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9 mars 2016 3 09 /03 /mars /2016 19:04

Durant les années deux mille, la croissance chinoise s’est maintenue autour de 10 % par an, avant de ralentir : elle s’est élevée à 8 % en moyenne entre 2011 et 2014. Les autorités chinoises ont ensuite abaissé leur objectif de croissance à 7 % en 2015 et visent désormais une croissance comprise entre 6,5 et 7 % par an jusqu’en 2020. Le ralentissement de la croissance chinoise n'est pas surprenant, dans la mesure où la Chine cherche à délaisser son modèle de croissance basé sur l’exportation et l’investissement, pour embrasser un modèle de croissance plus soutenable à long terme, basé sur la consommation domestique. Toutefois, l’accumulation de surcapacités et la hausse rapide de l’endettement privé laissent craindre un scénario, non pas d’un « atterrissage en douceur » (soft landing), mais d’un véritable « atterrissage brutal » (hard landing). Le rééquilibrage de la croissance chinoise et surtout une éventuelle récession chinoise pourraient déprimer l’activité du reste du monde, en particulier via le canal des échanges extérieurs : une baisse des importations chinoises réduirait par définition la demande extérieure des autres pays. Or, à mesure que l’économie chinoise représente une part croissante de l’économie mondiale, cette dernière devient de plus en plus sensible à un éventuel ralentissement de la croissance chinoise. En outre, une baisse des importations de matières premières réduirait les recettes des pays exportateurs de matières premières, en particulier parce que leurs prix seraient poussés à la baisse ; alors que la forte croissance chinoise poussait à la hausse les prix des matières premières, le récent ralentissement chinois a mis fin à ce super-cycle.

Il y a quelques mois, Ludovic Gauvin et Cyril Rebillard (2015) avaient déjà cherché à évaluer les répercussions du ralentissement de la croissance chinoise sur le reste du monde, en se concentrant sur le canal des échanges extérieurs et le canal des prix des matières premières. Ils estimaient que ce seraient les pays émergents, en particulier ceux d’Asie du sud-est et les exportateurs de matières premières, qui en seraient les plus affectés, tandis que les pays développés en seraient les moins affectés. D’autres études ont cherché à estimer l’impact d’un ralentissement de la croissance des pays émergents sur le reste du monde et en particulier sur les pays avancés, notamment celles de Juan Yépez (2014) et de Patrice Ollivaud, Elena Rusticelli et Cyrille Schwellnus (2014). Plus récemment, une étude de la Banque mondiale réalisée par Raju Huidrom, Ayhan Kose et Franziska Ohnsorge (2016) s'est plus particulièrement focalisée sur les répercussions d'un ralentissement de la croissance des grands émergents sur le reste du monde.

Alexei Kireyev et Andrei Leonidov (2016) viennent également de modéliser les répercussions internationales d’une hypothétique chute des importations chinoises, mais à la différence des précédentes études ils ont cherché à prendre en compte les effets de réseau. En effet, si la baisse des importations chinoises détériore l’activité dans les autres pays, ces derniers peuvent eux-mêmes réduire leurs propres importations, c’est-à-dire réduire les échanges qui réalisent entre eux, mais aussi leurs importations en provenance de la Chine, affectant par là même en retour la croissance chinoise.

GRAPHIQUE 1  Le réseau des importations chinoises

Quel impact une chute des importations chinoises aurait-elle sur le reste du monde ?

Note : la taille des nœuds est proportionnelle à la part d'un partenaire dans les importations chinoises ; en vert les amplificateurs, en bleu les absorbeurs et en rouge les inhibiteurs.

Kireyev et Leonidov ont ainsi modélisé le réseau des importations chinoises (cf. graphique 1). ils notent que 30 pays contribuent à environ 90 % des importations chinoises. Les Etats-Unis, Hong Kong, la Corée du Sud, l’Italie et l’Inde seraient en l’occurrence de larges amplificateurs de chocs. Le Japon, l’Allemagne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas absorberaient les chocs, mais, pris ensemble, ils ne représentent qu’une faible part dans les importations chinoises. Les inhibiteurs de chocs, c’est-à-dire les pays qui ne transmettent aucun choc du tout, comme l’Argentine, le Koweït, l’Arabie Saoudite et le Vietnam, seraient très périphériques au réseau commercial de la Chine ; ils ne peuvent donc freiner la transmission du choc vers le reste du réseau.

GRAPHIQUE 2  Le réseau des exportations chinoises

Quel impact une chute des importations chinoises aurait-elle sur le reste du monde ?

Note : la taille des nœuds est proportionnelle à la part d'un partenaire dans les importations chinoises ; en vert les amplificateurs, en bleu les absorbeurs et en rouge les inhibiteurs.

La structure des exportations chinoises se distingue de la structure des importations. Parmi les 20 premiers partenaires à l’échange de la Chine, 30 % ne sont pas les mêmes du côté des exportations et du côté des importations. La Chine exporte à destination de chaque pays du monde, mais les 20 premiers partenaires absorbent 85 % des exportations chinoises (cf. graphique 2). Les Etats-Unis, Hong Kong et l’Inde sont de larges amplificateurs de chocs. D’autres pays comme le Japon, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne absorbent les chocs, mais leur importance pour les exportations chinoises est plus faible. Les inhibiteurs de chocs, comme la Biélorus, le Panama, l’Arabie Saoudite et le Vietnam, ont une situation très périphérique dans le réseau d’exportations de la Chine.

Au terme de leur analyse, Kireyev et Leonidov estiment que les effets de réseau vont être substantiels, peuvent amplifier le choc initial et changer la direction de sa propagation. Si les importations chinoises chutent de 10 % en 2016-2017, chaque pays verrait les recettes qu’il tire des exportations baisser en moyenne de l’équivalent de 1,2 % du PIB. Cette perte pourrait atteindre 2 % du PIB en 2017 en raison des effets de réseau, avant de se réduira graduellement et atteindre 0,2 % du PIB en 2020. Les effets retour sur l’activité chinoise représenteraient 0,5 % de son PIB en 2016, puis 1,1 % de son PIB en 2017. 

Les répercussions seraient plus ou moins amples d’une région du monde à l’autre. Ce seront L’Asie et le Pacifique seront les plus grandement affectés, en raison de leurs fortes relations commerciales avec la Chine, suivis par le Moyen-Orient et l’Asie centrale. En Afrique subsaharienne, certains pays seront significativement touchés. Les répercussions sur l’Europe, notamment la zone euro, seront modestes et les répercussions sur l’hémisphère nord, notamment les Etats-Unis seront très faibles. Ce sont les exportateurs de métaux et de matières premières autres que les carburants qui seront les plus affectés. La Chine constitue en effet le plus gros importateur de métaux au monde. L’impact sur les exportateurs de carburants sera faible. Au niveau individuel, ce sont Hong Kong, la Mauritanie, la République du Congo, la Mongolie et les îles Salomon qui seront les plus affectés.

 

Références

GAUVIN, Ludovic, & Cyril REBILLARD (2015), « Towards recoupling? Assessing the global impact of a Chinese hard landing through trade and commodity price channels », Banque de France, working paper, n° 562, juin.

HUIDROM, Raju, Ayhan KOSE & Franziska OHNSORGE (2016), « Who catches a cold when emerging markets sneeze? », in Banque mondiale, Global Economic Prospects, n° 174, chapitre 3, janvier.

KIREYEV, Alexei, & Andrei LEONIDOV (2016), « China’s imports slowdown: Spillovers, spillins, and spillbacks », FMI, working paper, n° 15/51, mars.

OLLIVAUD, Patrice, Elena RUSTICELLI & Cyrille SCHWELLNUS (2014), « Would a growth slowdown in emerging markets spill over to high-income countries? A quantitative assessment », OCDE, economics department working paper, n° 1110, avril. 

YÉPEZ, Juan (2014), « Spillover feature: Should advanced economies Worry about growth shocks in emerging market economies? », in FMI, World Economic Outlook : Recovery Strengthens, Remains Uneven, avril 2014. Traduction française, « Dossier spécial sur les effets de contagion : les pays avancés doivent-ils se préoccuper d’un ralentissement de la croissance des pays émergents? », in FMI, Perspectives de l’économie mondiale : la reprise s’affermit, mais reste inégale.

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18 février 2016 4 18 /02 /février /2016 17:43

Après une décennie de forte croissance, qui contribua tout particulièrement à la convergence de leurs niveaux vers ceux des pays avancés, les pays émergents voient leur croissance ralentir depuis la crise financière mondiale [Didier et alii, 2015]. En l’occurrence, leur croissance est passée de 7,6 % en 2010 à 3,5 % en 2015 et elle est désormais inférieure à sa moyenne de long terme. Ce ralentissement est généralisé : il affecte toutes les régions et en l’occurrence un nombre inhabituellement élevé de pays. Parmi les grands pays émergents, l’Afrique du Sud, le Brésil, la Chine, la Russie et, dans une moindre mesure, l’Inde et ont vu leur croissance ralentir simultanément : la croissance de l’ensemble des BRICS est passée de 9 % à 4 % entre 2010 et 2015. Ce ralentissement s’explique plus particulièrement par le ralentissement de la croissance en Chine, la faiblesse persistante de l’Afrique du Sud et par le basculement de la Russie et du Brésil dans la récession, respectivement en 2014 et en 2015.

Si ce ralentissement suscite des inquiétudes, c’est notamment parce que les liens économiques que les pays émergents entretiennent entre eux et en particulier avec les BRICS se sont resserrés ces dernières décennies. Les pays émergents sont également devenus des destinations importantes pour les exportations du reste du monde. 30 % des exportations réalisées par les pays émergents allaient à destination des pays émergents, contre 12 % en 1990. En outre, les pays émergents sont devenus une source importante de fonds par les migrants, d’offre et de demande de matières premières, ainsi que d’investissements directs à l’étranger (IDE). Plus largement, l’ensemble des pays émergents ont contribué en 2014 à 34 % du PIB mondial ; ils ont contribué à 60 % de la croissance mondiale entre 2010 et 2014, contre 46 % sur la période comprise entre 2000 et 2008 (cf. graphique). Quant aux seuls BRICS, ils ont contribué à 40 % de la croissance mondiale entre 2010 et 2014, contre environ 10 % durant les années quatre-vingt-dix ; ils représentent les deux tiers de l’activité des pays émergents et contribuent à un cinquième de l’activité mondiale. 

Contributions des pays émergents à la croissance mondiale (en points de %)

Quelles sont les répercussions internationales d’un ralentissement de la croissance des grands émergents ?

source : Huidrom et alii (2016a)

Dans la mesure où les grands pays émergents ont un poids important dans l’économie mondiale et sont fortement intégrés à celle-ci, beaucoup craignent que le ralentissement de leur croissance pèse fortement sur la croissance du reste du monde. Ce sont surtout les répercussions internationales du ralentissement de la croissance chinoise qui ont retenu l’attention [Gauvin et Rebillard, 2015]. L’économie chinoise constitue en effet l’économie émergente la plus imposante au monde : elle représente les deux tiers de l’ensemble des autres pays émergents et le double de l’ensemble des autres BRICS. Certains, comme Patrice Ollivaud et alii (2014) et Juan Yépez (2014), se sont penchés sur les répercussions d’un ralentissement de la croissance des pays émergents sur les pays avancés. Par contre, peu de travaux se sont penchés sur les répercussions du ralentissement de la croissance de l’ensemble des grands pays émergents. Raju Huidrom, Ayhan Kose et Franziska Ohnsorge (2016a, 2016b) ont récemment cherché à combler ce manque en se focalisant sur les BRICS.

Huidrom et alii notent qu’un ralentissement de la croissance des grands pays émergents est susceptible de se transmettre au reste du monde, via les canaux commerciaux et financiers, via son impact sur les prix des matières premières et via les effets de confiance. En effet, la baisse des importations réalisées par les BRICS réduirait les exportations de leurs partenaires à l’échange. Or la Chine n’a pas seulement resserré ses liens commerciaux avec les pays émergents ; certains pays avancés, comme le Japon et l’Allemagne, réalisent une part significative de leurs exportations à destination de la Chine. Deuxièmement, les pays émergents ont joué un rôle de plus en plus important dans les flux financiers, notamment dans les investissements directs à l’étranger (IDE), les investissements bancaires et les investissements de portefeuille, mais aussi dans les envois de fonds par les migrants. Un ralentissement de la croissance des grands pays émergents risque alors de réduire ces flux financiers à destination des autres pays. Troisièmement, les pays émergents et en particulier la Chine et l’Inde contribuent tout particulièrement à la demande mondiale de matières premières. Par conséquent, le ralentissement de la croissance des pays émergents réduit la demande mondiale en matières premières, ce qui pèse sur la croissance des pays qui exportent ces matières premières, mais tendrait au contraire à stimuler l’activité des pays qui les importent.

A partir d’un modèle VAR bayesien, Huidrom et ses coauteurs confirment que le ralentissement de la croissance des BRICS freinerait la croissance mondiale et en particulier la croissance des autres pays émergents. D’après leurs estimations, une baisse du taux de croissance des BRICS d’un point de pourcentage tend à réduire de 0,4 points de pourcentage la croissance mondiale et de 0,8 points de pourcentage la croissance des pays émergents au cours des deux années suivantes. L’ampleur de ces effets de débordement varie toutefois d’un pays à l’autre. Un ralentissement d’un point de pourcentage de la croissance chinoise entraîne un ralentissement de 0,5 points de pourcentage de la croissance des pays émergents autres que les BRICS. Dans la mesure où ce sont les prix des matières premières qui jouent le rôle principal dans la transmission du ralentissement chinois vers les autres émergents, les pays émergents qui exportent des matières premières risquent d’être bien plus affectés par ce ralentissement que les pays importateurs. Un ralentissement d’un point de pourcentage de la croissance russe ne réduirait la croissance des autres émergents que de 0,3 point de pourcentage. Les effets de débordement associés à un ralentissement de la croissance du Brésil, de l’Inde et de l’Afrique du Sud seraient d’une moindre ampleur. 

Le ralentissement de la croissance des grands émergents aurait de plus profondes répercussions s’il coïncidait avec des turbulences financières. Même si la Fed compte ne resserrer sa politique monétaire que graduellement, ce resserrement est susceptible de remettre en cause la stabilité financière des pays émergents. La poursuite même du ralentissement de la croissance des émergents ou une éventuelle halte dans la reprise des pays avancés (en particulier des Etats-Unis) pourraient réduire subitement et fortement l’appétit des investisseurs financiers pour le risque. Par exemple, si des turbulences financières d’une même intensité que celles observées l’été dernier persistaient durablement, Huidrom et ses coauteurs jugent alors probable que la croissance de l’ensemble des pays émergents et de l’économie mondiale puisse diminuer d’un tiers en 2016.

 

Références

DIDIER, Tatiana, M Ayhan KOSE, Franziska OHNSORGE & Lei (Sandy) YE (2016), « Slowdown in emerging markets: rough patch or prolonged weakness? », CAMA, working paper, n° 01/2016.

GAUVIN, Ludovic, & Cyril REBILLARD (2015), « Towards recoupling? Assessing the global impact of a Chinese hard landing through trade and commodity price channels », Banque de France, working paper, n° 562, juin.

HUIDROM, Raju, Ayhan KOSE & Franziska OHNSORGE (2016a), « Who catches a cold when emerging markets sneeze? », in Banque mondiale, Global Economic Prospects, n° 174, chapitre 3, janvier.

HUIDROM, Raju, Ayhan KOSE & Franziska OHNSORGE (2016b), « Painful spillovers from slowing BRICS growth », in voxEU.org, 17 février. 

OLLIVAUD, Patrice, Elena RUSTICELLI & Cyrille SCHWELLNUS (2014), « Would a growth slowdown in emerging markets spill over to high-income countries? A quantitative assessment », OCDE, economics department working paper, n° 1110, avril. 

YÉPEZ, Juan (2014), « Spillover feature: Should advanced economies Worry about growth shocks in emerging market economies? », in FMI, World Economic Outlook : Recovery Strengthens, Remains Uneven, avril 2014. Traduction française, « Dossier spécial sur les effets de contagion : les pays avancés doivent-ils se préoccuper d’un ralentissement de la croissance des pays émergents? », in FMI, Perspectives de l’économie mondiale : la reprise s’affermit, mais reste inégale.

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6 février 2016 6 06 /02 /février /2016 10:03

Ces dernières décennies ont été marquées par des épisodes de stagnation durables pour les pays avancés. En effet, depuis le début des années quatre-vingt-dix, l’économie japonaise connaît une faible croissance. Au sortir de la crise financière mondiale, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et surtout la zone euro ont connu une lente reprise. Ces deux épisodes ont été caractérisés par une faible croissance de la production et de la production potentielle dans un contexte de taux directeurs proches de zéro. Olivier Blanchard, Eugenio Cerutti et Lawrence Summers (2015) ont confirmé que les récessions étaient souvent suivies par un ralentissement du taux de croissance de l’économie. Laurence Ball (2014) a cherché à déterminer les répercussions à long terme de la Grande Récession ; il met en évidence des pertes significatives en termes de production potentielle. De leur côté, Lawrence Christiano, Martin Eichenbaum et Mathias Trabandt (2015) constatent que la Grande Récession s’est caractérisée pour les Etats-Unis par une chute persistante de la productivité totale des facteurs en-deçà de sa tendance d’avant-crise.

Gianluca Benigno et Luca Fornaro (2016) proposent une théorie de la croissance où les anticipations pessimistes sont susceptibles d’entraîner une stagnation persistante, voire même permanente, de l’activité caractérisée par un chômage élevé et une faible croissance. Ils qualifient de tels épisodes de « trappes stagnationnistes » (stagnation traps), parce qu’ils correspondent à la survenue simultanée d’une trappe à faible croissance d’une trappe à liquidité. Pour faire apparaître une telle situation, ils utilisent un modèle d’innovation verticale s’inspirant notamment des travaux de Philippe Aghion et Peter Howitt (1992) et de Gene Grossman et Elhanan Helpman (1991). Ils enrichissent ce modèle de croissance endogène en y introduisant des rigidités de salaires nominaux, afin de pouvoir faire apparaître un chômage involontaire, et en prenant en compte la borne inférieure zéro sur les taux d’intérêt zéro, qui est susceptible de limiter l’efficacité de la politique monétaire conventionnelle. 

Dans la modélisation de Benigno et Fornaro, l’investissement des entreprises dans l’innovation détermine de façon endogène le taux de croissance de la productivité et de la production potentielle. Les entreprises investissent dans l’innovation pour se retrouver en situation de monopole et cet investissement dans l’innovation est positivement relié à leurs profits. Via ce canal, un ralentissement de la demande globale, qui entraînerait une chute des profits, réduit également l’investissement dans l’innovation et par conséquent le taux de croissance de l’économie. Les dépenses de consommation courantes des ménages sont quant à elles affectées par le taux de croissance de la production potentielle, parce que la croissance de la productivité est l’un des déterminants du revenu futur des ménages. Par conséquent, un faible taux de croissance potentielle est associé à de plus faibles revenus futurs et à une réduction de la demande globale courante.

En raison de ces interactions entre croissance de la productivité et demande globale, l’économie a deux états réguliers possibles. Il y a tout d’abord un bon équilibre associé au plein emploi, dans lequel l’économie opère à son potentiel et la croissance de la production est robuste. Par contre, au mauvais équilibre associé au chômage, la demande globale et les profits des entreprises sont faibles, ce qui se traduit par un faible investissement dans l’innovation et une faible croissance de la productivité. Dans ce dernier cas, la banque centrale est incapable de restaurer le plein emploi parce que la faiblesse de la croissance déprime la demande globale et pousse le taux d’intérêt à sa borne inférieure zéro ; or la croissance est faible, parce que la faiblesse de la demande agrégée réduit les profits des entreprises, ce qui les incite à réduire leurs dépenses d’investissement dans l’innovation. Ce second équilibre est alors qualifié de trappe stagnationniste. 

Benigno et Fornaro font jouer un rôle déterminant aux anticipations dans leur modèle. Elles contribuent en effet à pousser l’économie à un équilibre plutôt qu’à un autre. Par exemple, lorsque les entreprises et les ménages anticipent une faible croissance, ce pessimisme contribue à réduire la demande globale, ce qui réduit le profit des entreprises. Comme ces dernières innovent moins, notamment dans l’innovation, la croissance sera effectivement faible, ce qui valide les anticipations initiales des agents. L’économie est alors susceptible de rester dans une trappe à liquidité caractérisée par du chômage involontaire et une faible croissance, aussi bien courante que potentielle. Le modèle de Benigno et Fornaro fait sur ce point écho à la modélisation de la stagnation séculaire proposée par Gauti Eggertsson et Neil Mehrotra (2014), où la baisse du taux d’intérêt naturel est susceptible de maintenir l’économie dans une trappe à liquidité permanente. Dans la mesure où leur modèle relie la trappe à liquidité à une chute endogène de l’investissement dans l’innovation et de la croissance de la productivité, Benigno et Fornaro estiment alors que l’adoption d’une politique agressive de subvention à l’innovation peut contribuer à sortir l’économie de sa trappe stagnationniste et la ramener au plein emploi en stimulant aussi bien la demande globale que la croissance potentielle.

 

 

Références

AGHION, Philippe, & Peter Howitt (1992), « A model of growth through creative destruction », in Econometrica, vol. 60.

BALL, Laurence M. (2014), « Long-term damage from the Great Recession in OECD countries », NBER, working paper, n° 20185, mai.

BENIGNO, Gianluca, & Luca FORNARO (2016), « Stagnation traps », CEPR, discussion paper, n° 11074.

BLANCHARD, Olivier, Eugenio CERUTTI & Lawrence SUMMERS (2015), « Inflation and activity – Two explorations and their monetary policy implications », FMI, working paper, novembre.

CHRISTIANO, Lawrence J., Martin S. EICHENBAUM & Mathias TRABANDT (2015), « Understanding the Great Recession », in American Economic Journal: Macroeconomics, vol. 7, n° 1.

EGGERTSSON, Gauti B., & Neil R. MEHROTRA (2014), « A model of secular stagnation », NBER, working paper, n° 20574, octobre.

GROSSMAN, Gene M. & Elhanan HELPMAN (1991), « Quality ladders in the theory of growth », in The Review of Economic Studies, vol. 58, n° 1.

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