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30 mai 2021 7 30 /05 /mai /2021 16:06
Les anticipations d’inflation des entreprises sont-elles bien ancrées ?

Depuis l’allocution de Milton Friedman (1968), qui les supposait adaptatives, et surtout depuis les travaux des nouveaux classiques, par exemple ceux de Thomas Sargent et Neil Wallace (1975), qui les supposaient rationnelles, la littérature académique met tout particulièrement en avant le rôle des anticipations d’inflation dans la dynamique de l’inflation, mais aussi bien d'autres phénomènes macroéconomiques comme le cycle d’affaires et le chômage [Kose et alii, 2019]. L'idée de base est reconnue depuis longtemps : les entreprises sont d’autant plus incitées à relever leurs prix (et à réduire leur production et l’emploi) qu’elles s’attendent à ce que leurs coûts de production augmentent. 

Pour stabiliser les prix, cette littérature souligne la nécessité pour les banques centrales d’ancrer les anticipations d’inflation. Certains, en premier lieu les banquiers centraux eux-mêmes, considèrent que la plus grande crédibilité qu’ils ont acquise depuis les années quatre-vingt a joué un rôle déterminant dans la désinflation observée ces quatre dernières décennies : en signalant leur engagement à assurer la stabilité des prix, les banques centrales auraient contribué à ancrer les anticipations d’inflation à un faible niveau, ce qui aurait permis de ramener et de maintenir l’inflation à un niveau faible et stable ; et le maintien de l’inflation à un niveau faible et stable aurait contribué en retour à mieux ancrer les anticipations d'inflation à un faible niveau. Ces derniers mois, c’est précisément le risque d’un désancrage des anticipations d’inflation que certains mettent en avant pour évoquer le scénario d’un dérapage imminent de l’inflation, en particulier aux Etats-Unis avec l'adoption d'amples plans de relance par l'administration Biden [Blanchard, 2021 ; Gopinath, 2021 ; Summers, 2021].

Les autorités auraient également intérêt à jouer sur les anticipations d’inflation pour stabiliser l’activité économique. Certains estiment que la reprise suite à la Grande Dépression ne s’est vraiment amorcée que lorsque les anticipations d’inflation ont été révisées à la hausse [Eggertsson, 2008 ; Jalil et Rua, 2015]. En effet, pour des taux d’intérêt nominaux donnés, un relèvement des anticipations d’inflation se traduit par une baisse des taux d’intérêt réels, ce qui devrait notamment stimuler l’emprunt et l’investissement. En amenant les entreprises et les ménages à relever leurs anticipations d'inflation, les banques centrales pourraient rendre leur politique monétaire davantage accommodante, et ce même si leurs taux directeurs butent sur leur borne inférieure. En l'occurrence, lorsque l'économie est piégée dans une trappe à liquidité, Paul Krugman (1998) et Gauti Eggertsson et Michael Woodford (2003) ont suggéré à ce que la banque centrale annonce qu’elle maintiendra sa politique monétaire accommodante plus longtemps que nécessaire, c'est-à-dire qu'elle ne la resserrera pas immédiatement une fois la reprise amorcée : si les entreprises anticipent un boom dans le futur, cela devrait les inciter à investir dès la période courante, donc accélérer la reprise de l’activité. Si les banques centrales n’ont pas adopté une telle stratégie, elles ont toutefois cherché depuis la crise financière mondiale à mieux communiquer leurs prévisions quant à leurs mesures futures, notamment la trajectoire probable de leurs taux directeurs : c'est l'idée de forward guidance.

Malgré la grande importance donnée par les économistes et les banquiers centraux aux anticipations d’inflation, notamment pour la conduite de la politique monétaire, peu d’enquêtes se sont vraiment penchées sur celles-ci, mais des progrès ont été réalisés ces dernières années dans ce domaine. 

Bernardo Candia, Olivier Coibion et Yuriy Gorodnichenko (2021) viennent justement de s’appuyer sur une nouvelle enquête menée auprès des entreprises américaines depuis 2018. Ils constatent tout d’abord que les entreprises tendent en moyenne à anticiper une inflation supérieure à celle qui est observée en moyenne et qu’elles sont loin d’être unanimes dans leurs anticipations. En l’occurrence, les entreprises sont en désaccord non seulement pour l’évolution des prix à très court terme, par exemple pour l’année ultérieure, mais aussi pour l’évolution des prix sur des horizons temporels supérieurs à cinq ans. Ces désaccords et le fait que la plupart des entreprises prédisent des niveaux d’inflation à long terme bien différents des 2 % ciblés par la Réserve fédérale amènent Candia et ses coauteurs à conclure que les anticipations d’inflation des entreprises sont tout sauf ancrées. 

Cela semble tout d’abord s’expliquer par l'inattention des chefs d’entreprise vis-à-vis de la politique monétaire : la plupart d’entre eux ne connaissent pas la cible d’inflation de la Fed. En effet, Candia et ses coauteurs notent que moins de 20 % des chefs d’entreprise identifient les 2 % d’inflation comme étant la cible poursuivie par la banque centrale américaine. Près des deux tiers des chefs d’entreprise ne tentent même pas de deviner quelle pourrait être cette cible ; et parmi ceux qui tentent, moins de la moitié d’entre eux pensent qu’elle se situe entre 1,5 et 2,5 %. Le manque d’ancrage des anticipations d’inflation des entreprises s’explique également par l’inattention des entreprises vis-à-vis de l’évolution récente de l’inflation : les chefs d’entreprise n’ont qu’une vague idée de ce qu'a été l'inflation au cours des douze mois précédents, alors que les chiffres de l’inflation sont facilement et gratuitement disponibles. 

Ces constats rejoignent ceux d’autres études, portant sur les ménages et observant que ces derniers sont peu informés quant à la politique monétaire et qu’ils comprennent mal celle-ci [Binder, 2017]. Toutes ces études ne concluent toutefois pas que les anticipations d’inflation ne jouent aucun rôle, ni que la politique monétaire s’avère inefficace ; en fait, il est possible que ce soit parce que l’inflation est faible et stable que les entreprises et ménages ne prêtent pas attention à l’inflation. Par contre, elles amènent à douter que la politique monétaire influence les ménages et les entreprises via le canal des anticipations. Autrement dit, les banques centrales ne devraient guère compter sur l'idée de jouer sur les anticipations d’inflation des ménages et des entreprises pour influencer l’activité économique et l’inflation [Coibon et alii, 2020].

 

Références

BINDER, Carola (2017), « Fed speak on Main Street: Central bank communication and household expectations », in Journal of Macroeconomics, vol. 52.

BLANCHARD, Olivier (2021), « In defense of concerns over the $1.9 trillion relief plan », in PIIE, Realtime Economic Issues Watch (blog), 18 février.

CANDIA, Bernardo, Olivier COIBION & Yuriy GORODNICHENKO (2021), « The inflation expectations of U.S. firms: Evidence from a new survey », IZA, discussion paper, n° 14378.

COIBION, Olivier, Yuriy GORODNICHENKO, Saten KUMAR & Mathieu PEDEMONTE (2020), « Inflation expectations as a policy tool? », in Journal of International Economics.

EGGERTSSON, Gauti B. (2008), « Great expectations and the end of the Depression », in American Economic Review, vol. 98, n° 4.

EGGERTSSON, Gauti B., & Michael WOODFORD (2003), « The zero bond on interest rates and optimal monetary policy », in Brookings Papers on Economic Activity, n° 1.

GOPINATH, Gita (2021), « Structural factors and central bank credibility limit inflation risks », 19 février.

JALIL, Andrew, & Gisela RUA (2015), « Inflation expectations and recovery from the Depression in 1933: Evidence from the narrative record », Réserve fédérale, working paper.

KOSE, M. Ayhan, Hideaki MATSUOKA, Ugo PANIZZA & Dana VORISEK (2019), « Inflation expectations: Review and evidence », CEPR, discussion paper, n° 13601.

KRUGMAN, Paul (1998), « It’s baaack: Japan’s slump and the return of the liquidity trap », in Brookings Papers on Economic Activity, n° 2.

SARGENT, Thomas, & Neil WALLACE (1975), « ‘Rational’ expectations, the optimal monetary instrument, and the optimal money supply rule », in Journal of Political Economy, vol. 83, n° 2.

SUMMERS, Lawrence (2021), « The inflation risk is real », 24 mai.

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3 mars 2021 3 03 /03 /mars /2021 17:52
De la stagflation à la Grande Inflation, ou comment le regard des économistes sur les années 1970 a changé

Ces dernières semaines, le plan de relance proposé par l'administration Biden a alimenté un débat houleux parmi les économistes outre-Atlantique. Certains, notamment Olivier Blanchard (2021), jugent cette relance excessive, en l'occurrence ils craignent qu'elle alimente l'inflation en poussant la production bien au-delà de son potentiel et que les anticipations d'inflation cessent d'être ancrées à un faible niveau, entraînant un véritable emballement de l'inflation que la banque centrale saurait difficilement maîtriser. Ce qu'ils redoutent en définitive, c'est que l'économie américaine connaisse la même « Grande Inflation » qu'au cours des années soixante-dix (cf. graphique). Le débat sur l'opportunité pour l'administration Biden d'adopter sa relance budgétaire s'est ainsi cristallisé sur le comportement de l'inflation [Gopinath, 2021].

GRAPHIQUE  Taux de chômage et taux d’inflation aux Etats-Unis (en %)

De la stagflation à la Grande Inflation, ou comment le regard des économistes sur les années 1970 a changé

source : FRED

L'épisode inflationniste des années soixante-dix a précisément marqué une grande rupture dans l’histoire de la pensée économique. Les décennies qui avaient immédiatement suivi la Seconde Guerre mondiale ont été celles d’un keynésianisme triomphant : les théories orthodoxes dominantes s’inspiraient des idées de Keynes et les autorités en charge de la politique économique adoptaient des politiques actives de gestion de la demande pour stabiliser l’activité économique. S’appuyant sur les travaux de Phillips, les keynésiens orthodoxes évoquèrent la possibilité d’arbitrer dans une certaine mesure entre inflation et chômage : c’est la courbe de Phillips [Samuelson et Solow, 1960]. Celle-ci semblait leur offrir l'« équation manquante » pour boucler leur construction théorique, si bien qu'ils l'adoptèrent dans leurs modélisations.

La « stagflation » des années soixante-dix mit un terme à la domination keynésienne : les pays développés faisaient alors simultanément face à une accélération de l’inflation et à une hausse du taux de chômage. Selon le récit que nous en faisons aujourd’hui, non seulement les politiques d’inspiration keynésienne ont été tenues responsables de cette situation, mais cette dernière révélait également les insuffisances de la macroéconomie keynésienne, notamment en jetant le discrédit sur la courbe de Phillips. Sur le plan théorique, ce sont tout d’abord les monétaristes, regroupés autour de Milton Friedman, qui remirent en cause les idées des keynésiens orthodoxes, mais pour autant ils partageaient fondamentalement le même cadre théorique que ces derniers. La révolution méthodologique a surtout été menée par les nouveaux classiques, avec Robert Lucas comme chef de file, puis poursuivie par les théoriciens des cycles d’affaires réels (real business cycles), notamment Finn Kydland et Edward Prescott. Les nouveaux keynésiens acceptèrent leur méthodologie et adoptèrent notamment les anticipations rationnelles, si bien que les années quatre-vingt-dix avaient laissé suggérer l’émergence d’une « nouvelle synthèse néoclassique » [Goodfriend et King, 1997] : la majorité des macroéconomistes orthodoxes n’aboutissaient peut-être pas aux mêmes conclusions, notamment en termes de politique économique, mais ils utilisaient les mêmes outils, le même « langage ».

Plusieurs travaux, notamment d’histoire de la pensée économique, ont nuancé, voire remis en cause, ce récit. Par exemple, James Forder (2014) a souligné l’ambivalence de la relation que les keynésiens ont pu entretenir avec la courbe de Phillips, tandis que Simon Wren-Lewis (2014a, 2014b) et Aurélien Goutsmedt (2017) ont montré que les innovations méthodologiques proposées par les nouveaux classiques n’ont pas forcément été adoptées parce qu’elles offraient une meilleure explication de la stagflation. Poursuivant ce travail, Goutsmedt (2020) vient d'étudier comment le regard des économistes sur les causes de la stagflation a pu changer au fil du temps : il a compilé tous les articles et livres qui cherchaient à expliquer cet épisode, ainsi que leurs références, pour ensuite déterminer quelles interprétations ont pu prévaloir en chaque point du temps et sur quelles références elles se sont appuyées.

Les travaux qui ont lancé la révolution méthodologique lors des années soixante-dix, notamment ceux de Friedman (1958), de Lucas (1976) et de Kydland et Prescott (1977), mettaient l’accent sur les chocs monétaires pour expliquer l’inflation. Or, Goutsmedt note qu’ils ont peu été mobilisés lors des années soixante-dix pour expliquer la stagflation qui sévissait alors aux Etats-Unis. Selon les interprétations qui dominaient à l’époque, la stagflation avait été provoquée par des chocs d’offre, notamment la hausse des prix des matières premières et le ralentissement de la croissance de la productivité. Les interprétations les plus influentes comprennent notamment celles développées par Robert Gordon (1975a, 1975b, 1977a), George Perry (1978), Edmund Phelps (1978), Alan Blinder (1979) ou encore Jeffrey Sachs (1979). L’intérêt des économistes pour l’épisode de la stagflation s’essouffle au milieu des années quatre-vingt, peut-être précisément parce que l’interprétation par les chocs d’offre semblait satisfaisante.

Cet intérêt se ravive à la fin des années quatre-vingt, notamment avec les publications de Brad DeLong (1997) et de Thomas Sargent (1999). Celles-ci marquent en outre un tournant dans l’interprétation des causes de la stagflation. S’éloignant de celles qui prédominaient dans les années soixante-dix et quatre-vingt, les interprétations qui sont désormais privilégiées insistent sur les erreurs commises par la Fed et plus largement sur l’inadéquation de la politique économique et sur les déficiences du cadre institutionnel, tandis que la question du chômage est finalement reléguée en second plan. Goutsmedt note incidemment que ce changement de focal s’accompagne d’ailleurs d’un glissement sémantique : les économistes n’utilisent plus le terme de « stagflation », mais celui de « Grande Inflation » (Great Inflation), pour qualifier l’épisode des années soixante-dix.

Les travaux qui étaient les plus cités au cours des années soixante-dix et quatre-vingt pour expliquer la stagflation le sont désormais rarement. Par contre, les analyses de Friedman (1968), de Lucas (1976), de Kydland et Prescott (1977) et de Robert Barro et David Gordon (1983), qui mettent l’accent sur les problèmes de cohérence temporelle, deviennent des références centrales pour évoquer cette décennie. Autrement dit, les travaux des nouveaux classiques ont beau avoir bouleversé la méthodologie en macroéconomie dès les années soixante-dix, leur interprétation de l’inflation mit par contre plusieurs décennies pour gagner en popularité. En outre, Goutsmedt souligne que celle-ci est devenue dominante sans réellement avoir eu à se confronter aux interprétations qui dominaient jusqu’au milieu des années quatre-vingt.

Les économistes qui se sont penches depuis les années quatre-vingt-dix sur l’épisode de la stagflation partagent un cadre commun : par exemple, ils mettent l’accent sur la politique monétaire et les anticipations, ont les mêmes références et utilisent fréquemment la règle de Taylor ou la courbe de Phillips des nouveaux keynésiens. Pour autant, Goutsmedt note qu’une véritable ligne de fracture sépare les économistes en deux camps, ce qui l’amène d’ailleurs à douter que l’évocation d’une « nouvelle synthèse néoclassique » décrive une réelle convergence entre les différents macroéconomistes orthodoxes. D’un côté, certains considèrent que les leçons de la stagflation ont été retenues et estiment qu’un tel épisode ne devrait guère se répéter : c’est le cas de Christina et David Romer et, dans une moindre mesure, de Brad DeLong. Selon eux, le dérapage de l’inflation dans les années soixante-dix s’explique essentiellement par la croyance erronée de la Fed en un arbitrage entre inflation et chômage à long terme, mais ils estiment que la banque centrale s’est bien défaite de cette croyance. De l’autre, certains jugent un épisode inflationniste semblable à celui des années soixante-dix comme encore tout à fait possible : par exemple, pour Thomas Sargent, la Fed n’a pas su prendre en compte la critique de Lucas ; d’autres estiment que le double mandat de la banque centrale américaine l’expose à des problèmes de cohérence temporelle, etc.

 

Références

BARRO, Robert J., & David B. GORDON (1983), « A positive theory of monetary policy in a natural rate model », in Journal of Political Economy, vol. 91, n° 4.

BLANCHARD, Olivier (2021), « In defense of concerns over the $1.9 trillion relief plan », in PIIE, Realtime Economic Issues Watch (blog), 18 février.

BLINDER, Alan S. (1979), Economic Policy and the Great Stagflation, Academic Press.

BRUNO, Michael, & Jeffrey D. SACHS (1985), Economics of Worldwide Stagflation, NBER.

DELONG, J. Bradford (1997), « America’s Peacetime Inflation: The 1970s », in Christina & David ROMER (dir.), Reducing Inflation. Motivation and Strategy, University of Chicago Press.

GOODFRIEND, Marvin, & Robert G. KING (1997), « The new neoclassical synthesis and the role of monetary policy », in NBER Macroeconomics Annual 1997, vol. 12.

FORDER, James (2014), Macroeconomics and the Phillips Curve Myth, Oxford University Press.

FRIEDMAN, Milton (1968), « The role of monetary policy », in American Economic Review, vol. 58, n° 1.

GOPINATH, Gita (2021), « Structural factors and central bank credibility limit inflation risks », FMI, 19 février.

GORDON, Robert J. (1975a), « Alternative responses of policy to external supply shocks », in Brookings Papers on Economic Activity, vol. 1975, n° 1.

GORDON, Robert J. (1975b), « The impact of aggregate demand on prices », in Brookings Papers on Economic Activity, vol. 1975, n° 3.

GORDON, Robert J. (1977), « Can the inflation of the 1970s be explained? », in Brookings Papers on Economic Activity, vol. 1977, n° 1.

GOUTSMEDT, Aurélien (2017), « Stagflation and the crossroad in macroeconomics: The struggle between structural and New Classical macroeconometrics », Centre d’économie de la Sorbonne, document de travail, n° 2017.43.

GOUTSMEDT, Aurélien (2020), « From the stagflation to the Great Inflation: Explaining the US economy of the 1970s ».

GOUTSMEDT, Aurélien, & Goulven RUBIN (2018), « Robert J. Gordon and the introduction of the natural rate hypothesis in the Keynesian framework », in History of Economic Ideas, vol. 26, n° 3.

KYDLAND, Finn E., & Edward C. PRESCOTT (1977), « Rules rather than discretion: The inconsistency of optimal plans », in Journal of Political Economy, vol. 85, n° 3.

LUCAS, Robert E. (1972), « Expectations and the neutrality of money », in Journal of Economic Theory, vol. 4, n° 2.

LUCAS, Robert E. (1976), « Econometric policy evaluation: A critique », Carnegie-Rochester Conference Series on Public Policy, vol. 1.

PERRY, George L. (1978), « Slowing the wage-price spiral: The macroeconomic view », in Brookings Papers on Economic Activity, vol. 1978, n° 2.

PHELPS, Edmund S. (1978), « Commodity-supply shock and full-employment monetary policy », in Journal of Money, Credit and Banking, vol. 10, n° 2.

PHILLIPS, Albin William (1958), « The relation between unemployment and the rate of change of money wage rates in the United Kingdom, 1861–1957 », in Economica, vol. 25, n° 100.  

SACHS, Jeffrey D. (1979), « Wages, profits, and macroeconomic adjustment: A comparative study », in Brookings papers on economic activity, vol. 1979, n° 2.

SAMUELSON, Paul A. & Robert M. SOLOW (1960), « Problem of achieving and maintaining a stable price level: Analytical aspects of anti-inflation policy », in American Economic Review, vol. 50, n° 2.

SARGENT, Thomas J. (1999), The Conquest of American Inflation, Princeton University Press.

WREN-LEWIS, Simon (2014a), « Understanding the New Classical revolution », in Mainly Macro (blog), 28 juin.

WREN-LEWIS, Simon (2014b), « Rereading Lucas and Sargent 1979 », in Mainly Macro (blog), 11 juillet.

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2 septembre 2016 5 02 /09 /septembre /2016 16:07

Depuis les années quatre-vingt, les taux d’inflation ont eu tendance à être plus faibles et plus stables, en particulier dans les pays développés. Autrement dit, après la forte inflation des années soixante-dix, l’économie mondiale connaît une longue désinflation et cette dernière semble toujours se poursuivre. En principe, on s’attendrait à ce que l’inflation, dans un pays donné, s’accélère lorsque les capacités de production domestiques sont plus grandement utilisées ou bien lorsque les coûts de production domestiques augmentent. Or beaucoup ont observé que l’inflation de chaque pays tendait à être de moins en moins sensible à l’utilisation aux capacités de production domestiques, à l’évolution du taux de chômage nationale et aux variations des coûts de production domestiques. En l’occurrence, certains notent que la courbe de Phillips aurait eu tendance à s’aplatir au cours du temps. Plusieurs économiques ont suggéré que l’ouverture croissante des pays au commerce extérieure et l’intensification de la concurrence internationale avaient contribué à ce que l’inflation soit de moins en moins sensible aux facteurs domestiques, mais aussi par là même à réduire et à stabiliser les taux d’inflation (1). Par exemple, les pays développés ont vu la part des biens et services importés dans leur économie augmenter, alors même que les produits fabriqués dans les pays émergents à bas coûts (comme la Chine) prenaient une place de plus en plus importante parmi ces mêmes importations, ce qui permit aux résidents des pays développés de bénéficier de produits moins chers, donc de réduire les pressions inflationnistes.

Si l’inflation domestique s’expliquait effectivement davantage par les facteurs mondiaux, cela aurait de profondes implications pour la conduite de la politique monétaire. D’un côté, si les banques centrales cherchent toujours à cibler un faible taux d’inflation, elles auraient peut-être davantage à observer les mesures mondiales et non plus domestiques de l’utilisation des capacités de production, du chômage et des coûts de production. D’un autre côté, si l’inflation est moins sensible aux dynamiques nationales et notamment aux décisions des banques centrales, ces dernières ont moins de latitude pour stabiliser le taux d’inflation domestique, sauf en réagissant plus agressivement. Elles auraient à resserrer plus fortement leur politique monétaire pour réduire l’inflation d’une certaine ampleur. Par conséquent, plus grand est le risque qu’elles provoquent une récession en luttant contre l’inflation. Par contre, les banques centrales ont aussi davantage de latitude pour stimuler l’activité économique et réduire le chômage sans entraîner par là même un dérapage de l’inflation. Si c’est le cas, cela pourrait justifier un changement dans le mandat des banques centrales ; ces dernières pourraient ne plus avoir à privilégier la stabilisation de l’inflation, mais par exemple la stabilisation de l’activité économique et le maintien de l’économie au plein emploi.

D’un côté, plusieurs études ont souligné que l’écart de production (output gap) mondial jouait un rôle déterminant dans l’inflation nationale. Par exemple, en estimant la courbe de Phillips d’une quinzaine de pays développés, Claudio Borio et Andrew Filardo (2007) ont constaté que les indicateurs de faiblesse économique mondiale ajoutaient un considérable pouvoir explicatif aux équations d’inflation en ce qui concerne les pays développés, mais aussi que le rôle des facteurs mondiaux dans l’inflation s’est accru au cours du temps. Fabio Milani (2009) confirme l’importance de l’écart de production mondiale pour expliquer l’inflation étasunienne après 1985. Par contre, Jane Ihrig, Steven Kamin, Deborah Lindner et Jaime Marquez (2010) estiment que les capacités excessives étrangères ont peu ou pas d’effets sur l’inflation étasunienne. De son côté, en étudiant les données trimestrielles de la zone euro sur la période comprise entre 1979 et 2003, Alessandro Calza (2008) trouve peu de preuves empiriques suggérant que les contraintes de capacité mondiales aient soit un pouvoir explicatif, soit un pouvoir prédictif pour l’inflation dans la zone euro.

Un autre pan de la littérature a abordé la question sous un angle différent et en a conclut que que l’inflation doit être modélisée comme un phénomène davantage mondial que national, tout du moins en ce qui concerne les pays développés. Par exemple, Matteo Ciccarelli et Benoît Mojon (2010) se sont focalisé sur la composante des taux d’inflation nationaux qui est commune à 22 pays développés. Ils ont constaté que cette composante commune expliquait près de 70 % de leur variance. Ils notent ensuite que les modèles incluant une mesure de l’inflation mondiale permettent généralement d’obtenir de meilleures prévisions d’inflation nationale. De leur côté, Christopher Neely et David Rapach (2011) ont décomposé les taux d’inflation de 64 pays en composantes mondiales, régionales et nationales. Ils estiment que les composantes mondiale et régionale expliquent en moyenne 35 % et 16 % de la variation annuelle de l’inflation, si bien que les facteurs internationaux expliqueraient plus de la moitié de la variabilité de l’inflation. Haroon Mumtaz et Paolo Surico (2012) constatent que les conditions spécifiques à chaque pays expliquaient l’accroissement de la volatilité de l’inflation à la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt, mais que la contribution mondiale à la variance de l’inflation est devenue de plus en plus important que les contributions nationales depuis les années quatre-vingt-dix. Filipo Ferroni et Benoît Mojon (2016) ont constaté que l’inflation mondiale permettait de mieux prévoir le taux d’inflation des Etats-Unis, de la zone euro et de la plupart des économies du G7 sur les quatre prochains trimestres. La faiblesse actuelle de l’inflation s’expliquerait par la faiblesse de la demande globale, aussi bien au niveau domestique qu’au niveau mondial.

Irena Mikolajun et David Lodge (2016) se sont aussi récemment interrogés sur les dimensions mondiales de l’inflation dans les pays développés. En l’occurrence, ils ont estimé les courbes de Phillips de 19 pays développés pour déterminer l’ampleur par laquelle les facteurs mondiaux contribuent aux dynamiques de l’inflation. A l’exception du rôle des prix des matières premières, leurs résultats soutiennent peu l’idée que les facteurs mondiaux aient joué un plus grand rôle dans les dynamiques d’inflation nationales. Tout d’abord, ils constatent que les mesures de faiblesse de l’activité mondiale sont rarement significatives dans les estimations de la courbe de Phillips standard. D’autre part, ils constatent que les mesures de l’inflation mondiales aidaient à prévoir les taux d’inflation nationaux durant les années soixante-dix et quatre-vingt, lorsqu’il y avait une forte variation de l’inflation tendancielle, mais qu’elles se sont révélées moins pertinentes à partir du milieu des années quatre-vingt-dix, lorsque l’inflation est devenue plus faible et plus stable. Ils confirment l’idée selon laquelle les modèles qui incluent une mesure de l’inflation mondiale améliorent les prévisions d’inflation mondiale. Cependant, c’est seulement le cas pour les modèles estimés dans les décennies qui suivent 1970. Pour les estimations concernant la période après les années quatre-vingt-dix, lorsque l’inflation a eu tendance à devenir plus stable, ils estiment que la prise en compte de l’inflation mondiale dans les modèles de prévision est moins pertinente. Globalement, leurs résultats suggèrent qu’à l’exception des prix des matières premières il y a peu de raisons d’inclure les facteurs mondiaux dans les courbes de Phillips traditionnelles.

 

(1) Certains n’ont pas manqué de proposer une seconde explication, complémentaire à la première, en suggérant que la stabilisation de l’inflation à un faible niveau pouvait s’expliquer par la plus grande crédibilité que les autorités monétaires ont su acquérir depuis les années quatre-vingt : en convainquant de leur détermination à lutter contre l’inflation, les banques centrales auraient gagné en crédibilité et elles auraient ancré plus facilement les anticipations d’inflation à un faible niveau.

 

Références

BORIO, Claudio E. V., & Andrew FILARDO (2007), « Globalisation and inflation: New cross-country evidence on the global determinants of domestic inflation », BRI, working paper, n° 227.

CALZA, Alessandro (2008), « Globalisation, domestic inflation and global output gaps: Evidence from the euro area », BCE, working paper, n° 890.

CICCARELLI, Matteo, & Benoît MOJON (2010), « Global inflation », in The Review of Economics and Statistics, vol. 92, n° 3.

FERRONI, Filippo, & Benoît MOJON (2014), « Domestic and global inflation », document de travail non publié.

FMI (2013), « The dog that didn’t bark: Has inflation been muzzled or was it just sleeping? », in World Economic Outlook: Hopes, Realities, Risks, chapitre 3, avril. 

IHRIG, Jane, Steven B. KAMIN, Deborah LINDNER & Jaime MARQUEZ (2010), « Some simple tests of the globalization and inflation hypothesis », in International Finance, vol. 13, n° 3.

MIKOLAJUN, Irena, & David LODGE (2016), « Advanced economy inflation: the role of global factors », BCE, working paper, n° 1948.

MILANI, Fabio (2009), « Does global slack matter more than domestic slack in determining U.S. inflation? », in Economic Letters, vol. 102, n° 3.

MUMTAZ, Haroon, & Paolo SURICO (2012), « Evolving international inflation dynamics: World and country-specific factors », in Journal of the European Economic Association, vol. 10, n° 4.

NEELY, Christopher J., & David E. RAPACH (2011), « International comovements in inflation rates and country characteristics », in Journal of International Money and Finance, vol. 30, n° 7.

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