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29 mai 2014 4 29 /05 /mai /2014 22:14

Lors de la récente récession, les économistes et les responsables politiques aux Etats-Unis ont considéré le système bancaire comme le principal canal de transmission des turbulences du marché du crédit subprime à l’ensemble de l’économie. Au fil de leurs travaux académiques, des pages de leur livre House of Debt et des billets de leur blog éponyme, Atif Mian et Amir Sufi ont de leur côté suggéré que l’accumulation de la dette des ménages a non seulement conduit à la Grande Récession, mais aussi à la Grande Dépression. Ces épisodes ont en effet tous deux été précédés par une hausse ample et rapide de la dette des ménages et ils furent suivis par une chute des prix d’actifs et de la consommation. Si l’on se focalise sur le dernier cycle immobilier, la dette des ménages américains a régulièrement augmenté depuis 1975 et sa hausse s’est accélérée à partir de 2002 pour doubler en à peine 5 ans. Le ratio dette sur revenus des ménages sur PIB a atteint en 2007 son plus haut niveau depuis le début de la Grande Dépression. 

Cette dynamique s’explique par la plus grande disponibilité du crédit pour les primo-accédants à la propriété. La forte appréciation des prix immobiliers entre 2002 a été alimentée par la disponibilité du crédit hypothécaire à un ensemble plus risqué de nouveaux acheteurs ; en l’occurrence, les zones qui concentrent les emprunteurs subprime ont connu une hausse sans précédents de l’endettement, alors même que leur revenu relatif (voire même absolu pour certains d’entre eux) diminuait [Mian et Sufi, 2009]. L’appréciation des prix immobiliers peut aussi avoir affecté rétroactivement l’endettement des propriétaires existants. Etant donné que 65 % des ménages américains possédaient déjà leur résidence principale avant l’accélération des prix immobiliers, l’effet rétroactif peut avoir fortement contribué à la hausse de l’endettement des ménages. 

Mian et Sufi (2014b) montrent comment la hausse des prix de l’immobilier aux Etats-Unis a eu de puissantes répercussions sur les dépenses des ménages entre 2002 et 2006 en facilitant l’emprunt. En l’occurrence, les ménages vivant dans les zones à faible revenu liquidèrent agressivement leur patrimoine immobilier en réponse à la hausse des prix immobiliers et en profitèrent pour accroître leurs dépenses. En effet, entre 2002 et 2006, les propriétaires empruntèrent en moyenne 0,19 dollar pour chaque dollar gagné en termes de valeur immobilière. Cette moyenne cache une forte hétérogénéité entre les ménages, puisque les ménages les moins liquides (ceux qui disposaient en 2002 d’un revenu moyen inférieur à 50 000 dollars) retiraient environ 0,25 dollar par dollar gagné dans la valeur immobilière, tandis que les ménages les plus liquides sont restés insensibles à la hausse des prix immobiliers. 

Les ménages vivant dans les zones à faible revenu dépensèrent ce supplément de liquidité. Par exemple, entre 2002 et 2006, une hausse de 1 dollar des valeurs immobilières entraîna une hausse moyenne de 0,04 dollar des achats automobiles. Cet effet a été hétérogène. Les ménages vivant dans les zones à haut revenu se montrèrent à nouveau complètement insensibles. L’essentiel de l’effet des prix immobiliers sur les dépenses s’explique par le canal de l’emprunt : la hausse des prix immobiliers importe pour les dépenses parce qu’ils facilitent l’emprunt pour les ménages à faible revenu. Les répercussions sur l'activité économique sont loin d'avoir été négligeables. La hausse des valeurs immobilières ajouta 0,08 % au PIB en 2003, 0,8 % en 2004 et 1,3 % en 2005 et en 2006. Si l'économie américaine avait basculé dans une stagnation séculaire avant même la Grande Récession, alors le boom immobilier a contribué à la dissimuler en stimulant l'activité.

Les premiers signes de difficultés économiques apparurent au deuxième trimestre 2006, avec la hausse des taux de défaut des ménages et un déclin des prix immobiliers [Mian et Sufi, 2010]. Les premières composantes du PIB américain qui se contractèrent en 2007 et début 2008 furent précisément l’investissement résidentiel fixe et la consommation de biens durables, deux composantes qui dépendent étroitement de la capacité et de la volonté des ménages à contracter un emprunt. Mian et Sufi (2010) montrent que l’endettement des ménages a constitué un puissant indicateur avancé de la récession entre 2007 et 2009. Les comtés américains où l’endettement des ménages s’accrut le plus entre 2002 et 2006 sont ceux où les ménages connurent par la suite les plus fortes chutes de leurs valeurs nettes et où les dépenses de consommation de biens durables chutèrent le plus à partir du troisième trimestre de l’année 2006. Les ménages les plus pauvres, qui sont aussi les plus dépendants de l’emprunt et des prix immobiliers, ont donc été contraints de se désendetter et donc de réduire leurs dépenses. Pendant une année entière, cette dynamique ne s’est pas traduite par une hausse du chômage, mais les conditions sur le marché du travail finirent par fortement se dégrader avec l'effondrement de la demande globale. Dans les zones où la valeur nette chuta le plus, les destructions d’emplois ne furent pas le fait des petites entreprises qui dépendent principalement des banques, mais des grandes entreprises en raison des chutes des ventes. 

L’effondrement du marché immobilier entre 2007 et 2009 fut similaire en termes d’amplitude avec l’effondrement boursier de 2001, mais les répercussions macroéconomiques de ces deux épisodes furent radicalement différentes. Mian et Sufi [2014b] avancent une explication simple : la majorité du patrimoine boursier est détenu par les ménages les plus aisés, or ceux-ci n’ont qu’une faible propension à consommer. De la même manière, si la hausse des prix immobiliers observée depuis 2011 n’a pas contribué à autant stimuler l’activité économique qu’ils le firent entre 2002 et 2006, c’est précisément parce que le canal de l’emprunt est fermé pour les ménages les plus sensibles aux variations des prix immobiliers, c’est-à-dire les plus pauvres. Bref, les facteurs qui ont stimulé la croissance économique avant 2007 ont également contribué à aggraver la contraction du PIB lors de la récession, puis à peser sur l'activité lors de la reprise subséquente.

Ces divers résultats viennent accréditer l’idée que la hausse des inégalités de revenu et de patrimoine aux Etats-Unis a joué un rôle moteur dans l’accumulation des déséquilibres qui ont mené à la plus grave crise économique depuis la Grande Dépression (une thèse sur laquelle je me suis penché ici et ). Si les conclusions de Mian et Sufi sont justes, les politiques économiques qui ont été menées lors de la crise du crédit subprime et lors de la Grande Récession ont excessivement privilégié la protection des créanciers, notamment avec le renflouement des banques. Au lieu de chercher à accroître l’offre de crédit, elles devraient au contraire viser à stimuler la demande de crédit. Pour cela, Mian et Sufi (2014a) estiment que l’effacement des dettes est une solution de court terme des plus efficaces lors des plus sévères ralentissements de l’activité. A plus long terme, ils proposent de remplacer les prêts par des contrats qui imposeraient un partage des pertes entre prêteurs et emprunteurs. 

 

Références

The Economist (2014), « The opposite of insurance », 17 mai.

MIAN, Atif, & Amir SUFI (2009), « The consequences of mortgage credit expansion: Evidence from the U.S. mortgage default crisis », in Quarterly Journal of Economics, vol. 124.

MIAN, Atif, & Amir SUFI (2010), « Household leverage and the Recession of 2007 to 2009 », IMF Economic Review, vol. 58.

MIAN, Atif, & Amir SUFI (2011), « House prices, home equity based borrowing, and the U.S. household Leverage crisis », in American Economic Review, vol. 101.

MIAN, Atif, Kamalesh RAO & Amir SUFI (2013), « Household balance sheets, consumption, and the economic slump », in Quarterly Journal of Economics, vol. 128.

MIAN, Atif, & Amir SUFI (2014a), House of Debt: How They (and You) caused the Great Recession, and How We Can Prevent It from Happening Again, University of Chicago Press.

MIAN, Atif, & Amir SUFI (2014b), « House price gains and U.S. household spending from 2002 to 2006 », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 20152, mai.

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8 mars 2014 6 08 /03 /mars /2014 13:44

Si la politique monétaire est susceptible de stimuler l'activité, c'est notamment en stimulant la prise de risque. La baisse des taux d'intérêt nominaux, mais aussi des mesures moins conventionnelles comme l'assouplissement quantitatif ou le forward guidance semblent conduire à une baisse des primes de risque sur les obligations du Trésor à long terme et des primes de risque du crédit sur les obligations d’entreprise qui se révèlent favorables à l'investissement. Or, ces prises de risques peuvent se révéler à double tranchant si les agents s'endettent pour les financer ; un endettement excessif fragilise l’ensemble du système financier et expose alors l’économie à une crise financière.

Michael Feroli, Anil Kashyap, Kermit Schoenholtz et Hyun Song Shin (2014) suggèrent que les autorités publiques ne doivent pas seulement se préoccuper du levier d’endettement dont font usage les banques traditionnelles ou le secteur bancaire parallèle (shadow banking system), mais également se soucier des risques financiers associés au comportement des gestionnaires d’actifs qui n’ont pas recours à l’endettement, par exemple des gestionnaires des fonds obligataires. Les fonds à revenu fixes ont connu une forte expansion depuis le début de la crise financière mondiale, alors que plusieurs indicateurs d’endettement du secteur financier ont diminué. Or, le comportement de ces institutions financières n’est pas forcément compatible avec la stabilité financière.

Les auteurs développent un modèle où la gestion d’actifs sous mandat est l’objet d’aléas moraux. Dans leur modélisation, les gestionnaires d’actifs s’inquiètent de leur performance relative, si bien qu’un environnement de faibles taux d’intérêt de court terme est susceptible de les encourager à se lancer dans une quête de rendement, qui se traduit alors par une baisse des primes de risque. Il suffit alors que la banque centrale resserre sa politique monétaire ou annonce un tel resserrement pour que cette quête de rendement s’achève soudainement sur une forte correction des primes de risque, à l’instar de la plus forte volatilité des spreads observée sur les marchés financiers au cours du printemps et de l’été 2013.

Feroli et ses coauteurs rejettent ainsi le « principe de séparation », selon lequel les banques centrales doivent se contenter d’utiliser leur politique monétaire pour atteindre le plein emploi et la stabilité des prix, tout en laissant la question de la stabilité financière à la politique prudentielle. En effet, les outils traditionnels de politique macroprudentielle comme le contrôle du crédit ne suffisent pas pour s’attaquer aux risques que les investisseurs sans endettement font peser sur la stabilité financière. En raison de l’efficacité limitée de la réglementation et de l’impact direct de la politique monétaire sur le comportement des gestionnaires d’actifs, les banques centrales doivent nécessairement prendre en compte les risques associés à ces derniers lorsqu’elles élaborent leur politique monétaire.

Ainsi, les décisions qu’une banque centrale doit prendre lorsque l’économie est déprimée sont moins faciles qu’on ne pourrait habituellement le penser. L’arbitrage auquel une banque centrale fait face ne consiste pas vraiment à choisir entre plus ou moins de relance aujourd’hui ; il s’agit plutôt d’un arbitrage intertemporel à travers lequel opter pour une relance aujourd’hui complique la normalisation de la politique monétaire demain. Les politiques monétaires non conventionnelles conduisent également à une accumulation de risques financiers difficiles à renverser plus tard. La pratique même du forward guidance, qui est adoptée lorsque les taux directeurs butent sur leur borne inférieure zéro (zero lower bound), vise à accélérer la reprise en encourageant la prise de risque, mais ce faisant elle accroît le risque d’instabilité financière lorsque la banque centrale resserrera sa politique monétaire.

Même si Feroli et ses coauteurs ne portent aucun jugement sur les décisions prises par la banque centrale américaine, leur étude vient préciser les conditions auxquelles cette dernière fait face. La Fed annonce depuis quelques mois un resserrement de sa politique monétaire. Certains s'inquiètent que ce resserrement, voire même sa simple annonce, déstabilise les pays émergents ; cette nouvelle étude suggère que le tapering pourrait générer des trubulences financières au sein même de l'économie américaine.

 

Références

FEROLI, Michael, Anil K. KASHYAP, Kermit SCHOENHOLTZ & Hyun Song SHIN (2014)« Market tantrums and monetary policy », présenté lors du 2014 U.S. Monetary Policy Forum, New York, 28 février.

STEIN, Jeremy C. (2014)« Comments on "Market tantrums and monetary policy" », présenté lors du 2014 U.S. Monetary Policy Forum, New York, 28 février.

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21 janvier 2014 2 21 /01 /janvier /2014 22:43

Au sortir de la récente crise mondiale, la reprise a été particulièrement lente : la croissance et la création nette d’emplois sont restées faibles. A travers leurs divers travaux, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff (parmi d’autres chercheurs) ont montré que les récessions tendent à être plus profondes et plus longues lorsqu’elles sont précédées d’une crise financière, ce qui est précisément le cas avec la Grande Récession. Ces travaux sont particulièrement cruciaux, car ils permettent de déterminer si oui ou non la reprise est « normale » par rapport aux précédentes et, par conséquent, si la réponse des auteurs publiques est oui ou non adaptée.

Dans une nouvelle étude, Reinhart et Rogoff (2014) ont observé l’évolution du PIB réel par tête au cours de 100 crises bancaires de dimension systémique, c’est-à-dire marqués par des paniques bancaires, un taux élevé de créances douteuses, des liquidations bancaires et de larges interventions publiques visant à soutenir les banques. Plus précisément, ils se penchent sur 63 crises qui se sont produites dans les pays avancés et 37 crises dans les pays émergents. Pour évaluer la durée d’une récession, ils observent la durée nécessaire pour que le PIB réel par tête retrouve son niveau d’avant-crise. Ce sont les pays producteurs de matières qui ont connu les plus dramatiques effondrements dans la production et de véritables décennies perdues. C’est le cas par exemple de l’Australie en 1983 et du Chili en 1926. Plusieurs de ces épisodes ne sont pas de pures crises bancaires, puisqu’ils se sont notamment accompagnés d’un effondrement de la devise, voire d’un défaut souverain.

Une partie des coûts macroéconomiques associés aux crises bancaires est due à la nature prolongée et hésitante de la reprise. La reprise suite à une crise bancaire ne suit pas un profil en V comme certains auteurs ont pu le suggérer. 45 % des crises bancaires ont conduit à une récession en double creux (double dips) : le PIB réel par tête peut à nouveau baisser alors même qu’il n’a toujours pas retrouvé son niveau maximal d’avant-crise. Les crises les plus sévères sont les plus susceptibles de conduire à une récession en double creux. La durée moyenne de retour au pic d’activité est de 8 ans, tandis que la durée médiane est d’environ 6,5 ans. Si les pays émergents expérimentent en moyenne de plus forte chute de leur niveau de production que les pays avancés, ils ne connaissent pas forcément une plus longue crise.

Les auteurs se penchent ensuite sur le profil de la Grande Récession dans 12 pays avancés, en l’occurrence l’Allemagne, l’Espagne, les Etats-Unis, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et l’Ukraine. 5 à 6 ans après le début de la récente crise mondiale, seuls l’Allemagne et les Etats-Unis ont retrouvé le niveau maximal du revenu réel qu’ils avaient atteint en 2007-2008. Le PIB réel par tête continuait de se contracter en 2013 en Espagne, en Grèce, en Italie, aux Pays-Bas et au Portugal. Même en utilisant les prévisions du FMI (réputées pour être optimistes), il n’est pas certain que le PIB réel par tête ait retrouvé en 2018 son niveau d’avant-crise dans les pays périphériques de la zone euro. Pour la Grèce, l’Italie et le Royaume-Uni, la Grande Récession se sera au final révélée être bien plus sévère que la Grande Dépression des années trente. 

Les auteurs en concluent que la lenteur de l’actuelle reprise n’est pas exceptionnelle au regard des crises bancaires qui sont survenues avant la Seconde Guerre mondiale. En revanche, la crise que viennent de traverser les pays européens (excepté l’Allemagne) apparait comme une anomalie au regard de ce qu’ils ont expérimenté après le conflit mondial. Beaucoup d’auteurs (notamment Antonio Fatás et Ilian Mihov) ont précédemment relié la lenteur de l’actuelle reprise aux politiques conjoncturelles mises en place depuis la Grande Récession : les banques centrales maintiennent certes des politiques monétaires ultra-accommodantes, mais les Etats ne cherchent pas de leur côté à stimuler l’activité à travers la relance budgétaire ; ils adoptent au contraire des mesures d’austérité pour réduire leur endettement public. Les gouvernements européens restent persuadés qu’une combinaison d’austérité budgétaire et de réformes structurelles suffiront à assurer la croissance économique, la stabilité financière et la soutenabilité de la dette (tant privée que publique). Au regard des résultats que Reinhart et Rogoff obtiennent au terme de leur nouvelle étude, il n’est pas illégitime de penser que la politique budgétaire contraint effectivement la reprise dans de nombreux pays européens.

D'une part, les gouvernements doivent assouplir leur politique budgétaire (ou tout du moins cesser de la resserrer) pour accélérer la reprise économique. D'autre part, ils doivent enfin se résoudre à renouer avec certaines pratiques qu’ils avaient eu tendance à délaisser ces dernières décennies s’ils désirent véritablement réduire le fardeau de leur endettement : les restructurations de dette, l’accélération de l’inflation, les contrôles de capitaux et d’autres formes de répression financière. 

 

Références

FATÁS, Antonio, & Ilian MIHOV (2013), « Recoveries », CEPR discussion paper, n° 9551.

REINHART, Carmen M., & Kenneth S. ROGOFF (2014), « Recovery from financial crises: Evidence from 100 episodes », NBER working paper, n° 19823, janvier.

REINHART, Carmen M., Kenneth S. ROGOFF & Max HARRIS (2014), « Output cycles and financial crises, 1800-2013 ». 

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