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14 septembre 2014 7 14 /09 /septembre /2014 21:55

La population vieillit rapidement dans plusieurs pays développés, en particulier en Allemagne et au Japon. Or ce vieillissement démographique affecte plusieurs variables macroéconomiques. Il réduit le taux d’activité et par conséquent la croissance potentielle. Il se traduit par une hausse des dépenses publiques dans les soins de santé et dans le système de retraite, si bien qu'il détériore les finances publiques et incite les autorités publiques à resserrer la politique budgétaire pour préserver la soutenabilité de la dette publique. Parce que le vieillissement démographique est susceptible d’accroître l’épargne (l’offre de fonds prêtables) et de pénaliser la demande globale, plusieurs auteurs le relient à la faiblesse des taux d’intérêt réels et à la stagnation séculaire. L’impact que le vieillissement démographique est susceptible d’avoir sur la dynamique de l’inflation a par contre été très peu étudié. Si le vieillissement déprime la demande globale, il devrait alors générer par là même des pressions déflationnistes. Hideki Konishi et Kozo Ueda (2013) ont ainsi confirmé qu’il existait une corrélation négative entre l’inflation et le vieillissement dans les pays développés.

Derek Anderson, Dennis Botman et Ben Hunt (2014) ont récemment exploré le lien entre le vieillissement démographique et l’inflation en se penchant précisément sur le cas du Japon. Avec l’allongement significatif de la longévité de ses résidents et la faiblesse de ses flux d’immigration, le Japon est le pays qui vieillit le plus rapidement au monde. L’espérance de vie est la plus élevée au monde, la population en âge de travailler commença à décliner au début des années quatre-vingt-dix et les baby boomers (en particulier les individus nés entre 1947 et 1949) ont commencé à prendre leur retraite en 2007. La population âgée va continuer de s’accroître, alors même que le taux de fertilité a significativement diminué au cours des dernières décennies. Le vieillissement va aggraver des perspectives de croissance déjà bien pessimistes : le Japon connaît une véritable stagnation de son activité depuis l’éclatement des bulles boursière et immobilière au début des années quatre-vingt-dix. Il est par ailleurs intéressant de noter que le ralentissement de la croissance nippone est synchrone avec le déclin de sa population active. En outre, le Japon se caractérise déjà par un niveau de dette particulièrement élevé et le vieillissement de sa population ne fera qu’alourdir ce fardeau budgétaire.

Les trois auteurs constatent que le vieillissement démographique génère principalement des pressions déflationnistes en freinant la croissance économique et en modifiant les prix relatifs. La désépargne des personnes âgées aggrave les choses, dans la mesure où elle entraîne une appréciation du taux de change réel avec le rapatriement des actifs détenus à l’étranger. En outre, comme le vieillissement démographique pèse sur les finances publiques et nécessite par conséquent une consolidation budgétaire, cette consolidation en accroît les répercussions déflationnistes en détériorant la demande globale.

Derek Anderson et ses coauteurs suggèrent que ces effets déflationnistes associés au vieillissement sont susceptibles d’être contrés par un puissant assouplissement de la politique monétaire. Cette recommandation souffre de deux limites. D’une part, l’exemple même du Japon montre qu’il est difficile pour les autorités monétaires de combattre la déflation. L’économie insulaire peine à sortir de la trappe déflationniste dans laquelle elle a basculé au cours des années quatre-vingt-dix et le vieillissement démographique ne ferait qu’aggraver la situation. Au cours des dernières décennies, la Banque du Japon a pourtant assoupli à plusieurs reprise sa politique monétaire et adopté diverses mesures « non conventionnelles », notamment des achats d’actifs à grande échelle, sans que cela suffise pour relever les anticipations d’inflation et restaurer la stabilité des prix. Le déploiement de la première flèche de l’abenomics (qui consiste pour la banque centrale à accroître significativement son bilan via des achats actifs) semble avoir stimulé les hausses de prix, mais l’objectif d’une inflation à 2 % ne semble pas encore assuré. On peut toutefois suggérer que les difficultés du Japon à sortir de la déflation tiennent non pas à la faiblesse des diverses mesures de relance monétaire, mais bien au retard dans leur mise en œuvre : dans les années quatre-vingt-dix, la Banque du Japon a véritablement tardé à réagir face à l’éclatement des bulles spéculatives et au ralentissement des prix, laissant l’économie nippone se retrouver finalement piégée dans la déflation.

D’autre part et surtout, le vieillissement pourrait réduire l’efficacité de la politique monétaire, ce qui pourrait également contribué à expliquer les difficultés du Japon à sortir de la déflation. Puisque les personnes âgées sont plus souvent créancières que débitrices, donc peu sensibles aux variations des taux d’intérêts, Patrick Imam (2014) en déduit tout simplement qu’au fur et à mesure qu’une population vieillit, une part croissante des ménages devient insensible aux variations des taux d’intérêt, rendant précisément la politique monétaire moins efficace. [1] Si le vieillissement démographique conduit à une baisse des taux d'intérêt réels comme le croient les partisans de la thèse de la stagnation séculaire, la probabilité que l'économie se retrouve dans une trappe à liquidité s'accroît également, compliquant la mission de la banque centrale. En d’autres termes, le vieillissement ne rendrait pas seulement pas seulement plus probable le risque de déflation, il en complique la sortie.

 

[1] Si la politique monétaire devient moins efficace, la stimulation de l’activité dépend peut-être plus étroitement de la politique budgétaire. La relance budgétaire semble a priori périlleuse pour un Japon déjà particulièrement endetté, mais il ne faut pas oublier que le vieillissement rapide de la population se traduit par un puissant déclin des taux d’intérêt réels.

 

Références

ANDERSON, Derek, Dennis BOTMAN & Ben HUNT (2014), « Is Japan’s population aging deflationary?  », Fonds monétaire international, working paper, n° 14/139, août.

IMAM, Patrick (2013), « Shock from graying: Is the demographic shift weakening monetary policy effectiveness », Fonds monétaire international, working paper, n° 13/191, septembre. Traduction française disponible sur Annotations.

KONISHI, Hideki, & Kozo UEDA (2013), « Aging and deflation from a fiscal perspective », IMES, discussion paper, n° 2013-E-13.

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5 avril 2014 6 05 /04 /avril /2014 08:30

Le taux d’inflation de la zone euro est tombé à 0,5 % en mars, soit le plus faible niveau depuis la crise financière en 2009. Cela renforce les craintes que la zone euro bascule dans une trappe déflationniste comme le Japon quelques décennies plus tôt : non seulement la chute du niveau général des prix a contribué à déprimer l’activité et à maintenir l’économie nippone dans la stagnation, mais il est en outre difficile de sortir de la déflation une fois que celle-ci est amorcée. Avec la déflation, les entreprises et ménages sont incités à reporter les achats de biens durables. Elle génère aussi des dynamiques fischériennes de déflation par la dette (debt-deflation). En effet, la baisse des prix accroît les fardeaux de dette, car ces derniers sont fixés en terme nominaux, alors que les flux de revenus déclinent ; le risque de défaut de paiement augmente alors et, face à celui-ci, les débiteurs multiplient les ventes de détresse pour obtenir de la liquidité, ce qui alimente à nouveau la baisse des prix. Dans les deux cas, la déflation s’auto-entretient en dégradant l’activité.

Or, la zone euro fait déjà face à une faible demande. Au quatrième trimestre 2013, la demande réelle en zone euro était inférieure de 5 % à son niveau du premier trimestre 2008 [Wolf, 2014]. La zone euro dégage désormais un fort excédent courant qui, non seulement exerce des pressions déflationnistes sur le reste du monde, mais dégrade également l’activité domestique en poussant l’euro à la hausse. Au début de l’année, Christine Lagarde a présenté la déflation comme « l’ogre qui doit être combattu de façon décisive ». La semaine dernière, elle a affirmé que l’économie mondiale risquait de basculer dans une « trappe à faible croissance » (low-growth trap). Elle a appelé la Banque centrale européenne (BCE) à assouplir davantage sa politique monétaire, notamment en prenant des mesures non conventionnelles de grande envergure pour enfin respecter son mandat : cibler une inflation inférieure, mais proche, à 2 %.

La BCE a tenu sa dernière réunion le jeudi 3 avril. Après plusieurs années où elle s’est montrée très réticente à l’idée, la BCE a finalement laissé suggérer qu’elle n’exclut plus la possibilité d’acheter des actifs à grande échelle à travers un programme d’un assouplissement quantitatif (quantitative easing) en vue de diminuer le rendement obligataires ou pousser les prix d’actifs à la hausse, mais elle a écarté les appels à une action immédiate. Mario Draghi, sur un ton sarcastique, a par ailleurs remercié le FMI de s’être montré « extrêmement généreux dans ses suggestions ». C’est la cinquième réunion où la BCE ne prend pas de mesures supplémentaires, ce qui a permis un « resserrement monétaire passif » dans la mesure où l’euro s’est apprécié sur la période. La BCE a laissé ses taux d’intérêt à 0,25 %, alors que les analystes s’attendaient à ce qu’elle ramène son principal taux directeur à 0,1 %, et elle n’a pas baissé le taux de dépôt sous zéro, comme le fait déjà le Danemark pour stimuler le prêt et dissuader les entrées de capitaux.

La BCE juge les données insuffisantes pour l’inciter à intervenir immédiatement et ne considère pas le scénario déflationniste comme le plus probable. Selon la définition retenue par Draghi, la déflation est une situation où le niveau des prix décline dans un nombre significatif de pays, pour un nombre significatif de biens et ce de manière autoréalisatrice. Il est vrai que même si l’inflation (qu’il s’agisse de l’inflation globale ou de l’inflation sous-jacente) a chuté et reste sous la cible de 2 % suivie par la BCE, il n’y a jusqu’à présent pas de signe d’une baisse autoentretenue du niveau général des prix qui aggraverait la situation économique. La BCE note que l’inflation sous-jacente n’a pas varié ces derniers mois et que les anticipations d’inflation de long terme restent ancrées à 2 %. Elle s’attend à ce que l’inflation rebondisse en avril, comme certaines données lui suggèrent un rebondissement de la demande. Mais Mario Draghi a tout de même indiqué que le conseil des gouvernants s’est accordé unanimement pour prendre des mesures d’urgence si l’inflation tombait trop bas.

On peut se demander ce que la BCE considère être un « niveau trop faible ». Le taux d’inflation est déjà inférieur à 1 %, un niveau que Draghi avait précédemment qualifié de « zone de danger ».  Or même si le taux d’inflation reste positif pour l’ensemble de la zone euro, plusieurs pays-membres sont déjà en déflation. Selon Eurostat, quatre pays-membres sont déjà en déflation : Chypre, la Grèce, le Portugal et la Slovaquie. Le reste de l’union monétaire connaît une faible inflation.

En outre, comme l’ont montré Reza Moghadam, Ranjit Teja et Pelin Berkmen (2014) dans une contribution pour le FMI, même une inflation extrêmement faible (lowflation) peut se révéler problématique pour la zone euro dans son ensemble et pour les pays en difficulté de la « périphérie » en particulier. D’une part, des dynamiques de déflation par la dette peuvent apparaître même si même si le taux d’inflation reste positif. Une inflation moins élevée que les agents ne l’anticipaient accroît le fardeau réel de la dette et les taux d’intérêt réels, ce qui pousse les agents privés et Etats à faire défaut. Or ce sont précisément les pays ayant les plus amples volumes de dette privée et publique qui connaissent une déflation ou une inflation extrêmement faible. L’Italie et l’Espagne doivent connaître une inflation supérieure à 2 % pour être à même d’assurer le service de leur dette publique [Evans-Pritchard, 2014a, b]. Avec une inflation de 0,5 %, les trajectoires de dette publique de l’Italie, de l’Espagne et même de la France deviendraient très rapidement insoutenables. Une étude de la Bank of America suggère que la faible inflation pousserait la dette publique à 148 % du PIB pour l'Italie, à 118 % pour l'Espagne et à 105 % pour la France au début de l’année 2018. D’autre part, l’inflation est plus faible dans les pays en difficulté que dans les autres pays-membres, les premiers voient alors leurs prix relatifs s’améliorer par rapport aux autres pays-membres, ce qui stimule leurs exportations et améliore leurs comptes courants. Mais lorsque l’inflation est faible dans l’ensemble de la zone euro, les pays en difficulté ont plus de difficulté à améliorer leur compétitivité : ils doivent, pour cela, connaître une encore plus faible inflation que le reste de la zone euro, voire une déflation. Dans cette situation, les gains apportés par la déflation en termes de compétitivité sont moindres, ce qui rend vains les coûts économiques et sociaux qui lui sont associés. 

Durant l’été 2012, lorsque plusieurs Etats-membres subissaient de fortes turbulences sur les marchés obligataires, Mario Draghi avait affirmé que la BCE ferait « tout ce qui serait nécessaire » pour sauver l’euro. Cette déclaration mena à un fort déclin des primes de risque souverain, car la BCE s’avouait prête à assurer son rôle de prêteur un dernier ressort aux Etats. En septembre, les propos de Draghi se concrétisèrent par la mise en œuvre du programme Outright Monetary Transactions (OMT). Ce dernier n’a même pas eu à être mis en place pour être efficace : sa simple annonce prévint la zone euro de tensions obligataires. C’est précisément ce même effet d’annonce que la BCE espère avoir aujourd’hui. Or la BCE ne peut se contenter de communiquer pour stimuler l’activité [Authers, 2014]

Depuis l’éclatement de la crise financière mondiale, la BCE s’est toujours montrée très réticente à assouplir sa politique monétaire, que ce soit en diminuant ses taux directeurs ou en adoptant des mesures moins « conventionnelles », parce qu’elle craint de perdre en crédibilité si elle prenait de telles mesures. Or, en laissant le taux d’inflation s’éloigner de sa cible (les 2 %), elle risque précisément de perdre en crédibilité. Non seulement les anticipations d’inflation risquent de ne plus être ancrées à la cible, mais la déflation risque de s’accélérer très rapidement une fois amorcée. 

Comme le rappellent Reza Moghadam et ses coauteurs (2014), l’expérience japonaise offre deux importantes leçons pour les autorités monétaires de la zone euro. D’une part, nous ne devons pas être rassurés par le fait que les anticipations d’inflation de long terme soient supérieures à 2 % en zone euro. Les anticipations d’inflation de long terme furent également positives à la veille de trois épisodes déflationnistes au Japon. Les anticipations de long terme ne furent pas des indicateurs avancés pertinents pour la politique monétaire, puisqu’elles s’ajutèrent trop peu et trop lentement. D’autre part, il est nécessaire d’agir avec force avant que la déflation ne s’amorce. La Banque du Japon fut lente à diminuer les taux directeurs et à accroître la base monétaire. Une fois l’économie nipponne dans la déflation, la Banque du Japon eut beau multiplier les efforts, notamment très récemment avec le programme d’assouplissement quantitatif et qualitatif attaché à l’abenomics, il n’est pas encore certain qu’elle ait aujourd’hui réussi à mettre définitivement un terme à la déflation. La Banque du Japon a mis en œuvre des programmes d’assouplissement quanttitatif lorsque l’économie nippone était plongée dans la déflation, mais ceux-ci furent insuffisants. La BCE ne peut aucunement être assurée qu’un programme d’assouplissement quantitatif se révélera efficace une fois que la zone euro basculera dans la déflation. Il ne suffit pas en outre d’accroître sa base monétaire pour alimenter la hausse des prix : l’inflation n’est pas un phénomène purement monétaire.  

 

Références

AUTHERS, John (2014), « Mario Draghi has to back QE words with action », in Financial Times, 4 avril.

DAVIES, Gavyn (2014), « ECB addresses the zero lower bound », in Financial Times, 3 avril. 

EVANS-PRITCHARD, Ambrose (2014a), « ECBs deflation paralysis drives Italy, France and Spain into debt traps », in The Telegraph, 2 avril.

EVANS-PRITCHARD, Ambrose (2014b), « Immobile ECB 'playing with fire' as deflation draws closer », in The Telegraph, 3 avril.

MOGHADAM, Reza, Ranjit TEJA et Pelin BERKMEN (2014), « Euro area — Deflation versus lowflation », in iMFdirect (blog), 4 mars.

WOLF, Martin (2014), « The spectre of eurozone deflation », in Financial Times (blog), 11 mars.

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5 février 2014 3 05 /02 /février /2014 19:28

La faiblesse de l’inflation ces derniers mois a ravivé les craintes d’un basculement de la zone euro dans la déflation à l’instar du Japon au cours des années quatre-vingt-dix. L’inflation globale avait atteint son minimum historique en octobre en atteignant alors 0,7 % en glissement annuel. Elle vient de retrouver en janvier cette valeur. De son côté, l’inflation sous-jacente est restée inférieure à 1,2 % depuis mars 2013 et elle a atteint son minimum en décembre (en l’occurrence 0,7 %) depuis la création de la monnaie unique, avant de revenir à 0,8 % en janvier. Plusieurs pays européens sont déjà en déflation, notamment la Bulgarie, Chypre, la Grèce et la Lettonie. L’inflation ralentit également en Allemagne, puisqu’elle vient d’atteindre 1,3 %, contre 1,5 % en décembre, ce qui suggère que la désinflation se diffuse au cœur même de la zone euro.

GRAPHIQUE  Taux d'inflation en zone euro (en %)

zone-euro--taux-d-inflation.png

source : BCE

La déflation apparaît lorsque la demande globale est trop faible. Loin de stimuler l’activité, elle tend au contraire à la détériorer davantage et ainsi à enfermer l’économie dans une trappe récessive. En effet, comme le rappelle Paul de Grauwe (2014), lorsqu’une économie bascule dans la déflation, les agents anticipent que les prix vont être plus faibles l’année suivante, si bien qu’ils sont incités à repousser leurs achats. La demande agrégée se contracte alors de nouveau, ce qui pousse davantage les prix à la baisse et maintient l’économie dans un cercle vicieux où déflation et récession se renforcent mutuellement. Le processus est aggravé si la déflation des prix s’accompagne par une baisse des salaires.

La déflation se révèle également nuisible à l’activité en raison de ses répercussions sur l’endettement, un canal qu’Irving Fisher (1933) a exploré à travers son concept de « déflation par la dette » (debt-deflation). Puisque les dettes sont fixées en termes nominaux, la baisse des prix accroît mécaniquement leur fardeau réel. En d’autres termes, comme les prix déclinent, les recettes (tant privées que publiques) diminuent, alors même que le montant du service de la dette reste inchangé. La déflation oblige les ménages, les entreprises et l’Etat à consacrer une part croissante de leurs revenus au service de la dette et donc à réduire leurs dépenses en biens et services. La baisse de la consommation, de l’investissement et des dépenses publiques renforce alors la déflation et celle-ci rend l’endettement encore moins soutenable. Ainsi, en cherchant à rembourser simultanément, les agents se rapprochent paradoxalement du défaut de paiement, or la multiplication des défauts fragilise le secteur bancaire et expose par là l’ensemble de l’économie à un véritable effondrement.

Pour De Grauwe, le premier mécanisme n’est pas encore amorcé, puisque les prix continuent d’augmenter en zone euro. En revanche, le mécanisme de déflation par la dette est déjà à l’œuvre. En effet, le mécanisme fisherien n’apparaît pas forcément lorsque le taux d’inflation est négatif. Il émerge lorsque l’inflation est inférieur au taux d’inflation qui était anticipé lorsque les contrats de dette furent établis. Au cours des dix dernières années, les anticipations d’inflation furent très proches du taux d’inflation constaté sur la période, en l’occurrence 2 %. Les taux d’intérêt sur les obligations à long terme que l’on observe actuellement suggèrent que les agents anticipent une inflation de 2 % ces cinq à dix prochaines années, or l'inflation dans la zone euro atteint désormais 0,7 %. Cette désinflation provoque un mécanisme de déflation par la dette. La dette nominale s’accroît avec le taux d'intérêt nominal (qui comprend une anticipation d'inflation de 2%), mais le revenu nominal dans la zone euro augmente de seulement 0,8 %. Par conséquent, une proportion croissante des revenus doit être consacrée au service de la dette, tandis que la part destinée à l’achat de biens et services diminue. Cette dynamique est d’autant plus pernicieuse que déjà plusieurs pays européens connaissent déjà effectivement une inflation négative.

Les économies européennes sont en outre particulièrement exposées à un nouveau ralentissement de l’activité mondiale. En l’occurrence, les fortes turbulences que les pays émergents subissent sur les marchés des changes accroissent le risque que la zone euro bascule prochainement dans la déflation. La fuite des capitaux et la hausse des taux d’intérêt (dans le sillage du « tapering » de la politique monétaire américaine) dégradent l’activité économique dans les pays émergents, si bien que l’économie mondiale est susceptible de connaître une contraction de la demande globale et une désinflation. Ceux-ci ne manqueront pas de déstabiliser la zone euro et de remettre en cause la reprise fragile de son activité.

La réunion du conseil des gouverneurs de la Banque Centrale Européenne qui se tiendra demain est ainsi particulièrement attendue. Selon le mandat de la BCE, le taux d’inflation de la zone euro doit être inférieur, mais proche, à 2 % à moyen terme. Autrement dit, le taux d’inflation s’éloigne dangereusement de sa propre cible. Entre fin 2009 et fin 2010, les Etats-Unis faisaient également face à un fort ralentissement de la hausse des prix. La Réserve fédérale, alors contrainte par la borne zéro, a commencé à acheter massivement des actifs à travers ses programmes d’assouplissement quantitatif (quantitative easing) avant d’adopter la pratique du forward guidance. Les faibles chiffres de l’inflation pourraient inciter la BCE à devenir plus agressive. Mario Draghi avait promis le mois dernier qu’il assouplirait la politique monétaire de la zone euro si l’inflation restait inférieure aux anticipations de la BCE. Son taux directeur est déjà à 0,25 %, ce qui limite fortement toute nouvelle baisse des taux. Pour inciter les banques à prêter, la BCE pourrait se décider à lancer un nouveau programme de refinancement à long terme (LTRO), à réduire les réserves obligatoires ou à adopter des taux de dépôt négatifs. La BCE a adopté il y a quelques mois une forme de forward guidance en indiquant qu’elle maintiendrait durablement ses taux directeurs à un faible niveau ; elle pourrait lever l’incertitude entourant sa politique monétaire et inciter davantage les agents à investir si elle datait ou conditionnait le relèvement de ses directeurs comme a pu le faire la Fed. Il est toutefois peu probable que la BCE adopte l’assouplissement quantitatif à l’instar de sa consœur américaine, en raison des craintes que suscitent chez la Bundesbank un brouillage de la frontière entre politique monétaire et politique budgétaire. Le refus d’acheter de la dette publique vise précisément à inciter les gouvernements européens à améliorer leurs finances publiques.

Pourtant, l’histoire est riche en enseignements quant aux dangers associés à la déflation, notamment en ce qui concerne l’endettement public. La « décennie perdue » (lost decade) du Japon montre déjà les difficultés à sortir d’une trappe déflationniste. Pour Kevin O’Rourke (2014), l’expérience du régime d’étalon-or au cours de l’entre-deux-guerres illustre parfaitement les effets de la baisse des prix sur la soutenabilité de la dette dans une économie soumise à une fixité des taux de change. Par nature déflationniste, le système monétaire international dégradait les finances publiques dans de nombreux pays. Par exemple, la Grande-Bretagne d’alors pourrait apparaître aujourd’hui comme un élève modèle aux yeux de l’actuelle Commission européenne : l’économie britannique engrangeait alors un excédent primaire, elle s’était engagée à rembourser sa dette et elle mettait en œuvre ce que l’on appellerait aujourd'hui une « dévaluation interne ». Pourtant, le ratio dette sur PIB de la Grande-Bretagne a poursuivi son envolée en raison de la déflation. Aujourd’hui, en refusant d’agir davantage, la BCE risque précisément d’aggraver le problème des dettes souveraines en zone euro. 

 

Références

CALVO, Guillermo (2014), « On the road to double-dipped recession or deflation? » in Free Exchange (blog), 13 janvier.

DELAIGUE, Alexandre (2014)« La déflation menace-t-elle en zone euro ? », in Classe éco (blog), 7 janvier.

EVANS-PRITCHARD, Ambrose (2014), « World risks deflationary shock as BRICS puncture credit bubbles », in The Telegraph, 29 janvier. 

FERRERO, Andrea (2014), « Desperate times, desperate measures », in Free Exchange (blog), 15 janvier.

De GRAUWE, Paul (2014), « Should we worry about deflation? », in Free Exchange (blog), 16 janvier.

MÜNCHAU, Wolfgang (2014), « Europe will feel the pain of emerging markets », in Financial Times, 2 février.

O'ROURKE, Kevin (2014), « The euro zone needs a history lesson », in Free Exchange (blog), 17 janvier. 

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