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18 mai 2016 3 18 /05 /mai /2016 16:49

Depuis la crise financière mondiale, la croissance des échanges mondiaux a fortement ralenti et elle est même désormais plus lente que la croissance de la production mondiale. Entre 2012 et 2015, la croissance annuelle moyenne du commerce s’est élevée à 3 %, alors qu’elle s’élevait à 7 % entre 1987 et 2007. Comme l’ont montré Cristina Constantinescu, Aaditya Mattoo et Michele Ruta (2015), le commerce mondial croît plus lentement, d’une part, parce que la croissance de la production mondiale est plus lente et, d’autre part, parce que le commerce international est lui-même moins sensible au produit intérieur brut. En effet, l’élasticité du commerce mondial vis-à-vis du PIB mondial était supérieure à 2 au cours des années quatre-vingt-dix (les échanges augmentaient deux fois plus rapidement que le PIB mondial), puis a décliné au cours des années deux mille. Ainsi, si la conjoncture joue un rôle déterminant pour expliquer la faiblesse de la croissance des échanges, cette dernière s’explique aussi par des facteurs plus structurels.

Constantinescu et alii (2016) ont ainsi rappelé les diverses raisons qui ont été avancées dans la littérature pour expliquer le changement dans la relation entre commerce et revenu. En l’occurrence, lors de la crise financière mondiale et suite à celle-ci, la demande globale a été faible, notamment aux Etats-Unis et surtout dans la zone euro, ce qui a pesé sur les exportations de chaque pays. Plus récemment, la forte baisse des prix des matières premiers et le ralentissement de la croissance chinoise ont contribué à déprimer la demande extérieure des pays en développement. L’élasticité du commerce mondial vis-à-vis du PIB mondial suggère que des facteurs structurels sont également à l’œuvre. Le ralentissement de la libéralisation du commerce au cours des années deux mille a pu contribuer à réduire l’élasticité des échanges. Il y a en outre eu un changement dans la spécialisation verticale. L’élasticité du commerce à long terme s’est accrue au cours des années quatre-vingt grâce à la fragmentation internationale de la production et au développement des chaînes de valeur mondiales, puis cette élasticité a diminué comme ce processus a eu tendance à s’essouffler. 

Si ce ralentissement est aujourd’hui bien documenté, les économistes ne s’accordent pas sur son importance pour la croissance économique. Les économies sont aujourd’hui ouvertes qu’au cours des années quatre-vingt-dix. Le ratio importations sur PIB (qui est utilisé comme indicateur pour mesure l’ouverture) est passé de moins de 20 % à plus de 30 % entre le début des années quatre-vingt-dix et la crise financière mondiale et cette évolution s’observe aussi bien parmi les pays avancés que parmi les pays en développement. Ce ratio a certes chuté lors de la Grande Récession, mais il a ensuite rapidement retrouvé son niveau d’avant-crise. Or, si l’accélération de la croissance des échanges internationaux au cours des années quatre-vingt-dix a contribué à la croissance économique des pays, alors son ralentissement risque de réduire sa contribution à cette dernière. Constantinescu et alii (2016) se sont donc penchés sur les conséquences du ralentissement du commerce mondial pour la croissance économique. Il existe en effet plusieurs canaux à travers lesquels la première influence la seconde, notamment un canal « keynésien » et un canal « smithien » pour reprendre la terminologie des auteurs. Du côté de la demande, le ralentissement de la croissance des importations mondiale peut réduire les perspectives de croissance de chaque pays pris isolément, dans la mesure où ses exportations tendent à se déprimer. Du côté de l’offre, le ralentissement de la croissance des échanges peut réduire la marge de croissance de la productivité en freinant la spécialisation et la diffusion des technologies.

Constantinescu et ses coauteurs mettent en évidence des preuves empiriques confirmant que les changements dans la relation entre commerce et revenu importent, même si pour l’heure leurs répercussions quantitatives n’apparaissent pas importantes. Du côté de la demande, ils constatent que l’élasticité des exportations vis-à-vis de la demande mondiale a diminué aussi bien pour les pays développés que pour les pays en développement. La sensibilité de la croissance domestique vis-à-vis des exportations est plus élevée pour les pays en développement que pour les pays développés et elle a eu tendance à augmenter. Ces résultats ne sont toutefois valides que si les exportations sont mesurées en termes bruts. Lorsque les auteurs utilisent la valeur ajoutée pour mesurer les exportations, le changement dans les élasticités est plus faible et n’est pas significatif sur le plan statistique. Au final, ils ne parviennent pas à conclure que la moindre sensibilité du commerce mondial vis-à-vis du PIB mondial ait affaibli le canal de transmission keynésien.

Ensuite, Constantinescu et ses coauteurs se tournent vers les implications d’un ralentissement de la croissance des chaînes de valeur internationales. Ils constatent que la spécialisation en amont a un impact positif sur la croissance de la productivité du travail. Ils cherchent ensuite à quantifier la croissance de la productivité du travail due à la croissance de la spécialisation en amont de la production. Ils constatent que la part n’est pas importante, dans la mesure où la croissance de la productivité s’explique par plusieurs facteurs autres facteurs que la spécialisation verticale, mais pour autant sa contribution a diminué de moitié au cours des dernières années, ce qui suggère que le ralentissement du commerce international a contribué au ralentissement de la croissance de la productivité.

 

Références

CONSTANTINESCU, Cristina, Aaditya MATTOO & Michele RUTA (2015), « The global trade slowdown: Cyclical or structural? », Banque mondiale, policy research working paper, n° 7158.

CONSTANTINESCU, Cristina, Aaditya MATTOO & Michele RUTA (2016), « Does the global trade slowdown matter? », Banque mondiale, policy research working paper, n° 7673.

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11 mai 2016 3 11 /05 /mai /2016 17:21

La politique commerciale d’un pays oscille entre deux extrêmes : celui du libre-échange et celui du protectionniste. Si, dans le premier cas, il s’agit de favoriser les échanges, il s’agit plutôt dans le second de freiner les importations ou tout du moins de les encadrer, afin de favoriser la production nationale. Les mesures protectionnistes les plus connues sont les barrières tarifaires : les tarifs douaniers. Il existe toutefois diverses autres mesures non tarifaires, donc plus difficilement quantifiables, comme les restrictions sur les quantités de biens importés (quotas, contingentements, embargos), les subventions accordées aux firmes domestiques, les subventions sur les exportations, certaines normes (par exemple, techniques, sanitaires et environnementales, qui empêchent de facto l’importation des produits qui ne les respectent pas), les mesures de dumping ou d’antidumping, etc.

Chad Bown et Meredith Crowley (2016), ont procédé à une analyse empirique des politiques commerciales de 31 grandes économies, représentant ensemble 83 % de la population mondiale et 91 % du PIB mondial en 2013. Leur analyse se restreint toutefois au seuls échanges de biens, c’est-à-dire ne prend pas en compte le commerce de services. Ils ont tout d’abord cherché à déterminer si certains pays ont des régimes plus libéraux que d’autres. Ils constatent que les niveaux moyens de tarifs douaniers sur les importations varient fortement d’un pays à l’autre. Les pays à haut revenu imposent de plus faibles tarifs douaniers que les pays à revenu intermédiaire, qui imposent eux-mêmes de moindres tarifs douaniers que les pays à faible revenu. Lorsque les auteurs prennent en compte les tarifs préférentiels accordés aux partenaires à l’échange, les pays à haut revenu apparaissent encore plus ouverts. Par contre, lorsque l’ensemble des mesures protectionnistes est élargi pour intégrer des mesures non tarifaires, telles que les restrictions quantitatives, alors les pays à haut revenu et les pays émergents apparaissent moins ouverts que ne le suggère la seule analyse des barrières tarifaires.

Bown et Crowley ont ensuite cherché à déterminer comment les protections vis-à-vis des importations varient d’un secteur à l’autre. Les secteurs produisant des biens agricoles et des biens alimentaires sont protégés presque dans tous les pays, c’est-à-dire aussi bien dans les pays en développement que dans les pays développés. Au sein de l’industrie manufacturière, les secteurs produisant du textile, des vêtements et des chaussures apparaissent comme les plus protégés. Les minéraux et les carburants font l’objet de moindres barrières à l’importation. En outre, les droits de douane sur l’importation de biens finis sont plus élevés que ceux sur les biens intermédiaires dans l’ensemble des secteurs et dans l’ensemble des pays.

Les deux auteurs observent ensuite comment les politiques commerciales ont changé au cours du temps. Ils confirment qu’au cours des deux dernières décennies, les tarifs douaniers ont eu tendance à diminuer tout autour du monde. Les tarifs douaniers diminuent régulièrement dans les pays à haut revenu (cf. graphique), tandis qu’ils connaissent de plus fortes variations au sein des pays à faible revenu. En fait, certains pays développés et émergents ont abandonné les tarifs douaniers pour davantage s’appuyer sur des politiques de sauvegarde et des mesures d’antidumping afin de changer plus fréquemment les volumes de protection vis-à-vis des importations. 

GRAPHIQUE  Niveau moyen de tarifs douaniers aux Etats-Unis, dans les pays appartenant (aujourd’hui) à l’Union européenne et au Japon (en %)

Petit portrait du paysage mondial des politiques commerciales

source : Bown et Irwin (2015)

Bown et Crowley se demandent si des pays discriminent leurs partenaires à l’échange lorsqu’ils élaborent leur politique commerciale. Ils constatent que c’est effectivement le cas. Plusieurs pays discriminent entre leurs partenaires à l’échange en accordant à certains de moindres tarifs douaniers que ceux offerts dans le cadre des accords multilatéraux. Plusieurs pays discriminent entre leurs partenaires commerciaux en imposant un plus haut niveau de protection aux importations en provenance de certains d’entre eux : certains partenaires à l’échange voient ainsi leur accès aux marchés domestiques être restreints par des mesures d’antidumping.

Enfin, les auteurs se demandent à quel point le commerce mondial est libéralisé. Leur principale conclusion est que de substantielles barrières à l’échange demeurent aujourd’hui : l’économie mondiale est moins libéralisée que beaucoup n’ont l’habitude de le suggérer.

 

Références

BOWN, Chad P., & Meredith A. CROWLEY (2016), « The empirical landscape of trade policy », Banque mondiale, policy research working paper, n° 7620, mai.

BOWN, Chad P., & Douglas A. IRWIN (2015), « The GATT's starting point: Tariff levels circa 1947 », NBER, working paper, n° 21782, décembre.

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7 mai 2016 6 07 /05 /mai /2016 10:32

Ces dernières décennies ont été marquées par une nouvelle phase soutenue de mondialisation des échanges. Celle-ci s’est peut-être traduite par une baisse des inégalités de revenu entre les pays, mais elle semble plus sûrement s’être accompagnée d'une détérioration des inégalités dans chaque pays. Les canaux exacts par lesquels la mondialisation des échanges affecte les inégalités de revenu prêtent  toutefois toujours à discussion. Peter Egger, Sergey Nigai et Nora Strecker (2016) se sont récemment penchés sur l’un des possibles canaux de transmission : celui de la fiscalité.

D’un côté, des auteurs comme Dani Rodrik (1998) suggèrent que diverses mesures de la mondialisation sont corrélées avec les dépenses dans les biens publics. D’un autre côté, l’accroissement de la mobilité des facteurs de production, dans un contexte de libéralisation financière, est susceptible de réduire la capacité des Etats à prélever des impôts ; c’est ce que constant notamment Michael Devereux et alii (2008) dans le cas de la mobilité du capital ou encore Henrik Jacobsen Kleven et alii (2014) dans le cas de la mobilité des travailleurs très qualifiés et à haut revenu. Par conséquent, chaque Etat tend à faire face à une demande croissante de biens publics, alors même qu’il repose sur des bases fiscales de plus en plus étroites ; ces dernières comprennent essentiellement le patrimoine, les dépenses et le revenu personnel des travailleurs relativement immobiles. Cette dynamique est alors susceptible d’avoir deux conséquences perverses : une tendance à la détérioration des finances publiques et un accroissement des inégalités, ces deux effets pervers ayant en outre sûrement tendance à se renforcer mutuellement, comme l’ont suggéré Martin Larch (2010), Marina Azzimonti et alii (2012) ou encore Santo Milasi (2012).

GRAPHIQUE  Composition des recettes fiscales (en %)

Le contrecoup fiscal de la mondialisation

source : Egger et alii (2016)

Egger et alii ont donc analysé les répercussions de la mondialisation sur la taille et la composition des recettes fiscales (cf. graphique), sur le fardeau fiscale propre aux travailleurs et sur les taux d’imposition effectifs du revenu du travail. Pour cela, ils se sont basés sur un large échantillon de données internationales relatives à la période comprise entre 1980 et 2012. Ils constatent que les gouvernements recherchent de plus en plus des sources fiscales autres que les impôts sur les entreprises, ce qui est cohérent avec la théorie selon laquelle l’Etat a de plus en plus en plus de difficulté de taxer les facteurs de production, notamment le capital. En l’occurrence, la mondialisation a incité les gouvernements à accroître les impôts à la charge des salariés. Le fardeau fiscal sur les classes moyennes, relativement à celui des ménages les plus modestes et des ménages les plus aisés, a eu tendance à augmenter, en particulier dans les pays développés. Cette dynamique découle entre autres des modifications des lois relatives à la fiscalité, ce qui permet de taxer plus agressivement les classes moyennes par rapport aux extrêmes de la répartition des revenus. Entre 1994 et 2007, la mondialisation aurait contribué à accroître leur taux d’imposition du revenu de 1,5 point de pourcentage, tandis que les 1 % des travailleurs les plus aisés virent le leur diminuer d’environ 1,5 point de pourcentage. Une telle dynamique contribue alors à expliquer pourquoi des indicateurs d’inégalités de revenu comme l’indice de Gini et la part du revenu national détenu par les 1 % les plus aisés aient eu tendance à se dégrader ces dernières décennies.

 

Références

AZZIMONTI, Marina, Eva DE FRANCISCO & Vincenzo QUADRINI (2012), « Financial globalization, inequality, and the raising of public debt », Federal Reserve Bank of Philadelphia, working paper, n° 12-6, 17 février.

DEVEREUX, Michael P., Ben LOCKWOOD & Michela REDOANO (2008), « Do countries compete over corporate tax rates? », in Journal of Public Economics, vol. 92, n° 5-6.

EGGER, Peter, Sergey NIGAI, Nora STRECKER (2016), « The taxing deed of globalization », CEPR, discussion paper, n° 11259 , mai.

KLEVEN, Henrik Jacobsen, Camille LANDAIS, Emmanuel SAEZ & Esben Anton SCHULTZ (2014), « Migration and wage effects of taxing top earners: Evidence from the foreigners' tax scheme in Denmark », in Quarterly Journal of Economics, vol. 129, n° 1.

LARCH, Martin (2010), « Fiscal performance and income inequality: Are unequal societies more deficit-prone? Some cross-country evidence », European economy Economic paper, vol. 414.

MILASI, Santo (2012), « Top income shares and budget deficits », document de travail.

RODRIK, Dani (1998), « Why do more open economies have bigger governments? », in Journal of Political Economy, vol. 106, n° 6.

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