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27 mars 2014 4 27 /03 /mars /2014 23:26

Depuis l'antiquité, beaucoup se sont demandés quel régime politique favorise la prospérité économique. Certains suggèrent qu’un régime autoritaire promeut plus efficacement le développement économique qu’un régime démocratique, en particulier dans les pays relativement pauvres. Ces dernières décennies, plusieurs pays asiatiques ont su amorcer et maintenir un rythme soutenu de croissance, sans pour autant avoir à adopter un modèle démocratique. Les régimes autoritaires seraient incités à mettre en place les politiques économiques qui favorisent la croissance afin d’éviter le mécontentement populaire, ce qui leur permet d'assurer la stabilité du régime. En outre, les gouvernements autoritaires seraient les plus à même à exploiter les ressources naturelles et ainsi à préserver leur économie d'une « maladie hollandaise », en permettant à une minorité de confisquer directement la rente générée par l'exploitation des ressources naturelles et encore une fois de l'utiliser pour promouvoir l'activité économique et la stabilité du régime, en réduisant les impôts et en accroissant les aides publiques.

Réciproquement, l’adoption d’un régime démocratique pourrait pénaliser la croissance économique. L’accord du droit de vote à l’ensemble de la population conduit à un appauvrissement de l’électeur médian. Le gouvernement est alors plus enclin à développer la redistribution de revenus au profit des ménages aisés, mais le durcissement de la fiscalité pour les hauts revenus et le versement de prestations sociales aux moins aisés amènent les premiers comme les seconds (mais pas pour les mêmes raisons) à réduire leur offre de travail et leurs efforts d’investissement. Les élections amèneraient différents groupes concurrents à gaspiller des ressources pour prendre le pouvoir. Une fois au pouvoir, les élites nourrisent des comportements clientélistes. Influencés par l'opinion publique et les groupes de pression, ils ne prennent pas les décisions économiquement optimales. Les gouvernements en place n’hésiteraient d'ailleurs pas à creuser les déficits budgétaires pour adopter des politiques économiques favorisant leur réélection. Au final, les autorités publiques dans un régime démocratique tendraient à favoriser la consommation immédiate et les dépenses improductives au détriment de l’investissement et de la croissance à long terme.

D’autres considèrent au contraire qu’un système démocratique favorise la croissance économique. La redistribution démocratique peut se traduire par le développement du système éducatif et la fourniture de biens publics, notamment la mise en place d’infrastructures favorisant la production et les échanges. Les gouvernements tendent à améliorer la qualité de vie des populations, en particulier leur santé. Ces mesures favoriseraient la confiance entre les individus et stimuleraient (notamment pour cette raison) leur productivité. Le plus grand respect des droits à la propriété pourrait stimuler l’investissement et l’innovation.

En observant 100 pays entre 1960 et 1990, Robert Barro (1996) a recherché un lien empirique entre la démocratie et la croissance économique. Il constate que la première a un léger effet négatif sur la seconde. Son analyse suggère en outre la présence d’une relation non linéaire : la démocratie stimule la croissance pour de faibles niveaux de liberté politique, mais tend par contre à la réduire lorsqu'un certain niveau de liberté est atteint. L’amélioration du niveau de vie, qu’elle soit mesurée par la hausse du PIB, de l’espérance de vie et de l’éducation, accroît les chances qu’un pays adopte un régime démocratique.

Si plusieurs études empiriques tendent à confirmer les conclusions de Barro, d’autres suggèrent en contraire un effet bénéfique de la démocratie sur la croissance, tandis que d’autres encore ne parviennent à saisir aucune influence de la première sur la seconde. Mais Daron Acemoglu, Suresh Naidu, Pascual Restrepo et James Robinson (2014) affirment que l’étude de Barro, comme bien d’autres qui l’ont suivie, rencontrent quatre problèmes lorsqu’elles cherchent à mettre à jour le lien entre démocratie et croissance. Premièrement, les indicateurs de démocratie sont sujets à de profondes erreurs de mesure, si bien que le score démocratique d’un pays est susceptible de varier sans que ses institutions connu de mutations. Deuxièmement, les régressions en coupe transversale ont peu de chances de révéler l’impact causal de la démocratie sur la croissance, car les pays démocratiques diffèrent en de nombreux aspects (institutionnels, politiques, historiques et culturels) des pays non démocratiques. Troisièmement, les démocratisations sont précédées par une chute du PIB, si bien qu’une modélisation de la dynamique du PIB est nécessaire pour estimer l’impact de la démocratie sur ce dernier. Quatrièmement, le biais de variables omises est susceptible d’être particulièrement important, car les basculements dans un régime démocratique peuvent être corrélés avec d’autres changements ou répondre aux conditions économiques.

C’est précisément ces quatre problèmes que prennent explicitement en compte Daron Acemoglu et alii (2014) lorsqu’ils proposent leur propre évaluation de l’impact de la démocratie sur le PIB en observant un ensemble de pays entre 1960 et 2010. Ils avaient constaté dans une précédente étude que la démocratie ne réduisait pas les inégalités ; ils montrent ici qu’elle stimule toutefois la croissance économique. En effet, les démocratisations accroissent le PIB par tête d’environ 20 % au cours des trois décennies suivantes. Le graphique ci-dessous représente le PIB par habitant (en logarithmes) des pays qui adoptent un régime démocratique par rapport à ceux qui n’ont pas abandonné leur régime autoritaire (avec l’année 0 représentant l’année de la démocratisation). La démocratisation est précédée par une chute brutale du PIB. Ainsi, un pays tend à basculer dans la démocratie lorsqu’il subit une crise économique : un tel choc offre l’opportunité aux citoyens de contester le pouvoir en classe, puisque le coût d’une telle contestation est alors relativement faible. 

GRAPHIQUE PIB par tête autour d’une démocratisation

Acemoglu--Robinson--democratie-croissance-PIB.png

source : Acemoglu et alii (2014)

Les quatre auteurs constatent également qu’un pays a d’autant plus de chances d'adopter un régime démocratique que ses voisins ont eux-mêmes connu une démocratisation au cours des précédentes années ; réciproquement, un pays a d’autant plus de chance d’adopter un régime non démocratique que ses voisins ont basculé dans un tel régime au cours des précédentes années. Ainsi, les démocratisations tendent à survenir par vagues régionales, tout comme l'instauration des dictatures. 

Ils cherchent ensuite à mettre en évidence les canaux par lesquels la démocratie affecte le PIB. Celle-ci semble stimuler la croissance économique en encourageant l’investissement, en accroissant la scolarité (en particulier dans l’enseignement primaire), en poussant le gouvernement à instaurer des réformes économiques, en améliorant la fourniture de biens publics, notamment en stimulant les services publics dans le domaine de la santé, et enfin en réduisant le désordre social.

Daron Acemoglu et ses coauteurs observent ensuite les interactions entre la démocratie et le niveau de développement économique en saisissant ce dernier à travers le PIB par habitant. Ils ne constatent pas que la démocratie soit une contrainte pour la croissance économique dans les pays les moins développés. En outre, les données empiriques ne suggèrent pas que l’impact de la démocratie sur la croissance économique varie avec le niveau initial de développement économique. En revanche, la démocratie semble d’autant plus stimuler la croissance économique que le pays possède initialement un niveau élevé d’éducation, puisque son impact positif est d’autant plus important que les économies possèdent une large part de la population dans l’enseignement secondaire. Les auteurs avancent deux hypothèses pour expliquer ce résultat : la démocratie pourrait mieux fonctionner avec une population plus instruite ; un capital humain élevé atténue les conflits dans la répartition, ce qui rend le régime démocratique plus stable. Ils privilégient la seconde hypothèse. 

 

Références

ACEMOGLU, Daron, Suresh NAIDU, Pascual RESTREPO & James A. ROBINSON (2013), « Democracy, redistribution and inequality », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 19746, décembre.

ACEMOGLU, Daron, Suresh NAIDU, Pascual RESTREPO & James A. ROBINSON (2014)« Democracy does cause growth », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 20004, mars.

BARRO, Robert J. (1996)« Democracy and growth », in Journal of Economic Growth, vol. 1, n° 1.

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24 mars 2014 1 24 /03 /mars /2014 18:44

Durant les années quatre-vingt, le Japon connaissait une croissance rapide de son PIB, mais cette expansion s’est accompagnée d’une hausse insoutenable des cours boursiers et des prix de l’immobilier. Ces bulles d’actifs commencèrent à éclater à la fin de la décennie : l’indice boursier Nikkei 225 perdit presque 60 % entre décembre 1989 et août 1992 ; le prix du terrain fondit de moitié dans les six plus grandes villes japonaises entre 1991 et 1996 et poursuit son déclin après. L’effondrement des prix d’actifs eut de sévères et durables répercussions sur l’économie insulaire en la maintenant dans la stagnation à partir de 1992. Entre 1993 et 2012, le taux de croissance du PIB réel s’est élevé en moyenne à 0,8 %. Le taux d’inflation s’est rapproché de zéro et le Japon s’est retrouvé à plusieurs reprises en déflation après 1998. En revanche, le taux de chômage a peu réagi à la baisse de la production ; cette insensibilité au cycle d'affaires s’explique essentiellement par la pratique répandue de l’emploi à vie.

L’éclatement des bulles immobilière et boursière n’a pas été le seul choc macroéconomique que l’économie nippone a essuyé ces dernières décennies. Plus récemment, le Japon a subi, comme les autres pays avancés, la crise financière mondiale de 2008, mais aussi le tremblement de terre de 2011. La faiblesse de la croissance économique est d’autant plus problématique pour le Japon que celui-ci fait face à un vieillissement rapide de sa population et qu’il a connu une véritable envolée de son ratio d’endettement public. La dette publique brute représentait 66 % du PIB en 1991 ; elle représente 244 % du PIB aujourd’hui, tandis que la dette publique nette s’élève à 140 % du PIB. Cette tendance s'explique par la faiblesse de l'activité et il n'est pas improbable que la dette publique finisse elle-même par avoir des effets récessifs. Jusqu'à présent, les taux d’intérêt sont restés remarquablement faibles, même si certains craignent que les investisseurs soient sur le point de ne plus tolérer un tel niveau d’endettement, de relever leur prime de risque souverain et d’amorcer ainsi une crise de la dette souveraine [Hoshi et Ito, 2012]

Certains économistes, comme Paul Krugman (1998) et Ben Bernanke (2000) ont accusé les autorités publiques nippones de ne pas s’être montrées suffisamment agressives. La Banque du Japon, donnant la priorité à la stabilité des prix, n’a pas répondu assez rapidement à l’effondrement des prix d’actifs et au ralentissement de l’activité. Ses taux directeurs butèrent dès 1996 sur leur borne inférieure zéro sans pour autant suffisamment stimuler la demande globale. De leur côté, les gouvernements successifs n’ont mis en place que des plans de relance temporaires et de faible ampleur, parfois rapidement suivis de plans d’austérité, si bien que leurs effets expansionnistes sur l’activité ont été particulièrement limités. En outre, le fait que la Banque du Japon déclarait régulièrement être prête à resserrer sa politique monétaire aussitôt qu’elle percevrait une accélération de l’inflation a pu affaiblir le multiplicateur budgétaire [Auerbach et Gorodnichenko, 2013]. Or, Joshua Hausman et Johannes Wieland (2014) estiment que l’écart de production (output gap) est actuellement large, compris entre 4,5 et 10 % du PIB potentiel, ce qui suggère qu’il existe de nombreuses ressources non utilisées dans l’économie et, par là même, que des politiques de gestion de la demande sont susceptibles d’avoir de puissantes répercussions sur l’activité. 

C’est dans ce contexte que Shinzo Abe amorce une nouvelle approche de politique économique. Il devient premier ministre le 26 décembre 2012, après avoir mené campagne en promettant une action radicale pour mettre un terme à deux décennies de stagnation et de déflation. Son programme économique, qui a reçu le nom d’abenomics, inclut une expansion monétaire, une relance budgétaire et un ensemble de réformes structurelles. En référence au conte japonais de Motonari Mori, on désigne ces trois composantes comme les « trois flèches » et celles-ci sont supposées se renforcer mutuellement.

La première flèche correspond au changement de régime de politique monétaire amorcé au début de l’année 2013. La Banque du Japon a annoncé le 22 janvier 2013 qu’elle ciblerait désormais un taux d’inflation de 2 %, soit un niveau qui n’a pas été atteint depuis 1991. Le 4 avril, le nouveau banquier central, Haruhiko Kuroda, déclare que cet objectif sera atteint en deux ans à travers de massifs achats d’actifs et le doublement de la base monétaire, un ensemble de mesures qu’il qualifie d’« assouplissement quantitatif et qualitatif » (quantitative and qualitative easing). En relevant les anticipations d’inflation, les autorités monétaires cherchent à faire baisser les taux d’intérêt réels et à inciter par là même les agents privés à dépenser pour enfin faire sortir l’économie nipponne de la déflation et de la trappe à liquidité. La deuxième flèche désigne une relance budgétaire visant à stimuler l’activité à court terme et, par là même, à stabiliser l’endettement public. En février 2013, les autorités publiques ont annoncé un plan de relance équivalent à 2 % du PIB, mais celui effectivement mis en œuvre semble en réalité de moindre ampleur, puisqu’il représenterait finalement 1 % du PIB. Cette impulsion budgétaire va en outre être suivie par des hausses de taxes dont l’impact récessif pourrait en compenser les effets expansionnistes : la taxe sur la consommation passera de 5 à 8 % en avril 2014, puis à 10 % en octobre 2015. Enfin, la troisième flèche désigne un ensemble de réformes structurelles destinées à accroître la croissance potentielle et à pérenniser l’accélération de la croissance amorcée par les deux premières flèches. 

Parmi les trois flèches, l’assouplissement monétaire est la mesure la plus novatrice. Les précédents gouvernements ont déjà adopté des plans de relance budgétaire et des réformes structurelles. En revanche, les mesures adoptées par la Banque du Japon tranchent avec les précédentes de par leur ampleur et leur nature non conventionnelle. Christina Romer (2013) a notamment comparé la réorientation de la politique monétaire japonaise au changement de régime monétaire mis en œuvre par l’administration Roosevelt durant le printemps 1933 pour sortir l’économie américaine de la Grande Dépression. Le Japon apparaît comme un véritable laboratoire de politique monétaire pour les autres pays avancés, désormais menacés par la même décennie perdue que le Japon.

Hausman et Wieland (2014) ont cherché à évaluer l’efficacité de ces politiques économiques. Ils observent tout d’abord la réaction des marchés financiers à l’abenomics. Au cours de l’année 2013, le yen a perdu de 21 % de sa valeur face au dollar et l’indice boursier Nikkei a augmenté de 57 % sur l’année. L’abenomics aurait mis un terme à la déflation en 2013. En effet, les anticipations d’inflation à long terme sont passées de 1 à 1,4 %, suggérant une baisse des taux d'intérêt réels favorable à l’investissement. En rythme annuel, l’indice des prix à la consommation diminuait de 0,1 % en décembre 2012 ; il augmentait de 1,6 % en décembre 2013. Cette accélération de l’inflation repose essentiellement sur l’impact que la dépréciation du yen a excercé sur les prix des énergies et aliments importés, mais Hausman et Wieland notent que même l’inflation sous-jacente s’est accélérée au cours de l’année. En revanche, la croissance économique a été plutôt décevante. La production a augmenté en 2013 de 1,5 %, soit 0,9 point de pourcentage plus rapidement que ne l’attendaient les prévisionnistes en décembre 2012. L’abenomics a pu contribuer entre 0,9 et 1,7 points de pourcentage à la croissance de l’année 2013. Le comportement de la consommation suggère que c’est l’assouplissement monétaire (et non la relance budgétaire) qui a contribué à l’essentiel de cette croissance, puisqu’il expliquerait plus d’un point de pourcentage de cette dernière. 

A moyen et long termes, l’abenomics va probablement continuer à stimuler l’activité économique. Hausman et Wieland ne considèrent pas que le boom boursier laisse présager de larges gains en termes de production ; en effet, le marché boursier constitue historiquement un bien piètre indicateur avancé de dividendes et surtout de croissance du PIB. Les prévisionnistes professionnels suggèrent que l’abenomics va certes accroître le niveau et le taux de croissance du PIB, mais les gains attendus sont relativement modestes par rapport à l’écart de production. Alors même qu'ils ne prennent pas en compte dans leur analyse les effets récessifs associés aux futurs relèvements de la taxe sur la consommation (qu'ils considèrent comme extérieurs à l'abenomics), Hausman et Wieland suggèrent que le PIB ne serait en 2022 supérieur que de 3,1 % à ce qu’il serait sans le déploiement des trois flèches. Par conséquent, les gains en termes de production risquent de se révéler être insuffisants pour ramener la production japonaise à son niveau potentiel. 

Le manque de crédibilité des autorités monétaires peut expliquer cette incapacité de l’abenomics à clore l’écart de production. Les prévisions suggèrent que la cible d’inflation de 2 % n’est pas encore crédible, peut-être parce que certains s’attendent à ce que Shinzo Abe ou la Banque du Japon changent prochainement de politique économique. Ce ne serait pas la première fois qu’un gouvernement abandonne prématurément la relance budgétaire et opte pour l'austérité. De même, au cours des dernières décennies, la Banque du Japon a privilégié la stabilité des prix sur la stabilisation de l’activité au point de régulièrement menacer de resserrer sa politique monétaire dès qu’elle percevrait une accélération de l’inflation. Tant qu’elle maintient sa politique monétaire extrêmement accommodante, la banque centrale gagne en crédibilité. Or, si la Banque du Japon manque actuellement de crédibilité et si elle parvient finalement à élever les anticipations d’inflation à 2 %, alors l’impact de l’assouplissement monétaire sur l’activité sera finalement plus important que celui suggéré par Hausman et Wieland puisqu'il pousserait davantage les taux d’intérêt réels à la baisse. Une politique monétaire crédible renforcerait en outre l’efficacité de la relance budgétaire en élevant la valeur du multiplicateur.

Hausman et Wieland closent leur étude en soulignant diverses incertitudes entourant l’abenomics. La réussite de la première flèche va dépendre en dernier ressort du comportement des salaires. Sans hausses salariales, l’accélération de la croissance économique ne sera que transitoire [Botman et Jakab, 2014]. Mais si les salaires augmentent rapidement, les entreprises seront incitées à relever leurs prix, ce qui éloignera davantage le Japon de la déflation et la consommation deviendra un véritable moteur pour la croissance économique. En outre, à court terme, les relèvements de la taxe sur la consommation vont déprimer l’économie, un impact que l’analyse tend à ignorer, or cet effet récessif risque d’annuler les effets expansionnistes de la deuxième flèche. Le basculement du Japon dans la récession en 1997 trouve son origine selon certains dans le relèvement de la taxe sur la consommation instauré cette année-là. Peut-être que la plus grande incertitude à long terme porte sur la troisième flèche de l’abenomics. Nous ne connaissons pas encore précisément ces réformes et nous ne pouvons alors en déterminer les répercussions sur l’activité. 

 

Références

AUERBACH, Alan J, & Yuriy GORODNICHENKO (2014), « Fiscal multipliers in Japan », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 19911.

BERNANKE, Ben S. (2000), « Japanese monetary policy: A case of self-induced paralysis? », in Ryoichi Mikitani and Adam Posen (dir.), Japan’s Financial Crisis and Its Parallels to U.S. Experience, Institute for International Economics, septembre.

BOTMAN, Dennis, & Zoltan JAKAB (2014), « Abenomics—Time for a push from higher wages », in iMFdirect (blog), 20 mars. 

HOSHI, Takeo, & Takatoshi ITO (2012), « Defying gravity: How long will Japanese government bond prices remain high? », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 18287.

HAUSMAN, Joshua K., & Johannes F. WIELAND (2014), « Abenomics: Preliminary analysis and outlook », étude présentée à la conférence Brookings Panel on Economic Activity, mars. 

KRUGMAN, Paul (1998), « It’s Baaack: Japan’s slump and the return of the liquidity trap », in Brookings Papers on Economic Activity, vol. 19, n° 2.

ROMER, Christina (2013), « It takes a regime shift: Recent developments in Japanese monetary policy through the lens of the Great Depression ».

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23 mars 2014 7 23 /03 /mars /2014 21:00

Suite à la crise financière mondiale, la politique macroprudentielle est apparue comme un outil essentiel pour préserver la stabilité financière. Avant la crise du crédit subprime, les autorités publiques chargées de la supervision financière n’ont pas su identifier et contenir les déséquilibres financiers qui se sont accumulés lors du boom. La Grande Récession a mis en évidence la nécessité de contenir certaines externalités susceptibles de générer une crise financière ou d’amplifier le choc généré par celui-ci. Les agents tendent à emprunter excessivement lors d’un boom car l’endettement a des coûts sociaux qui ne sont internalisés ni par les prêteurs, ni par les emprunteurs. Avec l’interconnexion des institutions financières, un choc touchant une institution donnée peut se propager vers les autres institutions à travers un effet domino et finir par toucher des institutions qui n’étaient pas directement connectées à la première. Or, les banques n’internalisent pas leur contribution au risque systémique lorsqu’elles font affaire avec les autres banques. Une autre externalité est liée aux ventes en catastrophe d’actifs qui surviennent lorsque toutes les banques cherchent à se désendetter simultanément. Lors d’une crise bancaire, les banques n’internalisent pas le fait que la vente d’actifs pousse les autres banques vers la faillite en déprimant les prix d’actifs. La littérature économique a depuis longtemps préconisé l’adoption d’une taxe à la Pigou pour amener les agents privés à internaliser les externalités. La politique macroprudentielle peut se définir comme un système de taxes pigouviennes ou de mesures équivalentes basées sur la quantité (comme les restrictions de crédit) qui visent à contenir l’endettement lors d’un boom.

Comme le souligne Olivier Jeanne (2014), il est particulièrement important d’étudier les liens existant entre les politiques macroprudentielles et les mouvements internationaux des capitaux, notamment car ces derniers sont susceptibles de générer les vulnérabilités financières que les premières cherchent précisément à vaincre. Les afflux de capitaux dans les pays émergents ont pu générer en de multiples occasions des booms du crédit domestique qui finirent en crises financières. Un boom dans les afflux de capitaux conduit à une appréciation du taux de change, ce qui permet aux résidents d’emprunter davantage à l’étranger. Lorsque les booms afflux de capitaux laissent place à un arrêt soudain (sudden stop), ces mécanismes fonctionnent en sens inverse : l’arrêt soudain dans les entrées de capitaux conduit à une dépréciation du taux de change et à un déclin des prix des biens domestiques sur les marchés internationaux. L’économie domestique subit des dynamiques proches de la déflation par la dette (debt-deflation) que décrivait Irving Fisher et peut alors connaître une forte contraction de son activité [Korinek et Mendoza, 2013]. Suite à la crise asiatique par exemple, les pays émergents ont répondu aux afflux de capitaux en accumulant de larges stocks de devises étrangères et en instaurant des contrôles de capitaux. Les mouvements internationaux des capitaux menacent également la stabilité financière des pays développés. L’appétit du reste du monde pour les actifs sûrs américains a contribué à la formation des déséquilibres macroéconomiques à l’origine de la Grande Récession en alimentant le boom du crédit et des prix d’actifs aux Etats-Unis.

Lorsqu’un pays adopte et façonne une politique prudentielle, il le fait en ayant des considérations purement domestiques. Or les politiques macroprudentielles ne sont pas seulement des réponses aux flux internationaux de capitaux ; elles façonnent ces dernières et sont susceptibles par là même des répercussions indésirables sur le reste du monde. Par exemple, les pays émergents peuvent accumuler d’amples stocks de devises étrangères en vue de renforcer leur stabilité financière, mais une telle pratique est susceptible de perturber le système financier des pays développés, notamment celui des Etats-Unis. Lorsqu’il modélise les politiques macroprudentielles dans un contexte international, Jeanne montre que celles-ci constituent des « compléments stratégiques » au sens de la théorie des jeux : une restriction macroprudentielle dans un pays donné pousse les capitaux à affluer vers les autres pays, si bien que ces derniers sont également incités à resserrer leurs propres politiques macroprudentielles pour préserver leur propre stabilité financière. Les pays peuvent entrer dans une guerre des monnaies aussi inefficace qu’une course à l’armement. Le fait que les politiques macroprudentielles génèrent des effets de débordement sur le reste du monde ne pousse pas forcément les pays se coordonner pour façonner leurs politiques macroprudentielles ou instaurer des règles internationales. Ces effets de débordement ne constituent d’ailleurs pas des externalités, car ils sont médiatisés par un prix, en l’occurrence le taux d’intérêt mondial.

La baisse du taux d’intérêt mondial que provoque le resserrement simultané des politiques macroprudentielles s’avère problématique en raison des rigidités nominales. En effet, les politiques macroprudentielles tendent à déprimer la demande globale, or les banques centrales peuvent se révéler incapables de compenser cet effet récessif en raison de la borne inférieure zéro (zero lower bound) sur le taux d’intérêt nominal. Avec l’adoption simultanée de politiques macroprudentielles, certains pays risquent de basculer dans une trappe à liquidité et voir leur taux de chômage fortement augmenter. L’insuffisance de la demande globale rend toutefois possible une forme de coordination internationale : les pays subissant une hausse du chômage ont intérêt à relâcher de façon coordonnée leurs politiques macroprudentielles en vue de stimuler la demande globale et sortir de la trappe à liquidité.

 

Références

JEANNE, Olivier (2014), « Macroprudential policies in a global perspective », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 19967, mars.

KORINEK, Anton, & Enrique G. MENDOZA (2013), « From sudden stops to Fisherian deflation: Quantitative theory and policy implications », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 19362, août.

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