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24 janvier 2021 7 24 /01 /janvier /2021 09:14
La pandémie et les inégalités mondiales

L’épidémie de Covid-19 et les mesures adoptées par les autorités en vue d’en freiner la propagation vont creuser les inégalités de revenu au sein de chaque pays. En effet, les pandémies qui ont marqué ces dernières décennies ont eu tendance à accroître les inégalités de revenu dans les pays qu’elles ont touchés [Furceri et alii, 2020]. Comme au cours des précédentes récessions, la hausse du chômage qui a été provoquée par l’actuelle pandémie a certainement affecté de façon disproportionnée les travailleurs les moins qualifiés, mais cet effet pourrait être encore plus marqué dans l’actuelle récession, dans la mesure où ce sont les travailleurs les plus qualifiés qui peuvent le plus facilement travailler à distance et où l’épidémie risque d’accroître les incitations des entreprises à automatiser leur production [Saadi Sedik et Yoo, 2021]. La détérioration de la situation des plus modestes s’avère plus dramatique dans les pays en développement, dans la mesure où ces derniers sont généralement dotés d’un système de protection sociale peu développé. Par conséquent, la pandémie a certainement ramené des dizaines de millions de personnes à travers le monde dans la pauvreté extrême (cf. graphique 1) [Lakner et alii, 2021]. Pour autant, contrairement à ce que l’on pourrait penser et à ce qu’affirment effectivement certains, notamment Joseph Stiglitz (2020), la pandémie a peut-être réduit les inégalités de revenu entre les pays.

GRAPHIQUE 1  Nombre de personnes à travers le monde en situation de pauvreté extrême (en millions)

La pandémie et les inégalités mondiales

source : Lakner et alii (2021)

En effet, comme le souligne Angus Deaton (2021), les pays qui ont connu la plus forte mortalité sont également ceux qui ont vu leur revenu chuter le plus amplement (cf. graphique 2). Finalement, contrairement à ce que beaucoup ont prétendu, il n’y a pas d’arbitrage entre la santé et le revenu : une hausse de la mortalité s’est traduite par une chute du revenu par habitant. Il est difficile d'affirmer que les confinements sauvent des vies en détruisant l’économie.

GRAPHIQUE 2  Croissance du revenu par tête prévue en 2020 et nombre de morts par million d’habitants

La pandémie et les inégalités mondiales

source : Deaton (2021)

note : la taille des cercles est proportionnelle à la population et les cercles noirs représentent les pays de l’OCDE

Or, ce ne sont pas les pays pauvres qui ont connu la plus forte mortalité : ce sont les pays riches (cf. graphique 3), et ce malgré le fait qu’ils disposent a priori non seulement d’un système de santé et d’une protection sociale plus développés, mais aussi d’institutions plus efficaces et de dirigeants plus compétents. Beaucoup ont critiqué la gestion de l’épidémie par l’administration Trump, mais, comme le note Deaton, lorsque l’on regarde le nombre de morts par million d’habitants, les Etats-Unis ne font guère pire que d’autres pays développés et n’apparaissent pas comme une franche anomalie statistique.

GRAPHIQUE 3  Nombre de morts de la Covid-19 par million d’habitants et revenu par tête en 2019

La pandémie et les inégalités mondiales

source : Deaton (2021)

note : la taille des cercles est proportionnelle à la population et les cercles noirs représentent les pays de l’OCDE

Finalement, si l’on se contente d’observer les pays sans tenir compte de la taille de leur population, il apparaît que les inégalités de revenu internationales, mesurées par la dispersion des revenus par tête entre les pays, ont décliné (cf. graphique 4). Par contre, lorsque l’on pondère les pays en fonction de la taille de leur population, il apparaît que les inégalités de revenu internationales ont légèrement augmenté. Cet apparent paradoxe ne s’explique pas par une chute des revenus plus rapide dans les pays pauvres que dans les pays riches, mais par l’évolution de la Chine.

GRAPHIQUE 4  Ecart-type du logarithme du revenu par tête (en dollars PPA)

La pandémie et les inégalités mondiales

source : Deaton (2021), d’après les prévisions du FMI en octobre 2019 (traits en pointillés) et en 2020 (traits continus)

Pendant plusieurs décennies, la forte croissance chinoise a permis à des centaines de millions de Chinois de quitter la pauvreté extrême, si bien qu’elle a contribué à réduire les inégalités de revenu mondiales. Mais, à présent, la Chine n’est plus un pays pauvre. Elle a connu peu de morts et sa croissance économique s’est poursuivie, permettant à son économie de s’éloigner davantage de celle des pays pauvres. Aujourd’hui, parmi la population mondiale de 7,8 milliards d’êtres humains, 4,4 milliards vivent dans des pays dont le revenu par tête est inférieur à celui de la Chine et seulement 2,0 milliards de personnes vivent dans des pays dont le revenu par tête est supérieur à celui de la Chine. Par conséquent, comme l’ont pressenti Angus Deaton (2013) et Branko Milanovic (2018), la poursuite de la croissance chinoise contribue désormais, non plus à réduire les inégalités de revenu mondiales, mais à les creuser. C’est précisément ce qui se passe lors de la pandémie.

 

Références

DEATON, Angus (2013), The Great Escape: Health, Wealth, and the Origins of Inequality, Princeton. Traduction française, La Grande Evasion, PUF.

DEATON, Angus (2021), « COVID-19 and global income inequality », document de travail.

FURCERI, Davide, Prakash LOUNGANI, Jonathan D. OSTRY & Pietro PIZZUTO (2020), « Will Covid-19 affect inequality? Evidence from past pandemics », in CEPR, COVID Economics: Vetted and real-time papers, n° 12.

LAKNER, Christoph, Nishant YONZAN, Daniel Gerszon MAHLER, R. Andres CASTANEDA & Haoyu WU (2021), « Actualisation des estimations de l'impact de la pandémie de COVID-19 sur la pauvreté : retour sur 2020 et perspectives pour 2021 », Banque mondiale, Blog de données, 11 janvier. 

MILANOVIC, Branko (2016), Global Inequality: A New Approach for the Age of Globalization, Belknap. Traduction française, Inégalités mondiales, La Découverte. 

SAADI SEDIK, Tahsin, & Jiae YOO (2021), « Pandemics and automation: Will the lost jobs come back? », FMI, working paper, n° 21/11.

STIGLITZ, Joseph (2020), « Vaincre la Grande Fracture », in FMI, Finances & Développement, septembre.

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4 janvier 2021 1 04 /01 /janvier /2021 08:00
La crise du SME : simplement le produit d'événements domestiques ?

Dans une nouvelle étude publiée par la Banque de France, Barry Eichengreen et Alain Naef (2020) sont revenus sur un événement crucial de la construction européenne, à savoir la crise du système monétaire européen (SME) en 1992-1993.

Ce dernier avait été créé en 1979 par des pays européens afin de limiter les fluctuations de leurs taux de change bilatéraux, mais aussi pour ouvrir ultérieurement la voie à une véritable unification monétaire. Les banques centrales des pays-membres s’étaient engagées à maintenir les fluctuations de leur monnaie dans des bandes étroites en référence à une unité de compte, l’écu. En pratique, toutefois, les différentes diverses étaient ancrées au deutschemark. La monnaie allemande constituait en effet la monnaie la plus forte parmi les devises du SME. Par conséquent, les différentes banques centrales des pays-membres prenaient leurs décisions en matière de politique monétaire en se conformant à celles de la Bundesbank.

Au cours de la seconde moitié de l’année 1992, plusieurs devises subirent une première vague d’attaques spéculatives et connurent de fortes fluctuations de leur taux de change, amenant plusieurs banques centrales à puiser dans leurs réserves de change pour contenir la dépréciation de leur monnaie. La lire italienne, la peseta espagnole et l’escudo portugais finissent par être dévaluées et la Grande-Bretagne par sortir du SME. L’été suivant, plusieurs devises firent l’objet d’une nouvelle vague d’attaques spéculatives. La Banque de France épuisa ses réserves en quelques semaines pour défendre le franc français. Début août, les Etats-membres se résolurent à fortement élargir les bandes de fluctuations des taux de change. Cette décision acta la fin du SME, mais elle fut suivie par la stabilisation des différents taux de change.

En montrant que la fixité des taux de change bilatéraux pour un ensemble de pays était instable, la crise du SME a signalé aux pays-membres la nécessité soit de faire marche arrière, soit d’accélérer le processus d’unification monétaire. C’est finalement la deuxième option qui a été retenue et la monnaie unique a finalement été lancée en 1999.

Comme le notent Eichengreen et Naef, la crise du SME ne fait toujours pas l’objet d’une interprétation qui fasse consensus près de trois décennies après. Une première série d’explications se focalise sur les fondamentaux macroéconomiques et les politiques économiques des pays dont la monnaie a été attaquée. Elle s’inspire des modèles de crises de change de première génération à la Paul Krugman (1979), qui interprètent les crises de change comme la conséquence de mauvais fondamentaux économiques ou de l’adoption d’une politique économique inadaptée. En effet, si les fondamentaux d’un pays se détériorent ou si ses autorités adoptent une politique insoutenable, alors son taux de change devrait avoir tendance à se déprécier s’il est libre de fluctuer. Mais si le taux de change est fixe, la monnaie risque d’être de plus en plus surévaluée, l’ancrage apparaîtra comme de moins en moins crédible et la monnaie finira par faire l’objet d’une attaque spéculative si les autorités monétaires tardent à la dévaluer. Dans cette optique, la livre sterling aurait été attaquée parce qu’elle avait été introduite dans le SME à une parité surévaluée ; la lire italienne aurait été attaquée en raison du niveau excessif des dettes et déficits italiens ; des monnaies scandinaves auraient été attaquées en raison de l’insolvabilité des banques scandinaves ; le franc français aurait été attaqué en raison de la politique jugée insoutenable que le gouvernement avait adoptée pour combattre le chômage, etc.

Une deuxième série d’explications souligne la fragilité des ancrages de monnaie dans un contexte de forte mobilité des capitaux [Eichengreen et Wyplosz 1993 ; 1994]. Elle s’inspire des modèles de crises de change de deuxième génération à la Maurice Obstfeld (1994). Selon eux, une sortie des capitaux, qu’importe sa cause, affecte la performance économique d’un pays ou entraîne une modification de la politique économique de telle façon que la monnaie finit par faire l’objet d’une attaque spéculative. Par exemple, la banque centrale risque de relever ses taux d’intérêt pour défendre la parité, mais un tel resserrement monétaire dégrade les fondamentaux économiques, ce qui entraîne ou amplifie la surévaluation de la monnaie et rend l’ancrage moins crédible aux yeux des investisseurs financiers. Si ces derniers attaquent la monnaie, la banque centrale risque de finir par abandonner l’ancrage, dans la mesure où ses réserves de change ne sont pas infinies. Par conséquent, la simple anticipation, même erronée, qu’un ancrage s’avère insoutenable entraîne un enchaînement d’événements conduisant à une crise de change et à l’abandon de l’ancrage. Dans ces modèles de crises de change de deuxième génération, de tels événements peuvent ainsi être auto-réalisateurs.

L’ouverture des pays européens aux flux de capitaux étrangers et notamment le retrait de leurs contrôles des capitaux les exposèrent à de tels phénomènes. Mais ce serait avant tout le rejet du Traité de Maastricht par le Danemark lors d’un référendum tenu le 2 juin 1992 qui a suscité des doutes quant au projet d’unification monétaire et amorcé ainsi une sortie des capitaux dans d’autres pays-membres du système. La Banque d’Angleterre réagit à celle-ci en relevant ses taux directeurs, or ce tel resserrement monétaire déprima son marché de l’immobilité et sa compétitivité. En Italie, la hausse des taux d’intérêt alourdit le coût de service de la dette publique et détériora ainsi les finances publiques. Dans les pays scandinaves, elle aggrava la situation des banques, etc. En définitive, le maintien des parités définies dans le cadre du SME se révéla être de plus en plus coûteux pour les banques centrales.

Ces deux classes d’interprétations mettent souvent l’accent sur le rôle joué par les taux d’intérêt allemands dans la crise du SME. En effet, la réunification accéléra fortement l’inflation en Allemagne de l’Ouest. Soucieuse de maintenir la stabilité des prix, la Bundesbank réagit en relevant fortement ses taux d’intérêt. D’une part, ce resserrement monétaire alimenta le mouvement des capitaux du reste du SME vers l’Allemagne. D’autre part, il dégrada fortement l’activité économique dans le reste du SME, notamment parce qu’il contraint les autres banques centrales du SME à relever leurs propres taux pour freiner la sortie des capitaux et maintenir l’ancrage de leur monnaie sur le deutschemark. 

Eichengreen et Naef se sont penchés sur une troisième classe d’explications qui considèrent que les parités au sein du SME ont pu être déstabilisées par des événements qui lui furent extérieurs. En l’occurrence, le dollar américain était à l’époque une monnaie faible, ce qui alimenta les conversions du dollar en deutschemark. La monnaie allemande eut alors tendance à s’apprécier vis-à-vis du dollar (cf. graphique 1) et des autres devises du SME. Cette troisième classe d’explications, qui n’est pas exclusive avec les deux premières, amène à conclure que la crise du SME a été le produit, non seulement d’événements internes au SME, mais également d’événements extérieurs à celui-ci : elle a été en partie importée.

GRAPHIQUE 1  Taux de change du dollar américain vis-à-vis du deutschemark 

La crise du SME : simplement le produit d'événements domestiques ?

source : Eichengreen et Naef (2020)

Profitant des archives relatives à cette période que la Banque d’Angleterre a récemment rendues publiques, Eichengreen et Naef ont constitué une base de données relatives aux interventions sur le marché des changes pour 14 pays européens pour la période allant de 1986 à 1995. Ils ont utilisé ces données en combinaison avec celles relatives aux taux d’intérêt et aux taux de change pour construire un indice de pression sur le marché des changes (cf. graphique 2). Celui-ci indique que la pression sur les devises du SME a commencé à s’intensifier avant la tenue du référendum danois sur le Traité de Maastricht, ce qui suggère que celui-ci a été au mieux un facteur aggravant, mais non l’amorce, de la crise du SME. 

GRAPHIQUE 2  Pression sur le marché des changes (moyenne pour 12 pays-membres du SME)

La crise du SME : simplement le produit d'événements domestiques ?

source : Eichengreen et Naef (2020)

La phase la plus aiguë de la crise du SME semble avoir débuté avec les propos plus ou moins informels tenus par Helmut Schlesinger, le président de la Bundesbank à l'époque, au milieu du mois de septembre, à la veille du référendum français sur le Traité de Maastricht. Ceux-ci pouvaient être interprétés comme suggérant que la banque centrale allemande n’était peut-être pas prête à intervenir massivement pour soutenir le cours des autres monnaies. Autrement dit, ils purent signaler que la coopération entre les banques centrales du SME n’était pas illimitée. Ce sont de tels propos qui ont pu ainsi amener les investisseurs financiers à véritablement douter de la crédibilité du projet d’unification monétaire. 

 

Références

EICHENGREEN, Barry, & Alain NAEF (2020), « Imported or home grown? The 1992-3 EMS crisis », Banque de France, document de travail, n° 793.

EICHENGREEN, Barry, & Charles WYPLOSZ (1993), « The unstable EMS », in Brookings Papers on Economic Activity.

EICHENGREEN, Barry, & Charles WYPLOSZ (1994), « Pourquoi le SME a explosé et comment le relancer ? », in Revue économique, vol. 45, n° 3.

KRUGMAN, Paul (1979), « A model of balance of payments crises », in Journal of Money, Credit and Banking, vol. 11.

OBSTFELD, Maurice (1994), « The logic of currency crises », in Cahiers Economiques et Monétaires, vol. 43.

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28 décembre 2020 1 28 /12 /décembre /2020 08:00
Quel est l’impact de l’épidémie de Covid-19 sur la productivité ?

Les répercussions économique de l’épidémie de Covid-19 font déjà l’objet d’une importante littérature, théorique comme empirique. A court terme, la pandémie génère une série de chocs d’offre et de demande négatifs : les individus réduisent leur offre de travail et consomment moins, ne serait-ce parce qu’ils réduisent leurs interactions physiques pour éviter de tomber malades ou d’infecter les autres [Eichenbaum et alii, 2020 ; Baqaee et Farhi, 2020]. Les individus optant en partie volontairement pour la distanciation physique, ces effets se manifestent même en l’absence de mesures de confinement [Aum et alii, 2020]. Plusieurs études empiriques suggèrent que les chocs de demande tendent à dominer les chocs d’offre, du moins à très court terme [Balleer et alii, 2020]. Même si l’épidémie et les mesures adoptées par les autorités en vue de la contenir se traduisaient essentiellement par un choc d’offre pour certains secteurs de l’économie, celui-ci peut facilement dégrader la demande dans les autres secteurs ce qui amplifie la contraction de l’activité, notamment avec la multiplication des faillites d’entreprises et la hausse du taux de chômage [Guerrieri et alii, 2020].

A plus long terme, la pandémie de Covid-19 risque d’avoir des effets durables sur l’économie, comme le suggèrent les précédentes pandémies qui ont marqué l’Histoire. Oscar Jordà et alii (2020) ont en effet noté que les taux de rendement sur les actifs restaient faibles plusieurs décennies après chaque grande pandémie. En effet, les épidémies, contrairement aux guerres, ne détruisent pas le stock de capital, ce qui réduit les incitations des entreprises à investir ; d’autre part, les populations pourraient tendre à davantage épargner, pour un motif de précaution. Autrement dit, non seulement l’intervention publique semble nécessaire en raison du sous-investissement et de l’excès d’épargne, mais en outre cette dernière facilite son financement par endettement en maintenant les taux d'intérêt à un faible niveau.

Afin de mieux saisir les répercussions économiques de l’épidémie de Covid-19, Nicholas Bloom, Philip Bunn, Paul Mizen, Pawel Smietanka et Gregory Thwaites (2020a) ont analysé son impact sur la productivité au Royaume-Uni en utilisant les données tirées du Decision Maker Panel, une vaste enquête menée auprès de milliers d’entreprises. Leurs estimations suggèrent que l’épidémie de Covid-19 devrait réduire la productivité globale des facteurs dans le secteur privé d’environ 3 % en moyenne entre le deuxième trimestre 2020 et le deuxième trimestre 2021, relativement à ce qu’elle aurait été sinon, et d’environ 1 % en 2022 et au-delà (cf. graphique 1). C’est au quatrième trimestre 2020 qu’elle atteindrait son creux, en baissant alors de 5 %. En l’occurrence, les entreprises anticipent une forte réduction de la productivité au sein de l’entreprise, essentiellement parce qu’elles s’attendent à ce que les mesures visant à contenir l’épidémie accroissent le coût des consommations intermédiaires.

GRAPHIQUE 1  Impact de la pandémie de Covid-19 sur les mesures de productivité au Royaume-Uni (en %, relativement au scénario de base)

Quel est l’impact de l’épidémie de Covid-19 sur la productivité ?

source : Bloom et alii (2020a)

L’effet négatif sur la productivité au sein des entreprises est en partie compensé par un effet positif au niveau de l’ensemble des entreprises, dans la mesure où les secteurs à faible productivité et les firmes les moins productives parmi eux sont disproportionnellement affectées par l’épidémie de Covid-19 et contribuent par conséquent à une part moins importante de l’économie. Par conséquent, la pandémie devrait réduire la productivité globale des facteurs d’environ 0,7 % à moyen terme. 

L’impact positif sur la productivité que Bloom et ses coauteurs décèlent au niveau de l’ensemble des entreprises suggère-t-il que l’épidémie de Covid-19 alimente un processus schumpétérien de destruction créatrice ? En l’occurrence, les firmes présentant la plus faible productivité disparaissent-elles en étant remplacées par des entreprises plus productives ? C’est en partie le cas, mais seulement en partie. En effet, l’économie connaît pour l’essentiel une simple destruction des secteurs présentant une faible productivité. Des secteurs comme ceux de l’hébergement, de la restauration, du voyage et des loisirs se sont fortement contractés, mais les autres secteurs n’ont connu qu’une expansion limitée, ce qui empêche une réallocation des facteurs, notamment des travailleurs, vers les secteurs en expansion. Finalement, la productivité moyenne a augmenté, mais la production totale a décliné.

GRAPHIQUE 2  Dépenses d’investissement en recherche d’investissement au Royaume-Uni (à prix constants, en indices, base 100 en 2018)

Quel est l’impact de l’épidémie de Covid-19 sur la productivité ?

source : Bloom et alii (2020a)

Bloom et ses coauteurs estiment que l’épidémie freinera la croissance de la productivité à plus long terme. Tout d’abord, les entreprises ont fortement réduit leurs dépenses en recherche-développement (cf. graphique 2). Quant aux efforts de recherche-développement, ceux-ci risquent d’être moins efficaces qu’habituellement, dans la mesure où les scientifiques et les ingénieurs peuvent moins accéder physiquement aux équipements. D’autre part, l’épidémie a été très chronophage pour les dirigeants : ces derniers ont consacré un tiers de leur temps à gestion de la pandémie, un temps qu’ils n’ont donc pas pu consacrer à des activités améliorant la productivité à long terme, notamment les projets d'innovation. Autrement dit, les effets de l'épidémie risquent de se conjuguer à ceux de tendances de plus long terme pour freiner le progrès technique [Gordon, 2012 ; Bloom et alii, 2020b]. Les effets de la pandémie sont en partie pris en compte par les entreprises lorsque celles-ci anticipent que la productivité globale des facteurs sera à moyen terme inférieure de 1 % à ce qu’elle aurait été sinon, mais Bloom et ses coauteurs craignent qu’ils ne se soient pour l’heure qu’en partie manifestés.

 

Références

AGHION, Philippe (2020), « Le Covid amplifie la destruction créatrice », in Les Echos, 16 décembre.

AUM, Sangmin, Sang Yoon (Tim) LEE, Yongseok SHIN (2020), « COVID-19 doesn't need lockdowns to destroy jobs: The effect of local outbreaks in Korea », NBER, working paper, n° 27264.

BALLEER, Almut, Sebastian LINK, Manuel MENKHOFF & Peter ZORN (2020), « Demand or supply? Price adjustment during the Covid-19 pandemic », in CEPR, Covid Economics: Vetted and Real-Time Papers, n° 31.

BAQAEE, David, & Emmanuel FARHI (2020), « Supply and demand in disaggregated Keynesian economies with an application to the Covid-19 crisis », NBER, working paper, n° 27152.

BLOOM, Nicholas, Philip BUNN, Paul MIZEN, Pawel SMIETANKA & Gregory THWAITES (2020), « The impact of Covid-19 on productivity », Banque d’Angleterre, staff working paper, n° 900.

BLOOM, Nicholas, Charles I. JONES, John Van REENEN & Michael WEBB (2020), « Are ideas getting harder to find? », in American Economic Review.

EICHENBAUM, Martin, Serigio REBELO & Mathias TRABANDT (2020), « The macroeconomics of epidemics », NBER, working paper, n° 26882.

GORDON, Robert (2012), « Is US economic growth over? Faltering innovation confronts the six headwinds », CEPR, policy insight, n° 63.

GUERRIERI, Veronica, Guido LORENZONI, Ludwig STRAUB & Iván WERNING (2020), « Macroeconomic implications of COVID-19: Can negative supply shocks cause demand shortages? », NBER, working paper, n° 26918.

JORDÀ, Oscar, Sanjay R. SINGH & Alan M. TAYLOR (2020), « Longer-run economic consequences of pandemics », Federal Reserve Bank of San Francisco, working paper, n° 2020-09.

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