Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
18 juin 2019 2 18 /06 /juin /2019 15:27
La libéralisation du commerce extérieur promeut-elle la croissance économique ?

Des années cinquante aux années quatre-vingt, la plupart des pays en développement cherchaient à restreindre les importations, voyant notamment la concurrence étrangère comme un possible frein à leur développement économique. Ces restrictions passaient notamment par l’adoption de droits de douane élevés, de quotas à l’importation, de taux de change multiples, etc. Rares étaient les pays qui s’engageaient dans des réformes visant à libéraliser leur commerce extérieur, c’est-à-dire qui réduisaient unilatéralement leurs barrières à l’échange ; ce fut toutefois le cas de Taïwan entre 1958-1962, de la Corée du Sud entre 1964 et 1968 ou encore du Chili entre 1974 et 1979. 

GRAPHIQUE 1  Nombre de pays entreprenant des réformes commerciales

La libéralisation du commerce extérieur promeut-elle la croissance économique ?

source : Irwin (2019), d’après Sachs et Warner (1995) et Wacziarg et Welch (2008)

Durant la décennie qui suivit 1985, les pays en développement connurent une vague de réformes commerciales, très souvent parce qu’ils cherchaient plus largement à libéraliser l’ensemble de leurs marchés. Ce fut tout particulièrement le cas des anciens pays du bloc communiste qui amorcèrent leur transition vers l’économie de marché au début des années quatre-vingt-dix (cf. graphique 1). En conséquence de ces réformes commerciales, les droits de douane chutèrent régulièrement durant les années quatre-vingt, puis plus rapidement au début des années quatre-vingt-dix, pour ensuite continuer de baisser, mais plus lentement (cf. graphique 2). Selon Will Martin et Francis Ng (2004), les droits de douane moyens pondérés dans les pays en développement passèrent de 30 % à 11 % entre 1983 et 2003 et les trois quarts de cette baisse découlent des libéralisations commerciales que ces pays opérèrent.

GRAPHIQUE 2  Droits de douane moyens non pondérés dans les pays développés et dans les pays en développement (en %)

La libéralisation du commerce extérieur promeut-elle la croissance économique ?

source : Irwin (2019)

Les grandes institutions internationales comme la Banque mondiale et le FMI soutinrent de telles réformes. Certes, leurs appels peuvent être confortés par un raisonnement économique standard : d’une part, l’accroissement de la concurrence auxquelles font face les entreprises domestiques suite à la baisse des barrières à l’échange les incite à être plus efficaces, par exemple à réduire leurs prix de ventes, donc leurs coûts, à différentier leur offre et à innover ; d’autre part, la réduction des barrières à l’échange permet aux entreprises domestiques d’importer davantage de biens de production, moins chers, ce qui leur permet de réduire leurs coûts de production, de bénéficier d’intrants de meilleure qualité et de disposer de technologies plus performantes. Mais, même au début des années quatre-vingt, tous les économistes, et en premier lieu Dani Rodrik (1992), ne partagèrent pas l’optimisme des institutions internationales : après tout, ce n’est pas parce que des gains d’efficience sont possibles que la croissance économique s’en trouvera forcément stimulée. Ces doutes ont contribué à susciter une vague de travaux empiriques.

Dans les années quatre-vingt-dix, plusieurs études, comme celles de David Dollar (1992), Jeffrey Sachs et Andrew Warner (1995) et Sebastian Edwards (1998) mirent en avant des preuves empiriques suggérant que l’ouverture au commerce extérieur était associée à de meilleures performances économiques. Quelques années plus tard, Francesco Rodriguez et Dani Rodrik (2000) réalisèrent une importante revue de la littérature qui les amena toutefois à conclure que « la relation entre politique commerciale et croissance économique reste une question ouverte » et « est loin d’être établie sur des bases empiriques », notamment parce que les études qu’ils recensent ne sont pas sans souffrir de fragilités méthodologiques.

Près de deux décennies après l’étude de Rodriguez et Rodrik, Douglas Irwin (2019) a jugé opportun de réexaminer le lien empirique entre libéralisations commerciales et croissance économique, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, les diverses études qui étaient disponibles lorsque Rodriguez et Rodrik réalisèrent leur revue de la littérature s’appuyaient sur des échantillons de données n’allant pas plus loin que le début des années quatre-vingt-dix, si bien qu’elles manquaient de recul pour pleinement saisir les effets de moyen et long terme des réformes majeures qui furent mises en place au début de cette décennie pour libéraliser le commerce extérieur. Deuxièmement, de nombreux pays qui étaient jusqu’alors des économies relativement fermées, comme la Chine, l’Inde, le Vietnam, le Cambodge et le Bangladesh ont depuis adopté des réformes pour s’ouvrir au commerce international. Troisièmement, les études qui ont été réalisées ces deux dernières décennies se sont basées sur des méthodes empiriques plus solides. Elles ont notamment moins cherché à réaliser des comparaisons entre pays pour davantage observer les effets que des réformes précises ont eus sur les économies où elles furent mises en œuvre.

Sans examiner le lien entre niveau des barrières commerciales et croissance économique, ni l’impact distributionnel des réformes commerciales (notamment sur les inégalités de revenu), Irwin a passé en revue trois ensembles de récents travaux qui ont cherché à déterminer comment les réformes commerciales affectent la croissance économique des pays qui les mettent en œuvre : les régressions transnationales se focalisant sur la croissance au sein des pays [Wacziarg et Welch, 2008 ; Estevadeordal et Taylor, 2013 ; Winters et Masters, 2013], les méthodes de contrôle synthétique portant sur des réformes spécifiques [Billmeier et Nannicini, 2011 ; Billmeier et Nannicini, 2013] et les études cherchant à déceler les canaux via lesquels la réduction des barrières à l’échange sont susceptibles d’accroître la productivité dans des pays en particulier comme le Chili, l’Indonésie, l’Inde et la Chine [Pavcnik, 2002 ; Amiti et Konings, 2007 ; Topalova et Khandelwal, 2011 ; Brandt et alii, 2017]. Ces travaux suggèrent que les réformes commerciales qui réduisent significativement les droits de douane sur les importations ont en moyenne un impact positif sur la croissance économique, mais il y a une très forte hétérogénéité d’un pays à l’autre. Le constat empirique obtenu au niveau plus microéconomique selon lequel la baisse des droits de douane sur les biens intermédiaires entraîne une meilleure productivité des producteurs de biens finaux domestiques est plus robuste.

Pour Irwin, celle conclusion rejoint deux autres constats auxquels ont aboutissent les récentes études. D’une part, beaucoup d’études avaient suggéré l’absence de convergence entre les pays : les pays les plus pauvres ne semblaient pas connaître forcément une croissance plus rapide que les pays les plus riches ; ils peuvent connaître une convergence, mais vis-à-vis de pays aux caractéristiques similaires. Or Dev Patel, Justin Sandefur et Arvind Subramanian (2018) ont mis en avant des preuves empiriques robustes suggérant qu’une convergence inconditionnelle des revenus entre les pays est à l’œuvre depuis 1990, et de façon marquée depuis 1995. D’autre part, alors que les études antérieures peinaient à mettre en évidence un lien significatif entre les réformes économiques et les performances économiques, des études plus récentes, comme celles de William Easterly (2018), constatent que les performances économiques et l’élaboration même des politiques économiques se sont considérablement améliorées depuis les années quatre-vingt-dix, mais aussi qu’elles sont plus étroitement corrélées.

 

Références

AMITI, Mary, & Jozef KONINGS (2007), « Trade liberalization, intermediate inputs, and productivity: Evidence from Indonesia », in American Economic Review, vol. 97.

BILLMEIER, Andreas, & Tommaso NANNICINI (2011), « Economies in transition: How important is trade openness for growth? », in Oxford Bulletin of Economics and Statistics, vol. 73. 

BILLMEIER, Andreas, & Tommaso NANNICINI (2013), « Assessing economic liberalization episodes: A synthetic control approach », in Review of Economics and Statistics, vol. 95.

BRANDT, Loren, Johannes Van BIESEBROECK, Luhang WANG & Yifan ZHANG (2017), « WTO accession and performance of Chinese manufacturing firms », in American Economic Review, vol. 107.

DOLLAR, David (1992), « Outward-oriented developing economies really do grow more rapidly: Evidence from 95 LDCs, 1976–1985 », in Economic Development and Cultural Change, vol. 40.

EASTERLY, William (2018), « In search of reforms for growth: New stylized facts on policy and growth outcomes », New York University.

EDWARDS, Sebastian (1998), « Openness, productivity, and growth: What do we really know? », in Economic Journal, vol. 108.

ESTEVADEORDAL, Antoni, & Alan M. TAYLOR (2013), « Is the Washington consensus dead? Growth, openness, and the Great Liberalization, 1970s–2000s », in Review of Economics and Statistics, vol. 95.

IRWIN, Douglas A. (2019), « Does trade reform promote economic growth? A review of recent evidence », PIIE, working paper, n° 19-9.

MARTIN, Will, & Francis NG (2004), « A note on sources of tariff reductions in developing countries, 1983–2003 », Banque mondiale.

PATEL, Dev, Justin SANDEFUR, & Arvind SUBRAMANIAN (2018), « Everything you know about cross-country convergence is wrong », Center for Global Development.

PAVCNIK, Nina (2002), « Trade liberalization, exit, and productivity improvements: Evidence from Chilean plants », in Review of Economic Studies, vol. 69.

RODRÍGUEZ, Francesco, & Dani RODRIK (2000), « Trade policy and growth: A skeptic’s guide to the cross-national evidence », in NBER Macroeconomic Annual 2000.

RODRIK, Dani (1992), « The limits of trade policy reform in developing countries », in Journal of Economic Perspectives, vol. 6.

SACHS, Jeffrey D., & Andrew WARNER (1995), « Economic reform and the process of global integration », in Brookings Papers on Economic Activity, vol. 1995, n° 1.

TOPALOVA, Petia, & Amit K. KHANDELWAL (2011), « Trade liberalization and firm productivity: The case of India », in Review of Economics and Statistics, vol. 93.

WACZIARG, Romain, & Karen Horn WELCH (2008), « Trade liberalization and growth: New evidence », in World Bank Economic Review, vol. 22.

WINTERS, L. Alan, & Andrew MASTERS (2013), « Openness and growth: Still an open question?  », in Journal of International Development, vol. 25.

Partager cet article
Repost0
14 juin 2019 5 14 /06 /juin /2019 14:28
L’art d’écrire des manuels selon Mankiw

Greg Mankiw n’est pas seulement connu pour ses travaux universitaires en tant qu’économiste, travaux qui ont fait de lui une figure proéminente parmi les « nouveaux keynésien » et l’ont amené à jouer le rôle de conseiller auprès de l’administration Bush Jr. Au cours de ces trois dernières décennies, il a aussi rédigé plusieurs manuels destinés aux étudiants, qu’il réédite régulièrement dans des versions actualisées. Sa Macroeconomics a déjà eu le droit à une dixième édition et la neuvième édition de ses Principles of Economics devrait bientôt être disponible. Ces manuels d’économie sont ceux qui ont connu les plus fortes ventes ces dernières décennies ; Mankiw estime que 4 millions d’exemplaires ont été imprimés.

Dans un court texte qu’il a publié il y a quelques mois, Mankiw s’est laissé aller à un petit exercice d’autoréflexion, non dénué d’autocélébration, où il aborde plusieurs questions relatives à la rédaction même d’un manuel d’économie. Ce texte n’est pas susceptible d’intéresser un large public ; sa lecture est surtout destinée aux professeurs désireux de construire leurs cours ou, de façon encore plus restreinte, ceux qui désirent se lancer dans la rédaction de leur propre manuel. Il offre en outre une matière assez intéressante aux historiens de la pensée économique : la vision qu’un économiste mainstream a, non seulement de la science économique, mais aussi de la façon par laquelle elle devrait être enseignée, vision qui a dû imprégner plusieurs générations d’étudiants, donc d’économistes, comme avaient pu le faire par le passé les Fondements de Paul Samuelson.

Mankiw s’est tout d’abord demandé quelle perspective les manuels doivent adopter. Il considère que leurs rédacteurs et les professeurs, en particulier ceux en charge des cours introductifs, doivent jouer un rôle d’ambassadeur de la profession des économistes : ils doivent représenter les vues partagées par la majorité de ces derniers. Certaines affirmations font assez consensus parmi les économistes ; Mankiw estime que c’est le cas de l’idée que l’adoption de droits de douane réduise le bien-être des résidents ou l’idée que la plupart des baisses d’impôts ne génèrent pas assez de croissance pour accroître les recettes fiscales. Mais d’autres affirmations sont plus contestées, comme celles selon lesquelles il est opportun d’accroître le salaire minimum ou que la politique monétaire doit se fonder sur des règles (par exemple celle de Taylor). Dès lors qu’une idée fait débat, il est nécessaire de donner les arguments des deux partis en présence. La difficulté est de voir dans quelle mesure telle ou telle idée fait consensus.

Pour enseigner la microéconomie, il est essentiel aux yeux de Mankiw de commencer par l’offre et la demande afin d’expliquer comment une économie de marché fonctionne. Cela pourrait paraître évident, mais il rappelle que la première édition (longue de 608 pages) des Fondements de Samuelson en 1948 n’évoquait pas les courbes d’offre et de demande avant la page 447. Une fois ce mécanisme expliqué, Mankiw juge essentiel de se tourner vers l’économie du bien-être, notamment les notions de surplus des consommateurs et de surplus des producteurs. En effet, ces dernières permettent aux étudiants de mieux saisir l’offre et la demande ; de plus, les concepts d’économie du bien-être permettent de mettre en évidence l’efficacité du marché, en précisant comment ce dernier contribue à allouer les ressources rares et ainsi à « maximiser la taille du gâteau économique » ; enfin, une fois les concepts de base d’économie du bien-être introduits, les courbes d’offre et de demande peuvent être utilisées pour s’attaquer à diverses questions en matière de politique économique, par exemple comment la fiscalité affecte l’efficacité économique, pourquoi l’ouverture au commerce extérieur génère des gains pour certains et des pertes pour d’autres ou encore comment le gouvernement peut réduire les externalités négatives comme la pollution.

Avant de présenter ce qui constitue la meilleure manière d’enseigner la macroéconomie, Mankiw explique avoir débuté sa carrière en tant que rédacteur de manuel en 1988. A l’époque, il devait préparer un cours de macroéconomie, mais il ne trouva aucun manuel qui donnait à ses yeux suffisamment de place à la macroéconomie classique : les manuels alors en vogue laissaient trop de place à la macroéconomie keynésienne. Il était pourtant selon lui essentiel de mettre l’accent sur les forces qui façonnent l’économie à long terme, c’est-à-dire de se pencher davantage sur la théorie de la croissance économique, le taux de chômage naturel ou encore la théorie quantitative de la monnaie.

Pour enseigner la macroéconomie, il juge plus cohérent de commencer par évoquer les idées classiques de long terme avant de s’attaquer aux idées keynésiennes de court terme ; par exemple, sur la question du rôle joué par l’épargne, il lui paraît plus logique de commencer par parler de son rôle bénéfique sur l’accumulation du capital que d’évoquer le rôle négatif que lui donne à jouer le paradoxe de l’épargne de Keynes. Cette façon de procéder trouve plusieurs justifications à ses yeux. Premièrement, les questions de long terme sont importantes pour le bien-être humain. Par exemple, pourquoi, en 1900, le niveau de vie était deux fois plus important en Argentine qu’au Japon et pourquoi le rapport est aujourd’hui inversé ? Deuxièmement, la macroéconomie classique est intimement liée aux leçons de microéconomie, si bien qu’il semble logique de la voir après avoir expliqué comment l’offre et la demande jouent un rôle crucial dans l’économie. Troisièmement, Mankiw perçoit les cycles d’affaires comme des écarts temporaires de l’économie par rapport à sa trajectoire tendancielle, si bien qu’il lui apparaît logique de ne traiter la question des fluctuations qu’après avoir vu l’équilibre à long terme. Quatrièmement, dans la mesure où Mankiw estime que la dichotomie classique est valide à long terme, il juge la question des fluctuations de court terme plus complexe que celle de la croissance à long terme. Cinquièmement, il lui paraît naturel de commencer par ce qui fait le plus consensus, or il juge la macroéconomie du court terme davantage sujette à débats que la macroéconomie de long terme.

Le contenu des manuels (et des cours introductifs) doit évoluer au fil des nouvelles connaissances ; Mankiw évoque par exemple l’essor de l’économie comportementale, qui a amené à remettre en cause les hypothèses habituellement avancées concernant la rationalité dont font preuve les agents lors de leurs prises de décision. Le contenu des manuels doit aussi évoluer avec les événements, qui peuvent eux-mêmes remettre en cause la savoir existant ; Mankiw reconnaît avoir négligé la question des banques et de leur endettement lors des éditions de ses manuels antérieures à la crise financière mondiale, mais l’occurrence de celle-ci l’a amené à en prendre compte. C’est sur ce point où Mankiw est le plus bref et où il déçoit le plus. Il aurait été très intéressant qu’il se demande véritablement dans quelle mesure la crise financière a conduit et doit conduire à une modification du contenu des manuels ; il faut se tourner vers d’autres auteurs pour aborder cette question [Bertocco et alii, 2019 ; Bowles et Carlin, 2019].

Faisant implicitement écho aux controverses qu’ont suscitées au cours des années deux mille les prix de ses propres manuels et le montant de ses propres droits d’auteur (qu’il cherche ainsi à justifier), Mankiw se demande si les manuels d’économie ne sont pas trop chers. En effet, les données du Bureau of Labor Statistics suggèrent qu’aux Etats-Unis les prix des manuels universitaires (toutes disciplines confondues) ont été multipliés par plus de 11 entre 1977 et 2015, c’est-à-dire ont augmenté trois fois plus vite que l’inflation. Mankiw doute que leurs prix aient augmenté autant que beaucoup ne le pensent, mais il reconnaît qu’ils ont significativement augmenté. Le prix élevé des manuels pourrait s’expliquer par l’asymétrie d’information entre les étudiants et leurs enseignants : les premiers n’ont pas d’autre choix que d’acheter le manuel conseillé par les seconds, alors que ces derniers sont peu sensibles au prix, si bien que les étudiants constituent une clientèle captive et les éditeurs ont un certain pouvoir de marché. Mankiw n’est pas entièrement convaincu par cette explication. D’une part, la publication des manuels a été selon lui peu rentable ces dernières années : le prix n’est donc pas très éloigné des coûts. Il n’y aurait donc pas de rentes. D’autre part, il y a effectivement une asymétrie d’information susceptible d’expliquer pourquoi le prix des manuels est élevé, mais non pourquoi ils augmentent. Pour Mankiw, la mise en ligne de compléments aux manuels offre un début d’explication. Et précisément parce que la production de tels compléments a d’importants coûts fixes selon lui, cela justifie que les manuels ne soient pas mis à disposition gratuitement en ligne. 

 

Références

BERTOCCO, Giancarlo, & Andrea KALAJZIC (2019), « The Great Recession and the teaching of macroeconomics: A critical analysis of the Blanchard, Amighini and Giavazzi textbook », Post Keynesian Economics Society, working paper, n° 1905.

BOWLES, Samuel, & Wendy CARLIN (2019), « What students learn in economics 101: Time for a change ».

MANKIW, N. Gregory (2019), « Reflections of a textbook author ».

Partager cet article
Repost0
6 juin 2019 4 06 /06 /juin /2019 21:29
Quelles options budgétaires pour le Japon ?

Après plusieurs décennies de forte croissance, le Japon connaît au tout début des années quatre-vingt-dix l’éclatement de plusieurs bulles spéculatives qui plonge l’économie insulaire dans une situation durable de stagnation, régulièrement ponctuée d’épisodes de déflation.

Comme le rappellent Olivier Blanchard et Takeshi Tashiro (2019) dans une nouvelle publication du Peterson Institute, la politique monétaire a toutefois été très expansionniste, ce qui d’ailleurs amenait certains à affirmer que l’économie nippone avait basculé dans une « trappe à liquidité » [Krugman, 1998]. D’une part, la Banque du Japon a baissé ses taux et ces derniers sont nuls depuis 1999. D’autre part, une fois que ses taux ont buté sur leur borne zéro, elle s’est lancée dans des achats d’actifs à grande échelle dans le cadre de programmes d’assouplissement quantitatif (quantitative easing). En conséquence, la taille de son bilan a fortement augmenté depuis 1999 : elle a été multipliée par cinq, passant de l’équivalent de 21 % du PIB à 101 % du PIB. En fait, le « taux fantôme » (shadow rate), c’est-à-dire le niveau qu’atteindrait théoriquement le taux directeur s’il prenait en compte l’impact de l’ensemble des mesures d’assouplissement quantitatif, a fortement baissé depuis la fin des années deux mille, atteignant – 8,3 % en avril 2019.

GRAPHIQUE 1  Taux directeur et « fantôme » au Japon (en %)

Parallèlement, la politique budgétaire a également été très expansionniste. Entre 1999 et 2018, les déficits budgétaires primaires du Japon ont atteint en moyenne 5,4 % du PIB, tandis que la dette publique nette a régulièrement augmenté, passant de 64 % à 153 % du PIB. Et pourtant, jusqu’à présent, les taux d’intérêt sur la dette souveraine sont restés extrêmement faibles [Hoshi et Ito, 2012]

Malgré l’ampleur de l’assouplissement des politiques conjoncturelles, ni l’inflation, ni la croissance l’ont retrouvé un rythme soutenu. L’inflation, telle qu’elle est mesurée par l’indice des prix à la consommation tourne autour de 1 % depuis 2018, soit un point de pourcentage en-deçà de la cible de 2 % de la Banque du Japon. Pour Blanchard et Tashiro, cette situation peut s’interpréter de deux façons : soit l’inflation anticipée soit égale à la cible de la Banque du Japon, auquel cas l’inflation est moindre que celle anticipée et l’écart de production (output gap) est négatif ; soit l’inflation anticipée est moindre que la cible d’inflation, ce qui signifie que l’inflation est peut-être égale à l’inflation anticipée, auquel cas la production se situe à son potentiel. Mais qu’importe la bonne interprétation, chacune des deux plaide pour un assouplissement des politiques conjoncturelles : dans le premier cas, celui-ci rapprochera la production de son potentiel ; dans le second cas, il alimentera les pressions inflationnistes, ce qui rapprochera l’inflation de la cible de la Banque du Japon. Blanchard et Tashiro estiment toutefois que c’est la seconde interprétation qui est correcte, dans la mesure où de nombreux indicateurs d’inflation anticipée suggèrent qu’elle est proche de 1 %. Le FMI et le gouvernement japonais estiment également que la production est proche de son potentiel. 

Les gouvernements successifs ont régulièrement indiqué leur volonté de revenir rapidement à l’équilibre primaire. Le gouvernement actuel a lui-même récemment affirmé son attention de renouer avec l’équilibre primaire à partir de 2025. Blanchard et Tashiro doutent que ce soit opportun. En effet, ils estiment que le Japon est touché par une forme virulente de « stagnation séculaire » [Summers, 2015 ; Rachel et Summers, 2019]. La demande domestique est chroniquement faible, si bien que le maintien de la production à son potentiel nécessite une certaine combinaison de faibles taux d’intérêt et de déficits budgétaires. En outre, le fait même que les gouvernements successifs aient régulièrement écourté leurs plans de relance à pu réduire l’efficacité de ces derniers [Auerbach et Gorodnichenko, 2017].

GRAPHIQUE 2  Service de la dette publique du Japon (en % du PIB)

Malgré la forte hausse du ratio dette publique sur PIB entre 1990 et 2017, les paiements d’intérêt nets ne représentaient que 0,4 % du PIB en 2017, soit trois fois moins qu’en 1990 (cf. graphique 2). En fait, les taux d’intérêt ne sont pas seulement faibles ; ils sont aussi plus faibles que les taux de croissance prévus. Quand le taux d’intérêt dépasse le taux de croissance, une hausse de la dette publique doit être compensée par un plus ample excédent primaire dans le futur, sous peine de voir la dette publique suivre une trajectoire explosive. Mais lorsque le taux d’intérêt est inférieur au taux de croissance, le gouvernement peut accroître sa dette sans jamais à avoir à relever les impôts, si bien que le ratio dette publique sur PIB va avoir tendance à diminuer [Blanchard, 2019]. Par conséquent, le gouvernement japonais peut connaître un déficit primaire tout en maintenant un ratio dette publique sur PIB constant.

D’un autre côté, non seulement Blanchard et Tashiro doutent que la Banque du Japon puisse davantage stimuler l’activité, mais ils soulignent en outre les dangers que fait peser le maintien de très faibles taux d’intérêt : plus ces derniers sont proches de la borne inférieure zéro, plus ils risquent de buter sur celle-ci à l’avenir ; de faibles taux d’intérêt alimentent les prises de risque excessives et les bulles spéculatives ; il pourrait y avoir un « taux d’inversion » (reversal rate) à partir duquel toute baisse supplémentaire des taux d’intérêt déprime en fait la demande globale. 

Blanchard et Tashiro se sont enfin demandé à quelles dépenses les déficits primaires pourraient être utilisés. Le plus évident serait de les utiliser pour procéder à des investissements publics, dans la mesure où ces dernières stimulent l’activité à court terme, mais aussi le potentiel de croissance à long terme [FMI, 2014]. Ils notent d’ailleurs que le Japon n’a pas utilisé ses amples déficits primaires de ces dernières décennies pour accroître l’investissement public : le ratio investissement public sur PIB a régulièrement décliné depuis le début des années quatre-vingt-dix, en passant de 9 % à 5 % entre 1993 et 2018. Blanchard et Tashiro estiment qu’il y a certainement des projets dont les rendements dépassent de loin le taux auquel le gouvernement japonais emprunte. Selon eux, ce dernier pourrait surtout investir en vue de faire face au vieillissement démographique que connait la population japonaise et chercher à accroître le taux de natalité.

 

Références

AUERBACH, Alan J., & Yuriy GORODNICHENKO (2017), « Fiscal multipliers in Japan », in Research in Economics, vol. 71, n° 3.

BLANCHARD, Olivier (2019), « Public debt and low interest rates », PIIE, working paper, n° 19-4.

BLANCHARD, Olivier, & Takeshi TASHIRO (2019), « Fiscal policy options for Japan », PIIE, Policy Brief, n° 19-7. 

FMI (2014), « Is it time for an infrastructure push? The macroeconomic effects of public investment », in World Economic Outlook, octobre.

HOSHI, Takeo, & Takatoshi ITO (2014), « Defying gravity: Can Japanese sovereign debt continue to increase without a crisis? », in Economic Policy, vol. 29, n° 77.

KRUGMAN, Paul (1998), « It’s Baaack: Japan’s slump and the return of the liquidity trap », in Brookings Papers on Economic Activity, vol. 19, n° 2.

RACHEL, Łukasz, & Lawrence H. SUMMERS (2019), « On falling neutral real rates, fiscal policy, and the risk of secular stagnation », in Brookings Papers on Economic Activity.

SUMMERS, Lawrence H. (2015), « Have we entered an age of secular stagnation? », in FMI, IMF Economic Review, vol. 63.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : D'un champ l'autre
  • : Méta-manuel en working progress
  • Contact

Twitter

Rechercher