Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
12 septembre 2014 5 12 /09 /septembre /2014 22:59

Pendant plusieurs décennies, les pays en développement ont connu une croissance plus lente que les pays développés. En l'occurrence, entre le milieu des années quarante et le milieu des années quatre-vingt-dix, moins d’un tiers d'entre eux ont réussi à atteindre à un moment ou à un autre une croissance plus rapide que les pays riches. Et lorsqu’un pays en développement parvenait tout de même à connaître une plus forte croissance que ces derniers au cours d’une décennie, il effaçait généralement ses gains au cours de la décennie suivante. En d'autres termes, l’économie mondiale était le théâtre d'une divergence continue des niveaux de vie. Lant Pritchett, alors économiste en chef de la Banque Mondiale, affirma en 1997 que l’accroissement des écarts de richesse entre les pays riches et les pays pauvres constituait « la caractéristique dominante de l’histoire économique moderne ».

Cette divergence s'est bien mal conciliée avec les prédictions de la littérature théorique. Les théories dominantes de la croissance économique se sont longtemps fondées sur le modèle séminal de Robert Solow (1956). Dans celui-ci, les pays pauvres sont pauvres car ils sont faiblement dotés en capital, mais précisément en raison de cette faible dotation en capital, ils devraient en principe avoir un rendement de l’investissement plus élevé que les pays riches ; avec l’afflux des capitaux qui en résulte, les pays pauvres devraient voir leurs niveaux de productivité et de revenu converger vers ceux des pays riches. Certes, de leur côté, les pays avancés peuvent stimuler leur propre croissance en s'appuyant sur le progrès technique, mais leurs innovations sont alors également disponibles pour les pays en développement, facilitant alors davantage le rattrapage de ces derniers. Et dans un monde où les marchés des biens et services sont étroitement intégrés, la demande domestique n’est plus forcément une contrainte, puisque les pays peuvent plus facilement s’appuyer sur la demande extérieure.

Une telle modélisation est cohérente avec l’histoire des pays qui se sont industrialisés en premier et qui constituaient le club des pays avancés lorsque l'article de Solow fut publié : à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième siècle, les Etats-Unis et plusieurs pays européens ont vu leur niveaux de productivité rattraper celui de la Grande-Bretagne, effaçant ainsi peu à peu l’avantage dont jouissait initialement cette dernière. Par contre, les conclusions du modèle de Solow se concilient bien mal avec les performances des pays en développement. Des pays comme le Japon, la Corée du Sud et Taïwan ont certes rejoint le club des pays avancés en s’industrialisant malgré un décollage tardif, mais la majorité des pays en développement n’ont pas connu une telle destinée.

De nouvelles théories ont dû être avancées pour expliquer ces performances. Certains économistes ont alors suggéré que seule une « convergence conditionnelle » était à l’œuvre : par exemple, les pays pauvres ne convergeraient vers les pays riches que s’ils se caractérisent par le même volume de capital humain que ces derniers. D’autres économistes mettent l’accent sur les institutions. D’autres encore soulignent l’importance de la géographie et du climat : un pays qui jouit d’un climat tropical et qui est particulièrement exposé aux maladies ferait face de facto à de puissants obstacles pour se développer. 

Les quinze dernières années ont par contre été marquées par une accélération exceptionnelle de la croissance dans les pays en développement, a priori plus conforme avec les prédictions néoclassiques. La croissance du revenu par tête des pays en développement a presque triplé en passant d’environ 2 % dans les années quatre-vingt à presque 6 % avant la crise de 2008 [Rodrik, 2011]. La production par tête a plus que doublé dans le monde en développement entre 2000 et 2009 [The Economist, 2014]. Au cours de cette décennie, le taux de croissance annuel moyen s’est élevé à 7,6 %, soit un niveau supérieur de 4,5 points de pourcentage à celui des pays riches. L’accélération de la croissance a entraîné une baisse de la pauvreté. La part du monde en développement vivant avec moins de 1,25 dollar par jour est passée de 30 % à moins de 10 % depuis 2000. Bref, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, les niveaux de vie ont connu au cours de la dernière décennie une forte convergence, laissant suggérer un rattrapage rapide des pays en développement sur les pays avancés. Si le monde émergent était capable de maintenir une croissance supérieure de 4,5 points de pourcentage à celle des pays riches, alors son revenu par habitant moyen convergerait avec celui des Etats-Unis en à peine trois décennies. La crise financière mondiale qui a fait basculer les pays avancés dans la Grande Récession n’a pas épargné les pays en développement, mais ces derniers se sont très rapidement redressés. En 2010, ils représentaient la moitié de l’économie mondiale et généraient l’essentiel de la croissance mondiale.

Toutefois le rythme de convergence n’a pas été le même pour tous les pays. Le rattrapage a certes été particulièrement rapide en Europe de l’est et en Asie de l’est (en particulier en Chine), mais les progrès ont été moindres dans beaucoup d’autres pays en développement. Certains pays comme le Venezuela et le Zimbabwe ont même connu une chute de leur niveau de vie.

Surtout, depuis 2008, les taux de croissance des pays émergents ont ralenti, ce qui suggère que cette période de convergence exceptionnelle pourrait s’être achevée. En 2013, la croissance du PIB par habitant moyen du monde émergent a été seulement supérieure de 2,6 points de pourcentage à celle des Etats-Unis [The Economist, 2014]. A ce rythme, la convergence ne sera pleinement achevée que dans un demi-siècle. Si l’on exclut la performance chinoise, la croissance du PIB par habitant moyen du monde émergent n’a été seulement supérieure que de 1,1 point de pourcentage à celle des Etats-Unis, ce qui suggère cette-ci que la convergence des niveaux de vie ne s’achèvera pas avant au moins un siècle. Les plus récentes prévisions de croissance du FMI sont encore plus pessimistes. Selon elles, la croissance du monde en développement (si l’on exclut à nouveau la Chine) ne sera à peine supérieure que de 0,39 point de pourcentage par rapport au monde développé. Or, à un tel rythme, la convergence ne s’achèvera pas avant au moins trois siècles. 

Pour le magazine The Economist, les conditions sous lesquelles ont été possibles ces quinze années de convergence rapide sont difficilement reproductibles. Depuis la fin des années quatre-vingt-dix, l’environnement macroéconomique avait été particulièrement favorable aux pays en développement : les taux d’intérêt étaient faibles et les afflux de capitaux abondants : la hausse des prix des matières premières (à laquelle l’essor chinoise a particulièrement contribué) bénéficiait aux pays qui les extrayaient et les exportaient, notamment en Afrique subsaharienne ; entre 1994 et 2007, les échanges commerciaux augmentaient deux fois plus rapidement que la production mondiale ; le progrès technique a permis aux pays en développement de participer plus étroitement aux chaînes de valeur mondiales, etc.

Beaucoup de ces dynamiques se sont retournées depuis. La croissance chinoise a atteint son maximum en 2007 en s’élevant alors à 14 %, mais elle a depuis été divisée par deux. Le ralentissement de la croissance chinoise s’est traduit par un retournement du cycle des prix des matières premières. Avec la perspective d’un resserrement des politiques monétaires dans les pays développés, les mouvements de capitaux sont devenus plus instables. Ensuite, en 2010, le commerce international était certes revenu à son niveau d’avant-crise, mais il augmente depuis qu’au même rythme que la production. Surtout, plusieurs économistes doutent que les pays en développement puissent autant s’appuyer sur l’industrialisation que par le passé pour poursuivre leur rattrapage. Dani Rodrik s’est notamment préoccupé en de multiples reprises du phénomène de « désindustrialisation prématurée » (premature deindustrialization) : la part de l’activité manufacturière dans l’emploi total ou dans la valeur ajoutée semble amorcer son déclin de plus en plus tôt dans les pays en développement, les privant alors d’un moteur de croissance qu’il juge essentiel au décollage de leur activité. Pour Rodrik (2014), il est possible que la croissance des pays en développement reste durablement supérieure à celle supérieure à celle des pays avancés, non pas parce que les premiers connaissent une croissance rapide, mais parce que les seconds connaissent une stagnation de leur activité.

 

Références

The Economist (2014), « Economic convergence: The headwinds return », 13 septembre.

RODRIK, Dani (2011), « The future of economic convergence », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 17400.

RODRIK, Dani (2014), « Back to sanity on economic convergence », 11 septembre.

SOLOW, Robert M. (1956), « A contribution to the theory of economic growth », in Quarterly Journal of Economics, vol. 70, n° 1.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : D'un champ l'autre
  • : Méta-manuel en working progress
  • Contact

Twitter

Rechercher