Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
21 avril 2016 4 21 /04 /avril /2016 17:42

Les chocs macroéconomiques se propagent d’un pays à l’autre essentiellement via deux canaux, en l’occurrence via le commerce international et via le système financier. En effet, lorsqu’une économie connaît une récession, les résidents réduisent leurs dépenses (les ménages réduisent leurs dépenses de consommation finale, les entreprises réduisent leurs dépenses de consommation finale et d’investissement…), si bien que les importations tendent à diminuer. Par définition, les autres pays voient leur demande extérieure décliner, ce qui les expose également à une récession. D’autre part, Par exemple, les banques ont généralement des activités dans plusieurs pays. Par conséquent, lorsque dans un pays soumis à une récession, les résidents ont davantage de difficultés à rembourser leur crédit, les banques sont susceptibles de resserrer le crédit non seulement dans ce pays, mais également dans les autres pays. Ces derniers voient alors leur propre activité domestique qui n’étaient initialement pas touchés par une récession, mais qui risquent d’en connaître une avec le resserrement du crédit auxquelles leurs banques procèdent. De plus, lorsque les consommateurs de plusieurs pays ont placé une partie de leur épargne dans les actions d’un pays donné, ils réduiront leur consommation si ce dernier connaît un krach boursier. En outre, lorsqu’un pays connaît une crise financière, cette dernière risque de se transmettre aux autres pays par voie de contagion et d’accroître le niveau mondial d’aversion au risque.

Plusieurs études ont effectivement mis en évidence l’existence d’un véritable cycle d’affaires mondial. C’est notamment le cas de Robin Lumsdaine et Eswar Prasad (2003), qui ont examiné les corrélations entre les fluctuations de la production industrielle de 17 pays développés afin d’en extraire une composante commune. A partir d’un échantillon de 60 pays, Ayhan Kose, Christopher Otrok et Charles Whiteman (2003) concluent de leur côté qu’un facteur mondial commun constitue une source importante de volatilité de la production agrégée de la plupart des pays, ce qui tend à confirmer l’existence d’un cycle d’affaires mondial. Ils constatent que les facteurs spécifiques à la région ne jouent qu’un rôle mineur pour expliquer les fluctuations de l’activité économique.

A partir des années quatre-vingt, les pays ont connu une mondialisation commerciale et une globalisation financière, ce qui amène beaucoup à penser que les cycles d’affaires nationaux ont eu tendance à davantage se synchroniser. D’une part, les échanges internationaux de biens et services se sont accrus plus rapidement que la production mondiale. Par conséquent, chaque économie devrait être plus sensible aux évolutions de la demande mondiale, tout comme le reste du monde devrait être davantage sensible aux évolutions de sa demande domestique. D’autre part, les restrictions aux mouvements des capitaux ont reculé et les systèmes financiers sont de plus en plus interconnectés, en particulier depuis la fin du système de Bretton Woods.

Toutefois, plusieurs raisons amènent à douter que la mondialisation, que ce soit sous sa forme commerciale ou bien financière, ait davantage synchronisé les cycles d’affaires nationaux. Par exemple, si la mondialisation commerciale s’est traduite par une plus forte spécialisation sectorielle des pays et si les chocs sectoriels dominent, alors le degré de covariation des cycles d’affaires pourrait au contraire décliner. D’une part, si un pays connaît un choc, il risque de subir une fuite de capitaux, qui aggrave certes sa situation, mais améliore la conjoncture dans les pays qui les reçoivent désormais.

En parvenant à des conclusions divergentes, les études empiriques ne parviennent pas à trancher le désaccord théorique. Par exemple, en observant un ensemble de pays développés et en développement, Ayhan Kose, Eswar Prasad et Marco Terrones (2003) estiment que peu d’éléments empiriques démontrent que la mondialisation ait accru le degré de synchronisation des cycles d’affaires pour l’ensemble des pays. En moyenne, la corrélation entre les consommations nationales ne s’est pas accrue à partir des années quatre-vingt-dix, alors même que cette décennie marquait un nouvel approfondissement de l’intégration financière, en particulier dans les pays en développement. 

Eric Monnet et Damien Puy (2016) ont cherché à évaluer le degré de synchronisation des cycles d’affaires entre 1950 et 2014 à partir d’un échantillon de 21 pays en utilisant une nouvelle base de données trimestrielles du FMI. Ils constatent que, durant les périodes de chocs communs (notamment la période entre 1972 et 1983 ou encore entre 2007 et 2014), l’importance de la composante mondiale dans la dynamique de production mondiale tend à fortement augmenter lors des chocs communs. Par exemple, entre 2007 et 2014, 65 % de la variance de la croissance de la production s’expliquait par la composante mondiale, ce qui suggère qu’aucun pays n’évoluait alors selon ses seules dynamiques domestiques. Contrairement à l’idée communément admise, ils constatent que la période de la mondialisation n’est pas associée à une hausse du degré de synchronisation entre les productions nationales. En fait, le cycle d’affaires mondial était aussi fort entre 1950 et 1971, c’est-à-dire durant l’ère de Bretton Woods, qu’entre 1984 et 2006, une période de mondialisation. En moyenne, la dynamique mondiale explique 20 % de la volatilité de la production au cours des deux périodes.

Bien que la covariation moyenne au cours des deux périodes identifiées ne change pas, le degré auquel la production de chaque pays co-varie avec celle du reste du monde a fortement changé au cours du temps. La production de certains pays, comme le Royaume-Uni, la Belgique ou la Suède, co-variait fortement avec celle du reste du monde durant l’ère de Bretton Woods, mais elle s’est déconnectée de la dynamique mondiale au cours de la période de mondialisation. A l’inverse, des pays comme la France, l’Italie et les Etats-Unis étaient dominés par des dynamiques idiosyncratiques, c’est-à-dire propres à leur économie, pendant l’ère de Bretton Woods, puis ils se sont davantage synchronisés avec le cycle mondial.

Monnet et Puy cherchent alors à expliquer pourquoi les pays se synchronisent ou se désynchronisent du cycle mondial. Ils constatent que le degré de synchronisation varie en fonction des dynamiques d’intégration financière et d’intégration commerciale. En l’occurrence, l’intégration financière conduit à désynchroniser les productions nationales au cycle mondial, tandis que l’intégration commerciale tend à les synchroniser. En temps normal, l’effet désynchronisateur compense l’impact synchronisateur de d’autres forces, notamment de l’intégration commerciale. Son amplitude dépend toutefois du type de chocs frappant l’économie mondiale. Par exemple, il s’efface durant les périodes de crises financières, au cours desquelles les productions des économies intégrées tendent à davantage co-varier que les productions des autres pays. Enfin, Monnet et Puy estiment que des variables souvent mises en avant par la littérature, notamment le degré de spécialisation de l’économie et le régime de taux de change, ne semblent pas jouer un rôle déterminant dans la synchronisation de la production d’un pays avec la dynamique mondiale.

Ces résultats amènent Monnet et Puy à conclure qu’un faible niveau d’intégration n’implique pas un faible degré de covariation des cycles d’affaires. Contrairement à ce que certains auteurs comme Dani Rodrik (2002) ont pu suggérer, ils ne constatent pas de preuves empiriques robustes suggérant qu’un recul de l’intégration financière et commerciale ait davantage protégé les pays des chocs étrangers ou laissé davantage de marge de manœuvre aux politiques conjoncturelles au cours des années cinquante et soixante que durant la période 1984-2006. Un recul de l’intégration financière ne diminuerait le degré de covariation que durant les chocs financiers mondiaux, mais accroîtrait probablement le degré de covariation en temps normal, lorsque le monde est dominé par des chocs idiosyncratiques.

 

Références

KOSE, Ayhan, OTROK, Christopher, Charles H. WHITEMAN (2003), « International business cycles: world, region, and country-specific factors », in American Economic Review, vol. 93, n° 4.

KOSE, M. Ayhan, Eswar S. PRASAD & Marco TERRONES (2003), « How does globalization affect the synchronization of business cycles? », FMI, working paper, n° 03/27.

LUMSDAINE, Robin L., & Eswar S. PRASAD (2003), « Identifying the common component of international economic fluctuations: A new approach », in Economic Journal.

MONNET, Eric, & Damien PUY (2016), « Has globalization really increased business cycle synchronization? » (« La mondialisation a-t-elle vraiment augmenté la synchronisation des cycles économiques ? »), Banque de France, working paper, n° 592, avril. 

RODRIK, Dani (2002), « Feasible globalizations », NBER, working paper, n° 9129.

Partager cet article
Repost0
9 mars 2016 3 09 /03 /mars /2016 19:04

Durant les années deux mille, la croissance chinoise s’est maintenue autour de 10 % par an, avant de ralentir : elle s’est élevée à 8 % en moyenne entre 2011 et 2014. Les autorités chinoises ont ensuite abaissé leur objectif de croissance à 7 % en 2015 et visent désormais une croissance comprise entre 6,5 et 7 % par an jusqu’en 2020. Le ralentissement de la croissance chinoise n'est pas surprenant, dans la mesure où la Chine cherche à délaisser son modèle de croissance basé sur l’exportation et l’investissement, pour embrasser un modèle de croissance plus soutenable à long terme, basé sur la consommation domestique. Toutefois, l’accumulation de surcapacités et la hausse rapide de l’endettement privé laissent craindre un scénario, non pas d’un « atterrissage en douceur » (soft landing), mais d’un véritable « atterrissage brutal » (hard landing). Le rééquilibrage de la croissance chinoise et surtout une éventuelle récession chinoise pourraient déprimer l’activité du reste du monde, en particulier via le canal des échanges extérieurs : une baisse des importations chinoises réduirait par définition la demande extérieure des autres pays. Or, à mesure que l’économie chinoise représente une part croissante de l’économie mondiale, cette dernière devient de plus en plus sensible à un éventuel ralentissement de la croissance chinoise. En outre, une baisse des importations de matières premières réduirait les recettes des pays exportateurs de matières premières, en particulier parce que leurs prix seraient poussés à la baisse ; alors que la forte croissance chinoise poussait à la hausse les prix des matières premières, le récent ralentissement chinois a mis fin à ce super-cycle.

Il y a quelques mois, Ludovic Gauvin et Cyril Rebillard (2015) avaient déjà cherché à évaluer les répercussions du ralentissement de la croissance chinoise sur le reste du monde, en se concentrant sur le canal des échanges extérieurs et le canal des prix des matières premières. Ils estimaient que ce seraient les pays émergents, en particulier ceux d’Asie du sud-est et les exportateurs de matières premières, qui en seraient les plus affectés, tandis que les pays développés en seraient les moins affectés. D’autres études ont cherché à estimer l’impact d’un ralentissement de la croissance des pays émergents sur le reste du monde et en particulier sur les pays avancés, notamment celles de Juan Yépez (2014) et de Patrice Ollivaud, Elena Rusticelli et Cyrille Schwellnus (2014). Plus récemment, une étude de la Banque mondiale réalisée par Raju Huidrom, Ayhan Kose et Franziska Ohnsorge (2016) s'est plus particulièrement focalisée sur les répercussions d'un ralentissement de la croissance des grands émergents sur le reste du monde.

Alexei Kireyev et Andrei Leonidov (2016) viennent également de modéliser les répercussions internationales d’une hypothétique chute des importations chinoises, mais à la différence des précédentes études ils ont cherché à prendre en compte les effets de réseau. En effet, si la baisse des importations chinoises détériore l’activité dans les autres pays, ces derniers peuvent eux-mêmes réduire leurs propres importations, c’est-à-dire réduire les échanges qui réalisent entre eux, mais aussi leurs importations en provenance de la Chine, affectant par là même en retour la croissance chinoise.

GRAPHIQUE 1  Le réseau des importations chinoises

Quel impact une chute des importations chinoises aurait-elle sur le reste du monde ?

Note : la taille des nœuds est proportionnelle à la part d'un partenaire dans les importations chinoises ; en vert les amplificateurs, en bleu les absorbeurs et en rouge les inhibiteurs.

Kireyev et Leonidov ont ainsi modélisé le réseau des importations chinoises (cf. graphique 1). ils notent que 30 pays contribuent à environ 90 % des importations chinoises. Les Etats-Unis, Hong Kong, la Corée du Sud, l’Italie et l’Inde seraient en l’occurrence de larges amplificateurs de chocs. Le Japon, l’Allemagne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas absorberaient les chocs, mais, pris ensemble, ils ne représentent qu’une faible part dans les importations chinoises. Les inhibiteurs de chocs, c’est-à-dire les pays qui ne transmettent aucun choc du tout, comme l’Argentine, le Koweït, l’Arabie Saoudite et le Vietnam, seraient très périphériques au réseau commercial de la Chine ; ils ne peuvent donc freiner la transmission du choc vers le reste du réseau.

GRAPHIQUE 2  Le réseau des exportations chinoises

Quel impact une chute des importations chinoises aurait-elle sur le reste du monde ?

Note : la taille des nœuds est proportionnelle à la part d'un partenaire dans les importations chinoises ; en vert les amplificateurs, en bleu les absorbeurs et en rouge les inhibiteurs.

La structure des exportations chinoises se distingue de la structure des importations. Parmi les 20 premiers partenaires à l’échange de la Chine, 30 % ne sont pas les mêmes du côté des exportations et du côté des importations. La Chine exporte à destination de chaque pays du monde, mais les 20 premiers partenaires absorbent 85 % des exportations chinoises (cf. graphique 2). Les Etats-Unis, Hong Kong et l’Inde sont de larges amplificateurs de chocs. D’autres pays comme le Japon, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne absorbent les chocs, mais leur importance pour les exportations chinoises est plus faible. Les inhibiteurs de chocs, comme la Biélorus, le Panama, l’Arabie Saoudite et le Vietnam, ont une situation très périphérique dans le réseau d’exportations de la Chine.

Au terme de leur analyse, Kireyev et Leonidov estiment que les effets de réseau vont être substantiels, peuvent amplifier le choc initial et changer la direction de sa propagation. Si les importations chinoises chutent de 10 % en 2016-2017, chaque pays verrait les recettes qu’il tire des exportations baisser en moyenne de l’équivalent de 1,2 % du PIB. Cette perte pourrait atteindre 2 % du PIB en 2017 en raison des effets de réseau, avant de se réduira graduellement et atteindre 0,2 % du PIB en 2020. Les effets retour sur l’activité chinoise représenteraient 0,5 % de son PIB en 2016, puis 1,1 % de son PIB en 2017. 

Les répercussions seraient plus ou moins amples d’une région du monde à l’autre. Ce seront L’Asie et le Pacifique seront les plus grandement affectés, en raison de leurs fortes relations commerciales avec la Chine, suivis par le Moyen-Orient et l’Asie centrale. En Afrique subsaharienne, certains pays seront significativement touchés. Les répercussions sur l’Europe, notamment la zone euro, seront modestes et les répercussions sur l’hémisphère nord, notamment les Etats-Unis seront très faibles. Ce sont les exportateurs de métaux et de matières premières autres que les carburants qui seront les plus affectés. La Chine constitue en effet le plus gros importateur de métaux au monde. L’impact sur les exportateurs de carburants sera faible. Au niveau individuel, ce sont Hong Kong, la Mauritanie, la République du Congo, la Mongolie et les îles Salomon qui seront les plus affectés.

 

Références

GAUVIN, Ludovic, & Cyril REBILLARD (2015), « Towards recoupling? Assessing the global impact of a Chinese hard landing through trade and commodity price channels », Banque de France, working paper, n° 562, juin.

HUIDROM, Raju, Ayhan KOSE & Franziska OHNSORGE (2016), « Who catches a cold when emerging markets sneeze? », in Banque mondiale, Global Economic Prospects, n° 174, chapitre 3, janvier.

KIREYEV, Alexei, & Andrei LEONIDOV (2016), « China’s imports slowdown: Spillovers, spillins, and spillbacks », FMI, working paper, n° 15/51, mars.

OLLIVAUD, Patrice, Elena RUSTICELLI & Cyrille SCHWELLNUS (2014), « Would a growth slowdown in emerging markets spill over to high-income countries? A quantitative assessment », OCDE, economics department working paper, n° 1110, avril. 

YÉPEZ, Juan (2014), « Spillover feature: Should advanced economies Worry about growth shocks in emerging market economies? », in FMI, World Economic Outlook : Recovery Strengthens, Remains Uneven, avril 2014. Traduction française, « Dossier spécial sur les effets de contagion : les pays avancés doivent-ils se préoccuper d’un ralentissement de la croissance des pays émergents? », in FMI, Perspectives de l’économie mondiale : la reprise s’affermit, mais reste inégale.

Partager cet article
Repost0
13 décembre 2015 7 13 /12 /décembre /2015 22:30

Plusieurs études suggèrent que les entreprises françaises ont été incapables de rivaliser avec les entreprises étrangères sur les marchés de biens manufacturés au cours du dix-neuvième siècle. Pourtant, Stéphane Becuwe, Bertrand Blancheton et Christopher Meissner (2015) jugent que cette conclusion repose sur de bien faibles fondations empiriques, notamment parce qu'il n'y a pas de vue globale des échanges et de la spécialisation de l’économie française au dix-neuvième siècle.  et de tester les conclusions obtenues par les précédentes études, les trois auteurs utilisent une large base de données annuelles relatives aux divers produits du commerce français sur la période 1836-1938.

Sur cette période, la France a subi de profonds changements. La croissance du PIB par tête s’est élevée en moyenne à environ 1,2 %. La part des travailleurs du secteur industriel passa de 25 % à 31 % entre 1841 et 1911, date à laquelle elle dépassa la part des travailleurs du secteur agricole. Entre 1841 et 1911, la part de la production totale réalisée par l’industrie passa de 29 % à 39 %. En 1870, la productivité globale dans le secteur industriel en France était environ égale à celle de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne ; en 1910, elle ne représentait plus que 80 % de cette dernière. 

Au milieu des années 1830, la France exportait environ 5 % de son PIB ; cette part dépassa 14 % entre 1910 et 1913. Entre 1836 et 1913, la part des biens manufacturés dans l’ensemble des exportations passa de 68 % à  48,9 %. Au début du dix-neuvième siècle, les principaux secteurs français étaient ceux du textile et du vin. Le coton, le cuir et la soie constituaient une large part des exportations. Les textiles représentaient environ un tiers de la production industrielle totale et leur production était réalisée par la moitié de l’ensemble des travailleurs du secteur industriel. 

Becuwe et ses coauteurs confirment le statut de pays avancé que la France avait à cette époque : elle exportait essentiellement des produits manufacturés et importait des matières premières. Entre les années 1830 et la fin des années 1850, les exportations françaises étaient extrêmement concentrées, peu diversifiées. Au cours de cette période, le commerce français était cohérent avec les prédictions d’un modèle ricardien : la France exportait quelques produits en grandes quantités, notamment de la soie, du cuir, du coton et du vin. Elle était en l’occurrence fortement spécialisée dans l’exportation de produits textiles. Connaissant une croissance plus rapide de sa productivité que les autres pays, notamment la France, la Grande-Bretagne aurait acquis et maintenu sa domination sur la production des biens manufacturés. Faisant concurrence avec des produits britanniques, marqués par une plus forte compétitivité-prix, la France aurait été poussée à se spécialiser dans une gamme plus étroite de produits manufacturés. 

Malgré ses mauvaises performances, la France ne s’est pas désindustrialisée au dix-neuvième siècle. Les années 1860 et 1870 furent marquées par un processus de libéralisation commerciale, dans un contexte de chute des coûts d’échanges. Le degré de spécialisation des exportations françaises chuta fortement au cours de cette première mondialisation : au fur et à mesure que la croissance économique se poursuivit, la gamme de produits exportés par la France s’étendit et se diversifia. Une telle dynamique est cohérente avec les prédications d’un modèle ricardien : lorsqu’un pays fait face à une baisse des coûts d’échanges, des produits qui n’étaient auparavant pas compétitifs peuvent désormais être exportés. Les auteurs en concluent que le secteur orienté à l’export était davantage sensible aux variations des coûts d’échanges et aux dynamiques domestiques qu’à la concurrence industrielle exercée par des pays plus avancés technologiquement, notamment la Grande-Bretagne. Autrement dit, ce sont les variations des coûts d’échanges et la croissance économique qui ont constitué les forces dominantes dans le façonnement du commerce et des spécialisations de l’économie française. Même si ses exportations ne s’accrurent pas aussi rapidement que les autres pays et que sa balance commerciale s’est détériorée, la France a diversifié son portefeuille d’exportations après le milieu du dix-neuvième siècle.

Après quelques décennies, la diversification ralentit et stagna. Ce ralentissement s’explique notamment par la politique commerciale menée par la France. Entre le début des années 1880 et la Première Guerre mondiale, un nouveau régime commercial prit place, davantage protectionniste, et c’est celui-ci qui aurait tout particulièrement contribué à stabiliser la structure de spécialisation française. Les tarifs douaniers furent relevés, notamment pour préserver la stabilité politique et sociale. Les différents gouvernements français ont cherché à protéger les secteurs industriels dans lesquels la France est traditionnellement spécialisée, notamment les secteurs produisant du tissu en soie, du tissu en coton, du tissu de laine, du cuir, des articles en cuir et des outils en métal. En 1913, les principaux secteurs exportateurs de la France étaient les mêmes que ceux qui dominaient lors du Second Empire. Ainsi, il se pourrait qu’en ayant cherché à préserver l’économie française de la concurrence étrangère, les autorités l’auraient finalement empêché de connaître les transformations structurelles nécessaires pour la moderniser. En raison d’échecs répétés, la France s’est révélée incapable de prendre réellement pied dans les productions modernes, notamment celles des machines et autres appareils mécaniques.

En se focalisant sur des données postérieures à la Seconde Guerre mondiale, Jean Imbs et Romain Wacziarg (2003) avaient suggéré qu’il y avait une relation en forme de U entre la concentration sectorielle en termes d’emploi et le PIB par tête : la diversification sectorielle s’accroît à de faibles niveaux de vie, mais il existe un niveau de production par tête au-delà duquel la répartition sectorielle se concentre à nouveau. Ils suggèrent ainsi une hausse de la diversification des exportations durant les premières étapes de la croissance économique, suivie par une concentration. Olivier Cadot, Céline Carrère et Vanessa Strauss-Kahn (2011, 2013) ont également suggéré un point d’inflexion dans la diversification : la diversification décline après un niveau critique de PIB par tête. Ils ont mis en lumière que les premières étapes de la croissance économique moderne et la libéralisation commerciale sont les deux vecteurs clés de la diversification commerciale. L’étude de Becuwe et alii confirment ces divers résultats.

 

Références

BECUWE, Stéphane, Bertrand BLANCHETON & Christopher M. MEISSNER (2015), « Stages of diversification: France, 1836-1938 », NBER, working paper, n° 21777, décembre.

CADOT, Olivier, Céline CARRÈRE & Vanessa STRAUSS-KAHN (2011), « Export diversification: What's behind the hump? », in Review of Economics and Statistics, vol. 93, n° 2.

CADOT, Olivier, Céline CARRÈRE & Vanessa STRAUSS-KAHN (2013), « Trade diversification, income, and growth: what do we know? », in Journal of Economic Surveys, vol. 27, n° 4.

IMBS, Jean, & Romain WACZIARG (2003), « Stages of diversification », in American Economic Review, vol. 93, n° 1.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : D'un champ l'autre
  • : Méta-manuel en working progress
  • Contact

Twitter

Rechercher