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27 août 2023 7 27 /08 /août /2023 13:03
Les montagnes de dette ne sont pas près de disparaître 

Les dettes publiques ont atteint des niveaux sans précédent en temps de paix. Depuis la crise financière mondiale, les ratios dette publique sur PIB à travers le monde sont passés en moyenne de 40 % à 60 %. Dans les pays développés, ils ont atteint en moyenne les 85 %. Aux Etats-Unis, la dette fédérale se rapproche des 100 % du PIB, mais dans d’autres pays développés, comme l'Italie et le Japon, le ratio dette publique sur PIB atteint des niveaux encore plus élevés. Certains, notamment au sein des institutions internationales comme la BRI et le FMI, ont exprimé leurs inquiétudes et appelé à réduire rapidement cet endettement.

GRAPHIQUE Dette publique nette (en % du PIB)

Les montagnes de dette ne sont pas près de disparaître 

source : FMI

Dans un papier présenté hier à la conférence de Jackson Hole, Serkan Arslanalp et Barry Eichengreen (2023) ont développé l’idée qu'une forte réduction de la dette publique, aussi désirable soit-elle, est improbable dans un avenir proche.

Certes, le différentiel taux d’intérêt-taux de croissance (rg) a été particulièrement favorable ces dernières décennies, même négatif, ce qui a permis de pousser à la baisse le ratio dette publique sur PIB à mesure que la croissance se poursuivait [Blanchard, 2019]. Mais il apparaît improbable qu’il soit plus favorable : les taux d’intérêt réels ont atteint de très faibles niveaux et semblent amorcer une hausse durable, tandis que les perspectives de croissance à long terme restent moroses. Une innovation majeure, peut-être l’intelligence artificielle, pourrait peut-être fortement stimuler la productivité, mais par le passé l’effet des innovations majeures ne s’est pas matérialisé immédiatement [Eichengreen, 2015].  

En principe, les gouvernements peuvent fortement réduire leur ratio d’endettement en générant d’amples excédents primaires, c'est-à-dire en optant pour une certaine combinaison de hausse d'impôts et de baisse des dépenses publiques. Malheureusement, par le passé, les amples excédents primaires ont eu tendance à ne pas durer : au cours du dernier demi-siècle, les épisodes pendant lesquels les pays ont connu des excédents de 3 à 5 % du PIB ont généralement été brefs [Eichengreen et Panizza, 2016]. Le maintien d’amples excédents primaires nécessite en effet des conditions économiques favorables et un certain degré de solidarité politique. Au dix-neuvième siècle, c’est un tel contexte qui a par exemple permis à la Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et à la France de fortement réduire les dettes qu’ils avaient héritées des guerres : les gouvernements voulaient chercher à assainir rapidement leurs finances pour être capables de s’endetter fortement en cas de nouveau conflit (dans le cas français), les créanciers étaient très représentés au Parlement (dans le cas britannique), etc. Plus largement, l’Etat ne jouait pas à l’époque un rôle actif dans l’économie en temps normal. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Et avec le vieillissement démographique, la transition vers la neutralité carbone, l'adaptation au changement climatique et peut-être même la remilitarisation du monde, il apparaît certain que le niveau de dépenses publiques continue d'augmenter. 

Le plafonnement des taux d’intérêt via des mesures de répression financière a pu contribuer à réduire les ratios dette publique sur PIB par le passé, en l’occurrence au sortir de la Seconde Guerre mondiale : les banques centrales, notamment sous la pression des autorités budgétaires, sont intervenues pour maintenir les taux d’intérêt des titres publics à un très faible niveau, malgré de fortes poussées d’inflation, tandis que les flux de capitaux, entre les pays et en leur sein, étaient très réglementés, canalisant l’épargne vers les titres publics [Reinhart et Sbrancia, 2015]. Mais Arslanalp et Eichengreen estiment improbable le recours à une telle option aujourd’hui. D’une part, les banques centrales jouissent d’une bien plus grande indépendance qu’à l’époque, si bien qu’elles sont notamment moins tolérantes à laisser l’inflation fortement varier. D’autre part, une remise en cause de la libéralisation financière semble peu probable, tandis que les innovations financières (avec l’exemple récent des crypto-actifs) contribuent à élargir toujours plus la gamme d’instruments à la disposition des épargnants.

La forte hausse de l’inflation observée au sortir de la pandémie laisse beaucoup espérer que l’inflation puisse jouer un rôle significatif dans l’allègement du poids réel des dettes publiques. Arslanalp et Eichengreen notent d’ailleurs qu’elle a d’ailleurs contribué avec le rebond de la croissance à réduire de 5 points de pourcentage le ratio dette publique sur PIB aux Etats-Unis et au niveau mondial en 2020 et 2021. Mais elle y a contribué parce que sa hausse n’a pas été anticipée. En effet, Daniel Garcia-Macia (2022) et Ichiro Fukunaga et alii (2022) concluent, à partir de données débutant dans les années 1990, que l’inflation exercé un impact sur le ratio d’endettement seulement lorsqu’elle n’est pas anticipée. Recourant à des données remontant jusqu’au dix-neuvième siècle, Barry Eichengreen et Rui Esteves (2022) n’ont pas repéré de claire relation positive entre inflation et consolidations de la dette publique. En outre, ils constatent qu’au cours des périodes où l’inflation a été durablement forte, les paiements d’intérêts ont eu tendance à fortement augmenter et la maturité de la dette à diminuer, réduisant l’impact positif de l’inflation sur le ratio d’endettement. Parmi les 30 épisodes de fortes réductions du ratio dette publique sur PIB dans les pays développés après la Seconde Guerre mondiale qu’ils ont observés, Sofia Bernardini et alii (2022) constatent que l’inflation n’a joué un rôle déterminant dans le désendettement public qu’en atteignant des taux très élevés et, plus largement, qu’elle n’a contribué à réduire le poids de la dette qu’en étant accompagnée de mesures comme la répression financière et le contrôle des capitaux, c'est-à-dire dans un contexte peu probable aujourd'hui.

Ainsi, Arslanalp et Eichengreen estiment qu’il faut considérer les dettes élevées comme un « état semi-permanent ». Pour autant, cela ne veut pas dire que cette situation ne posera pas problème. Et, en l’occurrence, elle risque d’être davantage problématique pour les pays en développement que pour les pays développés. Il y a en effet à travers le monde une forte demande de titres sûrs. Cette demande émane certes des banques centrales des pays émergents, mais aussi du secteur privé. Elle s’explique notamment par la volonté de ces agents de détenir des actifs sûrs comme moyen d’assurance contre les risques. Or, les pays émergents et, plus encore, les pays à bas revenu ont une capacité limitée à produire des actifs sûrs, si bien que cette demande ne peut être satisfaite qu’auprès des gouvernements des pays développés. Cela permet à ces derniers quasiment assurés de la soutenabilité de leur dette publique.

Par contre, non seulement les pays émergents et à bas revenu ne bénéficient pas d’une telle demande, mais la maturité et la composition de leur dette sont en outre moins favorables. Pour Arslanalp et Eichengreen, cela plaide en faveur d’une restructuration de leur dette. Or, celle-ci apparaît plus difficile à mettre en œuvre aujourd’hui, en raison de l’essor de la finance de marché et de créanciers publics extérieurs au Club de Paris.

 

Références

ARSLANALP, Serkan, & Barry EICHENGREEN (2023), « Living with high public debt ».

BERNARDINI, Sofia, Carlo COTTARELLI, Giampaolo GALLI & Carlo VALDES (2021), « Reducing public debt: The experience of advanced economies », in Journal of Insurance and Financial Management, vol. 4, n° 5.

BLANCHARD, Olivier (2019), « Public debt and low interest rates », in American Economic Review, vol. 109, n° 4.

EICHENGREEN, Barry (2015), « Secular stagnation: The long view », in American Economic Association Papers and Proceedings, vol. 105, n° 5.

EICHENGREEN, Barry, & Ugo PANIZZA (2016), « A surplus of ambition: Can Europe rely on large primary surpluses to solve its debt problem? », in Economic Policy, vol. 31.

EICHENGREEN, Barry, & Rui ESTEVES (2023), « Up and away? Inflation and debt consolidation in historical perspective », in Oxford Open Economics, vol. 1.

FUKUNAGA, Ichiro, Takuji KOMATSUZAKI & Hideaki MATSUOKA (2022), « Inflation and public debt reversals in advanced economies », in Contemporary Economic Policy, vol. 40, n° 1.

GARCIA-MACIA, Daniel (2023), « The effects of inflation on public finances », FMI, working paper, n° 23/93.

REINHART, Carmen M., & M. Belen SBRANCIA (2015), « The liquidation of government debt », in Economic Policy, vol. 30, n° 82.

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4 juin 2023 7 04 /06 /juin /2023 15:59
Quels sont les effets d'une dépréciation du taux de change sur l'activité économique ?

Après plusieurs décennies de débats, la littérature n’a pas abouti à un consensus sur les répercussions macroéconomiques d’une dépréciation du taux de change. Pour certains économistes, les dépréciations tendent à stimuler l’activité économique. En l’occurrence, elles le feraient en provoquant une réorientation des dépenses (expenditure-switching) sur les marchés des produits : selon le modèle Mundell-Fleming, une dépréciation augmente le prix relatif des biens produits à l’étranger vis-à-vis des biens domestiques, ce qui devrait inciter les résidents et les étrangers à consommer davantage de ces derniers, donc stimuler par ce biais la production domestique (1). Certains travaux focalisés sur années 1930 concluent que les dépréciations qu’ont connues les premiers pays à avoir abandonné l’étalon-or ont fortement stimulé leur activité domestique [Eichengreen et Sachs, 1985]. 

Pour d’autres économistes, les dépréciations tendent au contraire à déprimer l’activité domestique. C’est ce qu’a notamment suggéré la crise asiatique à la fin des années 1990 : les économies touchées par celles-ci se sont effondrées, alors même que leur monnaie était fortement dévaluée. En effet, en augmentant le prix des biens importés, la dépréciation va non seulement dégrader le pouvoir d'achat des ménages, mais aussi alourdir les coûts de production des entreprises, et ce d’autant plus que des importations sont incompressibles, c’est-à-dire n’ont pas de substituts domestiques [Wijnbergen, 1989]. En outre, une dépréciation peut entraîner un effet de revenu négatif : si les salaires ne s’ajustent pas immédiatement aux prix, il y a une redistribution des salaires aux profits, c’est-à-dire des agents à forte propension à consommer vers les agents à faible propension à consommer [Diaz-Alejandro, 1965 ; Cooper, 1971 ; Krugman et Taylor, 1978]. Une dépréciation peut aussi occasionner un effet de bilan négatif : lorsque les recettes des entreprises sont libellées en monnaie domestique, mais que celles-ci se sont endettées en devises étrangères, une dépréciation du taux de change augmente le poids de l’endettement, ce qui augmente le risque de faillites pour les entreprises et le risque de crise financière [Céspedes et alii, 2004]. C’est un tel effet qui aurait été à l’œuvre lors des crises de change des pays asiatiques selon Paul Krugman (1999). 

Enfin, pour d’autres économistes encore, les variations du taux de change sont pour l’essentiel déconnectées des agrégats macroéconomiques [Meese et Rogoff, 1983 ; Baxter et Stockman, 1989 ; Flood et Rose, 1995 ; Devereux et Engel, 2002]. Selon Maurice Obstfeld et Kenneth Rogoff (2000), cette apparente déconnexion constitue d’ailleurs l’une des six grandes énigmes en économie internationale. 

Cette question de l’effet de la dépréciation du taux de change sur l’activité économique est difficile à trancher en raison de problèmes d’endogénéité. D’un côté, de nombreux facteurs autres que les variations du taux de change sont susceptibles d’influencer l’activité domestique ; de l’autre, de nombreux facteurs autres que l’activité domestique sont susceptibles d’influencer le taux de change. Les études cherchant à déterminer l’éventuelle influence des variations du taux de change sur l’activité économique sont confrontés à la présence de facteurs confondants. Par exemple, quand un pays subit un choc négatif, son taux de change aura tendance à se déprécier et la croissance à ralentir. Dans ce cas-là, une analyse superficielle risque de conclure erronément que la dépréciation freine la croissance. 

Masao Fukui, Emi Nakamura et Jón Steinsson (2023) se sont alors appuyés sur une expérience naturelle pour déterminer les effets propres à une dépréciation. Certaines devises sont ancrées sur le dollar américain. Par conséquent, quand le dollar se déprécie, elles tendent à se déprécier vis-à-vis des devises qui flottent librement vis-à-vis du dollar. Fukui et ses coauteurs ont étudié les répercussions de ces dépréciations « induites » par le régime de change en comparant la performance des pays ayant ancré leur monnaie sur le dollar avec celle des pays qui l’ont laissée flotter. Dans la mesure où les chocs idiosyncratiques touchant chaque pays n’affectent pas le taux de change du dollar, cette approche permet d’exclure toutes les variations du taux de change dues à de tels chocs. 

Fukui et ses coauteurs concluent que les dépréciations induites par le régime de change sont fortement expansionnistes. Une dépréciation du dollar américain entraîne une dépréciation du taux de change, tant nominal que réel, des devises des pays ancrées sur le dollar relativement aux devises qui flottent librement vis-à-vis de ce dernier. Cette dépréciation est assez durable, dans la mesure où elle dure à peu près cinq ans. La production, la consommation et l’investissement connaissent un boom dans les pays ayant ancré leur monnaie sur le dollar. Ce boom se manifeste graduellement et atteint son pic cinq ans après le début de la dépréciation. En définitive, Fukui et ses coauteurs estiment qu’une dépréciation de 10 % induite par le régime de change se traduit par une hausse du PIB de 5,5 % au cours des cinq années suivantes. 

Ils ont alors observé l’effet des dépréciations sur d’autres agrégats macroéconomiques pour déterminer la mécanique à l’œuvre. Ils notent, d’une part, que les exportations nettes chutent suite à une dépréciation induite par le régime de change et, d’autre part, que les taux d’intérêt nominaux tendent à augmenter suite à celle-ci. Le premier constat amène à douter que la dépréciation stimule l’activité domestique en stimulant les exportations via une réorientation des dépenses. Le second amène à douter que la dépréciation se traduise par un assouplissement de la politique monétaire dans les pays ayant ancré leur monnaie au dollar relativement aux pays ayant laissé leur monnaie flotter vis-à-vis de celui-ci. De tels constats amènent à écarter les modèles traditionnellement utilisés pour expliquer l'impact des variations du taux de change.

 

(1) Ce résultat n’est toutefois attendu que si la condition Marshall-Lerner est vérifiée, c’est-à-dire si la somme des élasticités des exportations et des importations est supérieure à l’unité. Les études ne prêtent guère à l’optimisme. 

 

Références

BAXTER, Marianne, & Alan C. STOCKMAN (1989), « Business cycles and the exchange rate system », in Journal of Monetary Economics, vol. 23.

CÉSPEDES, Luis Felipe, Roberto CHANG & Andrés VELASCO (2004), « Balance sheets and exchange rate policy », in American Economic Review, vol. 94.

COOPER, Richard N. (1971), « Currency devaluation in developing countries », in Essays in International Finance, n° 86.

DEVEREUX, Michael B. & Charles ENGEL (2002), « Exchange rate pass-through, exchange rate volatility, and exchange rate disconnect », in Journal of Monetary Economics, vol. 49.

DIAZ ALEJANDRO, Carlos F. (1963), « A note on the impact of devaluation and the redistributive effect », in Journal of Political Economy, vol. 71.

EDWARD, Sebastian (1986), « Are devaluations contractionary? », in The Review of Economics and Statistics, MIT Press, vol. 68, n° 3. 

EICHENGREEN, Barry, & Jeffrey SACHS (1985), « Exchange rates and economic recovery in the 1930s », in Journal of Economic History, vol. XLV, n° 4.

FLOOD, Robert P., & Andrew K. ROSE (1995), « Fixing exchange rates: a virtual quest for fundamentals », in Journal of Monetary Economics, vol. 36.

FUKUI, Masao, Emi NAKAMURA & Jón STEINSSON (2023), « The macroeconomic consequences of exchange rate depreciations », NBER, working paper, n° 31279.

KRUGMAN, Paul (1999), « Balance sheets, the transfer problem, and financial crises », in International Tax and Public Finance, vol. 6.

KRUGMAN, P., & L. TAYLOR (1978), « Contractionary effects of devaluation », in Journal of International Economics, vol. 8.

MEESE, Richard A., & Kenneth ROGOFF (1983), « Empirical exchange rate models of the seventies: Do they fit out of sample? », in Journal of International Economics, vol. 14, n° 1-2.

OBSTFELD, Maurice, & Kenneth ROGOFF (2000), « Six major puzzles in international macroeconomics: Is there a common cause? », in NBER Macroeconomics Annual, vol. 15.

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26 avril 2023 3 26 /04 /avril /2023 15:03

Les banques centrales peuvent-elles parvenir à ramener l’inflation à un faible niveau sans provoquer de récession ? Le débat a suscité de nombreuses analyses outre-Atlantique autour de la capacité de la Réserve fédérale à faire atterrir en douceur l’économie américaine. Alan Blinder (2023) estime qu’elle n’y est parvenue qu’une seule fois au cours des six dernières décennies, à savoir lors du resserrement monétaire du mitan des années quatre-vingt-dix. Pessimistes, Alex Domash et Larry Summers (2022a, 2022b) n’ont guère trouvé d’épisodes au cours desquels la Fed ait réussi à faire atterrir en douceur l’économie américaine avec un taux d’inflation et des tensions sur le marché du travail aussi importants que ceux observées actuellement. Partant de la courbe de Beveridge, Andrew Figura et Chris Waller (2022) et Brandyn Bok et alii (2022) estiment que les tensions sur le marché du travail américain peuvent diminuer sans que le taux de chômage ne s’accroisse significativement. Olivier Blanchard et alii (2022) en doutent : suite à la pandémie, la courbe de Beveridge s’est déplacée vers le haut, visiblement sous l’effet de la réallocation sectorielle et en raison de plus grandes difficultés d’appariement entre travailleurs et emplois, si bien qu’il leur paraît hautement improbable que le taux de postes vacants puisse diminuer sans que le taux de chômage n’augmente fortement. 

Dans une nouvelle analyse, Stephen Cecchetti, Michael Feroli, Peter Hooper, Frederic Mishkin et Kermit Schoenholtz (2023) ont étudié les grandes désinflations qui ont été observées depuis 1950 dans quatre pays développés, à savoir l’Allemagne, le Canada, les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Ils en repèrent 17, dont 16 qu’ils estiment provoquées par un resserrement monétaire. Plusieurs d’entre elles n’ont guère été efficaces, dans le sens où elles ont été suivies par une remontée de l’inflation. En l’occurrence, les désinflations du début et du milieu des années soixante-dix ont été suivies par une forte hausse de l’inflation. C’est notamment le cas aux Etats-Unis, la Fed ayant assoupli sa politique monétaire dès que l’économie américaine basculait dans la récession. Les désinflations de la fin des années cinquante, du début des années quatre-vingt et du début des années quatre-vingt-dix ont été plus efficaces, dans la mesure où elles ont été suivies par une inflation relativement modeste. En l’occurrence, la seule désinflation qui a débuté avec des taux d’inflation supérieurs à ceux que l’on observe actuellement et qui s’est révélée efficace est celle du début des années quatre-vingt, celle amorcée par Volcker. 

Taux d’inflation aux Etats-Unis (en %)

Une désinflation sans récession ?

En reprenant la méthodologie de Laurence Ball (1994), Cecchetti et ses coauteurs ont cherché à déterminer le ratio de sacrifice des désinflations, c’est-à-dire la perte d’activité et d’emplois qu’elles ont entraînée. Ils ne trouvent guère d’épisode au cours duquel une ample désinflation impulsée par la banque centrale n’aurait pas entraîné de récession. A cet égard, la sortie de l’actuel épisode inflationniste avec une « désinflation immaculée », c’est-à-dire qui ne serait pas accompagnée d’une récession, serait sans précédent. 

En poursuivant leur analyse des désinflations passées, Cecchetti et ses coauteurs notent toutefois que le ratio de sacrifice varie d’un épisode à l’autre : certaines désinflations sont plus coûteuses que d’autres. Le coût d’une désinflation semble notamment déprendre du taux d’inflation initial et de la vitesse de la désinflation. En l’occurrence, une baisse d’un point de pourcentage de l’inflation détériore moins l’activité et l’emploi si elle débute à partir d’un taux d’inflation élevé ou si elle s’opère rapidement. Cela dit, comme le montre notamment le choc Volcker au tournant des années quatre-vingt, même quand le ratio de sacrifice est faible une ample désinflation s’avère coûteuse en termes d’activité et d’emploi.

Cecchetti et ses coauteurs ont alors utilisé les estimations qu’ils ont tirées des désinflations passées pour simuler les trajectoires probables des taux d’intérêt et de l’économie américaine au cours des trois prochaines années. Ils se sont demandé jusqu’à quel point le taux directeur doit augmenter pour ramener l’inflation à sa cible et quels seraient les coûts de cette désinflation en termes de chômage. Leurs estimations suggèrent que la Fed devra resserrer bien plus amplement sa politique monétaire pour ramener l’inflation à 2 % d’ici l’année 2025 et qu’un tel retour de l’inflation à sa cible serait associé à une récession.

Cecchetti et ses coauteurs se sont interrogés sur l’opportunité de relever la cible d’inflation. Il y a une douzaine d’année, dans le sillage de la crise financière mondiale, plusieurs économistes avaient proposé de relever la cible d’inflation à 3 %, voire 4 % [Blanchard et alii, 2010 ; Leigh, 2010 ; Ball, 2014]. Selon eux, cela permettrait notamment de donner à la banque centrale une plus grande marge de manœuvre pour baisser ses taux en cas de choc déflationniste en réduisant le risque que les taux se retrouvent contraints par leur borne inférieure zéro (zero lower bound). L’un des risques était que les banques centrales perdent en crédibilité : elles ne parvenaient alors pas augmenter suffisamment le taux d’inflation pour le ramener à 2 % ; relever la cible aurait creusé davantage l’écart entre le taux d’inflation et la cible. Olivier Blanchard (2022) a suggéré à plusieurs reprises que les banques centrales profitent des niveaux relativement élevés que l’inflation atteint actuellement pour relever leur cible. Cela permettrait notamment de réduire les coûts de la désinflation, dans la mesure où les banques centrales auraient à procéder à une désinflation d’une moindre ampleur.

Cecchetti et ses coauteurs n’y sont guère favorables. En effet, un relèvement de la cible aurait selon eux deux coûts à long terme. D’une part, elle augmenterait l’incertitude et amènerait ainsi les ménages et les entreprises à prendre des décisions moins efficaces, dans la mesure où l’inflation est d’autant plus volatile qu’elle est en moyenne élevée. D’autre part, si les ménages et les entreprises ne semblent guère prêter attention à l’inflation quand elle se maintient à un faible niveau (ce qui contribue à la stabiliser à ce faible niveau), ils auraient par contre tendance à y prêter attention lorsqu’elle dépasse un certain seuil (ce qui complique tout effort pour stabiliser l’inflation). Selon Oleg Korenok et alii (2022), ce seuil a été franchi. Cecchetti et ses coauteurs mettent également en avant un problème d’incohérence temporelle : si les banques centrales révisent leur cible d’inflation, la population va partir du principe qu’elles risquent de la modifier de nouveau et, plus simplement, qu’elles ne chercheront plus franchement à l’atteindre, si bien qu’elles risquent de perdre en crédibilité dans leur mission de stabilité des prix et que les anticipations d’inflation ne soient plus ancrées à un faible niveau. En définitive, Cecchetti et ses coauteurs jugent que les coûts d'un relèvement de la cible seraient supérieures à ses bénéfices. 

Par contre, ils se disent en faveur d’un retour à une stratégie préventive de lutte contre l’inflation. Selon eux, les banques centrales ne doivent pas attendre de voir l’inflation « dans le blanc des yeux » pour resserrer l’inflation, dans la mesure où laisser l’inflation s’éloigner de sa cible accroît l’ampleur de la désinflation à opérer, donc ses coûts. Anticiper l’inflation reste toutefois difficile. Le lien inverse entre vitesse et coûts des désinflations plaide pour que les banques centrales resserrent agressivement, et non graduellement, leur politique monétaire dès que l’inflation apparaît excessive.

 

Références

BALL, Laurence (1994), « What determines the sacrifice ratio? », in N.G. Mankiw (dir.), Monetary Policy, The University of Chicago Press. 

BALL, Laurence (2014), « The case for a long-run inflation target of four percent », FMI, working paper, n° 14/92, juin.

BLANCHARD, Olivier (2022), « It is time to revisit the 2% inflation target », in Financial Times, 28 novembre.

BLANCHARD, Olivier, Giovanni DELL’ARICCIA & Paolo MAURO (2010), « Rethinking macroeconomic policy », FMI, staff position note, n° 10/03, février.

BLANCHARD, Olivier, Alex DOMASH & Lawrence H. SUMMERS (2022), « Bad news for the Fed from the Beveridge space », PIIE, policy brief, n° 22-7, juillet. 

BLINDER, Alan S. (2023), « Landings, soft and hard: The Federal Reserve, 1965–2022 », in Journal of Economic Perspectives, vol. 37, n° 1.

BOK, Brandyn, Nicolas PETROSKY-NADEAU, Robert G. VALLETTA & Mary YILMA (2022), « Finding a soft landing along the Beveridge curve », Federal Reserve Bank of San Francisco, Economic Letter, n° 2022-24, août.

CECCHETTI, Stephen, Michael FEROLI, Peter HOOPER, Frederic S. MISHKIN & Kermit L. SCHOENHOLTZ (2023), « Managing disinflations », CEPR, discussion paper, n° 18068.

DOMASH, Alex, & Lawrence H. SUMMERS (2022a), « How tight are U.S. labor markets? », NBER, working paper, n° 29739, février.

DOMASH, Alex, & Lawrence H. SUMMERS (2022b), « A labor market view on the risks of a U.S. hard landing », NBER, working paper, n° 29910, avril.

FIGURA, Andrew, & Chris WALLER (2022), « What does the Beveridge curve tell us about the likelihood of a soft landing? », FEDS Notes, 29 juillet.  

KORENOK, Oleg, David MUNRO & Jiayi CHEN (2022), « Inflation and attention thresholds », GLO, discussion paper, n° 1175.

LEIGH, Daniel (2010), « A 4% inflation target? », in VoxEU.org, 9 mars.

TETLOW, Robert J. (2022), « How large is the output cost of disinflation? », Federal Reserve Board, finance and economics discussion paper, n° 2022-078, novembre.

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