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21 mars 2014 5 21 /03 /mars /2014 15:52

La Grande Récession a fortement creusé les déficits budgétaires des pays développés alors même que leurs ratios de dette publique étaient initialement élevés, soulevant rapidement des inquiétudes quant à la soutenabilité de leurs finances publiques. Les marchés de la dette publique de la zone euro subissent de fortes turbulences à partir de la fin de l’année 2009. Ce sont quelques Etats-membres qui cristallisent l’inquiétude des marchés. La crise de la dette souveraine mène rapidement l’union monétaire au bord de l’éclatement et menace de faire basculer l’économie mondiale dans une nouvelle crise économique. Malheureusement, les Etats-membres ne répondent que maladroitement à la déstabilisation des marchés obligataires et ne parviennent pas à se coordonner pour offrir une solution définitive.

Ce sont les autorités monétaires qui mettront fin aux turbulences obligataires. Après plusieurs mois de forte hausse des taux d’intérêt sur les obligations souveraines, Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, s’engage le 26 juillet 2012 à faire « tout ce qui serait nécessaire » pour préserver la zone euro. Le programme Outright Monetary Transactions (OMT) est officiellement annoncé début septembre : la BCE s’engage à acheter de façon illimitée les titres publics des Etats-membres en difficulté, mais son intervention est conditionnée : les pays bénéficiaires devront adopter de sévères plans d’ajustement et ne pas dépendre de la seule BCE pour se financer. La déclaration de Draghi entraîne dès l’été une baisse significative et durable des primes de risque souverain dans les pays en difficulté de la zone euro. En l’occurrence programme OMT n’a pas eu à être effectivement appliqué pour stabiliser les marchés de la dette souveraine ; sa simple annonce suffit à se révéler efficace. Draghi considère ainsi le programme OMT comme « probablement la mesure de politique monétaire la plus réussie qui ait été récemment entreprise ».

Jens Weidmann, président de la Bundesbank et gouverneur à la BCE s’est immédiatement opposé au programme OMT, en affirmant que ce dernier dépassait le mandat de la BCE et violait l’article 123 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne : ce dernier interdit le financement monétaire d’Etats-membres en difficulté. Aux yeux de nombreux décideurs et économistes allemands, le programme OMT serait une sorte de chèque en blanc pour les pays du Club Med supporté par le contribuable allemand et il menacerait directement l’indépendance de la BCE. Weidmann a porté l’affaire devant la Cour constitutionnelle allemande installée à Karlsruhe. Celle-ci a finalement déclaré le 7 février 2014 que le programme OMT violait effectivement le Traité de Lisbonne et n’était pas compatible avec la constitution allemande. Les juges allemands ont renvoyé leur plainte devant la Cour européenne de justice en demandant à celle-ci d’ajouter des conditions au programme OMT pour qu’ils acceptent de reconsidérer leur jugement : selon eux, le programme OMT ne peut être légal que si le volume des achats est limité a priori, qu’il exclut toute perte sur les titres publics et ne perturbe pas la formation des prix sur les marchés obligataires.

La décision de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe renforce la position des Allemands et des autres Européens qui souhaitent une réduction de l'aide apportée aux pays en difficulté et qui s'opposent à un plus grand transfert de souveraineté au niveau européen. Mais par là même elle risque de bloquer les avancées institutionnelles en zone euro, elle rendrait l’union monétaire plus vulnérable aux chocs macroéconomiques et elle nourrirait en définitive le ressentiment populaire face au projet européen dans les autres pays-membres, en particulier ceux en difficulté. Les conditions supplémentaires exigées par la Cour constitutionnelle allemande dénueraient le programme OMT de tout efficacité et le rendrait totalement inutile si elles étaient effectivement ajoutées. Les marchés obligataires ont réagi calmement aux décisions de Karlsruhe, mais celles-ci ne manqueront pas de fortement contraindre l’action de BCE si les primes de risque souverain connaissent une nouvelle envolée. La zone euro risque à nouveau de connaître régulièrement des crises de la dette souveraine et par là même d’éclater. Même si les tensions ne ressurgissent pas sur les marchés obligataires et que la décision de Karlsruhe n’empêche pas la BCE d’acheter d’amples montants de titres, il devient difficile pour la BCE de mettre en œuvre l’équivalent d’un programme d’assouplissement quantitatif aussi audacieux que celui de la Fed, au moment même où la zone euro menace de basculer dans la déflation.

C’est précisément la conclusion à laquelle aboutit Paul De Grauwe (2014) lorsqu’il met en évidence les erreurs entachant le raisonnement économique des juges de Karlsruhe. Selon la Cour constitutionnelle allemande, les rendements obligataires expriment les évaluations du marché quant au défaut souverain. Les achats de titres publics opérés par la BCE, en réduisant les primes de risque souverain, perturbent ces évaluations. La BCE ne conduit plus alors la politique monétaire, mais la politique économique, auquel cas elle transgresse son mandat. Les juges de Karlsruhe supposent que les marchés obligataires évaluent correctement le risque de défaut souverain. Cette idée dépend finalement de la théorie des marchés efficients, selon laquelle les cours reflètent l’ensemble de l’information disponible et constituent par conséquent la meilleure évaluation possible du risque de défaut. [1]

Or, les études empiriques et surtout les crises financières qui ponctuent régulièrement l’histoire économique amènent à rejeter l’hypothèse de marchés efficients : dans la réalité, les marchés financiers sont imparfaits et les cours des titres ne reflètent pas forcément les fondamentaux économiques. En l’occurrence, la déconnexion entre le rendement et la valeur fondamentale est susceptible d’être particulière aigue sur les marchés de la dette publique d’une union monétaire. En effet, les Etats-membres émettent des titres dans une monnaie sur laquelle ils n’ont pas de contrôle. Les gouvernements ne peuvent alors garantir qu’ils fourniront la liquidité nécessaire pour rembourser les titres lorsqu’ils parviendront à maturité, puisqu’ils ne disposent pas d’une banque centrale pour fournir cette liquidité. Les marchés obligataires d’une union monétaire sont caractérisés par des équilibres multiples ; ils peuvent connaître des crises autoréalisatrices : une simple annonce est susceptible de faire basculer d’un bon équilibre, caractérisé par un faible taux d’intérêt, à un mauvais équilibre, caractérisé par un taux d’intérêt élevé. Même si l’endettement public est initialement soutenable, la simple crainte d’un défaut souverain amène les marchés obligataires à exiger de plus hauts taux d’intérêt et à refuser de fournir de la liquidité, ce qui contraint l’Etat à faire effectivement défaut s’il ne dispose pas d’un soutien financier extérieur. Cela explique notamment pourquoi ce sont certains pays de la zone euro et non pas les autres pays développés (disposant de leur souveraineté monétaire) qui ont connu une crise de la dette souveraine. 

Les marchés obligataires ne peuvent être maintenus à un bon équilibre que si la banque centrale de l’union monétaire joue son rôle de prêteur en dernier ressort pour les Etats, chose qu’a précisément cherché à faire la BCE en lançant son programme OMT. Dans la mesure où les primes de risque souverain n’étaient pas corrélés aux fondamentaux (tels que les ratios de dette publique), les turbulences observées sur les marchés obligataires de la zone euro entre 2010 et 2012 étaient de nature autoréalisatrice. En annonçant le programme OMT, la BCE a ramené les marchés de la dette publique à un bon équilibre. Pour agir, elle doit intervenir sur le marché secondaire (ou tout simplement se montrer prête à y intervenir) ; seule l’intervention sur le marché primaire est effectivement contraire aux traités de l’Union européenne. Réciproquement, en empêchant la BCE d’intervenir, la décision de la Cour constitutionnelle allemande expose à nouveau l’union monétaire à des crises autoréalisatrices. 

En outre, pour Paul De Grauwe, les juges allemands se basent sur une conception incorrecte du fonctionnement des banques centrales lorsqu’ils considèrent les implications budgétaires du programme OMT. Selon la Cour constitutionnelle allemande, si la BCE a acheté des titres publics et si l’Etat qui les a émis fait défaut, alors la BCE perdra des fonds propres et les Etats-membres devront la recapitaliser, si bien que les contribuables européens (en particulier les Allemands) devront payer davantage d’impôts pour financer la recapitalisation sans qu’il y ait eu un quelconque vote démocratique. De Grauwe rejette cette vision des choses. En effet, si, par exemple, la BCE achète des titres de l’Etat italien, celui-ci lui versera des intérêts et ces derniers seront partagés entre les Etats-membres. Comme l’Allemagne détient une large part du capital de la BCE, elle recevra une large part des intérêts.  Non seulement le contribuable allemand n’a pas payé davantage d’impôts pour financer l’achat des titres italiens par la BCE, mais les besoins de financement de l’Etat allemand s’en trouveront réduits, si bien qu’il pourra utiliser les intérêts pour alléger la fiscalité. Si l’Etat italien fait défaut, la BCE cessera simplement de percevoir des intérêts et le contribuable allemand n’aura pas à payer plus d’impôts. Certes le montant des fonds propres de la BCE diminuera, mais une banque centrale ne peut faire défaut aussi longtemps qu’elle dispose du pouvoir de monopole pour émettre de la monnaie. Mais si, malgré tout, les Etats-membres décident de recapitaliser la BCE, la recapitalisation ne sera qu’un simple jeu d’écriture comptable sans, encore une fois, que cela ait impliqué le contribuable allemand. 

Paul De Grauwe reconnaît toutefois que le programme n’est pas sans risques. D’une part, les achats de titres publics accroissent le risque d’une accélération de l’inflation en accroissant la base monétaire. Mais, à court terme, il est probable que l’économie fasse plutôt face au risque de déflation lorsque la BCE est contrainte de mettre à l’œuvre le programme OMT. Et, une fois la reprise amorcée, la BCE peut relever les exigences en réserve pour éviter une expansion excessive du crédit. D’autre part, le programme OMT est source de possibles aléas moraux : il incite les Etats à moins chercher à contrôler leurs finances publiques. Toutefois, c’est à la Commissions européenne de contenir le risque moral. 

 

[1] Paul De Grauwe note qu’il est étrange que le programme LTRO lancé dès 2011 et consistant à fournir de larges montants de liquidité aux banques n’ait pas également été jugé illégal. La cour constitutionnelle allemande n’applique pas aux interventions de la BCE dans le secteur bancaire la même logique qu’elle applique pour les interventions sur les marchés de la dette publique. 

 

Références

DE GRAUWE, Paul (2014), « Economic theories that influenced the judges of Karlsruhe », in VoxEU.org, 13 mars.

DE GRAUWE, Paul, & Yuemei JI (2012), « Self-fulfilling crises in the eurozone. An empirical test », CAMA working paper, août. 

DE GRAUWE, Paul, & Yuemei JI (2013), « Panic-driven austerity in the Eurozone and its implications », in VoxEU.org, 21 janvier.

EVANS-PRITCHARD, Ambrose (2014), « German court parks tank on ECB lawn, kills OMT bond rescue », in The Telegraph, 7 février. 

EVANS-PRITCHARD, Ambrose (2014), « Paralysed ECB leaves Europe at the mercy of deflation shock from China », in The Telegraph, 12 mars.

GODIN, Romaric (2014), « Comment les juges de Karlsruhe ont tué l’OMT de la BCE », in La Tribune, 11 février.

MODY, Ashoka (2014), « The ECB’s bridge too far », in Project Syndicate, 11 février. Traduction française, « Le pas de trop de la BCE ». 

MÜNCHAU, Wolfgang (2014), « Germany’s constitutional court has strengthened the eurosceptics », in Financial Times, 9 février. 

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18 mars 2014 2 18 /03 /mars /2014 09:21

La violence de la Grande Récession et la faiblesse de la subséquente reprise ont amené plusieurs banques centrales dans les pays développés à adopter et à maintenir des politiques monétaires extrêmement accommodantes. En l’occurrence, une fois la borne inférieure zéro (zero lower bound) atteinte, les autorités monétaires n’ont pu davantage stimuler l’économie qu’en adoptant des mesures non conventionnelles, notamment d’amples achats d’actifs à travers le programme de l’assouplissement quantitatif (quantitative easing). Ces mesures de politique monétaire ne se sont pas répercutées sur les seules économies domestiques. En effet, les faibles taux d’intérêt nominaux aux Etats-Unis et l’assouplissement quantitatif ont conduit à d’amples entrées de capitaux à destination de plusieurs pays émergents puisque les investisseurs financiers ont recherché de plus rentables opportunités d’investissements hors des pays avancés. Ces afflux, que la présidente brésilienne Dilma Rousseff compare à un véritable « tsunami de liquidité », ont poussé les taux de change des pays émergents à la hausse et ont forcé plusieurs gouvernements locaux à instaurer des contrôles des capitaux, notamment au Brésil, en Corée du Sud et en Indonésie. Plusieurs gouvernements ont ainsi accusé dans un premier temps les Etats-Unis de mener une guerre des devises particulièrement nuisible à la compétitivité et à la stabilité de leur économie.

Les banques centrales des pays avancés ne peuvent toutefois gonfler indéfiniment leur bilan et le retour des conditions macroéconomiques à la normale accroît le risque de tensions inflationnistes et de booms spéculatifs dans leur économie, ce qui ne va pas manquer de les amener à resserrer leur politique monétaire. Ben Bernanke, alors président de la Fed, a précisément annoncé le 22 mai 2013 une réduction (tapering) dans le rythme des achats d’actifs réalisés mensuellement par la Fed. L’annonce du tapering a rapidement été suivie par des dynamiques symétriques à celles observées aux premiers temps de l’assouplissement quantitatif. Durant l’été 2013, puis de nouveau à partir de la fin de l’année, certains pays émergents ont connu de brutales sorties des capitaux, puisque les investisseurs financiers ont désormais anticipé de meilleurs rendements aux Etats-Unis. Avec les sorties de capitaux, les taux de change des pays émergents se sont fortement dépréciés, ce qui accroît le prix des biens importés et amène certaines banques centrales à resserrer leur politique monétaire pour stabiliser leur devise, or l’inflation et le resserrement monétaire pèsent sur la croissance économique. Les pays émergents sont alors susceptibles de basculer dans un véritable cercle vicieux, puisque la détérioration des perspectives de croissance risque de conduire à une nouvelle fuite des capitaux. Mais comme beaucoup ont pu l’observer, tous les pays émergents n’ont pas été affectés de la même manière et certains ont semblé en être relativement épargnés par la crise des changes (cf. graphique). L’Afrique du Sud, le Brésil, l’Inde, l’Indonésie et la Turquie ont pu apparaître comme les plus vulnérables, si bien qu'ils ont reçu le nom de « cinq fragiles ». 

GRAPHIQUE Taux de change avec le dollar (base 100 le 1er mai 2013)

pays-emergents--club-des-devises-plongeantes--The-Economis.png

source : The Economist (2014)

Comme nous l’avons vu dans un précédent billet, Barry Eichengreen et Poonam Gupta (2014) ont cherché à déterminer quels pays ont été affectés par le tapering et pourquoi. Pour cela, ils ont analysé l’évolution des taux de change, des réserves de devises et des cours boursiers sur la période s’étalant entre avril et août 2013. Ils conclurent que de meilleurs fondamentaux n’immunisent pas contre les annonces du tapering. En effet, les pays dotés des plus larges marchés financiers ont subi davantage de pressions sur les taux d’intérêt, les réserves de devises et les cours boursiers. 

Dans une plus récente étude, Joshua Aizenman, Mahir Binici et Michael Hutchison (2014) se sont penchés sur les diverses annonces faites par les responsables de la Fed à propos du tapering et ils ont cherché à évaluer leur impact sur les marchés financiers des pays émergents. Ils ont observé les données quotidiennes de la période s’étalant entre novembre 2012 et octobre 2013. L’idée d’une réduction du programme d’achats d’actifs à grande échelle a commencé à émerger à partir de fin 2012, soit précisément au début de la période observée. Cependant, durant celle-ci, plusieurs responsables de la Fed ont aussi régulièrement souligné la nécessité de poursuivre l’assouplissement quantitatif. 

Les trois économistes constatent que les prix d’actifs des pays émergents réagissent le plus aux déclarations de Ben Bernanke et beaucoup moins aux autres responsables de la Fed, qu’ils s’agissent des présidents des réserves fédérales régionales ou des autres membres du bureau des gouverneurs. Ce constat est cohérent avec l’idée que le président est à même de fixer et d’influencer l’agenda et Bernanke a la particularité de communiquer longuement et clairement. Par contre, les autres responsables de la Fed ont des idées divergentes et parfois incohérentes. 

Joshua Aizenman et ses coauteurs font ensuite la distinction entre 11 pays émergents ayant des fondamentaux « robustes » (c’est-à-dire des excédents de comptes courants, d’importantes réserves de devises et une faible dette externe) et 16 pays émergents ayant de « fragiles » fondamentaux. Ils constatent que ce sont les pays les plus robustes qui ont été les plus fortement affectés par les annonces du tapering. Les annonces de Bernanke à propos du tapering ne conduisent à des chutes de cours boursiers et hausses des primes de risque souverain que dans les pays émergents robustes. Elles entraînent une chute du taux de change dans l’ensemble des pays émergents, mais cette dépréciation est trois fois plus importante parmi les pays robustes que parmi les pays fragiles. Selon l’interprétation qu’en font Aizenman et alii, les annonces du tapering ont eu moins d’impact sur les pays qui reçurent peu de capitaux au début de l’assouplissement quantitatif et eurent moins à perdre en termes de rapatriement des capitaux. L’autarcie financière tendrait alors effectivement à immuniser contre les nouvelles financières. 

 

Références

AIZENMAN, Joshua, Mahir BINICI & Michael M. HUTCHISON (2014), « The transmission of Federal Reserve tapering news to emerging financial markets », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 19980, mars.

EICHENGREEN, Barry, & Poonam GUPTA (2014), « Tapering talk: The impact of expectations of reduced Federal Reserve security purchases on emerging markets », Banque mondiale, policy research working paper, n° 6754, janvier.

NECHIO, Fernanda (2014), « Fed tapering news and emerging markets », Réserve fédérale de San Francisco, FRBSF Economic Letter, n° 2014-06.

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15 mars 2014 6 15 /03 /mars /2014 17:26

Dans plusieurs pays industriels, la Grande Récession a entraîné une chute permanente de la production agrégée et a été suivie par une reprise sans emplois ou, tout du moins, d’une reprise tellement faible qu’elle s’est révélée incapable de générer des emplois. La croissance du PIB aux Etats-Unis et en Europe n’a pas retrouvé son rythme d’avant-crise. Dans les pays développés, la nouvelle trajectoire que suit leur PIB suite à la crise est inférieure de 10 % à la trajectoire qu’il suivait avant celle-ci. Pourtant, les gouvernements ont adopté des politiques monétaires extrêmement accommodantes, notamment des taux directeurs au plus proche de leur borne inférieure zéro (zero lower bound) et des mesures non conventionnelles telles que l’assouplissement quantitatif. 

GRAPHIQUE 1  Niveau du PIB (en logarithme)

Wen-Wu--PIB-Chine--Europe--Etats-Unis--Grande-Recession.png

source : Wen et Wu (2014) 

La Chine n’a pas échappé à la Grande Récession : elle a connu l’un des plus sévères effondrements des échanges extérieurs depuis la Grande Dépression en subissant une chute permanente de 45 % de ses exportations. Et pourtant, la Chine s’est au final montrée bien plus résiliente que les pays développés. Elle a été la première grande économie à avoir connu une reprise de l’activité économique suite à la crise mondiale. Dès fin 2009, le taux de croissance du PIB chinois retrouve les deux chiffres en atteignant 11,4 % en rythme annuel, soit un taux supérieur à sa moyenne de long terme. Les pertes de production associées à la Grande Récession n'ont été que transitoires. Le PIB chinoise a rattrapé dès le début de l’année 2010 la trajectoire qu’il suivait avant la crise sans que les autorités chinoises aient à adopter une politique monétaire particulièrement accommodante. Malgré la crise mondiale et une demande mondiale déprimée, la production industrielle chinoise a doublé entre 2007 et 2013. La croissance chinoise a contribué à la moitié de la croissance du PIB durant la crise, alors même que la Chine représente moins de 10 % du PIB mondial. 

GRAPHIQUE 2  Taux de croissance du PIB (en %)

Wen Wu, croissance PIB Chine, Europe, Etats-Unis

source : Wen et Wu (2014)

Yi Wen et Jing Wu (2014) ont cherché à expliquer le comportement singulier de l’économie chinoise lors de la Grande Récession. Selon eux, le fait que la Chine connaisse une croissance à deux chiffres avant la crise n’explique pas la reprise qu’elle a connue par la suite. Par exemple, plusieurs émergents comme la Malaisie et le Thaïlande connaissaient une croissance rapide avant la crise asiatique, mais elles furent incapables de renouer avec de telles performances après. La reprise chinoise ne s’explique pas non plus par la faible intégration de la Chine au système financier mondiale. Par exemple, l’Afrique du Sud et la Russie ont également été immunisés contre les actifs toxiques et les scandales bancaires, mais leur production subit malgré tout des pertes permanentes avec la Grande Récession. La crise mondiale se transmit à leur économie via les liens commerciaux : comme la Chine, les deux pays émergents connurent un effondrement de leurs échanges extérieurs. Wen et Wu rappellent que le gouvernement chinois injecta de larges montants de liquidités dans le système bancaire, mais cela n’explique pas pourquoi les banques chinoises furent enclines à prêter, ni pourquoi des entreprises acceptèrent de s’endetter, dans un contexte de très faible demande extérieure et de forte incertitude.

Pour Wen et Wu, si la Chine a su renouer très rapidement avec de robustes performances macroéconomiques, c’est parce qu’elle a mis en œuvre un plan de relance budgétaire bien plus audacieux que ne l’ont fait les pays développés, d'un montant proche de 4 mille milliards de yuan. Le gouvernement chinois a précisément cherché à stabiliser la demande globale en optant, non pas pour l’assouplissement monétaire, mais pour la relance budgétaire. Les entreprises publiques ont généré une puissante force contracyclique face à l’effondrement des exportations et de la demande agrégée en agissant comme l’équivalent d’un stabilisateur automatique. En effet, en temps normal, elles cherchent à maximiser leur profit, même si elles se révèlent moins efficaces et rentables que les entreprises privées ; mais, en période de récession, elles consentent à stimuler la production et leurs dépenses d’investissement. Lors de la relance budgétaire en 2009, les entreprises publiques ont davantage emprunté et accru leurs dépenses d’investissement fixe, ce qui a permis une forte accélération de l’investissement privé et de la croissance du PIB. Ainsi, la plupart des pertes subies par le secteur public en 2009 avec l’accumulation des stocks et la multiplication des projets d’investissement peu utiles ont été effacées avec le boom subséquent de l’activité. Même si la taille relative des entreprises publiques a décliné depuis la réforme de 1978, elles représentaient un cinquième de l’emploi total en 2008, si bien qu’elles ont pu jouer efficacement leur rôle de « stabilisateur automatique ».

De leur côté, les gouvernements occidentaux ont privilégié la relance monétaire pour stabiliser l’activité. Or, non seulement la politique monétaire n’a pas véritablement incité les agents à accroître leurs dépenses d’investissement, puisqu’elle ne crée pas en soi des opportunités d’investissement, mais certains Etats ont également adopté des plans d’austérité. Le resserrement budgétaire tend à réduire les débouchés pour les entreprises alors même qu’elles souffrent initialement d’une faible demande, si bien qu’il a pu maintenir plusieurs économies avancées dans la récession, voire la dépression, et provoquer un essor durable du taux de chômage.

 

Références

WEN, Yi, & Jing WU (2014), « Withstanding Great Recession like China », Federal Reserve Bank of Saint Louis, working paper, n° 2014-007A, mars.

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