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30 juillet 2014 3 30 /07 /juillet /2014 22:48

Au Royaume-Uni, le PIB a chuté de 7 % par rapport à son pic en janvier 2008, si bien que cette chute de la production nationale s’est révélée être la plus forte que le Royaume-Uni ait connue depuis la Seconde Guerre mondiale [Pessoa et Van Reenen, 2014]. Le PIB n’est retourné à son niveau d’avant-crise qu’en avril 2014, si bien que cette reprise s’est révélée être la plus lente sur l’ensemble de la décennie. En raison de la violence de la Grande Récession, le taux de chômage aurait dû s’envoler, ce qui n’a pas été le cas : le taux de chômage s’est élevé au maximum à 8,3 %, ce qui est certes un niveau socialement inacceptable, mais demeure inférieur aux taux observés lors des précédentes récessions des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. 

Cela s’est accompagné de la soi-disant « énigme de la productivité » (productivity puzzle) : la productivité du travail s’est effondrée. En l’occurrence, elle s’est réduite de 4 % par rapport à son niveau d’avant-crise. Selon la Banque d’Angleterre, elle est inférieure de 16 % au niveau qu’elle aurait dû atteindre si les tendances passées se seraient poursuivies. La productivité tend en général à chuter ou tout du moins à stagner au début des récessions, les entreprises étant (tout du moins initialement) réticentes à licencier des travailleurs (en particulier qualifiés) alors qu’elles seront susceptibles de les réembaucher une fois la reprise amorcée. Il est toutefois inhabituel qu’une baisse de la productivité soit aussi marquée. Par rapport aux autres pays avancés, la chute de la productivité fut plus marquée au Royaume-Uni et l’impact sur l’emploi moins important. 

Pour Simon Wren-Lewis (2014), l’absence de croissance de la productivité du travail est bonne à court terme, mais potentiellement désastreuse à long terme. A court terme, la baisse de la productivité est une bonne chose, car elle réduit l’impact de la chute de la production sur l’emploi. A la limite, malgré la baisse de la production, une baisse de la production peut permettre aux entreprises de garder le même nombre de travailleurs. Cela peut toutefois s’accompagner d’une baisse des salaires réels, mais alors l’impact de la crise est plus également réparti entre l’ensemble des travailleurs, plutôt que sur une partie d’entre eux. Si la productivité augmente rapidement avec la reprise, les salaires peuvent alors s’accroître aussi rapidement et l’économie peut rattraper le terrain perdu lors de la récession. Par contre, si la productivité ne s’accroît pas à nouveau, alors l’économie peut ne pas réussir à combler son retard et les dommages sur le niveau de vie des résidents seront permanents. Or, c’est bien ce scénario-ci que privilégient les prévisionnistes. 

Pour João Paulo Pessoa et John Van Reenen (2014), une part importante de l’énigme s’explique par la flexibilité des salaires, combinée à un très faible investissement. Entre le deuxième trimestre 2008 et le troisième trimestre 2013, les salaires horaires ont diminué en moyenne de 8,5 % en termes réels. Dans la plupart des autres pays avancés, les salaires réels ont déjà retrouvé leur niveau d’avant-crise. Les salaires moyens ont chuté malgré un changement dans la composition de la main-d’œuvre au profit des emplois qualifiés : les mêmes travailleurs font donc désormais les mêmes emplois, mais pour de moindres salaires. Parmi les travailleurs qui restèrent au même emploi entre 2010 et 2011, un tiers vit ses salaires nominaux chuter ou rester les mêmes, alors qu’un autre tiers vit ses salaires augmenter moins que l’inflation, si bien qu’il subit un baisse de son salaire réel. 

Pessoa et Van Reenen se sont alors demandés pourquoi les travailleurs ont accepté à ce que leur salaire diminue. La récession a peut-être poussé les travailleurs à accepter des réductions de salaires pour rester en poste. La perte de revenu associée à l’entrée au chômage, puisque les allocations chômage ont augmenté moins rapidement que les salaires. En outre, le resserrement des conditions de versement des allocations chômage incite de plus en plus les chômeurs à accepter un emploi moins rémunéré que le précédent plutôt qu’à prolonger leur recherche d’emploi. Or, en acceptant un emploi qui ne correspond pas à ses qualifications, un travailleur perd en productivité. Enfin, les syndicats sont moins puissants qu’au cours des précédentes récessions.

La diminution des salaires réels a contribué à maintenir l’emploi, parce qu’elle rendit moins cher pour les entreprises de garder leurs salariés, même face à un effondrement de la demande. Or la faiblesse des salaires incita les entreprises à utiliser du facteur travail, plutôt qu’à investir dans le capital et les nouvelles technologies. Le renchérissement du coût d’investissement pour certaines entreprises a renforcé cette tendance. Malgré les politiques ultra-accommodantes mises en œuvre par la Banque d’Angleterre, le coût du capital s’est accru. Bref le coût relatif du travail s’est réduit, alors même que le coût relatif du capital s’est accru, incitant les entreprises à substituer du capital par du travail. Une fois cet effet pris en compte, Pessoa et Van Reenen suggère que la récente récession n’est pas significativement différente de celles qui ont eu lieu au cours des précédentes décennies.

Simon Wren-Lewis (2013) rattache précisément la faiblesse de la productivité britannique aux difficultés essuyées par le secteur bancaire lors de la Grande Récession. Puisque les banques ont cherché à reconstitué leurs bilans, elles ont accordé moins de prêts, empêchant les entreprises les plus productives (en l’occurrence les PME) de se développer et affectant ainsi la productivité dans l’ensemble de l’économie. En outre, certains sont peut-être des banques « zombies », préférant reconduire des prêts défaillants (aux entreprises les moins productives) plutôt qu’à reconnaître leurs pertes, mais refusant parallèlement de prêter aux entreprises dynamiques. 

En outre, il se pourrait que la taille du secteur financier au Royaume-Uni soit excessive. Plusieurs études, en particulier celle réalisée conjointement par Stephen Cecchetti et Enisse Kharroubi (2012), suggèrent qu’à partir d’un certain seuil, le développement du secteur financier se révèle nocif à la croissance de la productivité dans l’ensemble de l’économie. Le secteur financier tendrait alors à allouer peu efficacement les ressources (en particulier la main-d’œuvre qualifiée), notamment en utilisant celle-ci pour sa propre croissance, mais privant alors les entreprises les plus productives de les utiliser pour se développer [Kneer, 2013]. Or le secteur financier au Royaume-Uni s’est fortement élargi au milieu des années deux mille, devenant plus imposant que dans tout autre pays avancé.

 

Références

CECCHETTI, Stephen G., & Enisse KHARROUBI (2012), « Reassessing the impact of finance on growth », Banque des Règlements Internationaux, working paper, n° 381, juillet.

KNEER, Christiane (2013), « Finance as a magnet for the best and brightest: Implications for the real economy », De Nederlandsche Bank, working paper, n° 392, septembre.

PESSOA, João Paulo, & John VAN REENEN (2014), « The great British jobs and productivity mystery », in VoxEU.org, 28 juin.

WREN-LEWIS, Simon (2013), « UK banks and the productivity puzzle: it may not just be about limited lending », in Mainly Macro (blog), 30 novembre.

WREN-LEWIS, Simon (2014), « Why strong UK employment growth could be really bad news », in Mainly Macro (blog), 26 juillet.

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