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7 mai 2016 6 07 /05 /mai /2016 10:32

Ces dernières décennies ont été marquées par une nouvelle phase soutenue de mondialisation des échanges. Celle-ci s’est peut-être traduite par une baisse des inégalités de revenu entre les pays, mais elle semble plus sûrement s’être accompagnée d'une détérioration des inégalités dans chaque pays. Les canaux exacts par lesquels la mondialisation des échanges affecte les inégalités de revenu prêtent  toutefois toujours à discussion. Peter Egger, Sergey Nigai et Nora Strecker (2016) se sont récemment penchés sur l’un des possibles canaux de transmission : celui de la fiscalité.

D’un côté, des auteurs comme Dani Rodrik (1998) suggèrent que diverses mesures de la mondialisation sont corrélées avec les dépenses dans les biens publics. D’un autre côté, l’accroissement de la mobilité des facteurs de production, dans un contexte de libéralisation financière, est susceptible de réduire la capacité des Etats à prélever des impôts ; c’est ce que constant notamment Michael Devereux et alii (2008) dans le cas de la mobilité du capital ou encore Henrik Jacobsen Kleven et alii (2014) dans le cas de la mobilité des travailleurs très qualifiés et à haut revenu. Par conséquent, chaque Etat tend à faire face à une demande croissante de biens publics, alors même qu’il repose sur des bases fiscales de plus en plus étroites ; ces dernières comprennent essentiellement le patrimoine, les dépenses et le revenu personnel des travailleurs relativement immobiles. Cette dynamique est alors susceptible d’avoir deux conséquences perverses : une tendance à la détérioration des finances publiques et un accroissement des inégalités, ces deux effets pervers ayant en outre sûrement tendance à se renforcer mutuellement, comme l’ont suggéré Martin Larch (2010), Marina Azzimonti et alii (2012) ou encore Santo Milasi (2012).

GRAPHIQUE  Composition des recettes fiscales (en %)

Le contrecoup fiscal de la mondialisation

source : Egger et alii (2016)

Egger et alii ont donc analysé les répercussions de la mondialisation sur la taille et la composition des recettes fiscales (cf. graphique), sur le fardeau fiscale propre aux travailleurs et sur les taux d’imposition effectifs du revenu du travail. Pour cela, ils se sont basés sur un large échantillon de données internationales relatives à la période comprise entre 1980 et 2012. Ils constatent que les gouvernements recherchent de plus en plus des sources fiscales autres que les impôts sur les entreprises, ce qui est cohérent avec la théorie selon laquelle l’Etat a de plus en plus en plus de difficulté de taxer les facteurs de production, notamment le capital. En l’occurrence, la mondialisation a incité les gouvernements à accroître les impôts à la charge des salariés. Le fardeau fiscal sur les classes moyennes, relativement à celui des ménages les plus modestes et des ménages les plus aisés, a eu tendance à augmenter, en particulier dans les pays développés. Cette dynamique découle entre autres des modifications des lois relatives à la fiscalité, ce qui permet de taxer plus agressivement les classes moyennes par rapport aux extrêmes de la répartition des revenus. Entre 1994 et 2007, la mondialisation aurait contribué à accroître leur taux d’imposition du revenu de 1,5 point de pourcentage, tandis que les 1 % des travailleurs les plus aisés virent le leur diminuer d’environ 1,5 point de pourcentage. Une telle dynamique contribue alors à expliquer pourquoi des indicateurs d’inégalités de revenu comme l’indice de Gini et la part du revenu national détenu par les 1 % les plus aisés aient eu tendance à se dégrader ces dernières décennies.

 

Références

AZZIMONTI, Marina, Eva DE FRANCISCO & Vincenzo QUADRINI (2012), « Financial globalization, inequality, and the raising of public debt », Federal Reserve Bank of Philadelphia, working paper, n° 12-6, 17 février.

DEVEREUX, Michael P., Ben LOCKWOOD & Michela REDOANO (2008), « Do countries compete over corporate tax rates? », in Journal of Public Economics, vol. 92, n° 5-6.

EGGER, Peter, Sergey NIGAI, Nora STRECKER (2016), « The taxing deed of globalization », CEPR, discussion paper, n° 11259 , mai.

KLEVEN, Henrik Jacobsen, Camille LANDAIS, Emmanuel SAEZ & Esben Anton SCHULTZ (2014), « Migration and wage effects of taxing top earners: Evidence from the foreigners' tax scheme in Denmark », in Quarterly Journal of Economics, vol. 129, n° 1.

LARCH, Martin (2010), « Fiscal performance and income inequality: Are unequal societies more deficit-prone? Some cross-country evidence », European economy Economic paper, vol. 414.

MILASI, Santo (2012), « Top income shares and budget deficits », document de travail.

RODRIK, Dani (1998), « Why do more open economies have bigger governments? », in Journal of Political Economy, vol. 106, n° 6.

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5 janvier 2015 1 05 /01 /janvier /2015 20:51

Les pays scandinaves sont parmi les plus riches au monde, leurs niveaux d’imposition sont élevés et le montant de lleur redistribution de revenus est parmi les plus importants. Le ratio impôts sur PIB et les taux d’imposition sont plus élevés au Danemark, en Norvège et en Suède qu’ailleurs. Les taux marginaux d’imposition sont compris entre 60 et 70 % dans les pays scandinaves, contre par exemple 43 % aux Etats-Unis. Ces faits suggèrent deux choses : non seulement une forte imposition et une forte redistribution n’empêchent pas forcément un pays d’avoir une forte croissance, mais peut-être qu’elles y ont précisément contribué. Kleven (2014) s'est alors demandé comment les pays scandinaves (en l’occurrence le Danemark, la Norvège et la Suède) sont capables d’imposer autant les revenus tout en maintenant l’un des niveaux de vie les plus élevés au monde.

Kleven estime que tout un ensemble de politiques et d'institutions semble jouer un rôle pour expliquer « l’énigme scandinave ». Tout d’abord, le système fiscal des pays nordiques repose étroitement sur l’information fournie par les tiers, notamment les employeurs et le secteur financier, qui déclarent le revenu imposable au nom de leurs salariés et clients directement auprès du gouvernement. Kleven, Kreiner et Saez (2009) et Kleven, Knudsen, Kreiner, Pedersen et Saez (2011) montrent qu’il ne peut y avoir de conformité fiscale que si l’information fournie par un tiers couvre une large fraction du revenu imposable. En effet, le taux d’évasion total croît fortement avec la part du revenu qui est autodéclarée, tandis que le taux d’évasion est toujours très proche de zéro pour le part du revenu qui est déclarée par les tiers (cf. graphique). Kleven et alii (2011) observent notamment que si le taux d’évasion au Danemark est extrêmement faible (représentant 2,2 % du revenu), c’est parce que presque tout le revenu (environ 95 %) est sujet à une déclaration d’information par un tiers où l’évasion fiscale est pratiquement nulle.

GRAPHIQUE  Taux d'évasion selon la fraction du revenu autodéclarée au Danemark

Kleven-Knudsen-Kreiner-Pedersen-Saez--Danemark-revenu-decl.png

source : Kleven et alii (2011)

Selon Kleven, l’élasticité du revenu imposable vis-à-vis du taux marginal d’imposition est un paramètre clé pour évaluer la politique fiscale puisqu’elle permet de déterminer comment la variation du taux d’imposition influence les revenus. Kleven et Schultz (2014) ont observé l’impact d’une série de réformes fiscales danoises menées au cours des 25 dernières années pour calculer l’élasticité du revenu imposable vis-à-vis du taux marginal d’imposition au Danemark. Leur analyse suggère que celle-ci est considérablement plus faible que celle obtenue dans bien d’autres pays, notamment aux Etats-Unis. Pour Kleven, les larges assiettes fiscales dont font usage le Danemark et les autres pays scandinaves freinent fortement l’évitement fiscal et permettent ainsi de réduire les élasticités du revenu imposable vis-à-vis du taux marginal d’imposition.

Beaucoup ont suggéré que les Scandinaves étaient à même de fortement imposer leurs résidents parce que leur culture les y prédisposait. D’après les indicateurs de confiance au travers les enquêtes de la World Values Survey (en l’occurrence, en utilisant la réponse moyenne à la question « si l'on peut avoir confiance en la plupart des gens »), les pays scandinaves sont parmi ceux présentant les plus hauts niveaux de confiance, or il semble effectivement y avoir une corrélation positive entre la confiance (mesurée ainsi) et les rentrées fiscales lorsque l’on observe l’ensemble des pays. Kleven s’est demandé si la volonté de payer des impôts finançant une redistribution au profit des pauvres s’explique, ne serait-ce qu’en partie, par les croyances que les contribuables nourrissent vis-à-vis des pauvres. Il utilise à nouveau les réponses obtenues à une question posée dans le cadre de la World Values Survey ; celle-ci demandait aux sondés s'ils pensaient que les gens vivent dans le besoin parce qu’ils sont paresseux ou en raison d’injustices sociales, de malchance ou de d’autres facteurs sur lesquels l’individu n’a pas de contrôle. Il apparaît que la croyance que les pauvres sont paresseux est négativement corrélée avec les rentrées fiscales ; or seulement 10-15 % des Scandinaves estiment que les pauvres sont paresseux, une part plus petite qu’ailleurs dans le monde. Ensuite, si l’on mesure le capital social à partir d’un indice utilisant les données sur la participation civique, la participation électorale et le crime, les pays scandinaves semblent davantage dotés en capital social que les autres pays. Enfin, Kleven s’est demandé si les contributions obligatoires aux biens publics et à la redistribution via les impôts évinçaient les contributions volontaires telles que les dons. Les données ne font pas apparaître un tel effet d’éviction : il n’y a pas de relation négative entre imposition et donation volontaire et les Scandinaves ne sont pas moins charitables que les populations ayant de plus faibles niveaux d’imposition.

Les comparaisons que réalisent Kleven ne l’amène pas à rejeter l’idée que les pays scandinaves jouissent de facteurs sociaux et culturels plus favorables à l’imposition que les autres pays. Toutefois, son analyse ne parvient pas à faire apparaître clairement si les facteurs sociaux et culturels influencent les dynamiques macroéconomiques ou s’ils sont le produit de ces mêmes dynamiques, des institutions et des politiques économiques qui sont mises en œuvre. Kleven prend l’exemple de la confiance : son analyse ne permet pas de déterminer si elle est le fruit d’attitudes culturelles qui sont « structurelles » aux pays scandinaves ou si elle est générée de façon endogène par les institutions. Ces divers facteurs sont en outre susceptibles de se renforcer mutuellement : les spécificités sociales et culturelles propres aux pays scandinaves facilitent peut-être la mise en œuvre de politiques et d’institutions favorables à l’imposition, tandis que ces dernières influencent en retour les normes sociales et culturelles en vigueur. 

Pour autant, Kleven estime qu’il est difficile de tirer des enseignements de ces pays qui soient directement applicables aux autres : les pays scandinaves sont de petits pays homogènes, marqués par une faible diversité raciale et religieuse, fortement dotés en capital humain et ils ont été largement préservés des conflits violents au cours de l'histoire.

 

Références

KLEVEN, Henrik Jacobsen (2014), « How can Scandinavians tax so much? », in Journal of Economic Perspectives, vol. n°4, automne. 

KLEVEN, Henrik Jacobsen, Martin B. KNUDSEN, Claus Thustrup KREINER, Søren PEDERSEN, & Emmanuel SAEZ (2011), « Unwilling or unable to cheat? Evidence from a tax audit experiment in Denmark », in Econometrica, vol. 79, n° 3.

KLEVEN, Henrik Jacobsen, Claus Thustrup KREINER, & Emmanuel SAEZ (2009), « Why can modern governments tax so much? An agency model of firms as fiscal intermediaries », NBER, working paper, n° 15218.

KLEVEN, Henrik Jacobsen, & Esben Anton SCHULTZ (2014), « Estimating taxable income responses using Danish tax reforms », in American Economic Journal: Economic Policy.vol. 6, n° 4.

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10 décembre 2014 3 10 /12 /décembre /2014 21:21

Dans leur modèle séminal, Allan Meltzer et Scott Richard (1981) concluaient que plus l’électeur médian est pauvre, plus il est incité à voter pour des politiques redistributives, ce qui suggère, tout d’abord, que la redistribution devrait être d’autant plus importante que les inégalités sont fortes, mais aussi que l’effet serait le plus grand pour l’électeur médian, ou du moins que ce dernier serait un bénéficiaire net de la redistribution. Lorsqu'il testa cette hypothèse, Branko Milanovic (2000) constatait que la redistribution est effectivement d’autant plus forte que les inégalités de revenus primaires sont fortes ; en revanche, ce sont les plus pauvres qui profitent avant tout de la redistribution et non les classes moyennes ou l’électeur médian.

La littérature a souvent suggéré que la redistribution dépendait du rapport de force entre une élite et le reste de la population, par exemple les riches et les pauvres, les capitalistes et les travailleurs, etc. toutefois, pour qu’il y ait redistribution, il faut que les bénéficiaires soient collectivement organisés et qu’ils contrôlent le gouvernement. En effet, en l’absence d’action collective, les bénéficiaires potentiels ne peuvent sanctionner les politiciens qui ne poursuivent pas des politiques redistributives. En principe, les partis de gauche résolvent les problèmes d’action collective que rencontre la population qui ne fait pas partie de l’élite, ce qui suggère que la redistribution devrait être d’autant plus importante lorsque la gauche est au pouvoir. Torben Iversen et David Soskice (2006) ont suggéré que la redistribution devrait d’autant plus se faire au profit des pauvres que ces derniers parviennent à former une coalition avec la classe moyenne. Noam Lupu et Jonas Pontusson (2011) ajoutent que ce sera d’autant plus possible que les revenus de la classe moyenne est proche de ceux des pauvres et éloignés de ceux des riches.

Pourtant, même si les partis de gauche représentent les intérêts des pauvres, ils n’ont pas les mêmes incitations à poursuivre un agenda redistributif. Iversen et Soskice ont suggéré que les classes moyennes risquent de s’opposer aux partis de gauche si ces derniers ne peuvent s’engager de façon crédible à modérer leur position sur la redistribution. Michael Becher (2014) ajoute qu’en nommant des candidats modérés (notamment des candidats qui ne sont pas issus du syndicalisme), les partis de gauche s’engagent à poursuivre un agenda redistributif qui soit plus attrayant pour les classes moyennes, ce qui favorise leur accession au pouvoir. Pour Philip Keefer et Branko Milanovic (2014), les stratégies d’engagement nécessitent un degré élevé d’organisation du parti. En effet, les partis ne peuvent s’engager de façon crédible à poursuivre un programme particulier que s’ils sont capables de réduire les comportements de passager clandestin de la part de leurs candidats et notamment d’éviter à ce que ces derniers s’écartent du programme officiel du parti, ce qui n’est possible que si le parti est très organisé. Si c’est le cas, ils sont à même de gérer les changements de leaders et de ne pas se dissoudre suite à celles-ci. En outre, les partis organisés sont plus susceptibles d’avoir une vision de long terme et ainsi de prendre en compte les coûts de la redistribution, notamment les répercussions de la fiscalité sur l’activité et sur la croissance économique ; ils sont alors moins enclins à redistribuer. Réciproquement, les partis qui ont de moindres incitations à prendre en compte ces coûts sont par conséquent les plus susceptibles de redistribuer excessivement. 

Keefer et Milanovic suggèrent alors que les plus vieux partis sont davantage susceptibles de présenter l’organisation nécessaire pour s’engager de façon crédible que les partis les plus jeunes. En effet, les plus vieux partis ont démontré qu’ils pouvaient gérer les changements de leaders, puisqu’ils ne se sont pas dissous jusqu'à présent. Certains jeunes partis présentent peut-être une organisation suffisante pour survivre, mais d’autres en sont dépourvus et vont se dissoudre. Par conséquent, les plus vieux partis devraient être plus modérés que les plus jeunes et procéder à une moindre redistribution. 

Afin de déterminer l’impact des partis politiques sur la redistribution, Keefer et Milanovic utilisent des données relatives à la répartition du revenu dans 61 pays, notamment 20 pays latino-américains. Tout d’abord, ils se demandent comment l’orientation partisane d’un gouvernement influence sa politique de redistribution. Leur analyse empirique confirme que les partis de gauche redistribuent davantage que les partis de droite. Ils se demandent ensuite à quelle ampleur les caractéristiques des partis au pouvoir (notamment leur âge ou leur niveau d’institutionnalisation) influencent leur arbitrage entre croissance et redistribution. Les plus vieux partis de gauche sont davantage susceptibles d’internaliser les coûts à long terme de la redistribution et d’être plus crédibles dans leur engagement à redistribuer les revenus, ce qui les amène finalement à moins redistribuer. Keefer et Milanovic montrent également que non seulement les partis de gauche redistribuent plus, mais qu’ils taxent également plus ; les partis de gauche plus vieux taxent toutefois moins que les plus jeunes.

 

Références

BECHER, Michael (2014), « Endogenous credible commitment and party competition over redistribution under alternative electoral institutions ».

IVERSEN, Torben, & David SOSKICE (2006), « Electoral institutions and the politics of coalitions: Why some democracies redistribute more than others », in American Political Science Review, vol. 100, n° 2.

KEEFER, Philip, & Branko MILANOVIC (2014), « Party age and party color. New results on the political economy of redistribution and inequality », Banque mondiale, policy research working paper, n° 7129.

LUPU, Noam, & Jonas PONTUSSON (2011), « The structure of inequality and the politics of redistribution », in American Political Science Review, vol. 105, n° 2.

MELTZER, Allan H., & Scott F. RICHARD (1981), « A rational theory of the size of government », in Journal of Political Economy, vol. 89, n° 5.

MILANOVIC, Branko (2000), « The median voter hypothesis, income inequality and income redistribution: An empirical test with the required data », in European Journal of Political Economy, vol. 16, n° 3.

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