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27 janvier 2016 3 27 /01 /janvier /2016 22:35

Christiane Baumeister et Lutz Kilian (2016) ont passé en revue les causes des variations majeures des prix du pétrole au cours des quatre dernières décennies. Beaucoup d’auteurs, notamment James Hamilton (2003) ont expliqué ces variations comme résultant principalement des variations de l’offre de pétrole, provoquées notamment par des événements tels que les guerres et révolutions dans les pays-membres de l’OPEP. Lutz Kilian, à travers ses divers travaux et collaborations, a développé l’idée que plusieurs des épisodes de fortes fluctuations du prix du pétrole s’expliquaient en fait avant tout par les variations de la demande. En l’occurrence, une partie substantielle de la demande répond à un motif de consommation immédiate : lorsque l’économie mondiale connaît une expansion, la demande de matières premières, notamment de pétrole, augmente pour accroître la production de biens et services, poussant le prix des matières premières à la hausse ; réciproquement, un ralentissement de la croissance mondiale est susceptible de pousser les prix du pétrole à la baisse. Une partie de la demande répond aussi à la volonté d’accumuler des stocks et dépend alors des anticipations du prix du pétrole. Elle tend par exemple à augmenter dans l’anticipation de pénuries de pétrole dans le futur. Au cours de l’histoire, la demande au motif de stockage a été importante lorsque les tensions géopolitiques étaient fortes aux Moyen-Orient, lorsque les capacités de production étaient utilisées à leur maximum et lorsque les anticipations de croissance mondiale étaient très optimistes.

GRAPHIQUE  Prix du pétrole brut WTI (en dollars 2015, ajusté en fonction de l’inflation)

Quarante ans de fluctuations du prix du pétrole

source : Baumeister et Kilian (2016)

A première vue, le choc pétrolier de 1973-1974 semble être un choc d’offre négatif, comme l’affirme notamment Hamilton (2003). En effet, la quantité de pétrole brut produit chuta au dernier trimestre de l’année 1973. La guerre entre Israël et une coalition de pays arable entre le 6 et le 26 octobre de 1973 est souvent présentée comme étant la cause d’un tel choc d’offre. Pourtant, aucune installation de production pétrolière ne fut détruite par un quelconque conflit. Les pays arables de l’OPEP réduisirent délibérément leur production de pétrole de 5 % le 16 octobre 1973, puis de 25 % le 5 novembre, tout en accroissant le prix du pétrole. Ce dernier était alors basé sur la base de négociations entre les producteurs de pétrole et non par les marchés, si bien qu’il ne représente pas nécessairement le prix d’équilibre du marché. Plusieurs preuves empiriques suggèrent que les deux prix semblent toutefois très proches l’un de l’autre. Selon Kilian (2009), les chocs d’offre touchant la production de l’OPEP peuvent difficilement expliquer plus du quart de la hausse du prix du pétrole en 1973-1974 : cette dernière s’explique essentiellement par un choc de demande. La décision de l’OPEP de réduire la production et d’augmenter le prix était justifiée par la dévaluation du dollar, l’accélération non anticipée de l’inflation américaine et la forte demande de pétrole associée à la forte croissance économique. 

Un second choc pétrolier eut lieu en 1979 : le prix du pétrole passa de 15 dollars en septembre 1978 à 40 dollars en avril 1980. Beaucoup, notamment Hamilton (2003), estimèrent que cette hausse s’explique par un choc d’offre, en l’occurrence par la réduction de la production iranienne suite à la Révolution iranienne. Barsky et Kilian (2002) ont douté de cette interprétation. En effet, les plus fortes contractions de la production iranienne eurent lieu en janvier et février 1979, mais le prix du pétrole ne varia pas significativement avant mai 1979. Kilian et Murphy (2014) acceptent toutefois l’idée que la Révolution iranienne se soit révélée importante en raison de son impact sur les anticipations du prix du pétrole : la demande de pétrole pour motif de stockage augmenta fortement, d’une part, en raison des craintes d’une aggravation des tensions entre l’Iran avec les Etats-Unis et ses voisins et, d’autre part, en raison des anticipations d’une forte croissance mondiale.

Après le pic atteint en avril 1980, le prix du pétrole chuta durablement, malgré l’éclatement de la guerre entre l’Irak et l’Iran. Le resserrement des politiques monétaires, dans le sillage du plan Volker, entraîna une récession mondiale et poussa par là même la demande de pétrole à la baisse. Cette chute fut amplifiée par les diverses mesures prises par les pays avancés en vue de réduire leur consommation de pétrole. Les perspectives d’une faible croissance mondiale désincita à accumuler et détenir des stocks de pétrole. Le niveau élevé des prix du pétrole à la fin des années soixante-dix avait en outre incité des pays n’appartenant pas à l’OPEP, notamment le Mexique, la Norvège et le Royaume-Uni, à accroître leur production domestique ou à devenir producteurs de pétrole ; le surcroît subséquent de production de pétrole contribua à la chute des cours. 

Les membres de l’OPEP essayèrent collectivement de contrer cette baisse du prix en s’accordant à restreindre leur production, mais chacun d’entre eux était incité à ne pas respecter cet accord et à accroître son offre. L’Arabie saoudite décida de stabiliser par elle-même le prix du pétrole en réduisant sa production, mais sa tentative échoua : le prix du pétrole continua de chuter au début des années quatre-vingt. Les pertes en termes de recettes tirés du pétrole furent si importantes que l’Arabie saoudite fut obligée à la fin de l’année 1985 d’inverser sa politique. Le prix du pétrole chuta brutalement en 1986, en raison de la reprise de la production saoudienne et de la demande de stockage de pétrole. 

La guerre entre l’Iran et l’Irak a eu peu de répercussions sur le prix du pétrole au cours des années quatre-vingt, en raison de la relative abondance de l’offre mondiale de pétrole. L’invasion du Koweït en 1990 fut toutefois suivie d’une forte hausse du prix du pétrole. Cette dernière s’explique non seulement par les perturbations que ce conflit entraîna sur les productions iraquienne et koweitienne, mais aussi par la plus forte demande de pétrole pour des motifs de stockage, dans l’anticipation d’une possible attaque menée contre les champs de pétrole saoudiens. Ce n’est qu’à la fin de l’année 1990, lorsque la collation menée par les Etats-Unis plaça suffisamment de troupes sur le sol saoudien pour empêcher toute invasion de l’Arabie saoudite, que ces craintes se dissipèrent et que le prix du pétrole chuta.

Le prix du pétrole s’affaiblit davantage à la fin des années quatre-vingt-dix et atteint les 11 dollars en décembre 1998, en raison d’une moindre demande de pétrole, très certainement provoquée par la crise asiatique de 1997 et sa transmission à plusieurs pays émergents. Le prix du pétrole repartit à la hausse en 1999, en raison de la plus forte demande de pétrole associée à la reprise mondiale, de quelques contractions de la production et d’une plus grande demande de pétrole au motif de stockage dans l’anticipation de futures tensions sur le marché du pétrole. La production de pétrole connut effectivement deux perturbations majeures fin 2002 et début 2003 : la chute de la production vénézuélienne associée aux troubles civiles au Venezuela et les perturbations générées par la Guerre d’Irak en 2003. La contraction des productions vénézuélienne et irakienne fut toutefois compensée par une hausse de la production dans le reste du monde. Au final, le prix du pétrole s’est alors révélé remarquablement stable malgré les troubles géopolitiques.

La hausse du prix du pétrole entre le milieu de l’année 2003 et le milieu de l’année 2008 est la plus forte que l’économie mondiale ait connu depuis celle de 1979. Le prix du pétrole WTI est passé de 28 à 134 dollars. Il y a un assez large accord autour de l’idée que cette hausse ne s’explique pas par des perturbations du côté de l’offre, mais par la hausse de la demande de pétrole. Beaucoup ont affirmé que l’accroissement de la demande résultait de l’expansion non anticipée de l’économie mondiale et notamment d’un accroissement de la demande en provenance des pays émergents d’Asie. Certains ont toutefois suggéré que cette hausse du prix du pétrole sur le marché physique s’expliquait essentiellement par les positions spéculatives prises par les traders sur les marchés à terme du pétrole. Bassam Fattouh et alii (2013) jugent toutefois qu’aucune preuve empirique ne confirme cette interprétation alternative.

La crise financière mondiale et la reprise subséquente ont également illustré l’impact de la demande sur le prix du pétrole. Comme les commandes de biens industriels chutèrent fortement dans la seconde moitié de l’année 2008 avec l’anticipation d’une récession mondiale, la demande pour les matières premières chuta également et le prix du pétrole passa de 134 à 39 dollars entre juin 2008 et février 2009. Lorsque la reprise mondiale s’amorça en 2009 et que les craintes d’un écroulement du système financier mondial s’essoufflèrent, la demande de pétrole retrouva ses niveaux de 2007 et le prix du pétrole WTI se stabilisa autour de 100 dollars.

Entre juin 2014 et janvier 2015, le prix du pétrole Brent passa de 112 à 47 dollars. Baumeister et Kilian (2015) ont analysé la chute de 49 dollars du prix entre juin 2014 et décembre 2014. Ils estiment que deux chocs survenus avant juin 2014 expliquent 55 % de cette chute : le déclin de l’activité économique et l’accroissement de la production en expliquent réciproquement 22 % et 33 %. Le reste s’explique par deux chocs survenus au cours de la seconde moitié de 2014 : la prise de conscience d’un ralentissement de la  croissance plus marqué que prévu et la réduction de la demande au motif de stockage expliquent réciproquement 18 et 27 % de la chute du prix du pétrole.

 

Références

BARSKY, Robert B., & Lutz KILIAN (2002), « Do we really know that oil caused the Great Stagflation? A monetary alternative », in NBER Macroeconomics Annual, 16, 137-183.

BAUMEISTER, Christiane, & Lutz KILIAN (2015), « Understanding the decline in the price of oil since june 2014 », CEPR, discussion paper, n° 10404, janvier.

BAUMEISTER, Christiane, & Lutz KILIAN (2016), « Forty years of oil price fluctuations: Why the price of oil may still surprise us », CEPR, discussion paper, n° 11035, janvier.

FATTOUH, Bassam, Lutz KILIAN, & Lavan MAHADEVA (2012), « The Role of Speculation in Oil Markets: What Have We Learned So Far? », CEPR, discussion paper, n° 8916.

HAMILTON, James D. (2003), « What is an Oil Shock? », in Journal of Econometrics, vol. 113, n° 2.

KILIAN, Lutz (2009), « Comment on ‘Causes and consequences of the oil shock of 2007-08’ by James D. Hamilton », in Brookings Papers on Economic Activity.

KILIAN, Lutz, & Daniel P. MURPHY (2014), « The role of inventories and speculative trading in the global market for crude oil », in Journal of Applied Econometrics, vol. 29, n° 3.

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23 janvier 2016 6 23 /01 /janvier /2016 17:18

Selon les modèles néoclassiques à la Solow, les pays les plus pauvres devraient connaître une croissance plus rapide que les pays les plus riches, si bien que le niveau de vie des premiers devrait naturellement converger vers celui des seconds. Selon la « loi d’airain de la convergence » de Robert Barro, les pays éliminent les écarts en termes de niveaux de vie à un rythme proche de 2 % par an [Barro et Sala-i-Martin, 1991]. Avec une croissance se maintenant à un tel rythme, il faut 30 ans pour que le niveau de vie d’un pays se rapproche de moitié de sa valeur de long terme et 115 ans pour combler 90 % de l’écart initial [Barro, 2015]. Beaucoup, notamment Barro, estiment toutefois que cette convergence est conditionnelle dans le sens où la situation de long terme d’un pays dépend de variables telles que la qualité de ses institutions ou de son stock de capital humain : seul un sous-ensemble de pays présentant des niveaux similaires dans ces variables connaît une convergence. Par conséquent, un pays peut alors échouer à converger vers un pays riche si ses institutions ou son stock de capital humain restent de mauvaise qualité.

Robert Barro (2016) s’est penché à nouveau sur les déterminants de la croissance empirique à partir de deux échantillons. Le premier échantillon comprend 89 pays observés entre 1960 et 2010. Les données relatives à cet échantillon concernent non seulement le PIB réel par tête, mais aussi un large échantillon de variables explicatrices (que Barro qualifie de « variables X ») susceptibles d’aider à prédire la croissance économique. Barro juge toutefois que la période couverte par cet échantillon est insuffisante pour étudier un phénomène de long terme comme la croissance. Il observe donc également un deuxième échantillon couvrant une plus large période, en l’occurrence celle s’étalant entre 1870 et 2010, mais qui comporte seulement 28 pays et dont les données ne concernent qu’un moindre éventail de variables X. 

Dans son premier échantillon, Barro constate un taux de convergence conditionnelle de 1,7 % par an. Il tire de son second échantillon un taux de convergence conditionnelle de 2,6 % par an. Ces deux valeurs sont donc bel et bien proches des 2 % de sa loi d’airain de la convergence. Barro précise alors les déterminants de la croissance à partir de son premier échantillon. L’espérance de vie, l’indicateur d’Etat de droit, le ratio d’investissement, l’ouverture internationale et les améliorations des termes de l’échange ont des effets positifs sur la croissance. Le taux de fertilité initial et le taux d’inflation ont des effets négatifs. L’impact de l’indicateur de degré de démocratie est non linéaire : il est positif pour de faibles valeurs, mais devient négatif à partir d’un certain seuil. La relation avec la durée initiale de scolarité est faible, mais cette faiblesse s’explique peut-être par le fait que c’est la qualité de cette scolarisation qui importe pour la croissance.

Barro cherche ensuite à déterminer quels pays ont réussi leur convergence entre 1990 et 2014. Il estime que l’on peut parler de « réussite » à propos d’une convergence si celle-ci conduit à (au moins) un doublement du PIB réel par tête entre 1990 et 2014, ce qui impliquerait alors une croissance moyenne par tête d’environ 2,9 % par an. D’autre part, dans le cas d’une convergence d’un pays vers le statut de pays au revenu intermédiaire, cette convergence est une réussite si elle permet à ce pays d’atteindre en 2014 un PIB réel par tête d’au moins 10.000 dollars PPA par tête (aux prix de 2011) ; dans le cas d’une convergence d’un pays vers le statut de pays à haut revenu, cette convergence pourra être qualifiée de succès si le pays en question obtient au moins le niveau de vie de 20.000 dollars PPA. Sur la période de son échantillon, Barro identifie plusieurs réussites en termes de convergence vers le statut de pays à revenu intermédiaire : la Chine, l’Indonésie, le Pérou, la Thaïlande et l’Uruguay. Plusieurs pays ont également réussi leur convergence vers le club des pays à haut revenu : le Chili, la Corée du Sud, l’Irlande, la Malaisie, Singapour et Taïwan. En l’occurrence, l’Irlande, Singapour et Taïwan font désormais partie des économies ayant les plus hauts niveaux de vie au monde. 

Barro étudie alors les performances en termes de croissance que la Chine a réalisées entre 1960 et 2010, ainsi que ses perspectives futures. Sur les premières décennies de l’échantillon étudié par Barro, la croissance chinoise a été bien plus faible que ce que l’on aurait pu attendre des valeurs qu’elle atteignait pour les diverses variables X, même si celles-ci étaient effectivement peu favorables à sa croissance. Entre 1960 et 1990, la croissance annuelle moyenne s'élevait à 2,5 %, alors que le modèle de Barro prédit une croissance de 4,9 % pour cette période. En d’autres termes, la Chine était alors si pauvre que l’on aurait pu s’attendre à ce qu’elle connaisse une croissance plus rapide. Barro explique bien sûr cette contre-performance par le régime communiste en place ; ce dernier a réduit les incitations essentielles à la croissance économique. Par contre, le taux de croissance du PIB réel par tête chinois a été particulièrement élevé depuis 1990. En l’occurrence, il a été bien supérieur à ce que l’on peut prédire à partir des performances internationales dans un cadre de convergence conditionnelle. Pour la période s’étalant entre 2005 et 2010, le taux de croissance par tête observé a été de 8,9 %, alors que la valeur attendue était de 4,2 %.

Mais, si un pays peut dévier de la trajectoire attendue pendant un certain temps, il ne peut en dévier éternellement. La Chine ne peut s’échapper à jamais de la « loi d’airain de la convergence » : sa croissance ne peut se maintenir à 6 % à long terme. Selon les prévisions de Barro, le taux de croissance par tête chinois est susceptible de chuter en passant d’environ 8 % à 3-4 % par an, c’est-à-dire bien en-deçà de 6-7 % annoncés officiellement par les autorités chinoises. Une telle croissance, maintenue sur trois ou quatre décennies, est suffisante non seulement pour qu’un pays passe du statut de pays à faible revenu à celui de pays à revenu intermédiaire (chose que la Chine a déjà accompli), mais aussi pour passer du statut de pays à revenu intermédiaire pour acquérir celui de pays à haut revenu (chose que la Chine n’a pas encore accompli). En analysant son échantillon de pays, Barro estime qu’il n’existe pas de piège du revenu intermédiaire (trappe à revenu intermédiaire), contrairement à ce que plusieurs auteurs ont cru déceler. Pour être plus exact, il n’est pas plus difficile pour une économie de passer du statut de pays à revenu intermédiaire vers celui de pays à haut revenu que de passer du statut de pays à faible revenu vers celui de pays à revenu intermédiaire. Par conséquent, Barro en conclut qu’il est plus que probable que la Chine parvienne rapidement à rejoindre le club des pays à haut revenu.

 

Références

BARRO, Robert J. (2015), « Convergence and modernization », in Economic Journal, vol. 125.

BARRO, Robert J. (2016), « Economic growth and convergence, applied especially to China », NBER, working paper, n° 21872, janvier.

BARRO, Robert J., & Xavier SALA-I-MARTIN (1991), « Convergence across states and regions », in Brookings Papers on Economic Activity, n° 1.

 

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20 janvier 2016 3 20 /01 /janvier /2016 18:48

Le nombre de personnes déplacées de force à travers le monde a atteint 60 millions à la fin de l’année 2014, soit le chiffre le plus élevé au cours des sept dernières décennies. Parmi eux, 14,4 millions sont des réfugiés. Ce chiffre est en hausse de 25 % par rapport à 2013, notamment à cause des conflits en Syrie et dans le reste du Moyen-Orient. Par conséquent, au cours des 10 premiers mois de l’année 2015, il y a eu environ 995.000 demandeurs d’asile en Union européenne, soit deux fois plus qu’au cours de la même période en 2014. Ces demandes d’asile se sont concentrées en Allemagne, en Hongrie et en Suède. Le nombre de demandes d’asiles dépasse les précédents pics atteints lors de la chute du Mur de Berlin et du conflit en Yougoslavie. 

Dans une contribution pour le FMI, Shekhar Aiyar et ses coauteurs (2016) sont cherché à déterminer les répercussions macroéconomiques de l’actuelle vague de réfugiés à destination des pays européens. A court terme, ils estiment que l’afflux de réfugiés ne devrait se traduire que par une accélération limitée de la croissance du PIB. L’entrée progressive des réfugiés sur le marché du travail va permettre d’accroître l’offre de travail, donc d’accroître la production potentielle, mais elle va aussi pousser les salaires à la baisse, également les salaires des autochtones, donc freiner par ce biais-là la demande globale. D’un autre côté, les réfugiés eux-mêmes vont contribuer à accroître la demande globale. En outre, les dépenses publiques supplémentaires pour assurer la fourniture de services d’accueil et de soutien aux demandeurs d’asile, notamment en termes de logement, d’alimentation, de soins et d’éducation, vont également accroître la demande globale. Ce supplément de dépenses va représenter 0,05 % du PIB en 2015 et de 0,1 % du PIB en 2016.  Au final, selon les estimations d’Aiyar et alii, l’afflux de réfugiés va contribuer à accroître le PIB de 0,05 %, de 0,09 % et de 0,13 % respectivement en 2015, 2016 et 2017. La première année, l’impact sur la production serait associé aux seules répercussions du surcroît de dépenses publiques sur la demande globale. Ces effets macroéconomiques sont concentrés dans les principaux pays de destination : en 2017, les PIB de l’Autriche, de l’Allemagne et de la Suède s’en trouveront respectivement accrus de 0,5 %, de 0,3 % et de 0,4 %.

L’impact sur la croissance à moyen et long terme dépendra du degré d’intégration des demandeurs d’asile sur le marché du travail. Si l’intégration réussit, c’est-à-dire si les écarts entre réfugiés et natifs se réduisent au cours du temps, alors le niveau du PIB en 2020 pourra être supérieur de 0,5 % pour l’ensemble de la zone euro, d’après les estimations d’Aiyar et alii. Mais si l’intégration ne réussit pas, non seulement les gains en termes de PIB seront plus faibles, mais les taux de chômage et l’endettement public seront poussés à la hausse.

La littérature économique sur l’intégration des immigrés sur le marché du travail suggère que cette intégration s’opère lentement. Les immigrés ont de plus faibles taux d’emploi, taux d’emploi et salaires que les autochtones. Ces écarts sont particulièrement élevés au cours des premières années suivant l’immigration, puis ils se réduisent au fur et à mesure que les immigrés acquièrent de nouvelles compétences et maîtrisent davantage la langue du pays d’accueil. Mais si les immigrés arrivent à une période où le taux de chômage est particulièrement élevé, leurs taux d’emploi et leurs salaires en seront durablement affectés. Or plusieurs pays européens sont précisément caractérisés par des niveaux élevés de chômage et ces derniers devraient perdurer dans la mesure où la reprise demeure atone. Les réfugiés privilégient toutefois comme destinations les pays qui ont précisément les plus faibles taux de chômage. Aiyar et alii notent toutefois que, par le passé, les immigrés qui avaient le même pays d’origine que les demandeurs d’asile d’aujourd’hui ont fait face à plus de difficultés pour s’intégrer sur le marché du travail que les autres immigrés. Les immigrés nés en Afghanistan, en Iran, en Iraq, en Syrie, en Somalie, en Erythrée et dans l’ancienne Yougoslavie étaient notamment moins éduqués en moyenne que les natifs ou les autres immigrés. 

L’impact budgétaire net des immigrés dépendra crucialement de la réussite de leur intégration sur le marché du travail. Pour évaluer cet impact, il faut notamment comparer, d’une part, le montant des prélèvements obligatoires versés par les immigrés et, d’autre part, le montant des dépenses publiques et prestations sociales dont ils sont les bénéficiaires. Si les réfugiés sont rapidement embauchés, ils contribuent davantage aux prélèvements obligatoires et bénéficient moins de prestations sociales. L’afflux de réfugiés peut également modifier le montant de prélèvements obligatoires versés par les autochtones et le montant des dépenses publiques et des prestations sociales dont ces derniers sont les bénéficiaires. Par exemple, il peut accroître le chômage des autochtones et réduire leurs salaires, ce qui réduit les prélèvements obligatoires versés par ces derniers et accroît les prestations sociales dont ils sont les bénéficiaires.

GRAPHIQUE  Impact budgétaire net des immigrés (moyenne sur 2007-2009, en % du PIB)

Quel sera l’impact macroéconomique de l’afflux de réfugiés ?

source : FMI (2016)

Les épisodes passés d’immigrations massives montrent que ces dernières tendent à être associées à une faible contribution positive aux finances publiques, mais l’intervalle des estimations est très large. Par exemple, selon l’OCDE (2013), entre 2007 et 2009, la contribution budgétaire moyenne de la population immigrée dans les pays avancés s’élève à 0,35 % du PIB, mais elle est négative dans des pays comme la France et l’Allemagne (cf. graphique). En outre, il n’y a pas de lien significatif entre l’impact budgétaire net de l’immigration et la part des immigrés dans la population à un moment donné. Surtout, l’impact budgétaire des immigrés change au cours de leur vie, si bien qu’il dépend étroitement de la structure en termes d’âge de la population immigrée. Tout comme les autochtones, les immigrés contribuent surtout au Budget lorsqu’ils sont au milieu de leur vie active. Enfin, la contribution budgétaire des réfugiés est moins favorable que celle des immigrés économiques.

Par conséquent, Aiyar et alii en concluent que l’impact budgétaire net de l’actuelle vague d’immigrés est difficile à prédire. Les nouveaux immigrés tendent à être plus jeunes et à avoir de plus hauts taux de fertilité que les autochtones, ce qui contribue positivement au Budget. Si les immigrés sont peu qualifiés, comme le suggèrent les rares données disponibles, alors leur contribution budgétaire sera moins que celle des précédents immigrés ou celle des autochtones. Comme le chômage est élevé dans plusieurs pays-membres, l’intégration des immigrés prendra plus de temps, ce qui réduit la contribution budgétaire aussi bien des immigrés que des autochtones. Toutefois, l’afflux d’immigrés pourrait contribuer à freiner le vieillissement démographique, dont alléger l’impact de ce dernier tant sur les finances publiques que sur la croissance potentielle. Aiyar et alii estiment toutefois que cet effet positif sera limité.

 

Références

AIYAR, Shekhar, Bergljot BARKBU, Nicoletta BATINI, Helge BERGER, Enrica DETRAGIACHE, Allan DIZIOLI, Christian EBEKE, Huidan LIN, Linda KALTANI, Sebastian SOSA, Antonio SPILIMBERGO & Petia TOPALOVA (2016), « The refugee surge in Europe: Economic challenges », FMI, staff discussion note, n° 16/02.

OCDE (2013), « L’impact fiscal de l’immigration dans les pays de l’OCDE », Perspectives des migrations internationales 2013.

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