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28 octobre 2015 3 28 /10 /octobre /2015 18:24

La fin des années quatre-vingt-dix et le début des années deux mille furent marqués par d’amples déséquilibres des comptes courants à travers le monde, avec notamment le large déficit courant des Etats-Unis et l’énorme excédent courant de la Chine. Ricardo Caballero, Emmanuel Farhi et Pierre-Olivier Gourinchas (2008) développèrent l’idée que ces déséquilibres globaux s’expliquaient par une pénurie d’actifs sûrs. En l’occurrence, les Etats-Unis virent leur déficit se creuser en raison du rôle d’actif sûr que jouent les bons du Trésor américain.

GRAPHIQUE Déficits et excédents de comptes courants (en % du PIB mondial)

Déséquilibres mondiaux et guerres de devises à la borne inférieure zéro

source : Caballero et alii (2015)

Depuis, l’économie mondiale a connu de profondes turbulences, avec la crise du crédit subprime en 2007, l’effondrement de la Lehman Brothers en 2008 et la crise de la dette souveraine en zone euro en 2010. La contraction de la demande mondiale fut telle que les banques centrales durent ramener leurs taux d’intérêt au plus proche de zéro, sans pour autant empêcher l’économie mondiale de basculer dans la récession, ni enclencher une reprise rapide dans les pays avancés : ces derniers semblaient piégés dans une véritable trappe à liquidité. La littérature sur les trappes à liquidité confirme les difficultés pour les banques centrales à faire face à un puissant choc de demande lorsque leurs taux d’intérêt sont contraints par la borne inférieure zéro (zero lower bound). Certains auteurs comme Gauti Eggertsson et Michael Woodford (2003) ou Lars Svensson (2003) estiment toutefois que l’adoption du forward guidance accélère la sortie d’une trappe à liquidité : les banques centrales doivent s’engager à laisser l’inflation s’accélérer au-delà de sa cible une fois la reprise amorcée, c’est-à-dire laisser un boom de l’activité se produire dans le futur, ce qui incite les agents à investir dans la période courant et précipite ainsi la reprise. Plusieurs études considèrent les répercussions d’une trappe à liquidité dans une économie ouverte. Les trappes à liquidité peuvent se propager d’un pays à l’autre et avoir de significatives répercussions sur le reste du monde. 0livier Jeanne (2009) constate qu’un choc de demande négatif touchant un pays peut suffire pour faire basculer l’économie mondiale dans une trappe à liquidité. Dans son modèle, les plans de relance budgétaire et le relèvement des cibles d’inflation peuvent contribuer à restaurer le plein emploi. De leur côté, Ricardo Caballero et Emmanuel Farhi (2014) estiment qu’une pénurie d’actifs sûrs est susceptible de générer un phénomène qu’ils qualifient de « trappe à sûreté » (safety trap) et dont les manifestations macroéconomiques s'apparentent à celles d'une trappe à liquidité. Or une relance budgétaire peut éventuellement générer des actifs sans risque si elle est financée par l’émission de titres publics.

Enfin, plusieurs études ont récemment suggéré que les économies sont susceptibles de se retrouver dans une situation permanente de trappe à liquidité en raison d’une stagnation séculaire. Larry Summers (2014) suggère en effet que les pays avancés font face à une demande structurellement insuffisante, notamment en raison du vieillissement démographique, de la hausse des inégalités et de la baisse du prix des biens d’investissement ; ces diverses tendances lourdes accroissent l’épargne et détériorent l’investissement, si bien qu’elles tendent à pousser le taux d’intérêt naturel à la baisse, voire en territoire négatif. La plupart des modélisations de la stagnation séculaire, notamment celle proposée par Gauti Eggertsson et Neil Mehrotra (2014), sont des modèles à générations imbriquées avec rigidités nominales, mais en économie fermée. Si elles considèrent l’assouplissement monétaire comme peu efficace, ces études donnent un rôle essentiel à la relance budgétaire, notamment à l’investissement public dans les infrastructures, pour mettre un terme à la stagnation séculaire. Réfléchissant en économie ouverte, Gauti Eggertsson, Neil Mehrotra, Sanjay Singh et Larry Summers (2015) estiment que les taux de change ont de puissants effets lorsque l’économie est dans une trappe à liquidité mondiale.

Ricardo Caballero, Emmanuel Farhi et Pierre-Olivier Gourinchas (2015) relient ces trois courants de littérature en étudiant les répercussions des faibles taux d’intérêt naturels dans un monde où les marchés des capitaux sont intégrés, mais hétérogènes. Ils utilisent un modèle à générations imbriquées avec rigidités nominales. En raison de ces rigidités, la production est déterminée par la demande globale dès lors que la demande mondiale pour les actifs financiers excède leur offre à la borne inférieure zéro. Soit toutes les régions subissent une trappe à liquidité permanente, soit ils n’en subissent aucune, dans la mesure où ils font face au même taux d’intérêt naturel. Toute chose égale par ailleurs, un pays subit une trappe à liquidité plus sévère que la moyenne lorsque sa capacité à produire des actifs financiers est plus faible que sa propre demande pour ces actifs. Pour la même raison, dans cet environnement, un grand pays avec une forte pénurie d’actifs peut faire basculer l’économie mondiale dans une trappe à liquidité mondiale en exerçant des pressions à la baisse sur les taux d’intérêt d’équilibre. 

Caballero et ses coauteurs tirent cinq résultats de leur modélisation. Premièrement, les économies qui se retrouvent face à une trappe à liquidité entraînent les autres pays dans une situation similaire en générant des excédents courants. En effet, si les pays avec de faibles pénuries d’actifs sûrs génèrent des déficits courants et poussent les taux d’intérêt mondiaux à la hausse, les pays avec de larges pénuries d’actifs sûrs génèrent des excédents courants et poussent le taux d’intérêt mondial à la baisse. A la borne inférieure zéro, le marché mondial des actifs est en déséquilibre : il y a une pénurie mondiale d’actifs sûrs qui ne peut être éliminée par une baisse des taux d’intérêt mondiaux. Or les taux d’intérêt nominaux ne peuvent plus baisser pour rééquilibrer le marché des actifs. Par conséquent, c’est en poussant la production mondiale à la baisse, c’est-à-dire en générant une récession mondiale, que le rééquilibrage tente de s’opérer et cette récession se propage via les déséquilibres mondiaux : les pays qui connaissent des excédents dépriment par ce biais la production mondiale, ce qui exerce une externalité négative sur le reste du monde, alors que les pays engrangeant des déficits poussent la production mondiale à la hausse, ce qui exerce une externalité positive sur le reste du monde. Deuxièmement, les devises de réserve ont une tendance à supporter une part disproportionnée de la trappe à liquidité mondiale, un phénomène que Caballero et ses coauteurs qualifient de « paradoxe de la devise de réserve » (reserve currency paradox). Troisièmement, les dévaluations opportunistes du taux de change stimulent l’économie domestique aux dépens des autres économies. Il s’agit donc d’un jeu à somme nulle. Quatrièmement, les ays avec les salaires et prix les plus flexibles supportent une plus faible part de la récession mondiale que les pays avec des prix ou salaires plus rigides. Par contre, au niveau mondial, une plus grande flexibilité des prix et des salaires exacerbe la récession mondiale. Cinquièmement, les émissions de dette publique, correspondant à l’émission d’actifs sûrs, et les hausses de dépenses publiques dans un pays stimulent l’activité dans le reste du monde, ce qui allège la trappe à liquidité mondiale.

Les auteurs relisent alors l’évolution des déséquilibres globaux et des taux d’intérêt mondiaux à travers le prisme de leur modèle. Ils considèrent deux sous-périodes : avant et après de 2008. Entre 1990 et 2008, d’amples déficits courants sont apparus aux Etats-Unis, avec comme contrepartie de larges excédents courants au Japon, puis dans les émergents d’Asie (notamment la Chine) et dans les pays producteurs de pétrole. Ces déséquilibres mondiaux s’accompagnèrent d’une chute des taux d’intérêt réels au niveau mondial. Dans le modèle, cette dynamique résulte de facteurs structurels comme le niveau avancé de développement financier aux Etats-Unis, les fortes propensions à épargner en Asie et l’intégration financière graduelle de pays émergents, mais aussi en raison de chocs financiers comme la crise japonaise du début des années quatre-vingt-dix et la crise asiatique de 1997, qui conduisirent à un effondrement de l’offre d’actifs.

Entre 2008 et 2015, le déficit courant américain s’effondra, l’excédent courant japonais disparut, l’excédent courant européen s’est significativement accru et le déficit courant de la Chine s’est fortement réduit. Dans la mesure où les entreprises et ménages tentèrent de se désendetter, la crise du crédit subprime, puis la crise de la zone euro entraînèrent une forte demande d’actifs sûrs, alors même que l’offre d’actifs sûrs déclina. Ces chocs exacerbèrent la pénurie mondiale d’actifs sûrs, poussant les taux d’intérêt à leur borne zéro dans les pays avancés, niveau auquel ils demeurent depuis. Ils accrurent la rareté nette en actifs sûrs aux Etats-Unis et en Europe, ce qui se traduisit par une réduction brutal du déficit courant américain et une hausse de l’excédent courant européen. La politique monétaire ultra-accommodante des Etats-Unis entraîna tout d’abord une forte dépréciation du dollar, contribuant à la réduction des excédents courants de la Chine et du Japon. En 2013, la Banque du Japon assouplit aussi agressivement sa politique monétaire, suivie par la BCE en 2014, ce qui entraîna une forte dépréciation du yen et de l’euro vis-à-vis du dollar. Cette dépréciation conduisit à retarder la normalisation de la politique monétaire de la Fed. L’appréciation du dollar, dans un contexte de dégradation de l’activité domestique, conduisit la Chine à désancrer sa devise du dollar pour empêcher un nouveau ralentissement de la croissance.

Caballero et ses coauteurs concluent avec pessimisme leur étude. Selon eux, l’économie mondiale peut difficilement sortir de sa trappe à liquidité mondiale à moyen terme. En effet, il n’y a pas de bons substituts pour endosser le rôle que jouent les bons du Trésor américain et pour ainsi satisfaire la demande mondiale d’actifs sûrs. Dans la mesure où la croissance des Etats-Unis restera inférieure à celle des pays demandeurs d’actifs sûrs, leur dette et leur devise continueront d’être poussés à la hausse. Comme les taux d’intérêt et l’inflation seront poussés à la baisse, l’économie mondiale sera maintenue au plus proche de la borne inférieure zéro.

 

Références

CABALLERO, Ricardo J., & Emmanuel FARHI (2014), « The safety trap », NBER, working paper, n° 19927, février.

CABALLERO, Ricardo J., Emmanuel FARHI & Pierre-Olivier GOURINCHAS (2008), « An equilibrium model of global imbalances and low interest rates », in American Economic Review, vol. 98, n° 1.

CABALLERO, Ricardo J., Emmanuel FARHI & Pierre-Olivier GOURINCHAS (2015), « Global imbalances and currency wars at the ZLB », NBER, working paper, n° 21670, octobre.

EGGERTSSON, Gauti B., & Neil R. MEHROTRA (2014), « A model of secular stagnation », NBER, working paper, n° 20574, octobre.

EGGERTSSON, Gauti B., Neil R. MEHROTRA, Sanjay SINGH & Lawrence H. SUMMERS (2015), « Contagious malady? Global dimensions of secular stagnation », document de travail.

EGGERTSSON, Gauti B., & Michael WOODFORD (2003), « The zero bound on interest rates and optimal monetary policy », in Brookings Papers on Economic Activity, vol. 34, n° 1.

JEANNE, Olivier (2009), « The global liquidity trap », John Hopkins University, working paper.

SUMMERS, Lawrence (2014), « U.S. economic prospects: Secular stagnation, hysteresis, and the zero lower bound », in Business Economics, vol. 49, n° 2. 

SVENSSON, Lars E.O. (2003), « Escaping from a liquidity trap and deflation: The foolproof way and others », in Journal of Economic Perspectives, vol. 17, N° 4.

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23 octobre 2015 5 23 /10 /octobre /2015 22:10

A tourist leaves a currency exchange shop at a shopping arcade in New Delhi August 20, 2013. REUTERS/Anindito Mukherjee/Files

Les diverses déclinaisons du modèle Mundell-Fleming, le modèle traditionnellement utilisé en macroéconomie ouverte, suggèrent que les entrées de capitaux dépriment l’activité [Fleming, 1962 ; Mundell, 1963]. En effet, pour un taux d’intérêt donné, elles entraînent une appréciation de la devise et donc par là même une baisse des exportations nettes, entraînant une contraction de la production domestique. A la limite, ce n’est que si le taux directeur baisse suffisamment que l’afflux de capitaux pourra se révéler expansionniste. Paul Krugman (2014) a notamment utilisé un tel modèle pour suggérer que les sorties de capitaux sont expansionnistes.

Pourtant, les décideurs politiques et plusieurs études empiriques suggèrent au contraire que les entrées de capitaux stimulent l’activité domestique, du moins à court terme, notamment en alimentant le crédit. (A moyen ou long terme, elles peuvent nuire à la croissance économique si elles entraînent une mauvaise allocation des ressources dans l’économie, notamment une réallocation des facteurs dans les secteurs produisant des biens non exportables, et surtout si l’expansion du crédit se révèle insoutenable.) Les autorités publiques pourraient au final faire face à un dilemme : alors que l’effet direct d’une hausse du taux d’intérêt est celui d’un ralentissement de la production domestique, le resserrement monétaire stimule parallèlement les entrées de capitaux, or ce second effet peut compenser le premier.

Olivier Blanchard, Jonathan Ostry, Atish Ghosh et Marcos Chamon (2015) ont cherché à réconcilier la modélisation théorique et les faits empiriques. Pour cela, ils ont étendu l’ensemble des actifs inclus dans le modèle Mundell-Fleming, en distinguant entre obligations et actifs non obligataires (les actions, les comptes bancaires, etc.) et en considérant que ces deux classes d’actifs sont imparfaitement substituables. A un taux d’intérêt donné, les entrées de capitaux peuvent diminuer le taux d’intérêt des actifs non obligataires, ce qui réduit le coût de l’intermédiation financière, stimule par ce biais le crédit et la demande domestique, et compense par là même l’impact de l’appréciation sur la demande étrangère.

Blanchard et ses coauteurs tirent plusieurs implications de leur modèle. Tout d’abord, l’impact des entrées de capitaux sur la production dépend de leur nature. Pour un taux directeur donné, les afflux obligataires entraînent seulement une appréciation du taux de change et ils se révèlent par là même nuisibles à l’activité. A l’inverse, les afflux « non obligataires » entraînent simultanément une appréciation du taux de change et une baisse de leur rendement ; si le second effet domine le premier, alors les entrées de capitaux peuvent au final stimuler l’activité.

Par conséquent, les politiques appropriées vis-à-vis des entrées de capitaux dépendent de la nature de ces derniers. Si elles se font avec des obligations (ce qui est souvent le cas), les interventions stérilisées sur les marchés des changes peuvent compenser les répercussions des entrées obligataires en laissant inchangés le taux de change et le taux d’intérêt. La banque centrale prend en effet la position inverse à celle des étrangers. Par exemple, lorsque les agents étrangers réduisent leur détention d’actifs étrangers et accroissent leur demande pour les obligations domestiques, alors la banque centrale demande moins d’obligations domestiques et accroît ses détentions d’actifs étrangers. Par contre, lorsque les interventions stérilisées sur les marchés de change sont utilisées pour gérer des afflux non obligataires, elles peuvent éviter l’appréciation du taux de change, mais elles s’accompagnent d’une forte baisse du rendement des actifs non obligataires. Une distinction similaire s’applique aux contrôles de capitaux : s’ils ciblent principalement les afflux obligataires, les afflux non obligataires vont dominer et entraîner une appréciation de la devise et une baisse du rendement des actifs non obligataires ; si les contrôles de capitaux ciblent principalement les afflux obligataires, les afflux obligataires vont dominer, entraînant une appréciation, laissant inchangés les taux d’intérêt et déprimant la production.

Au final, la combinaison optimale d’interventions sur le marché des changes ne sera pas la même selon que la baisse des taux d’intérêt sur les actifs non obligataires entraîne ou non une expansion excessive du crédit, susceptible d’entraîner un effondrement après le boom. Si les autorités désirent accroître la production domestique et qu’elles disposent d’outils macroprudentiels pour éviter une expansion excessive du crédit, alors les afflux non obligataires sont préférables aux afflux obligataires. Même si ces deux formes d’entrées des capitaux entraînent une appréciation du taux de change, les afflux non obligataires réduisent le rendement des actifs non obligataires alors que les afflux obligataires ne le font pas et entraînent une nouvelle appréciation. Des instruments comme les interventions stérilisées et les contrôles de capitaux sont préférables au taux directeur, car ils permettent de discriminer entre afflux obligataires et afflux non obligataires.

 

Références

ADLER, Gustavo, Olivier BLANCHARD & Irineu de CARVALHO FILHO (2015), « Can foreign exchange intervention stem exchange rate pressures from global capital flow shocks? », FMI, working paper, n° 15/159.

BLANCHARD, Olivier, Jonathan D. OSTRY, Atish R. GHOSH & Marcos CHAMON (2015), « Are capital inflows expansionary or contractionary? Theory, policy implications, and some evidence », NBER, working paper, n° 21619, octobre.

FLEMING, J. M. (1962), « Domestic financial policies under fixed and floating exchange rates », FMI, staff paper, vol. 9.

KRUGMAN, Paul (2014), « Currency regimes, capital flows, and crises », in FMI, IMF Economic Review.

MUNDELL, Robert (1963), « Capital mobility and stabilization policy under fixed and flexible exchange rates », in Canadian Journal of Economics and Political Science, vol. 29.

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30 septembre 2015 3 30 /09 /septembre /2015 21:48

Les récentes variations des taux de change ont été inhabituellement amples. Par exemple, le dollar américain s’est apprécié de plus de 10 % depuis le milieu de l’année 2014, tandis que le yen s’est déprécié de plus de 30 % depuis le milieu de l’année 2013 et l’euro de plus de 10 % depuis le début de l’année 2014. De nombreux pays émergents ont également connu de fortes turbulences sur leurs marchés des changes, en particulier depuis que la Fed ait évoqué la possibilité d’un ralentissement (tapering) dans ses achats d’actifs.

Ces fortes variations ont amorcé un débat sur leurs probables répercussions. Certains craignent notamment que les exportations et les importations soient moins sensibles aux variations des taux de change, si bien que les déséquilibres pourraient s’ajuster à l’avenir plus difficilement et persister. D’autres craignent qu’une moindre sensibilité des exportations et importations aux mouvements de taux de change affaiblisse la transmission de la politique monétaire. En effet, plusieurs banques centrales dans les pays avancés ont récemment fortement assoupli leur taux de change pour stimuler leur activité domestique, notamment en stimulant par là même les exportations : c’est par exemple le cas du Banque du Japon, en déployant la première flèche de l’Abenomics, et plus récemment  de la BCE, qui s’est résolue à adopter un programme d’assouplissement quantitatif en début d’année.

Dans les dernières Perspectives de l’économie mondiale du FMI, Daniel Leigh et ses coauteurs (2015) ont analysé la relation entre le taux de change et les échanges, afin de déterminer les effets du premier sur ces derniers. L’histoire des pays en développement et des pays avancés au cours des trente dernières années suggère que les variations des taux de change ont habituellement un large impact sur le volume des exportations et des importations. La dépréciation d’une devise est associée habituellement à une baisse des prix à l’export payé par les étrangers et une baisse des importations. En l’occurrence, une dépréciation du taux de change réel effectif de 10 % est associée à une hausse des exportations nettes réelles d’environ 1,5 % du PIB. Il y a toutefois de larges écarts d’un pays à l’autre. Bien que ces effets ne se matérialisent pleinement qu’après plusieurs années, l’essentiel de l’ajustement survient au cours de la première année. La stimulation des exportations associée à la dépréciation de la devise semble la plus large dans les pays qui connaissent une insuffisance de la demande globale, mais aussi qui se caractérisent par des systèmes financiers domestiques qui fonctionnent correctement, c’est-à-dire qui ne connaissent pas de crise bancaire.

GRAPHIQUE  Variation des exportations nettes liée aux fluctuations des taux de change entre janvier 2013 et janvier 2015 (en % du PIB)

source : Leigh et alii (2015)

Certaines preuves empiriques suggèrent que le développement des chaînes de valeur mondiales a affaibli la relation entre les taux de change et le commerce dans les produits intermédiaires utilisés comme intrants dans les exportations de d’autres économiques. C’est en particulier le cas du Japon, qui semble avoir connu une réelle déconnexion entre volumes exportés et taux de change : malgré la puissante dépréciation du yen depuis 2012, les exportations nettes japonaises ont stagné. L’accélération de la délocalisation de la production japonaise à l’étranger a finalement annulé toute hausse des exportations en réaction à la dépréciation du yen. Ce résultat met en question la capacité de l’Abenomics à sortir véritablement l’économie insulaire de la stagnation.

Mis à part le cas japonais, Leigh et ses coauteurs n’estiment toutefois pas que la relation entre taux de change et exportations s’affaiblisse de façon généralisée. D’une part, l’essentiel des échanges mondiaux se constitue toujours essentiellement des échanges traditionnels. D’autre part, la fragmentation internationale de la production tend à ralentir. Surtout, peu de preuves empiriques suggèrent une tendance générale vers une déconnexion entre les taux de change et le volume des exportations et des importations. Ces divers résultats confirment que les mouvements de taux de change influencent fortement les prix des exportations et des importations, si bien que la transmission de la politique monétaire via le taux de change semble rester aussi efficace qu’auparavant et rien ne suggère que les déséquilibres courants aient plus de difficultés à s’ajuster et à disparaître que par le passé. 

 

Références

FMI (2015), « Exchange rates still matter for trade », IMF Survey, 28 septembre. Traduction française, « Les taux de change restent importants pour les échanges », Bulletin du FMI.

LEIGH, Daniel, Weicheng LIAN, Marcos POPLAWSKI-RIBEIRO & Viktor TSYRENNIKOV (2015), « Exchange Rates and Trade Flows: Disconnected? », in FMI, World Economic Outlook, octobre.

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