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22 juillet 2013 1 22 /07 /juillet /2013 22:59

Avant la Seconde Guerre mondiale, les économies connaissaient régulièrement des périodes de déflation. La Grande Dépression en fut l’une des manifestations les plus spectaculaires : entre 1929 et 1933, le niveau général des prix diminue de 40 % aux Etats-Unis, aggravant la contraction du secteur bancaire et de l’activité économique. Si tous ces épisodes ne se sont pas forcément accompagnés d’un puissant ralentissement de l’activité, ils ont toutefois été très souvent marqués par des turbulences financières. Pour les pays développés, l'après-guerre se révèle être une période de stabilité macroéconomique et financière. Mais, dans les années quatre-vingt-dix, le faible niveau des taux d’inflation et surtout la décennie perdue du Japon font craindre un retour de la déflation parmi les économies avancées. La Grande Récession a été d’une telle violence que plusieurs pays avancés connaissent effectivement une courte période de déflation entre 2008 et 2009. La réaction des autorités monétaires et notamment des banques centrales ont permis de rapidement stabiliser l’activité, mais la lenteur de la reprise ne permet d’exclure le risque d’une déflation. Les pays périphériques de la zone euro sont en l’occurrence particulièrement exposés à la baisse des prix et la stagnation de l'activité au sein des autres Etats-membres pourrait conduire à une généralisation de la déflation sur l'ensemble de l'union monétaire. 

S’il apparaissait pour certains évident dès le dix-huitième siècle que la déflation pouvait être source de détresse financière, Irving Fisher (1933) est le premier à concevoir que la déflation puisse en retour être exacerbée par l’instabilité financière. En développant le concept de déflation par la dette (debt-deflation) pour expliquer la crise des années trente, Fisher considère que la dépression naît de l’interaction perverse entre l’endettement et la déflation [Boyer, 1988 ; Peter, 2005].

Chez Fisher, la dynamique du surendettement trouve sa source dans l’apparition de nouvelles inventions et techniques dans un contexte d’« argent facile » (easy money). Ces innovations sont naturellement perçues comme de nouvelles opportunités d’investissement. Les entreprises révisent leurs anticipations de profits à la hausse et s’endettent alors fortement. Elles jouent d’autant plus sur l’effet de levier que les conditions financières sont favorables. L’optimisme et l’endettement s’alimentent finalement l’un l’autre et tendent tous deux à devenir excessifs. Dans ce cadre, l’amorce du boom semble éminemment schumpétérienne. L’économiste autrichien a cependant reproché à Fisher de ne pas prendre la pleine mesure du rôle des innovations et de les réduire à un simple facteur déclencheur dans le processus d’endettement [Boyer, 1988].

Dans l’analyse fishérienne, la dynamique de l’endettement générera de l'instabilité financière lorsque les agents réajusteront leurs anticipations de profit à la baisse. L’optimisme excessif des créanciers et des débiteurs se mue inévitablement tôt ou tard en inquiétude, que celle-ci soit suscitée ou non par la révélation de scandales financiers. En prenant conscience du surendettement, les entreprises sont amenées à à licencier et à liquider leurs stocks pour rembourser leurs emprunts et restaurer la liquidité de leur bilan. Mais si l’ensemble des firmes procède à des ventes en catastrophe sur des marchés concurrentiels, les prix seront poussés à la baisse et l’économie basculera dans un régime durable de déflation, marqué par la hausse des taux d'intérêt réels. Il s’ensuit alors que, même si le volume nominal de la dette se réduit, son montant en termes réels peut au contraire augmenter. Par conséquent, « plus les débiteurs paient, plus ils doivent ». Le remboursement du crédit se traduit par une contraction de la masse monétaire. Un véritable cercle vicieux se met en place, puisque l’alourdissement de la dette en valeur réelle conduit à de nouvelles ventes de détresse. Au cours du processus, un nombre croissant d’emprunteurs fait faillite, ce qui déstabilise également la situation financière des prêteurs, notamment des banquiers. La multiplication des défauts de paiement et la hausse du chômage entretiennent la chute des profits et le pessimisme. 

Alors que la majorité de ses contemporains (et lui-même par le passé) pensent que la déflation constitue un mécanisme autorégulateur, Fisher envisage qu’elle puisse à l’inverse être cumulative. Il met en outre l'accent sur la dimension psychologique et donne en outre une place centrale aux anticipations de faillites dans la propagation de la crise : une simple panique sur les marchés boursiers est susceptible de conduire à l'effondrement généralisé du système bancaire. Mais en définitive, la déflation ne s’amorce véritablement que si l’Etat et la banque centrale ne réagissent pas à la multiplication des faillites. L’une des conclusions remarquables de l’article, tant elle contraste avec les thèses qui lui étaient contemporaines, est qu’il est possible de contrer les répercussions de la crise avec la mise en œuvre d’une politique expansionniste : « l’important corollaire de la théorie de la déflation par la dette [est] que les grandes dépressions sont guérissables et évitables à travers la relance et la stabilisation ». 

L’article de Fisher est resté relativement ignoré durant de nombreuses décennies avant qu’une poignée d’auteurs (notamment Kindleberger, Minsky et Tobin) le mettent à jour et en saisissent toute la portée. James Tobin (1975) introduit les intuitions de Fisher dans un cadre keynésien en faisant jouer à la demande globale un rôle fondamental dans le processus de déflation par la dette. Pigou et les néoclassiques voyaient la déflation comme stabilisatrice, car la baisse du niveau des prix stimulait selon eux la demande agrégée. Or, selon Tobin, tous les agents ne sont pas affectés de la même manière par la variation des prix, si bien qu'ils réagissent différemment face à la déflation. Avec la baisse du niveau général des prix s’opère un transfert de richesse des emprunteurs vers les créanciers. Ces derniers profitent de leurs gains de pouvoir d’achat pour dépenser davantage (effet Pigou), mais l’alourdissement du fardeau de la dette pousse en revanche les emprunteurs à réduire leurs dépenses (effet Fisher). Or, si les emprunteurs empruntent, c’est parce qu’ils ont une propension à dépenser élevée. Surtout, ils ont une plus forte propension à dépenser que les créanciers. Dans une économie soumise à la déflation, les débiteurs réduisent davantage leurs dépenses que les créditeurs augmentent les leurs : l’effet Fisher va plus que compenser l’effet Pigou. Par conséquent, la demande globale diminue, ce qui entraîne une nouvelle chute des prix.

Si James Tobin a également suggéré que la déflation désincitait les agents à consommer et à investir en réduisant la valeur du stock de capital et des actions, c’est surtout l'hypothèse d’instabilité financière développée par Hyman Minsky qui a mis en évidence l'importance des prix d’actifs dans le processus déflationniste. Pour Minsky (1975, 1982), la fragilisation systémique est véritablement endogène à l’économie. En période de stabilité macroéconomique, les agents revoient peu à peu à la hausse le niveau d’endettement qui leur paraît soutenable, ce qui les incite à se tourner vers des modes de financement de plus en plus spéculatifs. Les créditeurs consentent à prêter davantage et réduisent les primes de risque. Les innovations financières jouent ici un rôle crucial car elles permettent effectivement d'accroître l'offre de financement dans l'économie. L'expansion résultante de l'investissement entraîne une hausse des prix d'actifs, ce qui accroît la valeur des collatéraux et alimente en retour le crédit. Symétriquement, le retournement du cycle amorce un cercle vicieux où effondrement des prix d'actifs, assèchement du crédit et contraction de l'investissement s'entretiennent mutuellement. Les innovations financières vont alors contribuer à propager l'instabilité financière. Si l'effondrement des prix d'actifs est significatif, il est alors susceptible de faire basculer l'économie dans la déflation.

La Grande Récession a peut-être suscité un nouvel intérêt pour la compréhension des mécanismes déflationnistes. Gauti Eggertsson et Paul Krugman (2012) ont par exemple modélisé les intuitions de Fisher et Minsky pour montrer comment l’effondrement d’une bulle d’actifs alimentée par l’endettement risque de faire plonger l’économie dans une trappe à liquidité. Sur un plan empirique, la crise mondiale rend plus pressante l'identification du risque de déflation. Matthias Fleckenstein, Francis Longstaff et Hanno Lustig (2013) ont cherché à déterminer la probabilité qu’une déflation survienne aux Etats-Unis. Leur analyse révèle que de nombreuses variables mesurant le risque d’instabilité financière sont significativement reliées à la probabilité de déflation. Par exemple, le risque de déflation augmente lorsque les marchés financiers révisent à la hausse les risques de crédit et de liquidité. Fleckenstein et ses coauteurs constatent qu’il croît également avec le taux de chômage. Au final, leurs résultats corroborent l’idée selon laquelle le risque qu’un choc macroéconomique survienne et s’accompagne d’une déflation est fortement lié aux risques extrêmes sur les marchés financiers. 

 

Références

BOYER, Robert (1988), « D’un krach boursier à l’autre : Irving Fisher revisité », in Revue française d’économie, vol. 3, n°3.

EGGERTSSON, Gauti B., & Paul KRUGMAN (2012), « Debt, deleveraging, and the liquidity trap: A Fisher-Minsky-Koo approach », Federal Reserve Bank of New York, 26 février.

FISHER, Irving (1933), « The debt deflation theory of great depressions », in Econometrica, vol. 1, n° 4. Traduction française, « La théorie des grandes dépressions par la dette et la déflation », in Revue française d’économie, vol. 3, n°3, 1988.

FLECKENSTEIN, Matthias, Francis A. LONGSTAFF & Hanno LUSTIG, (2013)« Deflation risk », NBER working paper, n° 19238, juillet.

MINSKY, Hyman P. (1975), John Maynard Keynes, Columbia University Press, New York.

MINSKY, Hyman P. (1982), « The financial hypothesis : Capitalist processes and the behaviour of the economy », in C. Kindleberger & J.-P. Laffargue (dir.), Financial Crises. Theory, History, and Policy, Cambridge University Press. Traduction française, L'Hypothèse d'instabilité financière, Diaphanes.

PETER, Goetz von (2005), « Debt-deflation : Concepts and a stylised model », BIS working paper, n° 176, avril.

TOBIN, James (1975)« Keynesian models of recession and depression », American Economic Review, Vol. 65, n° 2.

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13 avril 2013 6 13 /04 /avril /2013 18:56

Why Investors See Low Inflation for the Next 10 Years

Ces dernières décennies, non seulement les taux d’inflation ont eu tendance à diminuer, mais leur volatilité s'est également amoindrie. Les prix sont restés particulièrement stables pendant et après la Grande Récession, malgré le puissant déclin de l'activité et la dramatique hausse du chômage. Les précédentes récessions ont généralement été associées à un fort ralentissement de l’inflation. Par exemple, entre 1980 et 1982, lorsque le taux de chômage est passé aux Etats-Unis de 4,5 % à 10,8 %, le taux d’inflation est passé de 12 % à 4,5 %. Par contre, entre 2007 et 2009, le taux de chômage s'est élevé encore plus fortement aux Etats-Unis et pourtant l’inflation n’a que faiblement diminué : elle est passée de 2,4 % à 1,7 %. Malgré la persistance du chômage, le taux d’inflation reste, aux Etats-Unis comme dans de nombreux autres pays avancés, très proche de 2 %. Même si les taux d’inflation, au cours de cette période, ont pu être dans certains pays au-dessus ou en-dessous de la cible suivie par les autorités monétaires, les anticipations de l’inflation future sont quant à elles bien restées proches de celle-ci. La récente contraction de l’activité mondiale aurait dû entraîner une puissante désinflation, voire même générer une déflation : la hausse du chômage aurait dû contenir les revendications salariales et les entreprises réduire leurs prix pour écouler leurs stocks d’invendus.

La remarquable résistance de la stabilité des prix et l’absence de déflation sont l’un des mystères de la Grande Récession et de la période qui lui est consécutive. Deux principales explications ont été avancées. Certains ont estimé que la stabilité de l’inflation lors de la crise économique signifiait que les écarts de production (output gaps) étaient faibles et que la remontée du chômage correspondait essentiellement à une hausse du chômage structurel. Par conséquent, les niveaux actuellement élevés du chômage exercent moins d’influence sur les salaires et les prix que par le passé. Au cours d’une récession typique, lorsque le chômage est élevé, la modération des revendications salariales et la baisse de la demande globale se traduisent par un ralentissement de l’inflation. En revanche, si de nombreux chômeurs ne peuvent efficacement se concurrencer dans leur recherche d’emploi, ils ont moins d’influence sur les salaires des travailleurs occupés, si bien que le chômage perd de son influence sur les prix des biens et services. Par exemple, le chômage de longue durée a atteint des niveaux historiques au cours de la Grande Récession. Or, plus les travailleurs passent de temps au chômage, plus leur capital humain se dégrade : leur santé se dégrade, leurs compétences s’effritent ou ne correspondent plus aux qualifications des emplois disponibles. Autrement dit, les chômeurs deviennent peu à peu inemployables. Ce niveau élevé de chômage de longue durée pourrait ainsi suggérer que la composante structurelle du chômage est importante. Il réduit en outre la production potentielle, donc il resserre les écarts de production. Par conséquent, selon cette interprétation, une poursuite de l'assouplissement monétaire pourrait éventuellement réduire le chômage, mais au prix d’une forte accélération de l’inflation, comme ce fut le cas lors des années soixante-dix. 

D’autres affirment que la stabilité de l’inflation reflète avant tout la réussite des banques centrales à ancrer les anticipations d’inflation et par là à stabiliser l’inflation. Si les agents anticipent une hausse future des prix, les travailleurs exigent dès à présent des hausses salariales, si bien que les anticipations se traduisent par une accélération immédiate de l’inflation. Au début des années quatre-vingt, lorsque les anticipations d’inflation furent élevées, les banques centrales durent adopter des mesures agressives, puis ont ciblé explicitement de faible inflation, ce qui leur permit de gagner en crédibilité et de fermement ancrer les anticipations. Puisque les travailleurs s’attendent à ce que les prix n’augmentent que faiblement, ils restreignent leurs revendications salariales, ce qui permet aux entreprises de contenir leurs coûts de production. Réciproquement, lorsque la crise économique survient, un tel ancrage des anticipations désamorce les pressions déflationnistes. En effet, si les agents n’anticipent pas une baisse des prix, alors les travailleurs sont moins susceptibles d’accepter les baisses de salaires. De leur côté, si les entreprises anticipent des salaires stables, elles se montrent réticentes à réduire leurs prix. 

Outre la crédibilité des banques centrales, la présence de rigidités peut notamment jouer un rôle : certains suggèrent que l’inflation, lorsqu’elle atteint de faibles niveaux, devient plus visqueuse et moins sensible aux fluctuations de l’activité. Par exemple, les salariés pourraient alors résister aux diminutions de leurs salaires et empêcher ainsi les entreprises de réduire leurs prix lorsque la demande globale diminue. Les nouveaux keynésiens mettent en l’occurrence l’accent sur l’existence de coûts de catalogue (menu costs) : il peut être coûteux pour les entreprises d’ajuster leurs prix nominaux, si bien qu’elles les modifient peu fréquemment lorsque l’inflation est faible. De même, la mondialisation peut avoir rendu l’inflation plus sensible à la demande mondiale plutôt qu’à la demande domestique. Surtout, l’ouverture des pays émergents au commerce international se révèle être une source majeure de désinflation.

Dans une récente étude, le FMI (2013) vient conforter la deuxième hypothèse. Depuis 1990, les taux anticipés d’inflation se sont effectivement rapprochés des niveaux ciblés par les banques centrales. Les anticipations se sont révélées moins sensibles aux écarts observés entre le taux d’inflation et la cible. Les marchés semblent croire que les banques centrales sont capables de ramener l’inflation à sa cible et cette croyance contribue elle-même à la stabilisation des prix. Avec le meilleur ancrage de l’inflation, les liens entre cette dernière et d’autres indicateurs économiques se sont affaiblis. Dans les économies avancées, l’inflation est devenue moins sensible aux ralentissements de l’activité économique. La courbe de Phillips est notamment bien plus plate que par le passé, si bien que le chômage affecte désormais moins l’inflation qu’auparavant. Sans la rupture de cette relation, les Etats-Unis auraient connu des taux de déflation proches de 3 % au cours de la Grande Récession. L’absence de pressions déflationnistes ne peut donc en soi suggérer que la hausse du chômage soit essentiellement structurelle.

Cette étude a une importante implication pour la politique économique. Elle suggère que la politique monétaire accommodante n’est pas susceptible d’être significativement inflationniste, aussi longtemps que les anticipations d’inflation restent solidement ancrées. Les craintes d’une accélération de l’inflation ne doivent donc pas empêcher les banques centrales de poursuive l’assouplissement de leur politique monétaire pour stimuler l’activité et ramener l’économie au plein emploi. En outre, l’affaiblissement du lien entre chômage et inflation peut conduire les banques centrales à sous-estimer la sévérité des chocs économiques et finalement à ne pas adopter les mesures adéquates. Si la déflation avait éclaté ces dernières années, les autorités monétaires auraient réagi plus rapidement et plus fortement face au ralentissement de l’activité. Par conséquent, puisque l’inflation n’est plus un indicateur pertinent de la demande globale, les banques centrales doivent nécessairement prendre en compte d’autres variables. Cela implique notamment de redéfinir le concept de production potentielle que de nombreuses banques centrales considèrent comme essentiel à la conduite de la politique monétaire.

De nombreux déséquilibres peuvent ne pas entraîner une inflation des prix à la consommation. Pire, une inflation faible et stable peut se traduire par un accroissement de la volatilité de d’autres variables économiques. La stabilité des prix a pu en effet alimenter l’endettement et les prises de risque qui ont conduit à la crise financière. Dans la première moitié des années deux mille, plusieurs économies ont en effet connu une inflation des prix d’actifs, notamment sur le marché immobilier, alors que l’inflation des prix à la consommation était contenue. Ces bulles immobilières ont contribué à fragiliser le système financier mondial et leur éclatement a fait basculer l’économie mondiale dans la récession. Ici, la crédibilité des banques centrales se révèle à « double tranchant » : la stabilité des prix insuffle un faux sentiment de sécurité et les agents privés sont convaincus que les autorités monétaires assurent la stabilité tant macroéconomique que financière, ce qui les amène à multiplier les prises de risque [Borio et alii, 2003]. Il n’est pas non plus étonnant que ces dernières décennies aient été l’occasion de gains de capital élevés et d’une plus forte volatilité des cours boursiers : une inflation faible et stable augmente le rendement du capital en comprimant la croissance des salaires. De cette manière, elle peut accroître les inégalités de revenu. Or, le creusement des inégalités a pu elle-même contribuer à l’accumulation des déséquilibres macroéconomiques et, après la crise, freiner la reprise de l’activité. La stabilité des prix ne signifie donc pas que les déséquilibres macroéconomiques soient absents, ni que la stabilité financière soit assurée. 

 

Références

AVENT, Ryan (2013), « Monetary policy: The mystery of stable prices », in Free Exchange (blog), 11 avril. 

BORIO, Claudio, B. ENGLISH & A. FILARDO (2003), « A tale of two perspectives: Old or new challenges for monetary policy », BIS working paper, n° 127.

The Economist (2013), « The death of inflation », 13 avril. 

FMI (2013), « The dog that didn’t bark: Has inflation been muzzled or was it just sleeping? », in World Economic Outlook: Hopes, Realities, Risks, chapitre 3, avril.

KRUGMAN, Paul (2013), « Missing deflation », in The Conscience of a Liberal (blog), 13 avril.

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20 février 2013 3 20 /02 /février /2013 19:25

La vitrine d'une boutique de Noël à Nice

Les prix changent peu fréquemment. Ils ne s’ajustent que lentement à une modification de la demande ou des coûts de production. La nouvelle économie keynésienne a notamment expliqué cette viscosité en soulignant l’existence de coûts de catalogue (menu costs) : il est tout simplement coûteux pour une entreprise de changer ses prix. Une telle modification exige en effet d’imprimer de nouveaux prix, de les rendre publics, voire impose à la firme de redéfinir les contrats avec ses clients et fournisseurs. Puisque les changements de prix sont coûteux pour les entreprises, celles-ci ne répercutent les variations de prix que lorsque le bénéfice qu’elles en retirent est suffisant pour compenser les coûts de catalogue ; en d’autres termes, les firmes ne procéderont pas à de faibles variations de prix.

Si les coûts de catalogue offrent une explication à la rigidité des prix nominaux, les nouveaux keynésiens ont cherché à également expliquer la rigidité réelle des prix en mettant l’accent sur la nature asymétrique de l’information. Par exemple, il est coûteux pour les agents de comparer les prix ; les entreprises peuvent donc s’engager à stabiliser leurs prix afin de fidéliser leur clientèle. Elles peuvent également se montrer réticentes à baisser leurs prix suite à une baisse de la demande ou des coûts de production, car cette baisse des prix pourrait être perçue par les consommateurs comme la preuve d’une dégradation de la qualité des produits offerts.

Si les nouveaux keynésiens ont à ce point disséqué les données au niveau microéconomique pour attester de la viscosité des prix, c’est parce que celle-ci leur est essentielle pour expliquer la persistance de l’économie à un équilibre de sous-emploi. La faible fréquence des changements de prix fournit un mécanisme à travers lequel les chocs nominaux affectent l’activité réelle ; via ce canal, les chocs de demande peuvent avoir d’importantes répercussions sur la production. Cette viscosité des prix permet, d’une part, aux nouveaux keynésiens de montrer qu’une économie n’atteint pas forcément un équilibre optimal et ce même si les anticipations sont rationnelles. D’autre part, le lent ajustement des prix rend nécessaire le déploiement des politiques économiques ; en période de crise, seule l’intervention de l’Etat est susceptible de maintenir l’économie à son plein emploi.

Un pan important de la littérature s’est notamment focalisé sur les répercussions des chocs monétaires. Les monétaristes et les nouveaux keynésiens s’appuient sur la viscosité des prix pour rejeter l’idée d’une neutralité monétaire. En effet, une lecture néoclassique de l’équation quantitative de la monnaie suggère qu’un doublement de la masse monétaire devrait entraîner, en présence de prix flexibles, un doublement du niveau général des prix, sans que les variables réelles ne changent. Dans cette situation, les taux d’intérêt réels et la production réelle évoluent indépendamment des variations des taux d’intérêt nominaux et de l’offre de monnaie. En revanche, si les prix sont visqueux, l’ajustement des prix nominaux aux chocs monétaire sera lent, si bien que ces derniers sont susceptibles d’avoir des répercussions sur l’activité réelle. En l’occurrence, une baisse des taux nominaux se traduira par une réduction des taux d’intérêt réels à court terme, ce qui se traduit par une hausse de l’investissement et donc de la production. Avec la viscosité des prix, la politique monétaire retrouve donc toute son efficacité, du moins à court terme.

La politique budgétaire est une autre source de variation de la demande. Si les prix étaient flexibles, une hausse des dépenses publiques se traduirait par une hausse des taux d’intérêt réels. Les dépenses privées seraient alors évincées, si bien que la production n’augmenterait que très faiblement. En revanche, si les prix réagissent lentement à la relance budgétaire et si la banque centrale ne répond pas aux tensions inflationnistes en resserrant sa politique monétaire, le taux d’intérêt réel n’augmentera que très faiblement. L’effet d’éviction sur les dépenses privées sera alors limité et l'impulsion budgétaire accroîtra la production de façon substantielle, notamment via des effets multiplicateurs.

Non seulement la viscosité des prix accroît l’efficacité des politiques économiques, mais elle les rend également d’autant plus nécessaires qu’elle amplifie fortement les déséquilibres macroéconomiques. En contraignant les variations des taux d’intérêt et salaires réels, la viscosité des prix implique que ces chocs peuvent induire d’importantes variations de la demande agrégée et par là dans les fluctuations conjoncturelles. En présence de prix rigides, la flexibilité des salaires accélère l’effondrement de l’activité lors des épisodes de récession. Elle entraîne alors une forte baisse des salaires réels, ce qui déprime davantage la demande agrégée. Puisque les salaires reculent et pas les profits, la profitabilité est susceptible d’atteindre un niveau supérieur à celui nécessaire pour financer les investissements [Artus, 2013].

En outre, de nombreuses perturbations économiques entraînent de fortes variations des taux d’intérêt réels ; la production va alors fortement réagir à ces dernières et risque de durablement s’écarter de son niveau potentiel. Gauti Eggertsson et Paul Krugman (2012) observent notamment le processus de désendettement des agents privés qui s’opère en période d’instabilité financière. La réponse optimale de l’économie à un tel choc devrait être une réduction des taux d’intérêt réels. Si l’ajustement est lent et surtout si le taux d’intérêt est contraint par sa limite inférieure zéro (zero lower bound), le taux d’intérêt réel sera bloqué à un niveau excessivement élevé. Cette situation de trappe à liquidité entraîne une baisse des prix, si bien que le taux d’intérêt réel est susceptible de s’élever à nouveau et d’aggraver le choc initial : puisque la dette est définie en termes nominaux, la déflation accroît le poids réel de l’endettement. Sans intervention publique, l’effondrement des prix, des dépenses et de la production ne peut que s’accélérer. Dans une situation de trappe à liquidité, les autorités monétaires peuvent toujours chercher à orienter les anticipations des agents privés pour réduire les taux d’intérêt réels, mais la relance budgétaire reste indispensable pour stimuler l’activité : le fait que les agents privés soient contraints en termes de liquidité donne aux multiplicateurs budgétaires leur efficacité maximale.

 

Références Martin ANOTA

ARTUS, Patrick (2013), « Les conséquences de la rigidité des prix », Natixis, Flash économie, n° 168, 20 février.

EGGERTSSON, Gauti B., & Paul KRUGMAN (2012), « Debt, deleveraging, and the liquidity trap: A Fisher-Minsky-Koo approach », Federal Reserve Bank of New York, 26 février.

NAKAMURA, Emi, & Jón STEINSSON (2013), « Price rigidity: Microeconomic evidence and macroeconomic implications », NBER working paper, n° 18705, janvier.

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