianchi et alii, 2019 ; Guerron-Quintana et Jinnai, 2019 ; Ikeda et Kurozumi, 2019 ; Queralto, 2019]. Ces travaux suggèrent que la productivité globale des facteurs décline dans le sillage des crises financières parce que les entreprises réduisent leurs efforts de recherche-développement lors de celles-ci. 

Les données empiriques amènent toutefois Valerie Cerra, Mai Hakamada et Ruy Lama (2021) à douter que la chute de la productivité globale des facteurs observée dans le sillage des crises financières soit liée à une baisse de l’effort de recherche-développement. Par exemple, le Brésil, la Corée du Sud, les Etats-Unis et la France ont connu des pertes permanentes en termes de production et de productivité globale des facteurs suite à la crise financière mondiale : ces deux agrégats n’ont pas assez rebondi après la Grande Récession pour revenir à la trajectoire tendancielle qu’ils suivaient jusqu'alors (cf. graphique 1). Mais dans la plupart de ces pays, la recherche-développement a continué de croître selon la tendance qu’elle suivait avant la crise.

GRAPHIQUE 1  Production, investissement, R&D et PGF

Pourquoi les reprises sont-elles lentes après les crises financières ?

source : Cerra et alii (2021)

En s’appuyant sur un échantillon de 24 pays qui ont connu une crise bancaire pendant la crise financière mondiale et de 168 pays qui n’en ont pas connue lors de celle-ci, Cerra et ses coauteurs ont alors observé la répartition des pertes en production, en investissement, en productivité et en recherche-développement suite à la crise financière mondiale relativement à leur tendance sur la période précédant celle-ci (cf. graphique 2). Ils constatent que la production, l’investissement et la productivité globale des facteurs tendent à être plus faibles qu’ils ne l’auraient été s’ils avaient continué de croître selon leur trajectoire d'avant-crise, mais aussi que ces pertes sont plus fortes pour les pays qui ont connu une crise bancaire que pour les pays qui n’en ont pas connue. En outre, la variance de la distribution des pertes semble plus réduite dans le cas des pays ayant connu une crise bancaire, ce qui implique que les pertes de production ont plus de chances de devenir permanentes dans le sillage d’une crise financière. Ces constats suggèrent qu’il y a un lien entre investissement, productivité et production durant la crise bancaire. Par contre, la distribution des pertes en recherche-développement des pays ayant connu une crise bancaire ne semble guère différente de celle des pays qui n’en ont pas connue, ce qui amène de nouveau à douter que la recherche-développement joue un rôle significatif dans l’amplification des pertes suite à une crise bancaire. 

GRAPHIQUE 2  Ecarts en 2015-2017 par rapport à la tendance sur la période 2000-2008

Pourquoi les reprises sont-elles lentes après les crises financières ?

source : Cerra et alii (2021)

Cerra et ses coauteurs ont ensuite observé les répercussions des crises bancaires à moyen terme. Suite à une crise bancaire, ils constatent que la production chute typiquement de 7 % et demeure durablement déprimée pendant dix ans ; la productivité globale des facteurs chute de 5 % ; l’investissement présente une contraction durable d’environ 20 % après dix ans ; et le crédit bancaire au secteur privé chute de près de 40 % du moyen à long terme. Ces résultats suggèrent des liens étroits entre les comportements de l’intermédiation financière, la productivité globale des facteurs et l’investissement dans le sillage des crises bancaires.

Enfin, en régressant les déterminants à moyen terme de la productivité globale des facteurs, Cerra et ses coauteurs constatent qu’une baisse de 1 % de l’investissement lors de la crise financière mondiale s’est typiquement traduite par une baisse de 0,5 % de la productivité globale des facteurs à moyen terme. En définitive, environ la moitié de la baisse de la productivité globale des facteurs à moyen terme observée après la crise financière mondiale résulterait de la baisse de l’investissement observée lors des premières années de la crise.

Ces divers constats amènent finalement Cerra et ses coauteurs à conclure que les effets d’hystérèse observés dans le sillage des crises financières transitent avant tout via le canal de l’investissement. Ce dernier ne contribue pas seulement à la production ; il contribue aussi directement à la productivité globale des facteurs à travers le progrès technique incorporé au capital. Ainsi, lors d’une crise financière, le resserrement des conditions financières contraint l’investissement ; la productivité globale des facteurs s’en trouve déprimée à moyen terme, ce qui détériore l’offre globale et freine la reprise de l’activité.

 

Références

ANZOATEGUI, Diego, Diego COMIN, Mark GERTLER & Joseba MARTINEZ (2019), « Endogenous technology adoption and R&D as sources of business cycle persistence », in American Economic Journal: Macroeconomics, vol. 11, n° 3.

BALL, Laurence M. (2014), « Long-term damage from the Great Recession in OECD countries », NBER, working paper, n° 20185.

BIANCHI, Francesco, Howard KUNG & Gonzalo MORALES (2019), « Growth, slowdowns, and recoveries », in Journal of Monetary Economics, vol. 101.

CERRA, Valerie, Antonio FATAS & Sweta C. SAXENA (2020), « Hysteresis and business cycles », FMI, working paper, n° 20/73.

CERRA, Valerie, Mai HAKAMADA & Ruy LAMA (2021), « Financial crises, investment slumps, and slow recoveries », FMI, working paper, n° 21/170.

CERRA, Valerie, & Sweta C. SAXENA (2008), « Growth dynamics: The myth of economic recovery », in American Economic Review, vol. 98, n° 1.

FMI (2009), « What’s the damage? Medium-term output dynamics after financial crises », World Economic Outlook: Sustaining the Recovery, chapitre 4.

FMI (2015), « Where are we headed? Perspectives on potential output », World Economic Outlook, chapitre 3.

GUERRON-QUINTANA, Pablo, & Ryo JINNAI (2019), « Liquidity, trends, and the Great Recession », in Quantitative Economics, vol. 10, n° 2.

HALTMAIER, Jane (2012), « Do recessions affect potential output? », Fed, international finance discussion paper, n° 1066.

IKEDA, Daisuke & Takushi KUROZUMI (2019), « Slow post-financial crisis recovery and monetary policy », in American Economic Journal: Macroeconomics, vol. 11, n° 4.

QUERALTO, Albert (2019), « A model of slow recoveries from financial crises », in Journal of Monetary Economics, vol. 114.

REINHART, Carmen, & Kenneth ROGOFF (2009), « The aftermath of financial crises », in American Economic Review, n° 99 mai.

REINHART, Carmen, & Kenneth ROGOFF (2014), « Recovery from financial crises: Evidence from 100 episodes », in American Economic Review, vol. 104.

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