Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
7 mars 2015 6 07 /03 /mars /2015 16:33

Les taux d’intérêt sont actuellement faibles dans les pays avancés et, avec la perspective que la BCE adopte un assouplissement quantitatif, plusieurs taux d’intérêt sont entrés en territoire négatif ces derniers mois dans les pays de la zone euro, ce qui suggère que des tendances lourdes sont à l’œuvre pour les pousser à la baisse. La littérature économique suppose qu’il existe un taux d’intérêt qui équilibre l’offre et la demande de fonds prêtables, donc maintient l’économie au plein emploi sans générer de pressions inflationnistes : c’est le taux d’intérêt « naturel » ou « d’« équilibre ». Toujours en théorie, ce taux d’intérêt naturel est intimement lié au taux de croissance tendanciel de l’économie [Cecchetti et Schoenholtz, 2015]. L’idée sous-jacente est qu’une accélération de la croissance entraîne une hausse des rendements réels sur l’investissement. Par conséquent, avec la Grande Récession, les analystes ont revu à la baisse leurs estimations du taux d’intérêt naturel. L’estimation médiane de la Fed est ainsi passée de 2,25 à 1,75 % au cours des trois dernières années.

Depuis le discours prononcé par Larry Summers lors d’une conférence du FMI, beaucoup soutiennent l’hypothèse d’une stagnation séculaire : les économies avancées subiraient une insuffisance chronique de la demande globale et celle-ci déprimerait fortement le taux d’intérêt naturel au point de le rendre négatif. Parmi les possibles facteurs à l’origine de la stagnation séculaire sont cités le vieillissement démographique, la baisse du prix des biens d’investissement, la hausse des inégalités, etc. Bref, les pays avancés subiraient (selon le point de vue) un excès d’épargne ou une insuffisance d’investissements. Or, en raison de la borne inférieure zéro, les banques peuvent difficilement ramener leurs taux d’intérêt au niveau approprié pour restaurer la demande globale, si bien que la politique monétaire s’en trouve excessivement restrictive et déprime davantage l’activité. L’assouplissement de la politique monétaire ne suffit pas pour ramener l’économie au plein emploi, mais il risque par contre de générer des bulles spéculatives. Les autorités publiques doivent alors s’appuyer sur d’autres outils pour sortir l’économie de la stagnation séculaire, par exemple l’investissement public dans les infrastructures ou la réduction des inégalités de revenu (notamment à travers la redistribution).

James Hamilton, Ethan Harris, Jan Hatzius et Kenneth West (2015) mettent à l’épreuve cette hypothèse. Ils examinent le comportement et les déterminants du niveau d’équilibre du taux d’intérêt réel, qu’ils définissent comme le taux compatible avec le plein emploi et une inflation stable à moyen terme. Pour cela, ils compilent les données relatives aux taux directeurs des banques centrales, à l’inflation et à la croissance du PIB pour une vingtaine de pays au cours des quatre dernières décennies. Certaines de leurs données annuelles remontent jusqu’à 1858.

GRAPHIQUE 1  Taux d'intérêt réels d'équilibre dans 15 pays avancés (en %)

Cet obscur taux d’intérêt naturel

Au terme de leur analyse, Hamilton et ses coauteurs rejettent tout d’abord deux hypothèses souvent avancées dans la littérature. Tout d’abord, les modèles théoriques supposent souvent qu’il existe une valeur constante vers laquelle le taux d’intérêt réel revient à long terme. Or, les taux d’intérêt réels dans la plupart des pays furent significativement plus élevés avant la Première Guerre mondiale qu’ils ne l’ont été par la suite. Les guerres mondiales ont été associées à des taux négatifs particulièrement élevés, en particulier pour l’Allemagne, la Finlande, l’Italie et le Japon. Hamilton et ses coauteurs soulignent qu’il existe une forte incertitude autour du taux d’intérêt d’équilibre, mais celui-ci aurait clairement tendance à être instable au cours du temps.

GRAPHIQUE 2  Taux d'intérêt réel d'équilibre aux Etats-Unis (en %)

Cet obscur taux d’intérêt naturel

En outre, la littérature suppose souvent qu’à long terme un taux de croissance du PIB plus élevé est associé à un taux d’intérêt réel d’équilibre plus élevé. En fait, l’analyse ne conforte pas l’idée que le taux de croissance économique à long terme soit le principal facteur expliquant les variations du taux d’intérêt réel d’équilibre. Par exemple, lorsque les auteurs observent les sept dernières expansions aux Etats-Unis, ils font émerger une corrélation négative entre le taux de croissance annuel moyen du taux du PIB réel et le taux d’intérêt réel ; cette corrélation n’est que modestement positive si l’expansion qui s’est achevée au troisième trimestre de 1981 est exclue de l’analyse. En fait, il y a d’autres facteurs contribuant à la détermination du taux naturel, notamment la démographie, les tendances dans l’inflation, la politique budgétaire, la variation des prix d’actifs et le niveau de réglementation financière. Par exemple, les périodes de réglementation financière plus stricte se sont accompagnées au cours de l’histoire de faibles taux d’intérêt [Bunker, 2015].

Les auteurs sont sceptiques à l’idée d’une stagnation séculaire. S’il n’y a pas de corrélation entre le taux d’intérêt à long terme et le taux de croissance, alors tout ralentissement de la croissance ne se traduira pas forcément à l’avenir par un plus faible taux d’intérêt réel. Malgré l’incertitude entourant le taux d’intérêt d’équilibre, les auteurs estiment le taux d’intérêt d’équilibre semble être actuellement compris entre 1 et 2 % ; il n’est pas négatif, comme le pensent les partisans de l’hypothèse de stagnation séculaire. La lenteur de l’actuelle reprise s’explique avant tout par des dynamiques durables, mais temporaires, comme le désendettement du secteur privé et la consolidation budgétaire. Ainsi, lorsque ces freins se sont desserrés aux Etats-Unis au début de l’année 2014, la croissance américaine a accéléré à un rythme supérieur au potentiel. Les reprises suite aux crises financières nécessitent plusieurs années. Certes la Grande Récession a été plus sévère qu’une récession typique, elle a été moins ample et suivie par une plus rapide reprise que les récessions typiquement associées à une crise financière.

Hamilton et ses coauteurs concluent leur travail en se penchant sur ses implications pour la politique monétaire. Même s’ils ne valident pas la thèse de la stagnation séculaire, ils reconnaissent toutefois qu’en raison de la faiblesse du taux d’équilibre, les taux directeurs des banques centrales risquent à l’avenir de buter à nouveau sur leur borne zéro, si bien que les économies sont susceptibles de connaître des périodes prolongées de déprime. En outre, la Fed a de bonnes raisons de ne pas relever précipitamment ses taux d’intérêt. Hamilton et alii rejoignent les conclusions d’Athanasios Orphanides et John Williams (2007) en suggérant que l’incertitude autour du taux d’équilibre plaide en faveur d’une politique monétaire plus « inertielle » : les banques centrales doivent patienter avant de changer leur politique monétaire. Les simulations réalisées par Hamilton et ses coauteurs montrent que la prise en compte de cette incertitude implique une normalisation des taux directeurs plus tardive, mais plus forte, par rapport au scénario médian des projections de la Fed. Cette surréaction sera d’une certaine manière le prix à payer pour ne pas compromettre la reprise de l’activité américaine en la resserrant prématurément la politique monétaire. Enfin, Hamilton et ses coauteurs notent également que l’incertitude entourant le taux d’intérêt d’équilibre n’est qu’une justification parmi d’autres pour retarder le resserrement de la politique monétaire. L’incertitude entourant le taux de chômage structurel incite également à maintenir les taux d’intérêt à un faible niveau tant que le comportement de l’économie ne signale pas clairement (en l’occurrence avec une accélération soutenue de l’inflation) que le resserrement est nécessaire.

 

Références

BUNKER, Nick (2015), « The uncertain nature of the natural rate of interest », 4 mars.

CECCHETTI, Stephen G., & Kermit L. SCHOENHOLTZ (2015), « Living with uncertainty: What central banks do when they don't know the natural rate », in Money and Banking (blog), 2 mars.

The Economist (2015), « Still, not stagnant », 7 mars.

HAMILTON, James (2015), « What is the new normal for the real interest rate? », in Econbrowser (blog), 1er mars.

HAMILTON, James D., Ethan S. HARRIS, Jan HATZIUS & Kenneth D. WEST (2015), « The equilibrium real funds rate: Past, present and future ».

ORPHANIDES, Athanasios, & John C. WILLIAMS (2007), « Robust monetary policy with imperfect knowledge », in Journal of Monetary Economics, vol. 54.

Partager cet article
Repost0
28 février 2015 6 28 /02 /février /2015 20:26

Après avoir ramené le taux des fonds fédéraux à sa borne zéro fin 2008, la Réserve fédérale aux Etats-Unis a adopté deux mesures non conventionnelles afin d’assouplir davantage la politique monétaire : l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) et le forward guidance. A travers ses programmes d’assouplissement quantitatif, la Fed a réalisé des achats d’actifs à grande échelle, notamment des titres publics et des titres adossés sur des prêts hypothécaires. De son côté, le forward guidance consiste pour la banque centrale à révéler le plus précisément possible ses intentions concernant ses futures décisions et en particulier la trajectoire probable que suivra à l’avenir son taux directeur, ce qui réduit l’incertitude quant à la politique monétaire future, ancre davantage les anticipations des agents et accroît ainsi (en principe) l’efficacité de la politique monétaire. En l’occurrence, la banque centrale suggère qu'elle maintiendra sa politique monétaire accommodante plus longtemps que ne l'exigeront les conditions macroéconomiques futures, promettant ainsi que l'économie connaîtra un boom après la reprise, ce qui devrait inciter les agents à investir dès à présent et ainsi précipiter la reprise.

Ainsi, ces deux mesures non conventionnelles visent à exercer une pression à la baisse sur les taux d’intérêt à long terme et plus généralement à améliorer les conditions financières, notamment en stimulant les cours boursiers et les prix des logements. La hausse des prix d’actifs pourrait générer des effets de richesse, ce qui inciterait les ménages (détenteurs d’actions ou d’un logement) à consommer davantage ; combinée à l’assouplissement des conditions de financement, elle inciterait les entreprises et les ménages à davantage emprunter et investir, ce qui stimulerait la demande globale et réduirait le risque de déflation.

Plusieurs études ont cherché à déterminer l’impact des mesures non conventionnelles et en particulier des achats d’actifs sur les marchés financiers ; elles tendent à mettre en évidence un effet notable de ces mesures sur les taux d’intérêt à long terme. Il y a eu toutefois beaucoup moins d’études portent sur les répercussions proprement macroéconomiques des mesures non conventionnelles, notamment leurs effets sur l’activité réelle et l’inflation. En outre, les études ont eu tendance à analyser séparément les répercussions de l’assouplissement quantitatif et du forward guidance, alors même que ces actions sont interdépendantes et que leurs effets devraient en principe se conjuguer et se renforcer l’une l’autre.

C’est précisément l’impact macroéconomique des deux mesures non conventionnelles de la Fed que cherchent à identifier Eric Engen, Thomas Laubach et Dave Reifschneider (2015). Dans les années qui ont suivi la crise financière et la récession, ils constatent que les prévisionnistes du secteur privé en sont graduellement venus à considérer que la Fed poursuivra à l’avenir une politique significativement plus accommodante que ce qu’ils avaient anticipé au début de la crise. Ils repoussèrent de plus en plus loin dans le temps la date à laquelle ils estiment possible un resserrement de la politique monétaire américaine, probablement en réaction à l’assouplissement quantitatif et au forward guidance pratiqués par la Fed, dans un contexte où la reprise a été lente et l’inflation étonnamment modérée. Combinée à la pression à la baisse que les achats d’actifs ont exercée sur les primes de terme, c’est-à-dire le prix exigé par les investisseurs pour prêter à plus long terme, ces effets d’anticipations semblent avoir significativement assoupli les conditions financières en vigueur, ce qui a permis de soutenir de façon croissante la reprise économique au cours du temps.

Même si les programmes d’assouplissement quantitatif de la Fed ont contribué à stabiliser l’économie durant la crise en fournissant des liquidés sur des marchés financiers en pleine turbulences, les actions non conventionnelles de la Fed ne semblent toutefois pas avoir fourni tout au supplément de relance au cours des deux années qui ont suivi la crise financière. La stimulation de l’activité et de l’inflation fut en effet limitée par la lenteur avec laquelle les agents révisèrent leurs anticipations quant à la politique monétaire, ainsi que par leur croyance persistante que l’économie rebondirait plus rapidement qu’elle ne l’a fait en réalité.

En partie pour ces raisons et en partie parce que la politique monétaire souffre typiquement de délais de transmission à l’activité, Engen et ses coauteurs estiment que les répercussions macroéconomiques des mesures non conventionnelles de la Fed ne se sont pas encore pleinement révélées. En effet, ces actions ont significativement accéléré le rythme de la reprise à partir de 2011, mais leurs effets sur l’emploi n’atteindront pas leur pic avant le début de l’année 2015 ; elles permettront de réduire le taux de chômage de 1,2 point de pourcentage. Leurs effets sur l’inflation n’atteindront pas leur pic avant le début de l’année 2016 ; elles permettront d’ajouter jusqu’à 0,5 point de pourcentage au taux d’inflation.

Ces résultats ont d’importantes implications pour l’efficacité de la politique monétaire non conventionnelle à atténuer les retombées d’une prochaine crise financière ou d’un prochain épisode de borne inférieure zéro. Au cours des cinq dernières années, l’efficacité des achats d’actifs et du forward guidance a été limitée par le fait que les agents n’ont révisé que graduellement leurs anticipations quant à la politique monétaire. Ce fut une période d’apprentissage, tout à fait normale au vu de la nature sans précédents des actions non conventionnelles. Par contre, si une nouvelle crise éclate prochainement, les participants au marché et plus généralement le public bénéficieront de l’épisode actuel pour évaluer la probable réaction de la Fed. Ils pourraient ainsi ajuster plus rapidement leurs anticipations lors de cette nouvelle crise, ce qui accroîtra l’efficacité des actions non conventionnelles.

Engen et ses coauteurs se demandent alors ce qu’une révision permanente des anticipations des agents quant à la politique monétaire impliquerait pour l’efficacité future des mesures non conventionnelles. Dans ce cas, toute récession serait moins sévère et le rythme de la reprise subséquente serait plus rapide si les agents ont perçu dès le début la volonté de la Fed à fournir un assouplissement additionnel à travers les achats d’actifs et son intention de poursuivre une stratégie plus accommodante à plus long terme qu’ils ne l’avaient initialement perçu. Cette réponse initialement plus puissante reflète à la fois une amélioration des conditions financières, ainsi qu’une révision plus prononcée des anticipations quant à l’activité réelle et l’inflation. La Fed disposerait ainsi d’une plus grande capacité à atténuer les effets d’une crise future qu’il n’en disposait au début de la dernière, aussi longtemps que le public anticipe que la Fed va déployer agressivement ses outils non conventionnels.

 

Référence

ENGEN, Eric, Thomas LAUBACH & Dave REIFSCHNEIDER (2015), « The macroeconomic effects of the Federal Reserve’s unconventional monetary policies », Réserve fédérale, finance and economics discussion, n° 2015-005, 14 janvier.

Partager cet article
Repost0
11 février 2015 3 11 /02 /février /2015 22:16

Durant les années soixante-dix et au début des années quatre-vingt, les pays avancés faisaient face à une forte inflation ; selon l’interprétation dominante, celle-ci s’expliquerait notamment par les erreurs commises par les banquiers centrales. Les autorités monétaires ont alors fait de la lutte contre l’inflation leur objectif premier et ils ont embrassé l’indépendance pour gagner en crédibilité et accroître ainsi l’efficacité de leur politique monétaire. Les pays avancés connaissent depuis les années quatre-vingt une désinflation, au point de connaître aujourd’hui une inflation excessivement faible (lowflation).

Certains banquiers centraux ont peu à peu avancé une autre explication en suggérant que le comportement de l’inflation dépendait (du moins en partie) du changement démographique. Masaaki Shirakawa (qui était à la tête de la Banque du Japon avant que Haruhiko Kuroda ne prenne sa place début 2013 avec l’arrivée de Shinzo Abe au pouvoir) a ainsi régulièrement affirmé que le vieillissement de la population pouvait générer des pressions déflationnistes amenant les agents à réviser à la baisse leurs anticipations de la croissance économique future. Les agents peuvent ignorer les implications du vieillissement pendant un temps, mais ils révisent ensuite leurs anticipations lorsqu’ils prennent conscience de son impact économique et réduisent alors leurs dépenses, notamment leurs dépenses d’investissement. Les autorités monétaires peuvent alors avoir des difficultés à compenser cette chute de la demande globale, en particulier si l’inflation était initialement faible et si les taux d’intérêt nominaux butent déjà sur leur borne inférieure zéro. Le Japon en offre une belle illustration : depuis les années quatre-vingt-dix, l’économie insulaire connaît simultanément un vieillissement rapide de sa population, une stagnation de son activité économique et des périodes de déflation. De son côté, James Bullard, le président de la Réserve fédérale de Saint-Louis, a affirmé que les personnes âgées (détenant un patrimoine financier) préféraient un plus faible niveau d’inflation que les jeunes (emprunteurs), en raison des effets redistributifs de l’inflation (amenant à des transferts de revenus des épargnants vers les emprunteurs).

Les études empiriques se sont ainsi multipliées ces dernières années pour explorer le lien entre la démographie et l’inflation, notamment au sein du FMI. En se focalisant sur le Japon, Derek Anderson, Dennis Botman et Ben Hunt (2014) ont ainsi constaté que le vieillissement démographique générait des pressions déflationnistes en freinant la croissance économique. Ils suggèrent toutefois que ce risque déflationniste n’est pas inéluctable, à condition que la politique monétaire parvienne à le compenser. Or Patrick Imam (2013) avait précédemment montré que le vieillissement démographique affaiblissait l’efficacité de la politique monétaire ; cette dernière doit être de plus en plus agressive pour espérer autant influencer l’économie qu’auparavant. L’intérêt des macroéconomistes pour les liens qu’entretiennent la démographie avec la croissance économique et l’inflation s’est encore récemment accentué lorsque Larry Summers a avancé l’hypothèse que les pays avancés connaissaient actuellement une stagnation séculaire ; le vieillissement démographique conduirait à une insuffisance chronique de la demande globale.

Mikael Juselius et Előd Takáts (2015) ont entrepris une analyse empirique systématique du lien entre démographie et inflation. Ils ont cherché à déceler un tel lien à partir d’un échantillon de 22 pays avancés sur la période s’étalant entre 1955 et 2010. Ils constatent une relation stable statistiquement et économiquement significative entre la structure en âge de la population et l’inflation. Ainsi, la démographie serait liée l’inflation, tant directement qu’indirectement via son impact sur les anticipations d’inflation. Selon les estimations de Juselius et Takáts, la démographie pourrait expliquer environ un tiers de la variation du taux d’inflation et l’essentiel de la désinflation entre la fin des années soixante-dix et le début des années quatre-vingt-dix. Leurs estimations suggèrent en outre l’existence d’une relation en forme de U : la part des dépendants (c’est-à-dire de jeunes et de personnes âgées) dans la population est positivement corrélée avec le taux d’inflation, tandis que la part des cohortes en âge de travailler dans la population est négativement corrélée avec le taux d’inflation.

Pour tenter de comprendre pourquoi les autorités monétaires ne parviennent à compenser l’impact déflationniste du changement démographique, Juselius et Takáts ont alors étendu leur analyse à la politique monétaire. Ils ont alors décelé une relation significative entre la démographie et la politique monétaire, mais cette relation n’est cette fois-ci pas stable dans le temps. Avant le milieu des années quatre-vingt, la politique monétaire amplifiait l’impact inflationniste de la dynamique démographique ; les taux d’intérêt réels étaient faibles précisément parce que les pressions inflationnistes associées à la démographie étaient fortes. Cette dynamique s’est inversée au milieu des années quatre-vingt, lorsque la politique monétaire atténua les pressions associées à la démographie, sans toutefois parvenir à les faire disparaître. Au cours de cette seconde période, les taux d’intérêt ont été faibles lorsque les pressions inflationnistes associées à la démographie étaient également faibles. Dans la mesure où les pressions associées à la démographie étaient inflationnistes au cours de la première période étudiée, puis déflationnistes lors de la seconde, les taux d’intérêt réels ont été relativement faibles tout au long de ces deux périodes. En fait, les banques centrales n’ont su atténuer les pressions associées à la démographie que lorsque cela n’exigeait pas des taux d’intérêt réels élevés.

 

Références

ANDERSON, Derek, Dennis BOTMAN & Ben HUNT (2014), « Is Japan’s population aging deflationary? », FMI, working paper, n° 14/139, août.

IMAM, Patrick (2013), « Shock from graying: Is the demographic shift weakening monetary policy effectiveness », FMI, working paper, n° 13/191, septembre. Traduction française disponible sur Annotations.

JUSELIUS, Mikael, & Előd TAKÁTS (2015), « Can demography affect inflation and monetary policy? », BRI, working paper, n° 485, février.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : D'un champ l'autre
  • : Méta-manuel en working progress
  • Contact

Twitter

Rechercher