Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
2 août 2014 6 02 /08 /août /2014 12:35

Suite à l’échec des négociations menées avec les fonds vautours, l’Argentine vient de connaître un second défaut de paiement après la faillite de 2001. Si les marchés et gouvernements redoutent ce type d’événement, ses répercussions restent toutefois encore imprécises…

Il n’y a pas de définition consensuelle du défaut souverain, ce qui complique le recensement de ces événements. On peut considérer qu’un Etat fait défaut lorsqu’il se révèle incapable de payer tout ou partie de sa dette selon les modalités fixées initialement, qu'il s'agisse des intérêts ou du principal. Entre la Seconde Guerre mondiale et 1970, il y eut très peu de défauts souverains à travers le monde. Par contre, entre 1970 et 2010, il y a eu plus de 180 restructurations de dette publique et celles-ci ont concerné 68 pays [Cruces et Trebesch]. L’Amérique latine tend à concentrer l’essentiel des défauts souverains. Certains pays comme l’Argentine, le Brésil et le Nigéria ont connu plus de six restructurations au cours de cette période. Les pertes essuyées par les créanciers (les « haircuts ») s’élèvent en moyenne à 37 %. Elles se sont accrues au cours du temps : elles s’élevaient à 25 % dans les années quatre-vingt, puis à 50 % dans les années quatre-vingt-dix et deux mille. Au cours du dernier demi-siècle, les defaults souverains n’ont concerné que les pays en développement. La crise de la zone euro et surtout les difficultés budgétaires rencontrées par la Grèce ont montré que les pays avancés ne sont pas immunisés contre les défauts souverains.

Aux yeux des économistes, la présence de coûts associés au défaut souverain rend précisément possible l’endettement public. Si rien n’obligeait les Etats à rembourser leur dette, les agents ne seraient pas incités à leur prêter, à moins qu’ils soient « irrationnels ». Si, par contre, il est coûteux pour les Etats de faire défaut sur leur dette publique, ils sont incités à assurer le service de leur dette ; puisque les agents prennent eux-mêmes en compte l’existence de ces coûts et leur effet incitatif sur les gouvernements, ils sont de leur côté incités à prêter.

Il existe tout d’abord des coûts en termes de réputation : un Etat qui ne rembourse pas sa dette fait face au risque d’être exclu des marchés financiers. Pour Jonathan Eaton et Mark Gersovitz (1981), la menace d’une exclusion des marchés financiers constitue même une condition suffisante pour que l’Etat soit incité à rembourser sa dette. En outre, si un Etat se révélait incapable de rembourser sa dette, il enverrait un signal négatif aux parties engagées dans d’autres transactions, ce qui renforce son incitation à assurer le service de sa dette. Ensuite, un pays qui connaît un défaut de paiement fait face au risque de sanctions commerciales, voire militaires, de la part des pays où résident les créanciers. En l’occurrence, Jeremy Bulow et Kenneth Rogoff (1989) doutent que les coûts en termes de réputation soient importants et considèrent que les sanctions directes, notamment commerciales, constituent le principal mécanisme incitant les Etats à rembourser leur dette. En outre, un défaut souverain affecte l’activité économique, notamment en générant des turbulences bancaires. En effet, les banques détiennent des titres publics dans leurs portefeuilles, en particulier au sein des pays en développement. Un défaut souverain affaiblit alors leurs bilans et est susceptible de générer non seulement un effondrement du crédit, mais aussi une panique bancaire. Or, avec l’exclusion des marchés financiers, le gouvernement perd en marge de manœuvre pour recapitaliser les banques. En outre, les résidents sont susceptibles de perdre confiance envers leur monnaie. Toutes ces répercussions du défaut se traduisent enfin par un coût politique : si la poursuite d’une forte croissance tend naturellement à renforcer le gouvernement en place, les récessions et crises bancaires tendent réciproquement à réduire la durée des gouvernants au pouvoir.

La littérature empirique semble suggérer que ces divers coûts sont temporaires. En observant la période s’écoulant entre 1997 et 2004, Eduardo Borensztein et Ugo Panizza (2009) confirment que les pays qui connaissent un défaut souverain perdent alors l’accès aux marchés des capitaux internationaux. La notation de crédit chute immédiatement et les primes de risque souverain augmentent d’environ 400 points de base. Cet effet est toutefois de courte durée et disparaît entre trois et cinq ans après le défaut. Gaston Gelosa, Ratna Sahaya et Guido Sandleris (2011) montrent également qu’après un défaut souverain, les pays sont exclus des marchés des capitaux internationaux en moyenne durant quatre ans. Bref la courte exclusion des marchés financiers pourrait suggérer que ces derniers ont une courte mémoire. 

Juan José Cruces et Christoph Trebesch (2013) ont fortement nuancé cette conclusion. D’après eux, les défauts sont associés à de substantiels coûts pour les gouvernements à moyen terme, mais pour les faire apparaître, il faut distinguer les défauts souverains selon les pertes essuyées par les créanciers. Les plus larges décotes (haircuts) sont fortement associées à de plus hauts coûts d’emprunt suite au défaut et à de plus longues exclusions des marchés financiers. Les taux d’intérêt sur la dette publique des pays ayant subi les plus fortes décotes sont supérieures de 200 points de base aux taux des pays ayant subi les moindres décotes, en particulier trois à sept ans après la restructuration. En moyenne, une hausse de la décote de 22 points de pourcentage est associée à une hausse du taux d’intérêt de 1,5 point de pourcentage. En outre, il existe une forte corrélation négative entre la taille de la décote et la probabilité de retourner sur les marchés des capitaux internationaux. Les pays imposant des décotes supérieures à 60 % restent en général exclus, même après 10 ans. 

Les études empiriques ont également cherché à évaluer quantitativement les autres coûts des défauts souverains. L’analyse réalisée par Andrew Rose (2005) suggère que le volume des échanges bilatéraux chute d’environ 8 % par an suite au défaut souverain. Borensztein et Panizza constatent également un effondrement des échanges commerciaux suite au défaut souverain, mais ils ne parviennent pas à identifier précisément les canaux par lesquels le défaut affecte les échanges. L’impact semble une nouvelle fois de courte durée et les répercussions commerciales du défaut semblent disparaître deux à trois ans après. Borensztein et Panizza ont estimé ensuite les répercussions du défaut souverain sur la croissance économique. En moyenne, le taux de croissance diminue de 2,5 points de pourcentage l’année du défaut. Par contre, les effets sur la croissance ne semblent pas significatifs l’année suivante. En fait, le ralentissement de l’activité semble précéder le défaut, ce qui suggère qu’il s’explique essentiellement par les anticipations mêmes du défaut.

Les gouvernements ont tendance à retarder leur défaut de paiement, même lorsque celui-ci apparaît inévitable. Borensztein et Panizza avancent deux raisons pour expliquer cette réticence. D’une part, d’importants coûts politiques peuvent être associés aux défauts souverains. En moyenne, le soutien électoral pour le gouvernement en place diminue de 16 points de pourcentage suite au défaut. Un tel coût politique incite le gouvernement à rembourser sa dette et donc à veiller à sa soutenabilité. Mais lorsque l’endettement se révèle finalement insoutenable, ce même coût politique désincite également les gouvernements à s’annoncer en défaut de paiement et les pousse donc à le retarder, ce qui en amplifie alors les coûts économiques. D’autre part,  il se pourrait que les responsables politiques retardent le défaut pour s’assurer que les participants de marché le considèrent comme inévitable et non pas stratégique. 

Ces études ont fourni d’importants enseignements pour la crise de la dette souveraine en zone euro. Pour Borensztein et Panizza, la dépréciation du taux de change joue un rôle essentiel pour réduire les coûts d’un défaut souverain, notamment en stimulant les exportations. Par conséquent, si un Etat-membre de la zone euro (comme la Grèce) faisait défaut sur sa dette souveraine, il ne pourrait jouer sur son taux de change pour amortir les coûts du défaut s’il gardait la monnaie unique. En d’autres termes, un défaut souverain apparaît peu envisageable pour la Grèce s’il ne s’accompagne pas simultanément d’un abandon de la monnaie unique...

 

Références

BORENSZTEIN, Eduardo, & Ugo PANIZZA (2009), « The costs of sovereign default », Fonds monétaire international, staff paper, vol. 56. 

BULOW, Jeremy, & Kenneth ROGOFF (1989), « A constant recontracting model of sovereign debt », in Journal of Political Economy, vol. 97, n° 1.

CRUCES, Juan José, & Christoph TREBESCH (2013), « Sovereign defaults: The price of haircuts », in American Economic Journal: Macroeconomics, vol. 5, n° 3, juillet.

EATON, Jonathan, & Mark GERSOVITZ (1981), « Debt with potential repudiation: Theoretical and empirical analysis », in Review of Economic Studies, vol. 48, n° 2.

GELOSA, R. Gaston, Ratna SAHAYA & Guido SANDLERIS (2011), « Sovereign borrowing by developing countries: What determines market access? », in Journal of International Economics, vol. 83, n° 2.

ROSE, Andrew K. (2005), « One reason countries pay their debts: Renegotiation and international trade », in Journal of Development Economics, vol. 77, n° 1.

Partager cet article
Repost0
16 juin 2014 1 16 /06 /juin /2014 22:21

Le FMI a reconnu en 2010 que les entrées soudaines de capitaux exposaient leurs récipiendaires (en particulier les pays en développement) à des risques d’instabilité financière et que le contrôle des capitaux constituait alors un outil efficace pour préserver la stabilité financière [Ostry et alii, 2010]. Cette perspective contraste radicalement ses précédentes positions : l’institution de Washington était jusqu’alors favorable à la liberté des mouvements de capitaux. Par exemple, durant la crise asiatique de 1997 et 1998, le FMI critiqua l’instauration de contrôles des capitaux parmi les pays en difficulté, en l'occurrence en Malaisie. Or, comme le suggèrent par exemple Ethan Kaplan et Dani Rodrik (2001), les pays qui restreignirent les afflux de capitaux connurent par la suite une plus forte reprise que les autres pays. En principe, les contrôles de capitaux fournissent aux autorités monétaires une marge de manœuvre supplémentaire pour stabiliser l’activité économique à court terme. En effet, selon le trilemme de Mundell, un pays ne peut à la fois avoir la liberté des capitaux, une politique monétaire indépendante et un taux de change fixe. Par conséquent, en restreignant l’entrée des capitaux dans l’économie, une banque centrale est à même de maintenir des taux de change fixes, tout en assouplissant sa politique monétaire pour stimuler la production. Si le contrôle des capitaux contient les fuites de capitaux lors des crises financières (empêchant les premières d’aggraver les secondes), il empêche en « temps normal » que les capitaux affluent massivement et alimentent alors une expansion insoutenable du crédit et des prix d’actifs.

Pour déterminer l’efficacité respective du contrôle des capitaux et du libre flottement des devises comme catalyseurs de la reprise économique, plusieurs auteurs se sont penchés sur les événements de la Grande Dépression. En effet, à la veille de cet épisode, de nombreux pays appartenaient à l’étalon-or, un système de taux de change fixes reposant étroitement sur le métal précieux. Le resserrement de la politique monétaire américaine au début de l’année 1928 est considéré par certains comme l’événement déclencheur de la Grande Dépression. Contraints par le système monétaire international, les autres banques centrales furent forcées de resserrer également leur politique monétaire. Or, de telles actions amorcèrent des paniques bancaires au sein de chaque économie tout en faisant propager la déflation au niveau mondial. La crise bancaire internationale de 1931 mena à des attaques spéculatives sur les monnaies. Les autorités publiques privilégièrent la préservation du système monétaire international sur la stabilisation de l’activité, en supposant que la première conduirait mécaniquement à la seconde [Eichengreen et Temin, 1997]. Face à un déficit de la balance des paiements et des sorties d’or, les règles de l’étalon-or imposaient aux gouvernements et banques centrales de restreindre le crédit et de réduire les prix et coûts (notamment les salaires) jusqu’à ce que l’équilibre soit restauré. Adoptées lors de la crise mondiale, de telles mesures ne faisaient qu’aggraver les conditions économiques.

Avec la poursuite de la déflation dans un contexte de contraction de l’activité, les pays-membres eurent de plus en plus de difficultés à maintenir l’ancrage de leur taux de change à partir de 1929, si bien que plusieurs d’entre eux quittèrent le système monétaire international [Mitchener et Wandschneider, 2014]. Au milieu des années trente, la plupart des pays avaient abandonné (de façon désordonnée) l’étalon-or pour embrasser des systèmes de change alternatifs. Si certains pays suivirent l’Angleterre et abandonnèrent l’or dès 1931, d’autres pays, comme la France, maintinrent l’ancrage de leur monnaie sur l’or, même après 1933 : ces derniers formèrent le « bloc-or ». Parmi ceux qui abandonnèrent l’or, certains décidèrent d’ancrer leur monnaie sur la livre sterling et d’autres laissèrent leur devise flotter librement. Plusieurs pays instaurèrent des contrôles de capitaux pour protéger leur économie des afflux de capitaux de court terme et contenir les pressions sur leur balance des paiements. Depuis les travaux précurseurs d’Ehsan Choudhri et Levis Kochin (1980) et de Barry Eichengreen et Jeffrey Sachs (1985), plusieurs études ont suggéré que les pays qui avaient rapidement abandonné l’or connurent une plus forte croissance que les autres. Ces événements eurent des répercussions durables sur les relations financières internationales. Il fallut attendre les années quatre-vingt pour que les flux de capitaux retrouvent leur ampleur d’avant-crise. Cette décennie marqua également le retour de l’instabilité financière. 

Kris James Mitchener et Kirsten Wandschneider (2014) ont examiné la période entre 1925 et 1936 pour évaluer l’efficacité des contrôles de capitaux instaurés en réponse à la Grande Dépression. Ils constatent que les contrôles des capitaux jugulèrent effectivement les sorties d’or au cours des mois qui suivirent leur instauration. Cependant, les pays qui les mirent en œuvre n’ont pas connu une reprise plus rapide que les pays qui abandonnèrent l’or et laissèrent tout simplement leur taux de change flotter. Lorsqu’ils examinent l’impact des contrôles de capitaux sur la production industrielle, les exportations et les prix, Mitchener et Wandschneider ne décèlent un effet statistiquement significatif que sur la production industrielle. Les pays qui adoptèrent un contrôle des capitaux eurent un taux de croissance de la production industrielle légèrement inférieur à celui des pays ayant laissé leurs taux de change flotter. Ainsi, même si les contrôles de capitaux permirent de contenir les fuites de capitaux, ils semblent avoir contraint la reprise. Puisque les pays qui instaurèrent un contrôle des capitaux abandonnèrent l’étalon-or plus tôt que les pays du bloc-or, leur reprise débuta plus rapidement. Toutefois, lorsque les pays-membres du bloc-or abandonnèrent celui-ci, ces pays eurent par la suite les mêmes performances que les pays qui avaient instauré un contrôle des capitaux. Ce dernier n’offrit donc qu’une maigre amélioration en termes de reprise. 

Mitchener et Wandschneider cherchent alors à comprendre pourquoi les contrôles de capitaux n’ont pas conduit à une accélération significative de la reprise. L’analyse des séries temporelles leur suggère que les pays ayant instauré des contrôles de capitaux ne profitèrent pas entièrement de l’autonomie de leur politique monétaire. Même s’ils ne suivirent pas la France en resserrant leur politique monétaire après avoir imposé un contrôle des changes, ces pays ne poursuivirent pas non plus la même stratégie que les Etats-Unis, un pays qui laissa flotter sa monnaie dès 1933 et mit en œuvre une politique monétaire particulièrement expansionniste. Le taux de croissance moyen de l’offre de monnaie des pays ayant instauré un contrôle des capitaux devint positif après leur instauration, mais il fut plus faible que les taux de croissance de l’offre de monnaie des pays qui laissèrent flotter leur monnaie ou même des pays-membres du bloc-or une fois qu’ils quittèrent ce dernier. Ces constats confirment les précédentes études, notamment celles de Milton Friedman et Anna Schwartz (1962) et de Barry Eichengreen (1992), qui ont suggéré que les politiques monétaires furent trop restrictives au cours de la Grande Dépression. En alimentant la déflation, les actions des banques centrales amenèrent en fait les systèmes bancaires au bord de l’effondrement. Les contrôles de capitaux n’ont pas été efficacement utilisés lors de la Grande Dépression pour stabiliser les systèmes bancaires, stimuler la production domestique ou générer de l’inflation. De leur côté, les pays qui adoptèrent la flexibilité des taux de change poursuivirent des politiques monétaires expansionnistes et surent alors contenir la déflation et la contraction de l’activité. 

 

Références

CHOUDHRI, Ehsan U., & Levis A. KOCHIN (1980), « The exchange rate and the international transmission of business cycle disturbances: Some evidence from the Great Depression », in Journal of Money, Credit and Banking, vol. 12, n° 4.

EICHENGREEN, Barry (1992), Golden Fetters: The Gold Standard and the Great Depression, Oxford University Press.

EICHENGREEN, Barry, & Jeffrey SACHS (1985), « Exchange rates and economic recovery in the 1930s », in The Journal of Economic History, vol. 45, n° 4.

EICHENGREEN, Barry, & Peter TEMIN (1997), « The gold standard and the Great Depression », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 6060.

FRIEDMAN, Milton, & Anna SCHWARTZ (1963), A Monetary History of the United States, 1867-1960, Princeton University Press.

KAPLAN, Ethan, & Dani RODRIK (2001), « Did the Malaysian capital controls work? », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 8142.

MITCHENER, Kris James, & Kirsten WANDSCHNEIDER (2014), « Capital controls and recovery from the financial crisis of the 1930s », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 20220, juin.

OSTRY, Jonathan, Atish GHOSH, Karl HABERMEIER, Marcos CHAMON, Mahvash QURESHI & Dennis REINHARDT (2010), « Capital inflows: The role of controls », Fonds monétaire international, staff position paper, n° 10/04.

Partager cet article
Repost0
14 avril 2014 1 14 /04 /avril /2014 14:01

La surévaluation du yuan et l’excès d’épargne asiatique auraient contribué à accumuler aux Etats-Unis les déséquilibres macrofinanciers qui ont finalement provoqué la crise du crédit subprime et fait basculer l’économie mondiale dans la Grande Récession. Avant la crise mondiale, les gouvernements des pays avancés appelaient déjà la Chine à réévaluer sa monnaie afin de réduire les déséquilibres courants. La Banque populaire de Chine a entrepris l’appréciation graduelle du yuan à partir de juillet 2005. Depuis, le taux de change réel du yuan s’est apprécié de 40 %, soit à peu près 3 % par an. Au niveau domestique, cette appréciation a permis de réduire l’inflation et de réorienter le modèle de croissance chinois en le faisant reposer, non plus sur la demande étrangère, mais sur la demande domestique. Au niveau international, elle a contribué à rééquilibrer l’économie mondiale en comprimant le déficit commercial des Etats-Unis avec la Chine et en permettant aux autres pays émergents d’absorber les répercussions de la dépréciation du yen. 

GRAPHIQUE Taux de change du yuan (en dollars)

taux-de-change-yuan-renminbi-dollar-Fred--Martin-Anota-.png

données : FRED

L’appréciation quasi continue du yuan depuis 2010 a été stoppée par une franche dépréciation du yuan fin février. Depuis, le taux de change du yuan contre le dollar a chuté de 2,5 %. Cette soudaine dépréciation du yuan a amené certains à suggérer que l’économie chinoise était désormais touchée par l’annonce du tapering. Les responsables de la Fed ont en effet indiqué en décembre avoir l’intention de réduire le rythme des achats d’actifs effectués dans le cadre de l’assouplissement quantitatif (quantitative easing). La perspective de plus hauts rendements aux Etats-Unis a conduit à ralentir l’entrée de capitaux dans les pays émergents. Ces derniers ont alors connu ces derniers mois une forte dépréciation de leur taux de change, une accélération de l’inflation et un effondrement des prix d’actifs. Leurs banques centrales ont réagi en resserrant leur politique monétaire pour stimuler l’entrée des capitaux et contenir la hausse du niveau général des prix, mais un resserrement monétaire est susceptible de pénaliser la croissance économique et au final d’accentuer la fuite des capitaux. En ce qui concerne la Chine, les investisseurs financiers avaient l’habitude jusqu’à présent d’emprunter des dollars à de faibles taux d’intérêt et d’acheter des actifs chinois à haut rendement [Eichengreen, 2014]. La perspective d’un resserrement de la politique monétaire américaine amène les investisseurs à prévoir une hausse des coûts d’emprunt en dollars, ce qui les incite à se détourner des actifs chinois. La chute de la demande en yuan a pu alors amener le taux de changer à se déprécier. 

Toutefois cette soudaine dépréciation fut bien d’une moindre ampleur que celles subies par les devises des autres pays émergents. Et surtout, cette explication ne tient pas compte du fait que la banque centrale chinoise contrôle étroitement le taux de change du yuan via sa fixation des taux pivots et ses achats et ventes de dollars. Autrement dit, le yuan ne peut se déprécier que si la Banque populaire de Chine le désire. L’Etat chinois reste particulièrement opaque, si bien que les décisions publiques peuvent faire l’objet de multiples interprétations.

Selon certains, les autorités chinoises chercheraient à réagir au ralentissement de l’activité domestique en dévaluant le yuan pour stimuler les exportations. Selon les prévisions officielles, le taux de croissance du PIB s’établirait à 7,5 % pour 2014, ce qui n’est certes pas un « atterrissage brutal », mais n’en demeure pas moins un fort ralentissement de la croissance chinoise au regard de ses performances passées. Non seulement les autorités chinoises pourraient chercher à contenir les excès du shadow banking et des marchés immobiliers en accroissant les coûts d’endettement, mais les déséquilibres macrofinanciers pourraient par eux-mêmes s’effondrer sous leur propre poids. Dans les deux cas, la stimulation des exportations permettrait de compenser la chute subséquente de la demande domestique. Ce faisant, les autorités chinoises auraient suspendu le processus de rééquilibrage de l’économie chinoise, ce qui rend non seulement cette dernière plus vulnérable à la conjoncture mondiale, mais dégraderait également cette dernière, ce qui pénaliserait en définitive les performances chinoises. Une telle stratégie réduirait la demande mondiale à un moment où plusieurs économies, en particulier les pays-membres de la zone euro, peinent à retrouver ou maintenir une croissance robuste. En 1994, la Chine avait déjà délibérément dévalué sa monnaie pour accroître sa part dans les exportations mondiales, or les répercussions de la dévaluation sur les autres pays émergents ont contribué à les déstabiliser les années suivantes et finalement à amorcer la crise asiatique de 1997 [Davies, 2014]

Les autorités chinoises pourraient également chercher à promouvoir le rôle du yuan comme devise internationale [Eichengreen, 2014]. La Chine devra pour cela développer ses marchés financiers et les ouvrir aux investisseurs étrangers, mais cela n’est possible que si les ces derniers ne considèrent pas que le yuan ne puisse seulement que s’apprécier. En outre, l’économie chinoise a tendance à connaître des afflux spéculatifs de capitaux avec l’appréciation de sa monnaie : comme le yuan s’apprécie continûment, spéculer à la hausse sur le yuan apparaît comme un pari sûr. A long terme, le yuan devrait continuer à s’apprécier tant que l’économie chinoise génère de larges excédents courants, qu’elle connaisse de larges entrées nettes d’IDE et qu’elle accumule des réserves de devises. Le récent élargissement des bandes de fluctuations (passant de 1 à 2 %) est susceptible de stimuler les entrées de capitaux et d’accélérer l’appréciation de la devise. Mais accroître la volatilité du taux de change à court terme dans les deux sens, à la hausse comme à la baisse, permettrait de réduire les entrées de capitaux spéculatifs et l’inflation.

Pour Ronald McKinnon (2014), la Chine est prise dans une currency trap en raison de son excédent d’épargne et des taux d’intérêt proches de zéro sur les actifs en dollars. Si elle libéralise ses marchés financiers, les capitaux (spéculatifs) entreront dans l’économie au lieu d’en sortir. Même en l’absence d’afflux de capitaux spéculatifs, le taux de change est susceptible de s’apprécier car l’excédent commercial ne peut être financé par des sorties de capitaux. Si l’économie chinoise génère des excédents courants, c’est précisément car elle épargne massivement. Les institutions financières chinoises sont trop immatures pour compenser les afflux par l’émission de prêts libellés en yuan à l’étranger. En anticipant une appréciation du yuan vis-à-vis du dollar, elles ne désirent pas accorder des prêts libellés en dollar, dans la mesure où leurs actifs sont libellés en yuan. De même, les investisseurs étrangers sont réticents à emprunter en yuan. 

 

Références

DAVIES, Gavyn (2014), « Watch China’s exchange rate policy », in Financial Times, 25 février.

EICHENGREEN, Barry (2014), « Yuan dive? », in Project Syndicate, 12 mars. Traduction française, « Le yuan en chute libre ? ».

HARDING, Robin, & Josh NOBLE (2014), « US warns China after renminbi depreciation », in Financial Times, 8 avril.

MCKINNON, Ronald (2014), « China’s currency conundrum », in Project Syndicate, 11 avril. 

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : D'un champ l'autre
  • : Méta-manuel en working progress
  • Contact

Twitter

Rechercher