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23 novembre 2014 7 23 /11 /novembre /2014 22:29

La similarité des cycles d’affaires est l’un des critères que doit respecter la zone euro pour être considérée comme une zone monétaire optimale. Si c’est le cas, la BCE pourra plus facilement adopter une politique monétaire appropriée pour l’ensemble des pays si ceux-ci tendent à basculer simultanément dans la récession ou s’ils tendent à connaître en même temps une surchauffe de leur activité. Certains ont avancé l’idée que les cycles d’affaires pouvaient ne pas être synchrones entre les pays-membres, mais que l’adoption de la monnaie unique conduirait à leur convergence.

Entre l’été 2008 et la fin de l’année 2013, la zone euro a connu deux récessions consécutives. Certains suggèrent depuis un découplage entre un « cœur » (constitué avant tout de l’Allemagne) et une « périphérie » (composée notamment de la Grèce, du Portugal, de l’Espagne et de l’Italie). Or, si les cycles d’affaires des différents pays-membres ne sont pas synchronisés, la mise en œuvre d’une politique monétaire unique visant à stabiliser l’activité dans la zone euro est finalement susceptible de générer de l’instabilité macroéconomique dans chacun des pays-membres. La politique monétaire ne serait alors plus appropriée pour chacun, puisqu’elle serait alors excessivement accommodante pour certains pays-membres (en y générant de l’inflation et des bulles sur les marchés d’actifs) et excessivement restrictive pour d’autres (en les maintenant dans la récession). De fortes asymétries entre les pays-membres rendent alors nécessaires une intervention budgétaire, voire l’instauration d’une véritable union budgétaire, pour préserver l’union monétaire [Farhi et Werning, 2012].

Filippo Ferroni et Benjamin Klaus (2014) ont étudié les propriétés des cycles d’affaires des quatre plus grands pays de la zone euro, en l’occurrence l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne, en s’interrogeant si leurs cycles d’affaires ont connu un découplage lors des récentes périodes de turbulences macroéconomiques. Ils étudient la synchronisation de leurs cycles d’affaires lors des expansions et des ralentissements de l’activité, les propriétés de convergence des fluctuations de chaque pays par rapport aux cycles de la zone euro et la contribution de la zone euro à la volatilité des PIB nationaux.

Leur analyse fait apparaître trois principaux résultats. Premièrement, les données soutiennent l’idée qu’une véritable intégration économique a été à l’œuvre entre la France, l’Allemagne et l’Italie. Inversement, les cycles d’affaires espagnols semblent découplés du reste de la zone euro : l’économie espagnole a semblé être en surchauffe avant la crise et excessivement déprimée par la suite. En fait, le découplage économique de l’Espagne a eu lieu un an avant qu’éclate la crise de la dette souveraine. La rupture dans le processus de synchronisation et de convergence pour l’Espagne apparaît précisément durant la phase de reprise entre les deux récessions. Par contre, les cycles d’affaires des quatre plus grandes économies de la zone euro étaient relativement similaires durant la décennie précédant la crise financière mondiale.

Deuxièmement, le principal déterminant des fluctuations domestiques en France, en Allemagne et en Italie est le facteur européen commun, puisque celui-ci explique plus de la moitié de la volatilité du PIB domestique et de ses composantes, ce qui suggère un important degré d’interdépendance entre les trois pays. Donc, si l’un des trois tombe en récession, il y a plus d’une chance sur deux que ce soit en raison de la faiblesse de l’activité dans la zone euro. Les fluctuations du PIB espagnol ne sont qu’en partie expliquées par un facteur commun à l’ensemble de la zone euro ; l’essentiel de ses fluctuations sont générées par les caractéristiques nationales.

Troisièmement, Ferroni et Klaus constatent d’importants canaux d’effets de débordement, que ce soit entre pays ou entre secteurs. Il y a cependant une forte hétérogénéité et tous les pays ne répondent pas de la même manière à des chocs similaires. En l’occurrence, ils constatent que les pays dont les cycles d’affaires tendent à être synchrones (par exemple la France, l’Italie et l’Allemagne) sont susceptibles de fortement influencer les cycles d’affaires de leurs voisins. Par contre, les cycles financiers et macroéconomiques de l’Espagne ont peu de chances d’influencer les fluctuations de ses voisins.

 

Références

FARHI, Emmanuel, & Ivan WERNING (2012), « Fiscal unions », NBER, working paper, n° 18280, août.

FERRONI, Filippo, & Benjamin KLAUS (2014), « Euro Area business cycles in turbulent times: convergence or decoupling? », Banque de France, document de travail, n° 522, novembre.

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5 novembre 2014 3 05 /11 /novembre /2014 20:19

Les déséquilibres de comptes courants entre les pays-membre de la zone euro semblent avoir joué un rôle clé dans l’éclatement de la crise de la dette souveraine. Certains expliquent l’apparition et l’aggravation de ces déséquilibres par la divergence des niveaux de compétitivité-prix que l’on a pu observer depuis la création de la monnaie unique : les pays « périphériques » ont connu une hausse plus rapide de leurs prix et de leurs coûts de travail que l’Allemagne, si bien qu’ils ont accusé une détérioration de leur compétitivité vis-à-vis de cette dernière. Pour mettre un terme à la crise de la zone euro, il semble alors nécessaire de renverser les déséquilibres courants en resserrant l’écart de compétitivité. Pour certains, la dégradation de la compétitivité des pays périphériques s’explique par la rigidité de leurs marchés du travail et des produits, si bien qu’il faudrait mettre en œuvre des « réformes structurelles » et davantage libéraliser ces marchés pour accroître la compétitivité et réduire le chômage.

Des solutions plus controversées ont également été avancées. Pour certains, comme Paul De Grauwe, la divergence des niveaux de compétitivité s’explique, non pas par le comportement laxiste des pays périphériques, mais par le comportement opportuniste de la seule Allemagne. Par conséquent, selon ce point de vue, le rééquilibrage des comptes courants entre les pays-membres doit passer avant tout par une accélération de l’inflation dans le cœur de la zone euro : si l’inflation allemande était durablement supérieure à la moyenne de la zone euro, les écarts de compétitivité se resserreraient.

Depuis la crise, il y a eu un significatif rééquilibrage des comptes courants : les pays périphériques ont réduit leur déficit courant, voire même commencé à générer un excédent courant. Cette évolution se concilie bien mal avec l’idée selon laquelle les déséquilibres s’expliqueraient par un problème de compétitivité. En effet, depuis la crise, les prix relatifs ne se sont que très lentement ajustés : les taux de change réels effectifs ne sont pas retournés au niveau qu’ils atteignaient lors de l’unification monétaire et les pays périphériques n’ont pas comblé leurs pertes de compétitivité. En fait, comme Lane et Milesi-Ferretti (2014) l’ont montré, la réduction des déficits courants s’explique par l’effondrement de la demande globale, si bien qu’ils sont susceptibles de réapparaître lorsque ces économies se rapprocheront de plein emploi, ce qui rend quelque peu vains les politiques de dévaluation interne que ces pays s’infligent.

Ainsi, plusieurs auteurs ont plutôt mis l’accent sur le rôle des importations et de la demande domestique. Selon eux, ce sont avant tout les booms de demande domestique qui sont à l’origine des déficits de compte courants en périphérie de la zone euro. Dans cette perspective, l’accélération de l’inflation et la hausse rapide du coût du travail sont perçus comme une conséquence de la demande excessive et non une cause directe de la détérioration de la compétitivité. En outre, avec l’adoption de la monnaie unique, les pays périphériques de la zone euro ont pu profiter de faibles taux d’intérêt, or ces conditions de financement accommodantes ont stimulé la demande domestique. De son côté, les excédents extérieurs de l’Allemagne s’expliquent par la faiblesse de sa demande excessive, c’est-à-dire par une épargne excessive. 

Mariarosaria Comunale et Jeroen Hessel (2014) notent que les pays ont également connu une divergence dans la croissance du crédit réel et des prix réels des logements, ce qui suggère que les facteurs financiers ont joué un rôle dans les dynamiques des comptes courants. Ils se penchent alors sur les liens entre booms de la demande (alimentées par le crédit) et les déséquilibres courants au sein de la zone euro. Les précédentes études ont suggéré que les booms du crédit tendaient à stimuler la demande domestique et à aggraver les déficits extérieurs [Mendoza et Terrones, 2012] ; réciproquement, les afflux nets de capitaux sont susceptibles de stimuler la croissance du crédit domestique. Le lien entre les booms du crédit et les déficits courants s’est peut-être même renforcé au cours des dernières décennies [Jordà, Schularick et Taylor, 2011]. Bref, la dynamique des soldes courants en zone euro a pu être liée au cycle financier. Ce dernier se caractérise par la croissance du crédit et des prix de l’immobilier, ainsi que par une plus forte amplitude et une moindre fréquence que les cycles d’affaires [Borio, 2012].

Comunale et Hessel ont alors cherché à comparer le rôle respectif de la compétitivité et des booms de demande. Selon leur analyse, la compétitivité-coût a effectivement influencé les performances à l’exportation, mais celles-ci ont été davantage influencées par la demande extérieure. Par contre, l’analyse fait plus difficilement apparaître l’influence de la compétitivité-coût sur les importations. En fait, la demande domestique est le principal moteur des importations. Qu’il s’agisse de la période 1999-2007 où les déséquilibres courants se sont accumulés ou bien la période 2008-2008 où ils se sont corrigés, les différences en termes de demande domestique expliquent davantage les variations des soldes courants que ne le font les différences en termes de compétitivité-coût. En outre, les variations de la demande domestique à la fréquence du cycle financier expliquent davantage les évolutions des soldes courants que les variations à la fréquence des cycles d’affaires normaux. 

Or, si les déséquilibres courants sont effectivement conduits par des booms de demande liés au cycle financier, alors leur correction ne nécessite pas un ajustement immédiat des prix relatifs. Un retournement du cycle financier est susceptible d’entraîner une correction de la demande domestique, dans la mesure où les banques, ménages et entreprises s’engagent dans une phase de désendettement. Un rééquilibrage des comptes courants en raison du cycle financier serait plus ample et plus long en raison de la durée des cycles d’affaires. Ainsi, pour Comunale et Hessel, les autorités publiques en zone euro auraient davantage intérêt à se focaliser sur la croissance du crédit et la politique macroprudentielle que sur la compétitivité et les réformes structurelles.

 

Références

BORIO, Claudio (2012), « The financial cycle and macroeconomics: What have we learnt? », Banque des Règlements Internationaux, working paper, n° 395.

COMUNALE, Mariarosaria, & Jeroen HESSEL (2014), « Current account imbalances in the Euro area: competitiveness or financial cycle? », Banque des Pays-Bas, DNB working paper.

JORDÀ, Oscar, Moritz SCHULARICK & Alan TAYLOR (2011), « Financial crises, credit booms, and external imbalances: 140 years of lessons », Fonds Monétaire International, IMF Economic Review, vol. 59, n° 2.

LANE, Phillip R., & Gian Maria MILESI-FERRETTI (2014), « Global imbalances and external adjustment after the crisis », Fonds Monétaire International, working paper, août. 

MENDOZA, Enrique, & Marco TERRONES (2012), « An anatomy of credits booms and their demise », in Journal Economía Chilena, vol. 15, n° 2.

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6 octobre 2014 1 06 /10 /octobre /2014 22:06

Selon Jean Monnet, « l’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ». Or, le projet européen perd du soutien en sa faveur, en particulier dans les pays-membres qui ont été les plus exposés à la crise, si bien que beaucoup estiment probable que la zone euro éclate, en l’occurrence qu’un pays ou un groupe de pays abandonne l’euro.

Selon Luigi Guiso, Paola Sapienza et Luigi Zingales (2014), la conception fonctionnaliste dont faisait preuve Monnet supposait que la délégation de certaines fonctions politiques entre les mains des autorités supranationales incite à poursuivre l’intégration. Cette incitation peut aussi bien passer par des boucles rétroactives positives (par exemple, les électeurs prennent conscience des bénéfices à l’intégration et désirent alors sa poursuite) que négatives (par exemple, dans la mesure où l’approfondissement de l’intégration s’accompagne d’incohérences, celles-ci nécessitent alors une intégration plus complète pour les surmonter). En l’occurrence, l’élite est peut-être prête à mettre en œuvre des étapes d’intégration qu’elle sait insoutenables, mais elle espère que les crises que ces incohérences provoqueront à l'avenir finiront par convaincre les Européens de poursuivre l’intégration. Cette dernière correspond finalement à une véritable « réaction en chaîne » où chaque étape résout les contradictions précédentes, mais en en générant de nouvelles, checune d'entre elles requiert la suivante. Selon une autre interprétation de cette « réaction en chaîne », les électeurs européens désirent un approfondissement de l’intégration européenne, mais pas les politiciens locaux, car cela les amène à abandonner une partie de leurs pouvoirs. Rien assure toutefois, dans l'une ou l'autre de ces interprétations, qu'une poursuite de l'intégration accroisse effectivement la stabilité de l'ensemble.

Les trois auteurs ont cherché à vérifier l’idée de Monnet. Ils se sont alors demandés si, d’une part, les crises européennes accentuaient le scepticisme que les Européens affichent envers le projet européen ou si elles confortaient au contraire le soutien qu’ils affichent à son égard et si, d’autre part, l’intégration en tant que telle accentuait le soutien en faveur de l’intégration. Pour cela, ils ont examiné comment les opinions des Européens vis-à-vis du projet d’intégration européenne ont changé entre 1973 et 2013 en utilisant les enquêtes de l’Eurobaromètre réalisées dans 15 pays européens : le Danemark, la Suède, la Finlande, le Royaume-Uni, l’Irlande (constituant le groupe du « nord » dans l'analyse), l’Autriche, l’Allemagne, la France, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg (constituant le groupe du « centre »), l’Italie, , la Grèce, l’Espagne et le Portugal (constituant le groupe du « sud »).

GRAPHIQUE  Opinions en faveur de l'appartenance à l'Union européenne (en %)

Luigi-Guiso--Paola-Sapienza-et-Luigi-Zingales--Europe-inte.png

Il apparaît que les pays du sud étaient initialement plus pro-européens que les pays du nord. Cette différence semble reliée à la qualité des institutions domestiques : plus celle-ci était faible, plus le soutien en faveur d'une délégation des pouvoirs au niveau supranational était forte. Entre 1973 et 1991, les Européens se sont montrés de plus en plus confiants quant aux bénéfices de l’intégration, ce qui semble cohérent avec l’idée de boucles rétroactives positives dans la réaction en chaîne de Monnet. Comme le soutien populaire envers l'appartenance à l'Union européenne s'effondre à partir de 1992, le traité de Maastricht semble avoir mis un terme à ces boucles rétroactives positives. Cette chute semble corrélée avec un moindre soutien pour le marché unique et pour l’approfondissement de l’intégration européenne. Avec la crise de la zone euro, le consensus des pays du sud envers l’Europe chuta davantage, passant de 54 % à 44 %. Non seulement le projet européen perd de son soutien en raison des crises, mais il perd surtout l’adhésion des plus jeunes cohortes. Autrefois, les jeunes étaient ceux qui se montraient les plus favorables à l’Europe ; ils sont désormais parmi les moins favorables au projet européen. Le soutien envers l’euro semble remarquablement stable, tandis que la confiance envers les institutions européennes a chuté, même davantage que la confiance envers les institutions nationales.

Selon Luigi Guiso et ses coauteurs, la détérioration du soutien en faveur de l’Europe en 1992 s’explique avant tout par le fait que la population a une moins bonne opinion des bénéfices associés au marché unique, de la monnaie unique et de l’approfondissement de l’intégration politique. La plus grande insatisfaction dont ont fait preuve les Européens vis-à-vis du projet européen lors de l’élargissement de 2004 semble s’expliquer avant tout par des facteurs propres à chaque pays. L’effondrement du soutien en faveur de l’Europe que l’on a pu observer lors de la crise de la zone euro s’explique principalement par l’aggravation du chômage. Enfin, Luigi Guiso et alii rappellent que l’adoption d’une monnaie unique impose par définition une unique politique monétaire pour l’ensemble des pays-membres, or les décisions des autorités monétaires peuvent se révéler sous-optimales du point de vue de chaque pays ; les auteurs confirment que cette inadéquation de la politique monétaire avec la conjoncture domestique contribue à accentuer l’insatisfaction des populations.

Luigi Guiso et ses coauteurs interprètent leurs résultats comme suggérant que beaucoup d’Européens n’apprécient pas la tournure prise par le projet européen, mais considèrent tout de même l’Union européenne comme une institution à même de régler les crises. Malgré la récession, les Européens croient toujours en la monnaie unique. En fait, les Européens ne veulent pas aller de l'avant dans le processus d'intégration, mais ils ne veulent pas non retourner en arrière, si bien que la situation actuelle s’apparente à une véritable impasse politique. D’un côté, les Européens ne désirent pas déléguer davantage de pouvoirs au niveau supranational. De l’autre, au fur et à mesure que l’intégration se poursuit, le coût d’un retour en arrière s’accroît, faisant apparaître les différentes étapes d’intégration comme de moins en moins réversibles. Le risque est effectivement réel que la sortie d’un pays de la zone euro se traduise non seulement par la désintégration de la zone euro, mais aussi par l'effondrement de échanges commerciaux, une fermeture des frontières, etc. En d’autres termes, l’envers de la réaction en chaîne de Monnet est bien celle d'un effondrement total. Cette interprétation serait cohérente avec le fait que le soutien en faveur de l’euro ait chuté dans les pays européens qui n’ont pas adopté la monnaie unique.

 

Référence

GUISO, Luigi, Paola SAPIENZA & Luigi ZINGALES (2014), « Monnet’s Error? », Brookings Panel on Economic Activity.

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