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5 novembre 2013 2 05 /11 /novembre /2013 14:10

La Grande Récession a fortement creusé les déficits budgétaires dans les pays avancés, alors même que le niveau des dettes publiques était initialement élevé. Bien que la reprise de l’activité n’était pas encore assurée, les Etats-membres de la zone euro ont resserré leur politique budgétaire en 2010 pour réduire l’endettement public, en particulier dans la « périphérie ». Or selon une conception qui fait plutôt consensus parmi les économistes, les gouvernements doivent adopter une politique expansionniste lors d’une récession afin de stimuler la demande globale et ramener l’économie au plein emploi. Même si l’Etat doit s’endetter pour financer son plan de relance, la stimulation subséquente de l’activité lui permet d’accroître ses recettes fiscales. A l’extrême, pour certains, le plan de relance est même susceptible de s’autofinancer entièrement, si bien que même les Etats endettés peuvent utiliser l’arme budgétaire face aux crises économiques [DeLong et Summers, 2012]. Inversement, la mise en œuvre d’un plan d’austérité lors d’une récession ne peut qu’accélérer le déclin de la demande globale, donc réduire les recettes fiscales et conduire finalement à une envolée des ratios d'endettement public. Dans cette optique, c’est bien lors des épisodes d’expansion et non de récession que l’Etat doit consolider ses finances publiques. 

A l’opposé, d’autres nourrissent l’idée d’une « austérité expansionniste » (expansionary austerity). Selon Alberto Alesina, qui en est le principal promoteur, il n’est pas rare que des périodes de forte expansion suivent les resserrements budgétaires. Une baisse des dépenses publiques peut susciter de la confiance chez les agents privés et les inciter à dépenser en leur suggérant que de moindres efforts budgétaires seront nécessaires à l’avenir. En l’occurrence, l’austérité peut conduire à une baisse des primes de risque favorable à l’investissement. Lors d’une récession, non seulement la stimulation de l’activité privée compense la baisse des dépenses publiques, mais elle est susceptible d’entraîner au final, non pas un freinage, mais une accélération de la croissance. Cet effet expansionniste serait d’autant plus important que l’Etat est initialement endetté. Si la thèse d’Alesina est loin d’être soutenue par l’ensemble des travaux réalisés autour de la politique budgétaire, elle s’est toutefois révélée influente ces dernières années, notamment auprès des autorités européennes [Coy, 2010].

Le débat s’est parfois cristallisé autour de la taille des multiplicateurs budgétaires : s’ils sont élevés, la politique budgétaire est susceptible de puissamment affecter l’activité économique. Or, Olivier Blanchard et Daniel Leigh (2013), parmi d’autres, ont montré que les multiplicateurs étaient beaucoup plus élevés lors de la Grande Récession qu'auparavant, ce qui suggère que les économies avancées ont été particulièrement sensibles aux évolutions budgétaires lors de la crise mondiale.

De leur côté, au lieu de comparer les épisodes de consolidation budgétaire pour mettre les différentes thèses en concurrence, Anusha Chari et Peter Blair Henry (2013) mettent en parallèle les performances d’économies déprimées où un plan de relance fut mis en œuvre avec celles où des mesures d’austérité furent au contraire adoptées. En l’occurrence, les auteurs ont comparé la crise asiatique de 1997-1998 avec la récente crise de la zone euro, en reliant les performances macroéconomiques aux évolutions de la politique budgétaire. Ils rappellent qu’au début de la crise asiatique, le FMI a exhorté les pays touchés de consolider leurs finances publiques afin d’améliorer leur solde courant. Puisqu’ils étaient sur le point de perdre l’accès aux marchés financiers, les pays asiatiques ont accepté les conditions posées par le FMI pour obtenir une aide. Toutefois, selon Chari et Henry, l’ajustement budgétaire en Asie fut beaucoup plus modeste qu’on ne le pense habituellement. Surtout, même si le FMI conseilla aux pays est-asiatiques de resserrer leur politique budgétaire au début de la crise, l'institution changea d’avis un an après et leur préconisa finalement de l’assouplir.

Les autorités budgétaires ont fait l'inverse en Europe lors de la récente crise. Dès l’automne 2008, le FMI a encouragé les gouvernements des pays avancés à assouplir leur politique budgétaire pour amortir le puissant choc que subissait l’économie mondiale. Les pays européens ont ainsi procédé dans un premier temps à une relance de leur activité, mais avant d’opter brutalement pour l’austérité deux ans après, lorsque la crise grecque amena les marchés à douter de la soutenabilité des dettes publiques. En outre, l’ampleur des consolidations que la BCE, la Commission européenne et le FMI ont exigées des pays périphériques de la zone euro en contrepartie de prêts d’urgence est moindre que l’ampleur des ajustements initialement mis en œuvre en Asie. Or, selon Chari et Henry, ce sont précisément ces différences dans l’orientation de la politique budgétaire qui expliquent la divergence des trajectoires de la production et l’emploi entre les deux régions.

GRAPHIQUE 1  Taux de croissance du PIB réel (en %)

Chari--Henry--croissance--zone-euro--asie--Martin-Anota-.png

source : Chari et Henry (2013)

La crise asiatique et la crise de la zone euro se sont toutes les deux immédiatement traduites par une contraction de l’activité. Le graphique 1 représente le taux de croissance, d’une part, de la Corée du Sud, de l’Indonésie, de la Malaisie et de Thaïlande lors de la crise asiatique (ligne bleue) et, d’autre part, de l’Espagne, de la Grèce, de l’Irlande, l’Italie et du Portugal durant la crise de la zone euro (ligne rouge). Lors des deux épisodes, la croissance ne suit pas la même trajectoire suite au choc. Les pays est-asiatiques connaissaient un taux de croissance moyen de 7 % lors des quatre années précédant la crise. Le PIB a diminué de 9 % lors de l’année de crise. La reprise a toutefois été rapide et soutenue, puisque le taux de croissance s’élevait en moyenne à 5 % au cours des quatre années suivantes. Les pays est-asiatiques ont ainsi connu une reprise en V. 

Les événements furent différents dans les pays périphériques de la zone euro. Le taux de croissance annuel moyen s’élevait à 3 % lors des quatre années avant la crise. La production diminua de 5 % lors de la première année de crise, puis la contraction ralentit au cours des deux années suivantes. Malheureusement, la contraction s’accélère à nouveau trois ans après la crise, et le PIB diminua de 2,5 % au cours de la quatrième année. Non seulement la périphérie de la zone euro a ainsi ainsi une récession en double creux (double dip), mais elle peine toujours aujourd’hui à amorcer une véritable reprise.

GRAPHIQUE 2 Taux de chômage (en %)

Chari--Henry--chomage--zone-euro--asie--Martin-Anota-.png

source : Chari et Henry (2013)

L’emploi a suivi les mêmes dynamiques que le PIB lors des deux épisodes : tandis que le chômage reflue rapidement suite à la crise asiatique, il continue à progresser suite à la crise de la zone euro et atteint aujourd’hui des niveaux insoutenables (cf. graphique 2). Si besoin est, ces deux graphiques rappellent que l'évolution du taux de chômage dépend intimement de la croissance économique.

Les tests empiriques que réalisent les auteurs confirment que les pays asiatiques ont tout d’abord resserré, puis assoupli leur politique budgétaire face à la crise, tandis que les pays périphériques de la zone euro ont fait l’inverse, adoptant des mesures d’austérité avant même qu’une reprise de l’activité soit à l’œuvre. Ces différences dans l’orientation de la politique budgétaire expliquent effectivement les comportements du PIB et du chômage. En Asie, les effets de la crise sur l’économie ont tout d'abord été accentués avec la prime consolidation, mais la politique budgétaire fut ensuite assouplie et contribua à une reprise rapide. En zone euro, il y a les répercussions de la crise mondiale sur les pays-membres furent tout d'abord amorties par la relance budgétaire, mais les mesures austérité qui furent par la suite adoptées se révélèrent particulièrement dommageables à l’activité.

Ces résultats confirment l’idée que les multiplicateurs sont beaucoup plus élevés lors des récessions qu’en temps normal. Pour Chari et Henry, les pays connaissent une reprise plus rapide lorsqu’ils poursuivent une politique budgétaire contracyclique. Ils rejettent en outre la thèse d’une austérité expansionniste si chère à Alesina. Ce n’est pas les efforts initiaux de consolidation, mais bien les efforts subséquents de relance qui ont permis aux économies est-asiatiques de renouer rapidement avec une croissance soutenue. Réciproquement, l’austérité adoptée par les pays périphériques n’a conduit qu’à accélérer la contraction de l’activité et empêcher l’amorce d’une reprise. Chari et Henry rejoignent ainsi les conclusions d’autres auteurs comme Paul De Grauwe et Yuemei Ji (2013) : les autorités budgétaires sont bel et bien responsables du basculement de la zone euro dans une nouvelle récession en 2011. 

 

Traductions

BLANCHARD, Olivier, & Daniel LEIGH (2013), « Growth forecast errors and fiscal multipliers », IMF working paper, n° 13/1, janvier. Traduction partielle disponible sur Annotations.

CHARI, Anusha, & Peter Blair HENRY (2013), « Two tales of adjustment: East Asian lessons for European growth », présenté lors de la onzième conférence annuelle Jacques Polak du FMI, novembre. 

COY, Peter (2010), « Keynes vs. Alesina. Alesina who? », in Bloomberg Business Week, 29 juin.

DE GRAUWE, Paul, & Yuemei JI (2013), « The legacy of austerity in the eurozone », CEPS Commentary, 4 octobre.

DELONG, J. Bradford, & Lawrence H. SUMMERS (2012), « Fiscal policy in a depressed economy », 20 mars.

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