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26 février 2014 3 26 /02 /février /2014 20:02

Les transcriptions des diverses réunions que le Federal Open Market Committee (l’organe de la Réserve fédérale qui détermine l'orientation de la politique monétaire américaine) a tenues durant l’année 2008 ont été rendues publiques vendredi dernier. Leurs 1.865 pages révèlent que les responsables de la Fed ignoraient les conditions économiques qui prévalaient lorsque la crise financière attint son point d’orgue [Appelbaum, 2014]

Alors qu’en temps normal la Fed se contente de suivre son double mandat, c’est-à-dire cherche à assurer la stabilité des prix et le plein emploi, la banque centrale avaient dû intervenir dès l’été 2007 pour jouer son rôle historique de prêteur en dernier ressort. Les turbulences nées sur le marché du crédit subprime menaçaient peu à peu l’ensemble du système financier américain. Le taux des fonds fédéraux était maintenu à 5,25 % depuis le début de l’année 2007 ; face à l’aggravation de la situation sur le marché du crédit hypothécaire, la banque centrale ramena son taux à 4,75 % le 18 septembre, à 4,50 % le 31 octobre et à 4,25 % le 11 décembre (cf. graphique 1). S’ils étaient ainsi tout à fait conscients de la crise financière et multipliaient les actions pour la contenir, les membres de la Fed croyaient toutefois que l’économie « réelle » serait relativement épargnée par celle-ci. En outre, pour prendre leurs décisions, ils s’appuyaient notamment sur des modèles économiques qui supposaient un système financier parfaitement fonctionnel, ce qui ne pouvait les amener qu'à sous-estimer les répercussions sur l’activité réelle.

GRAPHIQUE 1  Evolution du taux des fonds fédéraux en 2007 et 2008 (en %)

Reserve-federale--Fed--taux-des-fonds-federaux--taux-d.png

source : FRED

Au début de l’année 2008, les responsables de la Fed ne se doutaient absolument pas que l’économie était entrée en récession. Les données qui leur étaient alors disponibles n'indiquaient pas une telle dégradation de l'activité [1]. En revanche, Ben Bernanke, alors président de la Fed, estimait que les mesures adoptées l’année précédente étaient insuffisantes pour restaurer la stabilité financière. La poursuite de la chute des cours boursiers en ce début d’année laissait pressentir une détérioration de l’investissement, si bien que de plus en plus de membres du comité furent amenés à partager les craintes de Bernanke. La Fed réduisit ses taux directeurs de 0,75 point de pourcentage le 22 janvier, opérant ainsi la plus large réduction depuis deux décennies. Cette action se révéla toutefois très rapidement insuffisante pour endiguer les turbulences financières : le 30 janvier, la Fed dût baisser d’un demi-point le taux des fonds fédéraux. La banque centrale entrepris d’autres actions au cours des mois suivants pour préserver la stabilité financière. Au milieu du mois de mars, elle aida notamment JP Morgan à racheter la Bear Stearns lorsque celle-ci fit faillite. Puis, la Fed entreprit une pause à la fin du mois d’avril dans la baisse des taux. Le taux directeur s’élevait alors à 2 %, alors qu’il atteignait 5,25 % début septembre 2007. Cette réduction avait été l’une des plus rapides au cours de l’histoire de la Fed. La banque centrale laissa ensuite ses taux inchangés pendant plusieurs mois.

Les retranscriptions des réunions du comité révèlent que, tout au long de l’année 2008, les responsables étaient davantage inquiets d’un dérapage de l’inflation que d’une dégradation du chômage. Sur l’ensemble de l’année, le mot « inflation » apparaît 2664 fois, tandis que le mot « chômage » (unemployment) apparaît seulement 275 fois [R.A. et C.W., 2014]. Lors de l’été, les responsables de la Fed devinrent particulièrement nerveux quant à l’inflation, au point qu’ils commencèrent à discuter d’une hausse des taux directeurs. Les retranscriptions des réunions montrent que les évocations de l’inflation durant les réunions attinrent précisément un pic durant celle tenue en août (cf. graphique 2). L’inflation sous-jacente restait pourtant particulièrement stable [Krugman, 2014]. L’accélération de l’inflation s’explique essentiellement par une hausse des prix des matières premières, en l’occurrence du pétrole : en juin, les prix du pétrole avaient plus que doublé par rapport à l’année précédente. De l’autre côté de l’Atlantique, la BCE réagit aux mêmes conditions en relevant ses taux directeurs.

GRAPHIQUE 2  Fréquence d'apparition des termes « inflation » et « chômage » dans les retranscriptions des réunions (nombre moyen de mentions par page)

Fed--transcriptions--mots-chomage-et-inflation--Martin-Ano.png

source : R.A. et C.W. (2014)

Depuis le début de l’année, Bernanke s’était montré particulièrement lucide quant au risque d’une sévère récession, mais il n’est jamais parvenu à convaincre l’ensemble de ses collègues d’une telle perspective et de la nécessité d’assouplir davantage la politique monétaire pour stimuler l'activité. Janet Yellen, qui était à l’époque la présidente de la Réserve fédérale de San Francisco (avant de remplacer Bernanke à la tête de la Fed début 2014), et Eric Rosengren, président de la Réserve fédérale de Boston ont été les défenseurs les plus acharnés d’une action plus agressive, mais eux-mêmes sous-estimaient l’ampleur du retournement conjoncturel jusqu’à la fin de 2008. 

GRAPHIQUE 3  Fréquence d'apparition des termes/expressions dans les retranscriptions des réunions (nombre moyen de mentions par page)

Fed--transcriptions--mots-crise-recession-borne-inferieur.png

source : R.A. et C.W. (2014)

A la réunion du 16 septembre, c’est-à-dire précisément au lendemain de l’effondrement de Lehman Brothers, beaucoup des responsables à la Fed croyaient que la croissance se poursuivrait au même rythme [Appelbaum, 2014]. Plusieurs responsables ont décrit la décision de laisser Lehman Brothers faire faillite comme une manière de redonner le sens des responsabilités à Wall Street, mais ils ne pensaient pas que cet évènement aurait de significatives répercussions sur l’activité. En outre, les difficultés de la banque étaient connues depuis plusieurs mois, ce qui pouvait laisser suggérer que les investisseurs étaient préparés à sa faillite (ce qui ne fût précisément pas le cas, comme le démontra très rapidement la quasi-faillite de l'assureur AIG). Les responsables de la Fed avaient certes révisé depuis le début de l’année leurs perspectives de croissance pour 2008, mais ils anticipaient une croissance plus rapide pour 2009. Les prix de l’immobilier s’effondraient certes depuis plus de deux ans et le chômage s’élevait, mais la majorité des membres du comité ne voyaient pas se profiler une véritable crise économique. En ce mois de septembre, le risque inflationniste apparaissait toujours à leurs yeux comme plus probable qu’un basculement dans la récession. En l'occurrence a retranscription de la réunion du 16 septembre contient 129 mentions du terme « inflation », contre 13 mentions du terme « crise » et seulement 5 mentions du terme « récession » [Appelbaum, 2014 ; Avent, 2014]. Le comité vota ce jour-là à l’unanimité contre une baisse des taux d’intérêt pour stimuler l’activité. Bernanke lui-même ne se montra pas en faveur pour une baisse des taux directeurs, alors même qu’il indiqua clairement lors de la réunion qu'il prévoyait une récession.

Au cours des semaines suivantes, il devint de plus en plus évident que l’économie américaine avait effectivement basculé dans la récession. Avec l'effondrement de Lehman Brothers, la crise financière atteint son paroxysme. Dans les derniers mois de l’année 2008, les responsables de la Fed prirent conscience de l’ampleur de la crise économique et entreprirent de puissants assouplissements monétaires pour empêcher que la récession s'aggrave davantage. Lors d’une réunion exceptionnelle tenue le 7 octobre, les membres du comité de la Fed décidèrent de mener une action coordonnée avec les autres banques centrales : elles diminuèrent simultanément leurs taux directeurs. A la fin de l’année, la Fed avait ramené le taux des fonds fédéraux à zéro, un niveau qu’il n’avait pas atteint depuis la Grande Dépression des années trente. Une fois la borne inférieure zéro (zero lower bound) atteinte, les membres du comité envisagèrent d’adopter des mesures supplémentaires. La banque centrale commença notamment à acheter des obligations hypothécaires. Cinq ans après, la Fed poursuit toujours ces actions et la reprise reste incomplète.

 

[1] Ce n'est qu'à la fin de l'année 2008 que le National Bureau of Economic Research confirma que l'activité économique avait atteint un pic en décembre 2007 et que l'économie américaine avait par conséquent basculé à cette date dans la récession. 

 

Références

APPELBAUM, Binyamin (2014), « Fed misread crisis in 2008, records show », in New York Times, 21 février.

AVENT, Ryan (2014), « The Great Recession! It's right behind you! », in Free Exchange (blog), 24 février.

AVENT, Ryan, & C.W. (2014), « The Fed, in so many words », in Free Exchange (blog), 25 février.

KRUGMAN, Paul (2014), « The urge to tighten », in The Conscience of a Liberal (blog), 22 février. 

New York Times (2014), « The Fed’s actions in 2008: What the transcripts reveal », 21 février.

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17 février 2014 1 17 /02 /février /2014 16:58

Claudio Borio, comme beaucoup de ses collègues à la Banque des règlements internationaux, développe une théorie des cycles économique et financier qui s'imprègne aussi bien aux travaux de l’école autrichienne que du concept de déflation par la dette d’Irving Fisher ou encore de l’hypothèse d’instabilité financière développée par Hyman Minsky. D’ailleurs, l’influence de la première est particulièrement visible lorsque l’institution de Bâle préconise des politiques économiques (son dernier rapport annuel a notamment reçu de nombreuses critiques pour son contenu liquidationniste).

Le crédit joue alors naturellement un rôle déterminant dans le déroulement du cycle tel que Borio le décrit. Les déséquilibres financiers s’accumulent lors de l’expansion (boom), puisque les agents privés multiplient alors les prises de risque en s’endettant et les prix d’actifs s’élèvent : en l’occurrence, les agents financent les achats d’actifs en empruntant auprès des banques, or la hausse résultante des prix d’actifs les incite à poursuivre leurs achats et rend les banques plus enclines à prêter. L’expansion finit tôt tout tard par laisser place à l’effondrement (bust) soit parce que l’inflation finit par s’accélérer, ce qui amène alors la banque centrale à resserrer sa politique monétaire, soit tout simplement parce que les déséquilibres s’effondrent sous leur propre poids. L’activité se contracte et l’économie est alors susceptible de basculer dans la déflation, ce qui alourdira le fardeau des dettes héritées de l’expansion. 

Notamment parce qu’elle facilite l’accès au crédit, la libéralisation financière contribue à l’accumulation des déséquilibres et accroît la vulnérabilité du cycle d’affaires au cycle financier. Un environnement marqué par une inflation faible et stable favorise également la prise de risque, en particulier si la banque centrale est crédible. En effet, puisque les agents sont assurés de l’engagement de la banque centrale à assurer la stabilité des prix, leurs anticipations d’inflation sont plus fermement ancrées autour de la cible qu’elle poursuit, si bien que la hausse du crédit et des prix d’actifs ne se traduira pas forcément par une accélération de l’inflation. Or, le maintien de la stabilité des prix n’incite pas la banque centrale à resserrer sa politique monétaire, si bien que celle-ci laisse finalement les déséquilibres financiers s’accumuler démesurément : c’est le « paradoxe de la crédibilité » (paradox of credibility) suggéré par Claudio Borio et alii (2003). Enfin, le processus d’intégration réelle de l’économie mondiale participe également à l’accumulation des risques. Certes il est susceptible de stimuler la croissance potentielle mondiale en générant des chocs d’offre positifs et en accroissant les capacités de production. Mais de cette manière, il contribue à contenir les hausses de prix, donc à dissimuler la formation de déséquilibres macrofinanciers aux yeux des agents privés et des banquiers centraux. 

Claudio Borio (2014) en conclut que les autorités monétaires ne peuvent se focaliser sur le seul contrôle de l’inflation à court terme. Elles doivent nécessairement prendre en compte les cycles financiers et ce même si la stabilité financière n’entre pas explicitement dans leur mandat. En l’occurrence, la banque centrale doit réagir plus symétriquement lors du cycle financier, en resserrant préventivement sa politique monétaire lors du boom, même si l’inflation apparaît stable à moyen terme, et en assouplissant moins agressivement et moins longuement sa politique monétaire lors de l’effondrement. Pour agir préventivement, les autorités monétaires devront nécessairement élargir leur horizon temporel, car le délai entre l’accumulation de risques systémiques et l’apparition de détresse financière est bien plus long que le délai associé au maintien de l’inflation sous contrôle.

Diverses objections sont habituellement avancées lorsque l’on suggère une action préventive de la banque centrale au cours du boom : les déséquilibres financiers ne pourraient être identifiés avec précision en temps réel, la politique monétaire serait un outil inefficace et aveugle, les instruments macroprudentiel seraient de meilleurs outils pour gérer les déséquilibres, etc. Si Borio juge ces objections fondées, il ne les trouve toutefois pas suffisamment convaincantes. Il estime en effet qu’il est n’est pas possible d’identifier l’accumulation de déséquilibres financiers en temps réel ; pour cela, il faut observer plus finement le comportement du crédit et des prix d’actifs. Les indicateurs de déséquilibres financiers ne sont pas plus flous et difficiles à mesurer que certains indicateurs déjà utilisés par les banques centrales, comme le taux d’intérêt naturel, le NAIRU ou la croissance potentielle. La prise en compte des premiers permettrait d’ailleurs de mieux déterminer ces derniers, comme ont pu le suggérer Claudio Borio, Piti Disyatat et Mikael Juselius (2013). Ensuite, on peut difficilement dire que la politique monétaire soit inefficace pour réfréner l’accumulation de déséquilibres financiers, puisqu’elle agit précisément sur l’économie en affectant le crédit, les prix d’actifs et la prise de risque. Enfin, Borio estime qu’il ne suffit pas d’utiliser les seuls outils prudentiels, car ceux-ci sont vulnérables à l’arbitrage réglementaire. 

Selon de nombreux économistes, les banques centrales doivent fortement et rapidement assouplir leur politique monétaire lorsque l’économie bascule dans la récession et la maintenir fortement accommodante tant que la reprise n’est pas confirmée. Or, pour Claudio Borio, une telle réaction des autorités monétaires apparaît inappropriée lors des récessions de bilan (balance sheet recessions), c’est-à-dire lors des récessions qui suivent les booms financiers. Les récessions de bilan sont particulièrement coûteuses, en ce sens qu’elles tendent à être plus longues, à mener à de plus faibles reprises et à laisser des pertes de production permanentes : la production peut certes croître à nouveau au même rythme qu’avant-crise, mais elle peut ne pas revenir à la trajectoire de long terme qu’elle suivait précédemment. Or, selon Borio, les banques centrales tendent peut-être finalement à accroître ces coûts macroéconomiques plutôt qu’à les atténuer. 

Lorsqu’une crise financière éclate, Claudio Borio reconnaît que la banque centrale doit intervenir pour jouer pleinement son rôle de prêteur en dernier ressort et éviter ainsi un effondrement du système. En revanche, le maintien d’une politique monétaire particulièrement accommodante ne permettra pas à l’économie de renouer avec une croissance soutenue si celle-ci subit une récession de bilan. En effet, lorsqu’elles assouplissent leur politique monétaire pour sortir l’économie d’une récession, les autorités monétaires cherchent précisément à stimuler la prise de risque, le crédit et les prix d’actifs. Or, lors d’une récession de bilan, ces derniers sont déjà initialement trop élevés. En considérant le surendettement comme un problème de contraintes sur la demande de crédit, Borio rejette par exemple les conclusions obtenues par Gauti Eggertsson et Paul Krugman (2012). Lors d’une récession de bilan, les agents réalisent que leurs anticipations étaient irréalistes et qu’ils se sont trop endettés, donc ils vont chercher à rembourser leurs prêts pour nettoyer leur bilan. Dans ce cas, la propension à dépenser n’est pas proche de l’unité, mais de zéro, si bien que la politique monétaire perd en efficacité. La reprise ne pourra être durable que si le nettoyage de bilan se poursuit jusqu’à son terme : plus la dette diminuera rapidement, plus la reprise sera soutenue. En revanche, si la banque centrale persiste à maintenir une politique monétaire excessivement accommodante, celle-ci dissimulera la faiblesse des bilans et amènera les autorités à surestimer la capacité des agents à rembourser dans des conditions normales. Et comme les agents privés ne sont pas incités à reconnaître l’ampleur de leurs pertes, la distribution de crédit risque d’être particulièrement inefficace : les banques reconduiront les prêts non performants, mais elles ne seront pas incitées à prêter aux agents solvables. Or non seulement les « banques zombies » freinent la reprise à court terme, mais elles nuisent également à la croissance de long terme en contraignant l’investissement et en déprimant la production potentielle. 

Selon Borio, trois risques sont susceptibles de se concrétiser si les banques centrales ne revoient pas leur politique monétaire. Premièrement, elles risquent de faire apparaître un « écart d’anticipations » (expectations gap) : il peut y avoir un décalage entre ce que les agents privés attendent des banques centrales et ce que ces dernières peuvent effectivement même en œuvre. Dans ce cas, comme la politique monétaire ne génère pas les résultats attendus, la banque centrale est appelée à prendre des mesures toujours plus audacieuses. Non seulement cela retarde la sortie de crise, mais la banque centrale risque aussi de perdre en crédibilité. Deuxièmement, Borio met l’accent sur le risque d’un enracinement de l’instabilité (entrenching instability), une forme particulièrement incidieuse d’incohérence temporelle. Si les autorités monétaires ne réagissent pas aux booms financiers, mais répondent par contre agressivement aux effondrements, leur marge de manœuvre risque de se réduire au fur et à mesure. Si une banque centrale (en particulier la Fed) assouplit sa politique monétaire pour sortir l’économie domestique de la récession, les autres banques centrales peuvent être incitées à faire de même, auquel cas le reste du monde risque d’accumuler des déséquilibres financiers [1]. Si ceux-ci se dénouent en provoquant une nouvelle crise financière, les pays qui n’ont pas su renouer avec la croissance suite à la précédente connaitront une nouvelle contraction de leur activité, ce qui réduira encore davantage la marge de manœuvre de leur banque centrale. Troisièmement, une nouvelle crise financière est susceptible de faire s’effondrer les configurations institutionnelles actuellement en place. Borio craint en l’occurrence un renversement de la mondialisation et l’abandon du ciblage d’inflation. En mettant en garde contre la tentation d’utiliser l’inflation et la répression financière pour réduire l’endettement des pays avancés, il rejette précisément aux propositions de Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff (2013).


[1] Ces enchaînements ont notamment été étudiés par Valentina Bruno et Hyun Song Shin (2012) à travers le concept de « canal de la prise de risque », ainsi que par Hélène Rey (2013) : celle-ci met en évidence l’existence d’un véritable cycle financier mondial qui enchaîne l’action des différentes banques centrales à celle de la Réserve fédérale américaine. 

 

Références

BORIO, Claudio (2014), « Monetary policy and financial stability: What role in prevention and recovery? », BRI, working paper, n° 440, janvier.

BORIO, Claudio, Piti DISYATAT & Mikael JUSELIUS (2013), « Rethinking potential output: embedding information about the financial cycle », BRI, working paper, n° 404, février.

BORIO, Claudio, William ENGLISH & Andrew FILARDO (2003), « A tale of two perspectives: old or new challenges for monetary policy? », BRI, working paper, n° 127, février. 

BRI (2013), 83ème rapport annuel, juin.

BRUNO, Valentina, & Hyun Song SHIN (2012), « Capital flows and the risk-taking channel of monetary policy », BRI, working paper, n° 400, décembre.

EGGERTSSON, Gauti B., & Paul KRUGMAN (2012), « Debt, deleveraging, and the liquidity trap: a Fisher-Minsky-Koo approach », in The Quarterly Journal of Economics, vol. 127, n° 3.

REINHART, Carmen M., & Kenneth S. ROGOFF (2013), « Financial and sovereign debt crises: Some lessons learned and those forgotten », FMI, working paper, décembre.

REY, Hélène (2013), « Dilemma not trilemma: the global financial cycle and monetary policy independence », article présenté lors du symposium organisé par la Réserve fédérale de Kansas City à Jackson Hole, 22-24 août.

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11 janvier 2014 6 11 /01 /janvier /2014 12:10

Depuis les années quatre-vingt-dix, les banques centrales ont adopté plus ou moins officiellement le ciblage d’inflation (inflation targeting) : elles annoncent une cible, c’est-à-dire un taux d’inflation (généralement 2 %), et assouplissent ou resserrent leur politique monétaire de manière à l’atteindre à moyen terme. En n’adoptant qu’un seul objectif et en s’y conformant, la banque centrale évite à ce que le taux d’inflation dérape en ancrant plus fermement les anticipations d’inflation. Pour certains, le ciblage d’inflation a contribué à ce que le taux d’inflation se stabilise à un faible niveau, précisément proche de 2 %, dans les pays avancés (bien que tous les économistes ne partagent pas cette interprétation). Cette pratique n’est toutefois pas sans rencontrer plusieurs critiques. Certains la jugent insuffisante pour garantir la stabilité des prix. D’autres estiment qu’un tel régime favorise l’endettement, la formation de bulles spéculatives et donc les crises financières (c’est notamment l’idée du paradoxe de la crédibilité développée par Claudio Borio au sein de la Banque des Règlements Internationaux). D’autres encore jugent que cibler un taux d’inflation de 2 % ne permet pas aux autorités monétaires de contrer efficacement des chocs de demande de grande ampleur, ce qui fut précisément le cas lors de la Grande Récession : au cours de celle-ci, les banques centrales ont ramené leur taux directeur au plus proche de zéro sans pour autant parvenir à rétablir le plein emploi. Si ces auteurs-ci ne préconisent pas forcément d’abandonner le ciblage d’inflation, ils suggèrent toutefois de relever le niveau ciblé (par exemple, 4 % au lieu de 2 %).

Si beaucoup de banquiers centraux et d’économistes jugent crucial à ce que les autorités monétaires ciblent une valeur nominale de manière à stabiliser plus efficacement les anticipations, tous ne s’accordent pas sur la variable ciblée, notamment pour les raisons que nous venons d’évoquer. Certains ont proposé à ce que les banques centrales ciblent, non pas un taux d’inflation, mais un niveau des prix : les banques centrales annoncent alors un niveau d’indice des prix et utilise ses instruments de politique monétaire de manière à l’atteindre à moyen terme [Kahn, 2009]. En effet, même si le ciblage d’inflation permet de stabiliser l’inflation, il n’amène toutefois pas les banques centrales à rattraper les années où elle n’a pas atteint sa cible et le futur niveau général des prix demeure incertain pour les agents. Le ciblage du niveau des prix permet alors de soulever cette incertitude, ce qui incite les entreprises et entreprises à davantage dépenser lorsque l’activité est déprimée et surtout à mieux gérer leurs investissements de long terme. Puisque l’environnement macroéconomique se caractérise actuellement par une très faible inflation, parvenir à générer des anticipations d’inflation positive permettrait de maintenir des taux d’intérêt négatifs et donc d’inciter les agents à investir davantage.

De leur côté, Scott Sumner et les partisans du monétarisme de marché (market monetarism) ont proposé à ce que les banques centrales adoptent le ciblage du PIB nominal (NGDP targeting). Par exemple, en cherchant une croissance du PIB nominal de 5 %, les autorités monétaires éviteraient à ce que l’économie connaisse une récession en termes nominaux et stimuleraient plus efficacement la demande globale. Si la banque centrale ne parvenait toutefois pas à générer une croissance nominale de 5 % au cours d’une année, elle pourra toujours rattraper son retard les années suivantes. Si par exemple la Fed avait ciblé le revenu nominal, elle aurait assoupli plus rapidement sa politique monétaire au début de la Grande Récession et déployé davantage de mesures non conventionnelles. Selon les partisans du ciblage de la production nominale, l’adoption de cette pratique permettrait également aux autorités monétaires de stimuler plus efficacement la reprise en permettant à l’économie de croître plus rapidement en sortie de récession et à la production nominale de rattraper sa trajectoire d’avant-crise. 

Beaucoup d’auteurs ont souligné qu’il est essentiel que la banque centrale s’engage fermement à atteindre sa cible pour mieux ancrer les anticipations et atteindre effectivement sa cible. L’engagement apparaît particulièrement crucial lorsque la banque centrale cherche à stabiliser l’activité face à un puissant choc de demande globale. Les nouveaux keynésiens Gauti Eggertsson et Michael Woodford (2003) suggèrent que la pratique du forward guidance permet aux banques centrales de sortir l’économie d’une trappe à liquidité. En effet, si la politique monétaire s’avère excessivement restrictive alors même que le taux directeur a déjà atteint sa borne inférieure zéro (zero lower bound), l’économie fait face à de perpétuelles pressions déflationnistes et s’éloigne continûment du plein emploi. La banque centrale peut alors s’engager à maintenir ses taux directeur à un faible niveau sur une période prolongée : en guidant ainsi les anticipations, elle incite les agents privés à investir, ce qui stimule l’activité. Surtout, elle peut s’engager aujourd’hui à maintenir des conditions extrêmement accommodantes même après que l’économie soit sortie de la trappe à liquidité : puisqu’ils anticipent un boom après la période où l’économie est dans une trappe à liquidité, les agents privés sont encore plus incités à investir dans la période courante.

Roc Armenter (2013) se montre bien pessimiste quant à l’efficacité du ciblage d’une variable nominale, quelle qu’elle soit. Il suffit que les anticipations ne s’accordent pas avec le niveau ciblé à un instant donné pour que les autorités monétaires ne parviennent pas à atteindre leur cible, or la présence de la borne du zéro pour les taux directeurs risque précisément de générer un tel décalage. En raison de la borne inférieure zéro, les anticipations d’inflation limitent la gamme possible de taux d’intérêts réels, ce qui limite par conséquent les niveaux d’inflation et de production que la banque centrale peut atteindre. Si les anticipations d’inflation sont très faibles, alors la banque centrale ne peut que pousser les agents privés à revoir leurs anticipations d’inflation et de production à la baisse lorsqu’elle augmente son taux directeur. L’option la moins coûteuse consiste alors pour les autorités monétaires de valider les anticipations des agents privés, auquel cas les équilibres multiples apparaissent. 

Si la banque centrale a adopté le ciblage d’inflation, il n’y a pas d’équilibre unique. Il existe un bon équilibre où l’inflation et la production fluctuent autour de leur cible ; si l’économie fait face à un puissance choc de demande, la banque centrale peut assouplir sa politique monétaire, si bien que le taux directeur n’est que très rarement contraint par la borne inférieure zéro. Mais l’économie peut également se retrouver à un mauvais équilibre où le taux directeur reste bloqué à la borne du zéro et où le taux d’inflation ne cesse pourtant de s’éloigner de sa cible. La banque centrale ne parvient alors pas à ancrer les anticipations et celles-ci demeurent pessimistes : l’économie est enfermée dans une trappe à anticipations (expectations trap). Le ciblage du niveau des prix a beau introduire une variable d’état endogène, en l’occurrence le niveau des prix ou bien son écart par rapport à une trajectoire prédéterminée, l’économie fait toujours face à des équilibres multiples : à un bon équilibre, la banque centrale parvient à maintenir le niveau des prix à la cible ou sur la trajectoire ciblée ; au mauvais équilibre, le taux directeur se retrouve rapidement et durablement à sa borne zéro sans pour autant que les autorités monétaires parviennent à désamorcer la spirale déflationniste : le niveau général des prix chute continûment, s’éloignant sans cesse de sa cible et entretenant ainsi les anticipations pessimistes des agents. L’auteur trouve les mêmes résultats en ce qui concerne le ciblage de la production nominale. 

Surtout, Armenter n’est pas convaincu par l’efficacité de la stratégie de forward guidance en situation de trappe à liquidité. L’engagement à laisser les taux directeurs à un faible niveau bien plus longtemps que l’exigent les conditions macroéconomiques ne permet pas forcément de sortir l’économie d’une trappe à liquidité. A un équilibre déflationniste, les agents privés anticipent déjà un maintien du taux directeur à un faible niveau, si bien que cette forme de forward guidance ne fait que valider ces anticipations et maintient l’économie à ce mauvais équilibre. 

 

Références

ARMENTER, Roc (2013), « The perils of nominal targets », Federal Reserve Bank of Philadelphia, working paper, 10 décembre.

EGGERTSSON, Gauti, & Michael WOODFORD (2003), « The zero bound on interest rates and optimal monetary policy », in Brookings Papers on Economic Activity, vol. 1/2003.

KAHN, George A. (2009), « Beyond inflation targeting: Should central banks target the price level? », in Federal Reserve Bank of Kansas Economic Review, troisième trimestre.

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