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29 janvier 2023 7 29 /01 /janvier /2023 10:10
Quelles ont été les répercussions macroéconomiques de l’adoption du ciblage d’inflation ?

La stagflation des années soixante-dix a fini par convaincre les banques centrales de donner la priorité à la seule lutte contre l’inflation ; les travaux des nouveaux classiques leur suggéraient d’ailleurs que la stabilité des prix était le seul objectif qu’elles pouvaient espérer atteindre à long terme et qui maximise le bien-être collectif. Mais Robert Lucas et ses disciples affirmaient également que les banques centrales stabiliseraient plus efficacement les anticipations d’inflation si elles annonçaient publiquement un objectif précis et s’y tenaient. Inspirées par les thèses monétaristes, les banques centrales ont initialement cherché à cibler la croissance de la masse monétaire, mais très vite l’instabilité de la demande de monnaie et des agrégats monétaires les a amenées à abandonner cette stratégie. A partir des années quatre-vingt-dix, elles ont été de plus en plus nombreuses à se tourner vers une nouvelle stratégie : le ciblage de l’inflation.

La banque centrale de la Nouvelle-Zélande est la première à l’avoir adopté, en l’occurrence en 1989. Le taux d’inflation annuelle avait quasiment atteint les 12 % lors des trois années précédentes ; mais au cours des trois années qui suivirent l’adoption du ciblage d’inflation, il chuta à 3 % [Bhalla et alii, 2023]. Quatre autres pays développés, en l’occurrence le Canada, le Royaume-Uni, l’Australie et la Suède, et six pays émergents, notamment le Brésil, la Colombie et la Pologne, adoptèrent à leur tour le ciblage d’inflation au cours des années 1990. Dans ces pays, le taux d’inflation chuta également dans les trois années qui suivirent l’adoption du ciblage d’inflation. C’est cette apparente réussite qui a incité de nombreuses autres banques centrales a adopter également le ciblage de l’inflation les décennies suivantes.

La littérature a évoqué plusieurs bénéfices que l’adoption du ciblage d’inflation est susceptible de procurer. Celle-ci conduirait à une baisse du taux d’inflation et des anticipations d’inflation, ainsi que de leur volatilité [Bernanke et alii, 2000 ; King, 2002]. La baisse et la stabilisation de l’inflation observée et des anticipations d’inflation amélioreraient la croissance à long terme, par exemple en réduisant l’incertitude et les taux d’intérêt et en incitant par ce biais les entreprises à investir davantage [Bernanke et alii, 2000]. L’adoption du ciblage d’inflation réduirait le « ratio de sacrifice », c’est-à-dire les coûts en termes d’activité économique qui sont associés à une désinflation [Gonçalves et Salles, 2008 ; Huang et alii, 2019]. Elle aurait des bénéfices plus indirects, notamment en termes de croissance et d’efficacité de la politique monétaire, en amenant les autorités à gagner en transparence et en cohérence dans leurs décisions [Bernanke et Mishkin, 1997].

Plusieurs économistes se sont montrés moins enthousiastes [Bhalla et alii, 2023]. Certains doutent que l’adoption du ciblage d’inflation ait significativement contribué à réduire l’inflation, dans la mesure où l’inflation a simultanément baissé dans les pays qui ne l’ont pas adoptée. Kenneth Rogoff (2003) a par exemple noté que la formidable baisse de l’inflation observée à travers le monde depuis le début des années quatre-vingt-dix a été assez généralisée et qu’elle s’était notamment produite dans des pays aux cadres institutionnels très différents. Selon lui, même si l’amélioration de la politique monétaire a pu contribuer à la baisse de l’inflation, elle n’est en tout cas ni le seul facteur, ni le plus important, derrière celle-ci ; la mondialisation, en faisant pression à la baisse sur les prix et les salaires, aurait joué un rôle de premier plan. On peut également envisager d’autres tendances lourdes susceptibles d’avoir alimenté la désinflation, comme le vieillissement démographique. 

D’autres économistes ont précisément douté de l’efficacité de l’adoption du ciblage de l’inflation. Par exemple, la forte baisse de l’inflation qui a été rapidement observée dans les premiers pays qui ont adopté le ciblage de l’inflation pourrait, non pas résulter de celui-ci, mais être relever d’un simple phénomène de « retour à la moyenne » (regression to the mean) : après avoir atteint des valeurs extrêmes, une variable comme l’inflation tend à revenir à des valeurs moins extrêmes, or une banque centrale risque précisément d’adopter le ciblage d’inflation quand elle juge faire face à une inflation excessivement élevée. Si c’est le cas, l’inflation aurait reflué dans les pays qui ont adopté le ciblage de l’inflation même s’ils ne l’avaient pas adopté. C’est précisément la conclusion à laquelle ont abouti Laurence Ball et Niamh Sheridan (2004) en étudiant vingt pays de l’OCDE, dont sept qui ont adopté le ciblage d’inflation, à partir de données allant jusqu’à 2001. Ils notent certes que certains pays qui l’ont adopté ont connu une plus forte baisse de l’inflation que les autres, mais ceux-ci avaient initialement subi un plus fort emballement de l’inflation que ces derniers. 

Enfin, certains craignent que l’adoption même du ciblage d’inflation nuise à la croissance économique [Blanchard, 2003 ; Friedman, 2003]. En l’occurrence, l’adoption d’une telle stratégie risque d’amener les banques centrales à se focaliser excessivement sur l’inflation : elles pourraient moins se soucier des coûts macroéconomiques de la stabilisation de l’inflation et moins chercher à stabiliser l’activité en cas de récession. Elles pourraient également être moins attentives au risque d’instabilité financière, voire aggraver celui-ci en encourageant la prise de risque.

A partir d’un échantillon de données relatives à 190 pays, dont 24 pays développés, et allant jusqu’à 2019, Surjit Bhalla, Karan Bhasin et Prakash Loungani (2023) ont cherché à déterminer quelles ont été les répercussions de l’adoption du ciblage d’inflation sur l’inflation, la croissance et l’ancrage des anticipations d’inflation. Dans un premier temps, ils ont analysé des données de panel pour déceler les différences entre les pays qui ont adopté le ciblage d’inflation et ceux qui ne l’ont pas adopté. Dans un deuxième temps, ils ont utilisé la méthode du contrôle synthétique pour comparer la dynamique de l’inflation et de la croissance qu’ont connue les pays qui ont adopté le ciblage de l’inflation avec celle qu’ils auraient connue dans un scénario contrefactuel où ils ne l’auraient pas adopté.

Bhalla et ses coauteurs ont abouti à quatre grands résultats. Tout d’abord, si les pays qui ont adopté le ciblage d’inflation avant 2000 ont connu après son adoption une baisse de leur taux d’inflation, ce n’est le cas que de la moitié des pays qui l’ont adopté ultérieurement. Deuxièmement, il n’apparaît pas de différences significatives en termes d’inflation moyenne, de volatilité de l’inflation et d’ancrage des anticipations d’inflation entre les pays qui ont adopté le ciblage d’inflation et ceux qui ne l’ont pas adopté. Troisièmement, la méthode du contrôle synthétique suggère que l’adoption du ciblage d’inflation n’a entraîné un gain significatif en termes d’inflation que dans un cas sur trois. Quatrièmement, cette même méthode ne suggère pas que le ciblage d’inflation ait systématiquement dégradé la croissance économique des pays qui l’ont adopté. 

En définitive, Bhalla et ses coauteurs confirment les observations que Ball et Sheridan avaient faites dans le cas des pays développés et montrent qu’elles s’appliquent également dans le cas des pays émergents et en développement. En l’occurrence, ils n’excluent pas la possibilité que les succès en termes d’inflation qu’ont connus les premiers pays à avoir adopté le ciblage d’inflation résultent d’un simple mouvement de retour à la moyenne. Ensuite, ils estiment que le ciblage de l’inflation ne semble guère avoir stimulé la croissance des pays qui l’ont adopté, contrairement à ce que pensent nombre de ses partisans. D’un autre côté, son adoption ne semble pas non plus avoir pénalisé la croissance, contrairement à ce que pensent ses détracteurs.

 

Références

BALL, Laurence, & Niamh SHERIDAN (2004), « Does inflation targeting matter? », in Bernanke & Woodford (dir.), The Inflation-Targeting Debate, University Of Chicago Press.

BERNANKE, Ben S., Thomas LAUBACH, Frederic S. MISHKIN & Adam S. POSEN (2000), Inflation Targeting: Lessons from the International Experience, Princeton University Press.

BERNANKE, Ben S., & Frederic S. MISHKIN (1997), « Inflation targeting: A new framework for monetary policy? », in Journal of Economic perspectives, vol. 11, n° 2.

BHALLA, Surjit S., Karan BHASIN & Prakash LOUNGANI (2023), « Macro effects of formal adoption of inflation targeting », FMI, working paper, n° 23/7.

BLANCHARD, Olivier (2003), « Inflation targeting in transition economies: Experience and prospects. A comment », in Bernanke & Woodford (dir.), The Inflation-Targeting Debate, University Of Chicago Press.

FRIEDMAN, Benjamin M. (2003), « The use and meaning of words in central banking: Inflation targeting, credibility, and transparency », in Mizen (dir.), Essays in Honour of Charles Goodhart, vol. 1, Elgar.

GONÇALVES, Carlos Eduardo S., & João M. SALLES (2008), « Inflation targeting in emerging economies: What do the data say? », in Journal of Development Economics, vol. 85, n° 1-2.

HUANG, Ho-Chuan, Chih-Chuan YEH & Xiuhua WANG (2019), « Inflation targeting and output-inflation tradeoffs », in Journal of International Money and Finance, vol. 96.

KING, Mervyn (2002), « The inflation target ten years on », discours prononcé à la London School of Economics, 19 novembre.

ROGOFF, Kenneth (2003), « Globalization and global disinflation », article préparé pour la conférence de Jackson Hole, 29 août.

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26 novembre 2022 6 26 /11 /novembre /2022 09:01
Faut-il s’attendre à une boucle prix-salaires ?

Après les tout premiers temps de la pandémie de Covid-19 et le retrait des mesures de confinement, la demande a fortement rebondi. Or, non seulement l’offre est déjà peu élastique en temps normal, mais elle s’est retrouvée en outre contrainte avec les résurgences épidémiques et le maintien de mesures sanitaires, qui ont continué de perturber les chaînes de valeur et déprimé, d’une façon ou d’une autre, l’offre de travail : certains ont dû réduire leurs temps de travail ou quitter la vie active, par exemple pour des raisons de santé ou en conséquence des perturbations du système scolaire et de l’offre de garde d’enfants. De plus, il y a eu un rééquilibrage de la demande entre les secteurs, notamment des biens vers les services. Les marchés du travail se sont retrouvés sous tensions, comme le suggère par exemple le niveau élevé atteint par les taux de postes vacants.

En conséquence, les taux d’inflation ont fortement augmenté à travers le monde depuis le début de l’année 2021 ; dans les pays développés, ils ont retrouvé des niveaux qu’ils n’avaient plus atteints depuis le début des années 1980 [Wyplosz, 2022]. Et la croissance des salaires nominaux a eu tendance à accélérer (cf. graphique 1).

GRAPHIQUE 1  Evolution des prix et salaires nominaux (en indices, base 100 au quatrième trimestre 2019)

Faut-il s’attendre à une boucle prix-salaires ?

Source : Alvarez et alii (2022)

Beaucoup s’inquiètent qu’une « boucle prix-salaires » (ou « spirale prix-salaires ») s’enclenche et entretienne l’emballement de l’inflation : l’inflation réduisant leur pouvoir d’achat, les travailleurs vont demander plus agressivement une revalorisation de leurs salaires nominaux, or une hausse de ces derniers accroît en retour les coûts de production des entreprises, poussant ces dernières à relever de nouveau leurs prix pour maintenir leurs profits [Debonneuil et Sterdyniak, 1984 ; Blanchard, 1986 ; Blanchard, 2022]. Hier encore, Philip Lane (2022), l’économiste en chef de la BCE a évoqué un tel scénario pour justifier une poursuite du resserrement de la politique monétaire dans la zone euro.

En effet, pour Domash et Summers (2022), la situation actuelle serait tout particulièrement propice à une boucle prix-salaires, dans la mesure où les données leur suggèrent que les taux de postes vacants constituent de puissants indicateurs avancés de l’inflation. En outre, certains, comme Olivier Blanchard (2022), redoutent que l’inflation soit devenue « saillante » : si les ménages et entreprises prêtent peu attention à l’inflation lorsque celle-ci est faible, il semble que ce ne soit plus le cas lorsqu’elle dépasse un certain seuil [Korenok et alii, 2022]. L’inflation aurait précisément dépassé ce seuil aux Etats-Unis : non seulement les chefs d’entreprise américains déclarent porter davantage leur attention sur les indicateurs d’inflation, mais ils déclarent en outre tenir compte davantage de ces derniers dans leurs décisions en matière de fixation des prix [Schwartzman et Waddel, 2022].

Plusieurs facteurs réduisent toutefois la probabilité que s’enclenche une boucle prix-salaires : tout d’abord, la source des pressions inflationnistes n’est pas domestique ; ensuite, les salaires réels diminuent et les politiques monétaires sont resserrées à travers le monde, ce qui tend à contenir l’inflation [FMI, 2022]. Certes le taux de postes vacants est à un niveau élevé, mais David Blanchflower et Alex Bryson (2022) estiment qu’il s’est révélé par le passé corrélé, non pas positivement, mais négativement avec la croissance des salaires. Celle-ci est surtout corrélée avec les taux de non-emploi et de sous-emploi, or ces derniers se maintiennent à des niveaux élevés, si bien qu’ils font pression à la baisse sur les salaires. De leur côté, Frederic Boissay et alii (2022) notent que la corrélation entre croissance des salaires et inflation a décliné au fil des décennies et qu’elle reste, malgré une récente hausse, à un faible niveau. En outre, l’environnement institutionnel s’avère moins propice à une boucle prix-salaire qu’il y a un demi-siècle : les salaires ont été désindexés de l’inflation et les taux de syndicalisation ont baissé, réduisant le pouvoir de négociation des salariés. 

Dans une nouvelle étude du FMI, Jorge Alvarez, John Bluedorn, Niels-Jakob Hansen, Youyou Huang, Evgenia Pugacheva et Alexandre Sollaci (2022) ont cherché à savoir dans quelle mesure les boucles prix-salaires ont été fréquentes par le passé et ce qui s’est produit dans leur sillage. Pour cela, ils ont étudié un large ensemble de pays développés pour la période remontant jusqu’aux années 1960. Ils qualifient de boucles prix-salaires les épisodes au cours desquels la croissance du taux d’inflation et des salaires nominaux accélère pendant trois trimestres parmi quatre trimestres d’affilée. En appliquant cette définition, ils identifient 79 épisodes de boucles prix-salaires. Ils confirment que ces derniers sont devenus moins fréquents au tournant des années 1980.

GRAPHIQUE 2  Part d’économies avec des prix et salaires nominaux en accélération (en %)

Faut-il s’attendre à une boucle prix-salaires ?

Source : Alvarez et alii (2022)

Il se révèle bien dur de trouver des accélérations soutenues des salaires et des prix : parmi les épisodes de boucles prix-salaires qu’Alvarez et alii ont identifiés depuis les années 1960, seule une faible minorité a été suivie par une accélération des prix et salaires au-delà de huit trimestres. En général, après de tels épisodes, l’inflation et la croissance des salaires nominaux tendent à se stabiliser, de telle sorte que la croissance des salaires réels ne change guère (cf. graphique 3). L’un des épisodes exceptionnels a été celui des Etats-Unis au troisième trimestre 1973 : sous l’effet du premier choc pétrolier, l’économie américaine a connu cinq trimestres additionnels avant que l’inflation ne reflue, mais la croissance des salaires nominaux n’a pas pour autant augmenter, si bien que la croissance des salaires réels a chuté. 

GRAPHIQUE 3  Changements des variables macroéconomiques après les épisodes de prix et salaires en accélération

Faut-il s’attendre à une boucle prix-salaires ?

Source : Alvarez et alii (2022)

Il est encore plus dur de trouver des épisodes où la croissance des salaires nominaux et des prix a été soutenue, mais où, comme aujourd’hui, les salaires réels ont chuté. Suite à de tels épisodes, il n’y a généralement pas eu de boucle prix-salaires : l’inflation a eu tendance à baisser et la croissance des salaires nominaux s’est accélérée, ce qui a d’ailleurs permis de compenser en partie la perte de salaires réels (cf. graphique 4). Ces épisodes ont été suivis par une plus forte croissance des salaires que dans les autres épisodes de l’échantillon, mais celle-ci a finit par se stabiliser. 

GRAPHIQUE 4  Changements des variables macroéconomiques après les épisodes similaires à celui de 2021

Faut-il s’attendre à une boucle prix-salaires ?

Source : Alvarez et alii (2022)

L’un des épisodes exceptionnel a été celui du deuxième trimestre 1979 aux Etats-Unis. L’inflation américaine a alors augmenté immédiatement après, pendant quatre trimestres, avant de commencer à diminuer. Le taux de chômage a également davantage augmenté que lors des autres épisodes identifiés. Ces dynamiques tiennent au puissant resserrement de la politique monétaire de la Fed, avec Volcker à sa tête. La croissance des salaires nominaux a quant à elle stagné au cours de cette période, si bien que les salaires réels ont baissé, avant que ne reflue l’inflation.

En définitive, Alvarez et ses coauteurs concluent qu’une accélération des salaires nominaux ne signale pas nécessairement qu’une spirale prix-salaires est sur le point de s’enclencher. Par le passé, la croissance des salaires a pu s’accélérer et l’inflation revenir à de faibles niveaux.

 

Références

ALVAREZ, Jorge, John BLUEDORN, Niels-Jakob HANSEN, Youyou HUANG, Evgenia PUGACHEVA & Alexandre SOLLACI (2022), « Wage-price spirals: What is the historical evidence? », FMI, working paper, n° 22/221.

BLANCHARD, Olivier (1986), « The wage price spiral », in The Quarterly Journal of Economics, vol. 101, n° 3.

BLANCHARD, Olivier (2022), « Why I worry about inflation, interest rates, and unemployment », in PIIE, Realtime Economics (blog), 14 mars.

BLANCHFLOWER, David G., & Alex BRYSON (2022), « Recession and deflation? », IZA, discussion paper, n° 15695.

BOISSAY, Frederic, Fiorella DE FIORE, Deniz IGAN, Albert PIERRES-TEJADA & Daniel REES (2022), « Are major advanced economies on the verge of a wage-price spiral? », BRI, BIS Bulletin, n° 53.

DEBONNEUIL, Michèle, & Henri SERDYNIAK (1984), « La boucle prix-salaires dans l'inflation », in Revue économique, vol. 35, n° 2.

DOMASH, Alex, & Lawrence H. SUMMERS (2022), « How tight are U.S. labor markets? », NBER, working paper, n° 29739, février.

FMI (2022), « Wage dynamics post–COVID-19 and wage-price spiral risks », World Economic Outlook: Countering The Cost-of-Living Crisis, octobre.

GODIN, Romaric (2022), « Le FMI confirme que la boucle prix-salaires est d’abord un récit conservateur », Médiapart, 25 novembre.

KORENOK, Oleg, David MUNRO & Jiayi CHEN (2022), « Inflation and attention thresholds », GLO, discussion paper, n° 1175.

LANE, Philip (2022), « Inflation diagnostics », blog de la BCE, 25 novembre.

SCHWARTZMAN, Felipe, & Sonya Ravindranath WADDELL (2022), « Are firms factoring increasing inflation into their prices? », Federal Reserve Bank of Richmond, Economic Brief, n° 22-08.

WYPLOSZ, Charles (2022), « Que s’est-il passé avec l’inflation ? Une explication après coup », 30 septembre.

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16 novembre 2022 3 16 /11 /novembre /2022 18:33
Quel a été le rôle de l’inflation dans la réduction des dettes publiques ?

Le niveau de dette publique a fortement augmenté dans le sillage de la crise financière mondiale de 2008, puis de nouveau suite à la pandémie de Covid-19 (cf. graphique 1). L’une des questions qui se pose est de savoir comment réduire cette dette ; la crainte est que celle-ci s’avère insoutenable ou que les Etats perdent la confiance des marchés financiers et ne parviennent plus à emprunter sur ces derniers, sauf à des taux d’intérêt prohibitifs, ce qui, dans l’un et l’autre cas, pourrait imposer une brutale contraction des dépenses publiques et des turbulences dans l’ensemble du système financier. Suite à la crise financière mondiale, le scénario d’un retour à une forte croissance était jugé peu probable. Plusieurs Etats avaient adopté des mesures d’austérité pour assainir rapidement leurs finances publiques, alors même que la reprise s’était à peine amorcée. Dans le cas de la zone euro, l’adoption de telles mesures a non seulement provoqué une nouvelle récession, mais elle s’est en outre révélée contre-productive, les ratios dette publique sur PIB ayant augmenté dans plusieurs pays-membres [House et alii, 2019].

GRAPHIQUE 1  Dette publique dans les pays développés et émergents (en % du PIB)

Quel a été le rôle de l’inflation dans la réduction des dettes publiques ?

source : Gaspar et Gopinath (2020)

La croissance économique et l’austérité budgétaire ne sont pas les seuls leviers par lesquels les Etats peuvent réduire le poids de leur dette. Au cours de l’histoire, ils ont également recouru aux effacements ou restructurations de la dette et à la répression financière, c’est-à-dire aux mesures poussant les résidents à détenir des titres publics domestiques [Reinhart et Rogoff, 2014 ; Reinhart et Sbrancia, 2015]. L’inflation a également joué un rôle ; l’exemple classique est celui de l’hyperinflation de la République de Weimar au début des années 1920. Certains, comme Daniel Gros (2022), voient ainsi au moins un bienfait à la hausse actuelle de l’inflation. 

En effet, l’inflation peut contribuer à réduire l’endettement public via plusieurs canaux [Akitoby et alii, 2014]. Par exemple, elle tend à accroître les recettes fiscales, si bien qu’elle a tendance à améliorer le solde primaire, en particulier si les dépenses publiques, notamment les minima sociaux et les rémunérations des fonctionnaires, ne sont pas indexées à l’inflation. En outre, l’inflation érode la valeur réelle de la dette. Si le niveau des prix augmente de 15 % ceteris paribus, la valeur réelle d’une dette publique équivalente à 120 % du PIB baisserait de 18 points de PIB, ce qui compenserait quasiment la hausse de 20 points provoquée par la pandémie [Gros, 2022]. Cet effet dépend toutefois de sa composition en termes de maturité et de devises : il est d’autant plus important qu’une part importante de la dette a une longue maturité et est libellée en monnaie domestique. En effet, si l’inflation augmente, les taux d’intérêt tendent également à augmenter, ce qui augmentera le coût de refinancement de la dette arrivant à échéance. D’autre part, si le pays connaît une plus forte inflation que ses partenaires à l’échange, sa monnaie tendra à se déprécier, ce qui accroîtra le poids de sa dette libellée en devises étrangères.

Si les déterminants des baisses des ratios dette publique observées par le passé ont fait l’objet d’une multitude de travaux au cours de la période récente, ce n’est pas vraiment le cas de l’inflation. Celle-ci ayant été particulièrement faible ces dernières décennies, les économistes ont pu finir par croire qu’il était improbable qu’elle revienne à un niveau élevé, donc qu’elle ne pouvait guère constituer un levier par lequel les Etats pouvaient espérer réduire le fardeau de leur dette. Carmen Reinhart et Belen Sbrancia (2015) ont estimé que la combinaison de l’inflation et de la répression financière a joué un rôle majeur dans la réduction de l’endettement public des pays développés entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et les années 1970. Sofia Bernardini et alii (2021) estiment que l’inflation n’avait joué un rôle crucial que dans les années qui ont immédiatement suivi ce conflit. 

Dans une nouvelle étude, Rui Esteves et Barry Eichengreen (2022) ont cherché à déterminer plus clairement le rôle de l’inflation lors des consolidations de la dette publique, c’est-à-dire lors des fortes baisses du ratio dette publique sur PIB. Après avoir collecté une base de données relative à 183 pays pour une période s’étendant sur plus de deux siècles, ils ont identifié 378 épisodes de consolidations de la dette publique.

GRAPHIQUE 2  Fréquence des consolidations de la dette, des défauts et des allègements de dette (en %)

Quel a été le rôle de l’inflation dans la réduction des dettes publiques ?

source : Esteves et Eichengreen (2022)

Ils notent que les consolidations de la dette publique ont eu tendance à se produire lors de périodes où les prix augmentaient, mais en l’occurrence graduellement. En définitive, ils ne décèlent qu’une faible corrélation entre le niveau d’inflation et la fréquence des consolidations de la dette publique. En effet, les consolidations de la dette publique ont été moins fréquentes au cours des périodes d’inflation relativement élevée, comme les guerres mondiales et les années 1970 (cf. graphique 2). Elles ont été les plus fréquentes au tournant du vingtième siècle et au cours de la Grande Modération, c’est-à-dire entre le milieu des années 1980 et la crise financière mondiale de 2008, or ces épisodes se sont caractérisés par une inflation relativement faible et stable.

GRAPHIQUE 3  La consolidation de la dette publique étasunienne entre 1947 et 1956 

Quel a été le rôle de l’inflation dans la réduction des dettes publiques ?

source : Esteves et Eichengreen (2022)

Poursuivant leur analyse, Esteves et Eichengreen ont développé un cadre pour déterminer les contributions respectives de l’effort budgétaire, de la croissance économique, des taux d’intérêt et de l’inflation des consolidations de la dette publique. Ils l’ont appliqué à travers plusieurs études de cas. 

Par exemple, ils ont mis en regard les consolidations de la dette publique observées aux Etats-Unis et en France au tournant des années 1950. Entre 1947 et 1956, le ratio dette publique sur PIB des Etats-Unis a diminué de 66 points de pourcentage. Certains, comme Reinhart et Sbrancia (2015), estiment que cette réduction de la dette observée s’expliquerait avant tout par une combinaison de répression financière et d’inflation, mais ils n’ont pas distingué le rôle respectif de chacune des deux. Esteves et Eichengreen concluent de leur côté que les excédents budgétaires primaires expliqueraient deux cinquièmes de cette consolidation de la dette américaine et la croissance économique deux autres cinquièmes ; les taux d’intérêts réels en expliqueraient moins d’un quart (cf. graphique 3).

GRAPHIQUE 4  La consolidation de la dette publique française entre 1947 et 1956 

Quel a été le rôle de l’inflation dans la réduction des dettes publiques ?

source : Esteves et Eichengreen (2022)

La France a également connu une forte réduction de son ratio dette publique sur PIB entre 1947 et 1956 : celui-ci a baissé de 33 points de pourcentage. Contrairement aux Etats-Unis, elle avait pourtant tendance à connaître des déficits budgétaires, notamment en raison des besoins pour la reconstruction et pour la guerre d’Indochine, si bien que le solde primaire a contribué à alourdir le poids de la dette publique (cf. graphique 4). Mais la France connaissait alors une plus forte croissance que les Etats-Unis, notamment sous l’effet de la reconstruction d’après-guerre : d’après les estimations d’Esteves et Eichengreen, la croissance expliquerait les deux tiers de la réduction de sa dette publique française. L’inflation a également joué un rôle dans celle-ci. En 1947 et en 1948, l’inflation française a été supérieure à 50 %, si bien qu’elle a particulièrement contribué à réduire le ratio dette publique sur PIB, ce dernier passant de 64 à 48 % ; puis l’inflation ralentit fortement, si bien que le ratio dette publique sur PIB continua de diminuer, mais plus lentement, en atteignant 33 % en 1953.

En définitive, Esteves et Eichengreen concluent que c’est dans les décennies qui ont immédiatement suivi la Seconde Guerre mondiale que l’inflation a le plus contribué à réduire la dette publique. Mais dans les périodes au cours desquelles l’inflation a été plus forte et persistante, les paiements d’intérêts ont souvent fortement augmenté, si bien qu’ils ont eu tendance à plus que compenser la contribution positive de l’inflation à la réduction de la dette publique. Les facteurs financiers, notamment la maturité de la dette, la réglementation financière et les anticipations d'inflations, se sont ainsi révélés essentiels en conditionnant le rôle de l'inflation.

 

Références

AIZENMAN, Joshua, & Nancy MARION (2011), « Using inflation to erode the U.S. public debt », in Journal of Macroeconomics, vol. 33, n° 4.

AKITOBY, Bernardin, Takuji KOMATSUZAKI & Ariel BINDER (2014), « Inflation and public debt reversals in the G7 countries », FMI, working paper, n° 14/96.

BERNARDINI, Sofia, Carlo COTTARELLI, Giampaolo GALLI & Carlo VALDES (2021), « Reducing public debt: The experience of advanced economies over the last 70 years », in Journal of Insurance and Financial Management, vol. 4, n° 5.

ESTEVES, Rui, & Barry EICHENGREEN(2022a), « Up and away? Inflation and debt consolidation in historical perspective », CEPR, discussion paper, n° 17559.

ESTEVES, Rui, & Barry EICHENGREEN (2022b), « Up and away? Inflation and debt consolidation in historical perspective », voxEU.org, 15 novembre.

GASPAR, Vitor, & Gita GOPINATH (2020), « Fiscal policies for a transformed world », blog du FMI, 10 juillet.

GROS, Daniel (2022), « The stabilizing effect of inflation », in Project Syndicate, 6 octobre.

HOUSE, Christopher L., Christian PROEBSTING & Linda L. TESAR (2019), « Austerity in the aftermath of the Great Recession », in Journal of Monetary Economics.

REINHART, Carmen M., & Kenneth S. ROGOFF (2014), « Financial and sovereign debt crises: Some lessons learned and those forgotten », S. Claessens, M. A. Kose, L. Laeven & F. Valencia (dir.), Financial Crises: Causes, Consequences, and Policy Responses.

REINHART, Carmen M., & M. Belen SBRANCIA (2015), « The liquidation of government debt », in Economic Policy, vol. 30, n° 82.

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