Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
29 mai 2013 3 29 /05 /mai /2013 17:15

Facundo Alvaredo, Anthony B. Atkinson, Thomas Piketty et Emmanuel Saez (2013) viennent de synthétiser la littérature sur les très hauts revenus. Ils commencent par décrire l’évolution historique de la part détenue par le centile supérieur parmi les économies avancées. Par exemple, aux Etats-Unis, la part du revenu annuel détenue par le 1 % des ménages les plus aisés commence véritablement à diminuer avec la Seconde Guerre mondiale et cette baisse se poursuit jusqu’à la fin des années soixante. Jusqu’au milieu du vingtième siècle, les événements donnèrent ainsi raison à Kuznets : la croissance économique s’était certes traduite dans un premier temps par un élargissement des inégalités, puis par leur résorption. Toutefois, les années soixante-dix marquent une rupture de tendance et la part du revenu détenue par le centile supérieur augmente à nouveau depuis lors. Aux Etats-Unis, elle a plus que doublé en passant de 9 % en 1976 à 20 % en 2011. La Grande Récession n’a pas renversé cette tendance : la part du revenu détenue par les 1 % a certes reculé en 2008 et en 2009, mais elle rebondit en 2010 pour retrouver sa trajectoire d’avant-crise. Les autres ménages aisés ont également vu un accroissement de leur part du revenu annuel, mais cette est bien moindre. Le reste de la population étasunienne n'a par contre que des gains négligeables de revenu réel ces dernières décennies. Par conséquent, la hausse de la part détenue par le décile supérieur s'est récemment traduite par une hausse des inégalités aux Etats-Unis.

GRAPHIQUE 1  Part du revenu du centile supérieur dans les pays anglo-saxons

Alvaredo-2.png

source : Alvaredo et alii (2013)

Ces évolutions furent également observées parmi les autres anglo-saxons, quoiqu’à divers degrés : entre 1980 et 2007, la part du revenu du centile supérieur fut multipliée par 2,4 aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, tandis qu’elle doubla en Australie et fut multipliée par 1,5 en Australie. Si la part des plus hauts revenus a également augmenté en Europe continentale et au Japon dans la période récente, elle reste encore éloignée des niveaux atteints à la fin des années quarante. Il faut alors expliquer non seulement la remontée des inégalités depuis les années soixante-dix, mais aussi leur baisse dans les précédentes décennies. Puisque ces pays ont connu une évolution technologique et une intégration au commerce mondial relativement similaires, les explications mettant en avant l’une ou l’autre sont insuffisantes. Pour Alvaredo et alii, l’hétérogénéité des cadres institutionnels est la plus à même d’expliquer pourquoi les inégalités ont évolué différemment d’un pays à l’autre. 

GRAPHIQUE 2  Part du revenu du centile supérieur en Europe continentale et au Japon

Alvaredo-3.png

source : Alvaredo et alii (2013)

En l’occurrence, tout au long du vingtième siècle, les taux d’imposition des hauts revenus ont connu une évolution en forme de U inversé dans de nombreux pays. Aux Etats-Unis, les taux d’imposition des plus hauts revenus étaient toujours supérieurs à 60 % de 1932 à 1981. Des taux élevés semblent avoir fortement contribué à la réduction de la part du revenu allant aux plus aisés. De nombreux pays ont récemment diminué ces taux d’imposition. Les baisses varient d’un pays à l’autre. Si, en 2010, le taux d’imposition des plus hauts revenus est inférieur de 10 points de pourcentage à son niveau de 1950 en France, il représente moins de la moitié de son niveau de 1950 aux Etats-Unis. Les taux d’imposition des hauts revenus évoluent dans le sens inverse avec la part du revenu primaire détenue par les plus aisés. Par exemple, aux Etats-Unis, le taux d’imposition des hauts revenus a diminué de 47 points de pourcentage, tandis que la part du revenu avant impôts allant aux plus aisés a augmenté de 10 points de pourcentage ; en Allemagne et en France, les taux d’imposition des hauts revenus et la part allant à ces derniers ont connu de bien moindres variations.

GRAPHIQUE 3  Taux marginaux d’imposition des très hauts revenus

Alvaredo-4.png

source : Alvaredo et alii (2013)

Ces évolutions dans la fiscalité ont pu interagir avec un renforcement du pouvoir de négociation des salariés les plus aisés pour accroître leurs gains salariaux. Lorsque les taux marginaux d’imposition des hauts revenus étaient très élevés, les cadres supérieurs ne pouvaient retirer qu’un faible bénéfice des négociations pour obtenir une plus grande rémunération. Mais lorsque ces taux chutèrent, les hauts revenus commencèrent à négocier plus agressivement des hausses salariales, auquel cas la baisse des taux marginaux d’imposition a pu accroître les parts de revenu du centile supérieur, mais au détriment du reste des ménages. Le progrès technique et la globalisation, en accroissant la demande pour le travail qualifié, ont pu contribuer à réorienter le rapport de force en faveur des plus hauts revenus et à multiplier leurs opportunités de gains, alors même que la dérégulation de certains secteurs, en particulier de la finance, bouleversaient les règles sous lesquelles étaient déterminées les rémunérations. 

Dans cette optique, la réduction des taux marginaux d’imposition a pu avoir des effets négatifs sur la croissance économique. En revanche, la théorie de l’offre (supply-side theory) suggère de son côté que cette moindre pression fiscale sur les hauts revenus a pu stimuler la croissance économique en développant l’entrepreneuriat, en incitant les hauts revenus à davantage travailler et investir. Au niveau agrégé, les études empiriques ne font toutefois pas apparaître de corrélation entre la réduction des taux d’imposition des hauts revenus et le taux de croissance du PIB réel par tête. Les économies où les taux marginaux d’imposition ont subi les plus fortes baisses n’ont pas connu une croissance plus rapide que les autres pays. Cette absence de corrélation est cohérente avec la thèse selon laquelle les gains salariaux des hauts revenus proviennent d’une négociation plus agressive et non d’un plus grand effort productif. En outre, les niveaux de rémunération des dirigeants d’un pays donné sont inversement corrélés avec les taux d’imposition des hauts revenus et cette corrélation négative est d’autant plus forte que la gouvernance des entreprises est faible, ce qui suggère que le lien entre la rémunération des dirigeants et les taux d’imposition des hauts revenus s’explique, non pas par la performance des firmes, mais bien par les effets de négociation. 

Les revenus du capital (en l’occurrence les rentes, les dividendes, les intérêts et les plus-values) jouent également un rôle important. Leur déclin explique la chute de la part du revenu détenue par les ménages les plus aisés. Aux Etats-Unis, les revenus du capital représentaient 50 % du revenu du centile supérieur entre 1926 et 1939 ; ils n’en représentent plus que le tiers à la fin du vingtième siècle. Une forte imposition du revenu et de la transmission du patrimoine a contribué à réduire la part du revenu des ménages les plus aisés. Par exemple, le flux annuel d’héritage représentait en France 20 à 25 % du revenu national entre 1820 et 1910, puis il fut divisé par plus de 5 entre 1910 et les années cinquante. Son poids relatif augmente à nouveau depuis lors et sa hausse s’est accélérée ces trois dernières décennies, si bien qu’il retrouve aujourd’hui ses valeurs du début du vingtième siècle. Avec la baisse des taux d’imposition et la faiblesse de la croissance économique, l’héritage redevient un élément crucial dans la dynamique des inégalités. En l'occurrence, le flux annuel d’héritage est plus large que celui de l’épargne ou que celui des revenus du capital. Par conséquent, l’imposition des droits de succession redevient elle-même un puissant outil de redistribution des revenus.

La courbe en U de la France s’observe également en Allemagne et, dans une moindre mesure, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Ces différences peuvent s’expliquer par l’importance du système de retraite, par les préférences pour la transmission du patrimoine ou encore par les variations dans l’ampleur totale de l’accumulation de richesse. En Europe, le ratio de la fortune privée sur le revenu national a connu une évolution en U beaucoup plus marquée qu’aux Etats-Unis : la fortune privée représentait six fois le revenu national en 1910, puis chuta avec les guerres mondiales pour représenter 2,5 fois le revenu national en 1950. Au cours des six décennies suivantes, le ratio a fortement augmenté pour atteindre cinq fois le revenu national. D’autre part, la concentration de la richesse est beaucoup plus importante aux Etats-Unis, où le centile supérieur possède environ 35 % de la richesse totale, contre 20 % à 25 % en Europe. L’augmentation de la concentration de la richesse aux Etats-Unis depuis les années soixante-dix a été relativement modérée par rapport à l’énorme augmentation de la concentration du revenu américain. 

La distribution jointe des revenus du capital et du travail est également très asymétrique. Autrement dit, les mêmes ménages tendent à être simultanément aux sommets de la distribution des revenus du capital et de la distribution salariale ; inversement, les salariés les moins rémunérés seront également ceux les moins à même d’obtenir des revenus de la propriété. 61 % des ménages inclus dans le centile supérieur de la distribution des revenus du capital sont parmi les 20 % des ménages au sommet de la distribution des revenus du travail ; parallèlement, 80 % des ménages dans le centile supérieur de la distribution salariale sont présents parmi les 20 % des ménages au sommet de la distribution des revenus du capital. Le degré d’association s’est accru entre 1980 et 2000. D’un côté, il est plus facile d’accumuler des richesses à partir des revenus du travail. De l’autre, il est devenu socialement inacceptable de ne vivre que de revenus gagnés en dehors du travail. 

 

Référence

ALVAREDO, Facundo, Anthony B. ATKINSON, Thomas PIKETTY & Emmanuel SAEZ (2013), « The top 1 percent in international and historical perspective », NBER working paper, n° 19075, mai.

Partager cet article
Repost0
26 mai 2013 7 26 /05 /mai /2013 10:13

Les taux d’inflation ont fortement diminué ces dernières décennies. Les autorités monétaires ont adopté des mesures particulièrement agressives et l’économie mondiale a connu de profondes évolutions contribuant à maintenir la stabilité des prix, notamment la mondialisation des échanges. A partir des années quatre-vingt-dix, les autorités monétaires des économies avancées ont peu à peu ciblé de très faibles niveaux d’inflation. Les banques centrales du Canada et de la Nouvelle-Zélande ont été les premières à adopter une cible de 2 % et à pousser l’inflation à ce niveau. Dans les autres pays développés, la désinflation fut davantage la conséquence des évolutions conjoncturelles. Aux Etats-Unis, par exemple, l’inflation s’était certes maintenue à 4 % dans la seconde moitié des années quatre-vingt grâce aux actions agressives de Paul Volcker, mais elle ne ralentit par la suite qu’avec les récessions de 1990 et de 2001.

Tout au long des années deux mille, la majorité des banques centrales ont ainsi ciblé plus ou explicitement un taux d’inflation de 2 %. Afin d’atteindre cet objectif, elles ont adopté une politique monétaire contracyclique : elles assouplissent leur politique monétaire lorsque l’activité décélère pour contrer les pressions déflationnistes et la resserre lorsque l’économie est en surchauffe. Or, lorsqu’une crise économique est particulièrement violente, les taux directeurs peuvent atteindre leur borne inférieure zéro (zero lower bound) avant même d’avoir suffisamment stimulé l’économie pour la ramener au plein emploi. Cette contrainte apparaît car les taux directeurs ne peuvent être négatifs. Or, dans une telle situation, l’activité reste durablement déprimée et le chômage est susceptible de persister longtemps à un niveau élevé.

Lors des plus graves récessions qui survinrent dans les années soixante et soixante-dix, les taux d’intérêt nominaux et les taux d’inflation restèrent élevés, si bien que les banques centrales purent fortement réduire leurs taux directeurs pour contrer le ralentissement de l’activité sans s’approcher de la borne inférieure zéro. En revanche, le Japon a basculé dans une trappe à liquidité au milieu des années quatre-vingt-dix, puis plusieurs pays avancés à partir de 2008. Par exemple, la règle de Taylor aurait impliqué que la Réserve fédérale fixe en 2009 son taux des fonds fédéraux à - 5 % [Rudebusch, 2009]. Autrement dit, le taux directeur était supérieur de 5 points de pourcentage au niveau nécessaire pour ramener l’économie américaine au plein emploi, rendant ainsi la politique monétaire excessivement restrictive. La crise japonaise et la Grande Récession survinrent dans un contexte de très faible inflation. La stabilité des prix n’a donc pas été une condition suffisante pour assurer la stabilité macroéconomique. Au contraire, elle pourrait même avoir alimenté l’instabilité financière

Par conséquent, Olivier Blanchard (2010) et Laurence Ball (2013) ont récemment suggéré que les banques centrales redéfinissent leur objectif de politique monétaire en ciblant désormais un taux d’inflation de 4 %. Une cible plus élevée diminuerait non seulement la probabilité que les banques centrales se retrouvent face à une trappe à liquidité, mais elle réduirait également les coûts de cette dernière. Elle allégerait les contraintes pesant sur la politique monétaire lorsque le taux directeur se rapproche de la borne inférieure zéro. Une plus forte inflation élèverait en effet les taux nominaux à long terme, ce qui permettrait aux autorités monétaires de baisser plus amplement leurs taux directeurs. Ainsi, les banques centrales disposeraient d’une plus grande marge de manœuvre pour répondre aux chocs macroéconomiques et pourraient alors plus facilement restaurer le plein emploi.

Daniel Leigh (2010) suggère qu’un relèvement de la cible d’inflation aurait permis à la banque centrale du Japon de réduire la sévérité de sa décennie perdu. En effet, au début des années quatre-vingt-dix, la Banque du Japon ciblait implicitement un taux d’inflation de 1 %. Une cible d’inflation de 4 % lui aurait permis d’éviter que son taux n'atteigne la borne inférieure zéro. Toutefois, en l’absence d’un objectif explicite de stabilisation de l’activité, les autorités monétaires n’en auraient très certainement pas profité pour utiliser toute la marge de manœuvre dont elles auraient alors disposé. Si la Banque du Japon avait ciblé une inflation de 4 % et répondu plus vigoureusement au déclin de l’activité, elle aurait pu diviser par deux les coûts en termes de production que subit l’économie nippone lors de sa décennie perdue. De son côté, Laurence Ball estime qu’une cible plus élevée aurait permis à la Fed de répondre plus efficacement à la Grande Récession. Si les Etats-Unis étaient entrés en crise avec une inflation de 4 %, la Fed aurait pu diminuer son taux directeur de deux points supplémentaires et le taux de chômage moyen entre 2010 et 2013 aurait été plus faible de deux points de pourcentage. 

En outre, une plus forte inflation contribuerait à réduire la valeur réelle de l’endettement si les banques centrales ne répondaient pas à la hausse des prix en resserrant leur politique monétaire. Ainsi, un relèvement du taux ciblé par les autorités monétaires faciliterait la reprise de l’activité en accélérant le processus de désendettement, non seulement pour les agents privés, mais aussi pour le secteur public. Historiquement, l’inflation a effectivement joué un rôle important dans la réduction de la dette souveraine, notamment au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Par exemple, la dette publique des Etats-Unis s’élevait à plus de 100 % du PIB dans l’immédiat après-guerre. Joshua Aizenman et Nancy Marion (2009) notent qu’avec un taux d’inflation moyen de 4,2 % sur la période, les Etats-Unis ont réduit de moitié le ratio dette publique sur PIB entre 1946 et 1955. Selon Menzie Chinn et Jeffry Frieden (2012), un taux d’inflation qui se maintiendrait entre 4 et 6 % sur plusieurs années contribuerait également aujourd’hui à ramener le fardeau de la dette publique à un niveau plus soutenable. Un relèvement de la cible poursuivie par les banques centrales aurait par ce biais un impact indirect sur l’activité : en desserrant les contraintes pesant sur la politique budgétaire, une telle réorientation de la politique monétaire permettrait aux autorités budgétaires de retarder l’ajustement de leurs finances publiques, voire même de mettre en œuvre des mesures de relance.

Parallèlement, les coûts macroéconomiques d’un taux d’inflation de 4 % seraient particulièrement faibles. La théorie néoclassique a recherché les différents coûts d’une instabilité des prix. Entre autres, l’inflation empêche les agents privés d’identifier les variations des prix relatifs, ce qui les amène à prendre de mauvaises décisions d’investissement et de consommation. La stabilité des prix serait alors essentielle pour que les ressources soient efficacement allouées dans l’économie. De plus, l’inflation provoque une redistribution des richesses au détriment des prêteurs. Elle pousse ainsi ces derniers à exiger de plus taux d’intérêt nominaux pour compenser leur perte de pouvoir d’achat, si bien qu’elle accroît les taux d’intérêt réels et déprime ainsi l’investissement. Plus largement, l’instabilité des prix constituerait une source d’incertitude réduisant les incitations à investir. 

Toutefois, les analyses empiriques ne parviennent pas à saisir l’impact macroéconomique d’une inflation, même si celle-ci atteint deux chiffres. Laurence Ball rappelle ainsi que les estimations d’un éventuel seuil à partir duquel l’inflation deviendrait nuisible pour la croissance économique varient fortement d’une étude à l’autre. Par exemple, Michael Sarel (1995) estime que l’inflation est neutre pour la croissance tant qu’elle reste inférieure à 8 %. De leur côté, Michael Bruno et William Easterly (1996) ne parviennent pas à faire ressortir une quelconque relation entre l’inflation et la croissance pour des taux d’inflation inférieurs à 40 % ; en revanche, une relation négative entre les deux variables apparaît à partir de ce seuil. Dans tous les cas, ces études suggèrent qu’une inflation de 4 % ne serait pas plus dommageable pour l’activité qu’une inflation de 2 %.

Si les avantages apportés par une modeste accélération de l’inflation apparaissent supérieurs aux coûts qui lui sont associés, les autorités monétaires restent toutefois réticentes à relever leur cible. Si les anticipations d’inflation n’étaient plus ancrées à un faible niveau, les banques centrales craignent que l’inflation tende rapidement à s’accélérer. L’expérience inflationniste des années soixante-dix a en l'occurrence profondément marqué la réflexion des banquiers centraux. Ils ne désirent aujourd’hui ni revenir sur leur objectif de stabilité des prix, ni entreprendre une quelconque action qui pourrait compromettre leur crédibilité. Or, selon Ball, les anticipations d’inflation ont plutôt tendance à suivre l’inflation avec un certain délai. Les anticipations ne devraient donc pas surréagir à un modeste relèvement de la cible. Et si les autorités monétaires ont effectivement acquis une crédibilité, rien ne suggère que l’adoption d’une nouvelle cible d’inflation la remette en cause. 

 

Références

AIZENMAN, Joshua, & Nancy P. MARION (2009), « Using inflation to erode the US public debt », in VoxEU.org, 18 décembre.

BALL, Laurence (2013), « The case for 4% inflation », Banque Centrale de la République de Turquie, Central Bank Review, vol. 13, mai.

BLANCHARD, Olivier, Giovanni DELL’ARICCIA & Paolo MAURO (2010), « Rethinking macroeconomic policy », IMF staff position note, n° SPN/10/03.

BRUNO, Michael, & William EASTERLY (1996), « Inflation and growth: In search of a stable relationship », Federal Reserve Bank of St. Louis Review, vol. 78, n° 3.

CHINN, Menzie, & Jeffry FRIEDEN (2012), « Trends: Better living through inflation », in Milken Institute Review, troisième trimestre.

LEIGH, Daniel (2010), « A 4% inflation target?  », in VoxEU.org, 9 mars.

RUDEBUSCH, Glenn D. (2009), « The Fed’s monetary policy response to the current crisis », FRBSF Economic Letter, n° 17.

SAREL, Michael (1995), « Nonlinear effects of inflation on economic growth », IMF Working Paper, n° 95/96.

Partager cet article
Repost0
21 mai 2013 2 21 /05 /mai /2013 19:29

Hyman P. MINSKY

Diaphanes, 2013

 

Les éditions Diaphanes viennent de publier la traduction d’un article d’Hyman Minsky, « The financial hypothesis : Capitalist processes and the behaviour of the economy », tiré d’un ouvrage co-dirigé par Charles Kindleberger et publié à l'origine en 1982. Cette traduction est réjouissante à plus d’un titre. Non seulement les ouvrages français sur Minsky sont bien rares (il faut tout de même noter les très bons D’un krach à l’autre d’Olivier Brossard et Macroéconomie hétérodoxe de Sébastien Charles), mais il n’y avait jusqu’à présent aucun ouvrage de Minsky disponible en langue française. En outre, il s’agit peut-être de la synthèse la plus aboutie que ce dernier ait proposée de sa propre pensée.

Hyman Minsky fut initialement supervisé dans sa thèse de doctorat par Joseph Schumpeter, dont il a appliqué certaines des idées (notamment la « destruction créatrice ») au domaine de la finance. A la mort de Schumpeter, c’est Wassily Leontief qui reprit le flambeau de cette thèse. Influencé par John Maynard Keynes, auquel il a d’ailleurs consacré un livre éponyme en 1975, il a développé, jusqu’à sa mort en 1996, une conception originale du fonctionnement des économies capitalistes. Cette approche, que l’on qualifie d’hypothèse d’instabilité financière et parfois de Wall Street paradigm, suggère que le processus de fragilisation financière constitue une tendance véritablement endogène à toute phase prolongée de stabilité macroéconomique et de prospérité. Autrement dit, l’instabilité financière est une caractéristique propre aux économies capitalistes modernes.

Comme l’indique clairement Minsky dès les premières pages, l’hypothèse d’instabilité financière repose sur une conception des fluctuations macroéconomiques qui contraste radicalement avec la vision d’une économie harmonieuse, autorégulée et constamment à l’équilibre. La théorie standard ne suppose pas l’existence de forces déséquilibrantes endogènes aux économies capitalistes. En développant des modèles où la finance, l’incertitude et l’histoire sont absentes, elle s’avère incapable de penser l’instabilité financière. Par contre, en introduisant explicitement la monnaie, Keynes a su donner une explication cohérente de la Grande Dépression. Le chômage est apparu et s’est aggravé car les autorités publiques ont laissé une crise financière dégénérer. Or, lorsque le chômage est dû une insuffisance de la demande globale, la flexibilité des prix et des salaires aggrave la situation en empêchant les emprunteurs d’obtenir les liquidités nécessaires pour rembourser leurs dettes.

L’investissement a une place fondamentale dans la théorie de la production et de l’emploi de Keynes. Il n’importe pas pour sa seule influence sur l’accumulation du capital, donc sur la croissance à long terme. Il est en outre un déterminant essentiel de la demande au niveau agrégé et il participe ainsi à l’émergence de cycles d’affaires à court terme. Keynes visait à expliciter les conditions dans lesquelles les dynamiques macroéconomiques sont influencées par la monnaie, définie au sens large. Il met ainsi en avant l’influence centrale qu’exercent les variables financières et l’incertitude sur l’investissement. Toutefois, le fait que la théorie keynésienne du cycle néglige la question du financement même de l’investissement la rend incomplète selon Hyman Minsky. En effet, la Théorie générale suppose implicitement que l’investissement obtiendra un financement. C’est dans cette optique que Minsky a cherché à compléter la théorie keynésienne de l’investissement avec une théorie financière de l’investissement. Et pour cela, il s’est fortement inspiré des travaux de Kalecki.

Le futur est créé par les décisions actuelles et futures, par nature imprévisibles, des agents économiques. Dans cet environnement d’incertitude radicale, la décision d’investir apparaît alors comme un véritable pari sur l’avenir. Les actifs capitaux (une centrale électrique... pour reprendre l’exemple de Minsky) sont des biens durables dont l’utilisation au sein du processus productif ou tout simplement la détention procure à l’entreprise des flux de recettes monétaires, appelés cash flows, flux de trésorerie ou encore « quasi-rentes ». Le prix qu’un entrepreneur est prêt à payer pour acquérir un tel actif dépend alors pour beaucoup de ses anticipations de recettes. Le projet n’est viable que lorsque les quasi-rentes actualisées excèdent suffisamment le coût de l’investissement pour compenser les incertitudes. Si le projet est viable, l’entrepreneur ne peut le mettre en œuvre que s’il dispose d’un financement suffisant. Puisque l’entreprise peut difficilement autofinancer ses projets d’investissement, elle doit nécessairement faire appel au système financier. Les prêteurs n'acceptent de fournir un financement qu'en ajoutant une marge de sécurité aux intérêts pour compenser le risque d’un non-remboursement.

Par conséquent, les agents doivent prendre en compte deux séries chronologiques : d’une part, il y a la série des recettes futures qui doivent effectivement être réalisées et, d’autre part, la série des paiements monétaires qui sont déterminés par la structure d’endettement optée par le passé et dont l’évolution est liée à celle des coûts de financement dans la période courante. Alors que les profits effectifs constituent une ressource en liquidité essentielle aux entreprises pour honorer leurs engagements de paiements, les profits anticipés, qui ne sont pas indépendants des profits réalisés, sont précisément la raison pour laquelle elles entreprennent des projets d’investissement. Il est indispensable que les flux de profits anticipés et réalisés soient suffisamment élevés pour que les entreprises puissent contracter de nouveaux prêts ou reporter leurs dettes. Ainsi, les anticipations de profits futurs déterminent les décisions d’investissement et de financement de la période courante ; les flux actuels de profits valident les décisions prises par le passé. Pour Minsky, la relation qui s’établit alors entre les flux de revenu bruts et les paiements de dette est bien celle, cruciale, qui sous-tend les dynamiques macroéconomiques

La robustesse financière d’une entreprise est fonction positive des cash flows que suscite chacun de ses projets d’investissement et fonction négative des flux de charges financières que ces mêmes projets engendrent. Cela amène Minsky à distinguer les entreprises, et plus généralement les agents économiques, selon leur mode de financement. Il identifie ainsi trois structures financières, en l’occurrence les finances prudente, spéculative et Ponzi. Les agents dont la finance est qualifiée de prudente sont ceux dont les cash flows sont suffisants pour faire face, à toute période, aux charges financières. La finance est dite spéculative lorsque les cash flows couvrent les charges d’intérêt à chaque période, mais se révèlent toutefois insuffisants pour rembourser en totalité le principal. Les agents spéculateurs sont ainsi contraints de reconduire continûment leur endettement en émettant par exemple une nouvelle dette pour rembourser le principal des dettes arrivées à échéance. Les banques, notamment parce qu’elles transforment les dépôts à court terme en prêts à long terme, sont typiquement spéculatives. En ce qui concerne les agents pratiquant la finance Ponzi, les cash flows ne couvrent ni le principal, ni même entièrement les charges d’intérêt. L’unité Ponzi est naturellement amenée à emprunter de nouveau ou bien à vendre des actifs pour payer les intérêts. Certains projets d’investissement dont la durée de gestation est particulièrement longue nécessitent, du moins pour un temps, ce type de financement. 

Minsky précise alors le processus de fragilisation financière de l’économie. La mesure de la robustesse globale d’une économie se mesure selon la répartition des différentes unités qui la composent entre les trois structures financières. L’économie est d’autant plus fragile que le poids des unités engagées dans les finances spéculative et Ponzi est important. Dans une situation où prédominent les structures de financement spéculative et Ponzi, un accroissement des taux d’intérêt est propre à amener les agents à réévaluer à la baisse la valeur actualisée et donc entraîner une crise financière. Or, selon Minsky, une économie où dominent les agents prudents va naturellement tendre à devenir une économie où dominent les unités spéculatives et Ponzi. Un système où le financement est essentiellement prudent peut se caractériser par des taux d’intérêt de court terme particulièrement bas au regard des taux de long terme. Avec un tel agencement des taux d’intérêt, il est possible de réaliser des profits en adoptant des comportements spéculatifs. Il s'ensuit une demande accrue d’actifs, une élévation des prix d’actifs et une multiplication des possibilités de gains en capital. Si les agents économiques réalisent et s’attendent à réaliser des gains considérables, alors ils seront naturellement portés à se tourner vers des modes de financement spéculatifs et Ponzi.

Après une certaine période de stabilité macroéconomique, le niveau acceptable d’endettement s’élève. Les banquiers réduisent leur prime de risque, ils acceptent de prêter davantage aux entreprises et ils augmentent pour cela leur propre niveau d’endettement. Avec la diffusion des nouveaux instruments et des nouvelles pratiques financières, le montant de financement disponible pour financer l’activité économique s'accroît. Minsky souligne ainsi le rôle de l’innovation financière dans la dynamique de l’économie. Les prix d’actifs, le niveau d’investissement et le rendement du stock existant d’actifs tendent à augmenter. Les profits croissants générés par un boom d’investissement font bénéficier aux entreprises qui les accumulent de la capacité, du moins apparente, à supporter davantage de dette. L’augmentation concomitante de l’investissement et de l’endettement entraîne une plus grande fragilité financière du système. Ainsi, la simple réalisation des anticipations rend possible l’émergence d’une dynamique instable au sein de l’économie, et ce de façon endogène. C’est bien en ce sens que Minsky considère que « la stabilité est déstabilisante » (p. 51).

Le boom d’investissement subsiste tant que les anticipations optimistes relatives aux rendements sont vérifiées. Mais certains événements peuvent amener de nombreux agents économiques à vouloir lever du cash au même instant. Le boom d’investissement risque en l’occurrence de pousser la banque centrale à relever ses taux directeurs pour réduire les pressions inflationnistes. Avec le resserrement des conditions de financement, les emprunteurs procèdent alors simultanément à des ventes d’actifs. Après avoir liquidé l’actif circulant, certaines entreprises sont même poussées à se défaire d’une partie de l’actif immobilisé, or de telles ventes d’actifs réduisent mécaniquement les futurs cash flows. La détérioration de la situation financière des emprunteurs pousse les prêteurs à exiger de plus fortes primes de risque et à resserrer ainsi les conditions de financement. L’investissement se contracte et entraîne un ralentissement de l’activité via les effets du multiplicateur keynésien. L’ensemble de ce processus peut s’aggraver et pousser l’économie dans un régime déflationniste : la chute des prix d’actifs pousse leurs détenteurs à les vendre, ce qui accélère le déclin de leur prix. Sur ce point, Minsky est en l’occurrence l’un des premiers économistes à avoir saisi la portée du concept de déflation par la dette développé par Irving Fisher (1933). Il introduit ce concept dans sa propre analyse en donnant un rôle crucial aux prix d’actifs. 

L'hypothèse d'instabilité financière serait incomplète sans la prise en compte du cadre institutionnel. Celui-ci est en effet déterminant pour la fragilisation de l'économie et la résolution des crises. En période de turbulences économiques, une relance budgétaire risque de se révéler insuffisante. Les déficits publics compensent en partie la diminution des profits résultant de la chute de l’investissement, mais ils ne peuvent directement enrayer la chute du prix des actifs. L’intervention de la banque centrale en tant que prêteur en dernier ressort se révèle alors essentielle pour stabiliser l’activité. L’intervention des autorités monétaires est avant tout destinée à désamorcer le processus de déflation par la dette. La banque centrale doit tout d’abord agir en augmentant le volume de monnaie en circulation lorsque le marché monétaire s’est asséché ; une telle situation s’observe notamment lorsque la valeur des actifs que les agents peuvent échanger contre de la liquidité s’est effondrée. Le prêteur en dernier ressort vise à éviter qu’une défaillance locale ne se transmette à l’ensemble du système et se traduise par une chute massive des prix d’actifs. Les autorités monétaires doivent ensuite jouer sur les taux d’intérêt durant la période de restructuration financière qui suit une crise de façon de manière à faciliter le retour à une finance prudente. La banque centrale porte enfin la responsabilité d’aiguillonner le développement du système financier : la régulation et la supervision du secteur bancaire visent alors à contenir ses éventuels débordements spéculatifs.

L’environnement institutionnel que les autorités mettent en place suite à une crise financière pour empêcher la répétition des épisodes d’instabilité va toutefois perdre de son efficacité au cours du temps. Les agents privés modifient leurs comportements, innovent, pour contourner les barrières institutionnelles et poursuivre leur course au rendement. Des marchés financiers échappant à toute régulation apparaissent régulièrement. Les autorités doivent alors constamment modifier le cadre institutionnel en réponse aux innovations financières. Les réformes conduites sous Roosevelt avaient érigé des barricades à la finance spéculative. Hyman Minsky note toutefois que, depuis le milieu des années soixante-dix, la Fed oriente trop peu l’évolution de la finance américaine et laisse ainsi émerger des conditions propices à l’instabilité financière. 

Dans la préface à l’ouvrage, Jospeh Vogl rappelle ainsi combien l’hypothèse d’instabilité financière s’avère un cadre théorique des plus pertinents pour analyser et interpréter les évolutions qui ont touché la sphère financière et l’économie mondiale depuis 1982, en particulier la crise du crédit subprime et la Grande Récession. Le boom de l’immobilier des années deux mille fut en effet l’occasion d’une fragilisation financière de l’économie américaine. Les innovations financières ont joué un rôle fondamental en mettant à disposition des agents une offre massive de financement, mais cela au détriment de la qualité du crédit et dans de la stabilité globale. Même si Minsky mourut trop tôt pour voir la diffusion de cette technique, il a toutefois écrit un memo en 1987 dans lequel il précisait la nature et les implications du processus de titrisation. La hausse des prix immobiliers a soutenu amplement le boom en validant la structure d’endettement optée par les ménages et les institutions financières. De nombreux agents ont alimenté la dynamique de fragilisation en reconduisant leur endettement pour rembourser leurs dettes passées. Cet endettement a été un vecteur d’expansion pour l’économie américaine. Il n’était toutefois soutenable que si les prix immobiliers poursuivaient leur hausse. L’apparente stabilité macroéconomique et la régularité de la croissance dissimulaient les déséquilibres aux autorités monétaires. Au milieu de l’année 2006, le marché immobilier américain s’est retourné : les ventes de maisons ont chuté et l’augmentation des prix qui avait été jusque-là très rapide s’est arrêtée. L’accumulation de déséquilibres macrofinanciers s’est traduite par une crise financière au cours de l’été 2007. Les innovations financières qui concoururent à soutenir l’activité depuis le début de la décennie se sont alors révélées être de puissants canaux de transmission de l’instabilité financière. Les autorités budgétaires et monétaires sont intervenues pour contenir les pressions déflationnistes et stabiliser l’activité. L'ampleur de cette intervention a peut-être été insuffisante. Non seulement les économies avancées peinent encore aujourd’hui difficilement à renouer avec la croissance, mais l’environnement institutionnel n’a pas été suffisamment retouché pour empêcher l'éclatement d'une nouvelle crise financière.

 

Références

BROSSARD, Olivier (2001), D’un krach à l’autre. Instabilité et régulation des économies monétaires, Grasset et Fasquelle. 

CHARLES, Sébastien (2006), Macroéconomie hétérodoxe. De Kaldor à Minsky, L’Harmattan.

FISHER, Irving (1933), « The Debt-Deflation Theory of Great Depressions », in Econometrica, vol. 1, n° 4. Traduction française, « La théorie des grandes dépressions par la dette et la déflation », in Revue française d'économie, vol. 3, n° 3, 1988.

MINSKY, Hyman P. (1982), « The financial hypothesis : Capitalist processes and the behaviour of the economy », in C. Kindleberger & J.-P. Laffargue (dir.), Financial Crises. Theory, History, and Policy, Cambridge University Press. 


voir la liste complète des notes de lecture

 

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : D'un champ l'autre
  • : Méta-manuel en working progress
  • Contact

Twitter

Rechercher