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4 avril 2020 6 04 /04 /avril /2020 17:47
Le changement d'entraîneur en cours de saison améliore-t-il les performances d’une équipe de football ?

Toute une littérature en économie et en finance cherche à déterminer l’importance du dirigeant d’une entreprise pour la performance de celle-ci. Il existe aussi toute une littérature économique qui cherche à déceler quelle est la contribution d’un entraîneur pour la performance d’une équipe de football [Drut, 2014 ; Arrondel et alii, 2020].

Pour certains, notamment Chris Anderson et David Sally (2014), l’influence des entraîneurs est déterminante. Après tout, l'entraîneur forme les joueurs, cherche à les motiver, sélectionne les joueurs pour chaque match, décide de la tactique à suivre lors d’un match et l’ajuste si nécessaire au cours de celui-ci, etc. Pour d’autres, sa valeur ajoutée est à peu près nulle : pour Simon Kuper et Stefan Szymanski (2014), un entraîneur pourrait être remplacé par un ours en peluche sans que les performances de son équipe en soient affectées.

Dans tous les cas, lorsqu’une équipe de football subit une série de défaites consécutives, l’entraîneur est souvent rapidement accusé d’en être responsable, si bien que les dirigeants, sous la pression notamment des supporters et des éventuels actionnaires, sont alors incités à limoger l’entraîneur en milieu de saison pour le remplacer par un autre. Le changement d’entraîneurs est d’ailleurs devenu une pratique de plus en plus courante au fil des décennies, en raison aussi bien de l’intensification du niveau de concurrence que de l’accroissement de l’importance économique du football [D’Addina et Kind, 2014]. En conséquence, un entraîneur était en moyenne maintenu en place un an et demi dans le cas de la Premier League anglaise au début des années 2010, soit à peu près la même durée que pour un entraîneur dans la Ligue 1 française en 2020.

Si la direction d’un club remplace un entraîneur, c’est avant tout dans l’espoir d’améliorer les performances de l’équipe : le nouvel entraîneur peut être plus compétent et avoir une stratégie plus efficace ; en créant un choc psychologique, le remplacement est susceptible de motiver les joueurs. Bien sûr, les dirigeants peuvent aussi remplacer l’entraîneur pour détourner les accusations d’incompétence dont ils pourraient être la cible de la part des médias, des supporters et des actionnaires en cherchant ainsi à présenter l’entraîneur comme le responsable des défaites [De Paola et Scopa, 2012].

D'un autre côté, le choc psychologique que provoque le remplacement de l'entraîneur peut, non pas motiver, mais décourager les joueurs. Surtout, le travail réalisé par un entraîneur comporte ce qui s'apparente à un investissement : il avait par exemple accumulé des informations sur les joueurs, sur leurs caractéristiques, leurs atouts et leurs faiblesses, construit des liens avec les jours, susceptibles de favoriser la coopération, mis en place des routines, etc. Or, le nouvel entraîneur ne pourra pas forcément profiter de l'investissement réalisé par son prédécesseur. Il devra à son tour procéder à un tel investissement et défaire les routines instaurées par son prédécesseur avant de pouvoir coacher efficacement son équipe.

Plusieurs travaux empiriques ont cherché à identifier l’importance des entraîneurs pour les performances de leur équipe en étudiant l’impact des changements d’entraîneurs en cours de saison. Cette littérature aboutit à des résultats hétérogènes, mais elle tend plutôt à conclure que les remplacements ne changent pas significativement les performances. Cette hétérogénéité des résultats ne s’explique pas par les différences dans les indicateurs et les méthodologies utilisés.

Il faut dire que si les travaux empiriques n'arrivent pas à aboutir à un consensus, c'est notamment parce que l'exercice soulève de redoutables défis à l'économètre. Tout d'abord, il y a un problème d'endogénéité, dans la mesure où le licenciement d'un entraîneur est une décision prise par les propriétaires du club, si bien qu'elle n'est pas aléatoire, elle est endogène aux résultats. Ce problème est en partie surmonté par l'utilisation de groupes témoins, c’est-à-dire en comparant les performances des équipes qui changent leur entraîneur avec les équipes aux caractéristiques similaires qui gardent le leur. Certaines des études qui s'appuient sur des groupes témoins ont pu suggérer que les clubs qui remplacent leur entraîneur en cours de saison réduisent leurs chances d'améliorer leurs résultats : leurs performances ultérieures sont moins bonnes que celles des équipes similaires qui gardent leur entraîneur. Mais la plupart aboutissent généralement à la conclusion que le remplacement n'a pas d'effet significatif [Llorca et Scelles, 2016]. Mais d'autres problèmes économétriques demeurent. Par exemple, il peut y avoir des caractéristiques non observables qui s'avèrent déterminantes.

Dans une nouvelle étude, Luc Arrondel, Richard Duhautois et Cédric Zimmer (2020) ont observé l'impact des changements d’entraîneurs en cours de saison sur les performances des clubs en analysant les données relatives à la Ligue 1 au cours de la période allant de 1998 à 2018. Au cours des 20 saisons qu'ils ont observées, 103 entraîneurs ont été limogés, soit en moyenne 5,2 par saison, une fréquence légèrement moindre que celle généralement enregistrée à l'étranger. Les entraîneurs limogés en cours de saison le sont généralement quand leur équipe est classée seizième, suite à 57 % de défaites parmi les matchs joués à domicile.

Les clubs qui changent d’entraîneur en cours de saison ont des caractéristiques différentes des clubs qui ne le font pas. Certaines caractéristiques sont observables à partir des données ; d’autres, non. Le nombre de points gagnés par le club est l'une des caractéristiques observables. En moyenne, au cours d'une saison, un club qui change au moins une fois son entraîneur gagne 1,14 point par match, tandis qu'un club qui ne change pas son entraîneur en gagne 1,42. Lorsqu'un club change d'entraîneur, ses performances s'améliorent et se stabilisent autour de 1,2 point par match. Il y a donc une légère amélioration, mais cela peut s'expliquer par un phénomène de « retour à la moyenne » : plus une équipe essuie de défaites, plus elle a de chances de connaître une victoire (1). La question est de savoir ce qui se serait passé si le club n'avait pas changé d'entraîneur. 

En s'appuyant sur une méthode empirique permettant de prendre en compte les différences dans les caractéristiques observables et non observables, l'analyse d'Arrondel et alii montre qu’un changement d’entraîneur n’a pas d’effet significatif sur les performances d’une équipe, sauf à court terme, sur les cinq premiers matchs joués avec le nouvel entraîneur, où il est possible de déceler un effet positif. Lorsqu’ils distinguent entre les matchs joués à domicile et les matchs joués à l’extérieur, Arrondel et ses coauteurs constatent que l’effet positif ne s’observe que pour les matchs joués à domicile. Ils en concluent que l’effet positif résulte certainement davantage de la pression exercée par les supporters plutôt que d'une éventuelle amélioration de la qualité du coaching. Cette étude vient donc conforter l’idée qu’un club doit attendre l’intersaison pour changer un entraîneur s’il désire améliorer les performances de son équipe à long terme.

 

(1) Attention, ce n'est pas dans le sens où la succession des défaites rend l'équipe plus performante pour les matchs suivants (au contraire, il est possible que la succession des défaites décourage les joueurs). Prenons une métaphore. Plus vous piochez dans un jeu de cartes, plus vous avez de chances de piocher au moins un cœur. Plus vous tardez à piocher un cœur, plus vous avez de chances d'en piocher un ensuite. 

 

Références

ANDERSON, Chris & David SALLY (2014). The Numbers Game: Why Everything You Know About Football is Wrong, Penguin.

ARRONDEL, Luc, Richard DUHAUTOIS & Cédric ZIMMER (2020), « Within-season dismissals of football managers: evidence from the French Ligue 1 », Paris School of Economics, working paper, n° 11.

D’ADDONA, Stefano, & Axel KIND (2014), « Forced manager turnovers in English soccer leagues: A long-term perspective », in Journal of Sports Economics, vol. 15, n° 2.

DE PAOLA, Maria, & Vincenzo SCOPPA (2012), « The effects of managerial turnover: Evidence from coach dismissals in Italian soccer teams », in Journal of Sports Economics, vol. 13, n° 2.

DRUT, Bastien (2014), Economie du football professionnel, éditions La Découverte, nouvelle édition.

KUPER, Simon, & Stefan SZYMANSKI (2014), Soccernomics, Nation Books.

LLORCA, Matthieu, & Nicolas SCELLES (2016), « Managerial change and team performance: Empirical evidence from the French football Ligue 1 », document de travail.

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27 mars 2020 5 27 /03 /mars /2020 17:59
Quelles sont les répercussions des pandémies à long terme ?

La pandémie de COVID-19 et les politiques de confinement adoptées par les autorités en vue d’en contenir la propagation nuisent déjà manifestement à l'activité économique à court terme. Elles entraînent une puissante récession, que l’on pourrait d’ailleurs qualifier de dépression, en raison non pas (espérons-le) de sa durée, mais de son extrême violence ; dans le cas de la France, chaque mois de confinement devrait amputer la croissance annuelle du PIB de trois points de pourcentage [INSEE, 2020]. Dans la mesure où elle découle du confinement, la récession est en soi nécessaire ; pour autant, cela ne justifie pas que les autorités ne doivent pas chercher à réduire la sévérité de celle-ci.

Les canaux via lesquels l’épidémie et les politiques de confinement affectent l’activité économique à court terme sont désormais assez clairs. Il y a tout d’abord un choc d’offre négatif : une partie des travailleurs ne peut plus participer à la production ; plusieurs sites de production, notamment des usines, sont délibérément fermés ; et, pour ces diverses raisons, les sites de production toujours en activité peuvent manquer de biens intermédiaires, si bien qu’elles sont obligées de ralentir à leur tour le rythme de leur production, ce qui transmet le choc en aval. Mais il y a aussi en parallèle un choc de demande négatif : puisque chaque entreprise tend à réduire sa production, elle réduit ses commandes en biens intermédiaires, ce qui réduit davantage les débouchés de ses fournisseurs et répercute le choc en amont ; surtout, les ménages sont poussés à réduire les interactions sociales, ce qui les contraint à réduire leur consommation. L’incertitude quant aux répercussions exactes de l’épidémie tant sur le plan médical qu'économique freine directement l’investissement, ce qui réduit à nouveau la demande ; elle incite notamment les ménages à chercher à dégager une épargne de précaution, ce qui les incite davantage à comprimer leurs dépenses. Les gouvernements adoptent des plans de relance pour soutenir l'activité, mais ces ceux-ci, en stimulant la demande dans un contexte d’offre contenue, pourraient à moyen terme créer des pénuries et des tensions inflationnistes [Baldwin, 2020]. Cela dit, ce n'est pas parce que les plans de relance sont susceptibles d'avoir des effets pervers que les autorités ne doivent pas chercher à contenir la contagion économique : il faut notamment chercher à empêcher que les entreprises fassent faillite à la chaîne et que le chômage ne s'envole, notamment pour éviter que la multiplication des défauts de paiement n'entraîne un effondrement du système bancaire et une crise financière.

Notamment pour essayer d’en prévoir les conséquences, de nombreuses analyses ont cherché à tirer des parallèles ces dernières semaines entre l’actuelle épidémie de coronavirus et une pandémie qui a marqué le début du vingtième siècle, en l’occurrence la grippe espagnole. Malheureusement, les travaux cherchant à déterminer les répercussions économiques de cette dernière sont relativement rares, en raison de la difficulté méthodologique d’un tel exercice : l’épidémie de grippe espagnole a éclaté dans le sillage immédiat de la Première Guerre mondiale, si bien qu’il est difficile de distinguer clairement l’impact de l'épidémie de celui du conflit. Ayant cherché à surmonter cette difficulté, Robert Barro et alii (2020) estiment qu’un pays a typiquement connu une baisse de 6% de son PIB réel et de 8 % de sa consommation avec la grippe espagnole. Cette dernière a donc provoqué le quatrième plus grand désastre économique, en termes d’importance, qu’ait connu l’économie mondiale depuis 1870, c’est-à-dire après la Seconde Guerre mondiale, la Grande Dépression des années trente et la Première Guerre mondiale.

En fait, la littérature économique s’est surtout focalisée sur une pandémie bien plus ancienne, en l'occurrence celle de la peste au quatorzième siècle [Broadberry, 2013 ; Temin, 2014]. Cette épidémie a décimé un tiers de la population européenne en trois ans et plus de la moitié au cours du siècle suivant. Elle a eu de profondes répercussions économiques, mais toutes n'ont pas été négatives. D’un côté, elle a pu freiner les relations commerciales et empêché ainsi un approfondissement de la division du travail. Mais les pénuries de main-d’œuvre ont aussi eu plusieurs effets bénéfiques. Parce qu'elles ont augmenté le pouvoir de négociation des travailleurs, ces derniers ont joui de fortes revalorisations de salaires ; en Angleterre, l’épidémie a réduit de 25 % à 40 % l’offre de travail et entraîné une hausse de 100 % des salaires réels [Clark, 2007 ; 2010]. Les pénuries de main-d’œuvre ont aussi incité les entreprises à innover. Elles ont notamment stimulé l’innovation technologique dans le secteur agricole, mais aussi conduit à une redéfinition du rôle de la femme dans l’économie et dans la société : les femmes ont été davantage invitées à entrer dans la vie active, à retarder leur mariage et à devenir plus indépendantes [Voigtländer et Hans-Joachim Voth, 2013]. L’épidémie de peste a en outre eu pour effet d’accroître les dotations en terres et en capital par tête des survivants. En définitive, elle a pu contribuer à rendre le contexte européen favorable à l’industrialisation, au décollage de la croissance économique et finalement à la « Grande Divergence » des niveaux de vie des différents pays observée au dix-neuvième siècle, mais au prix du plus grand désastre humain que l'Histoire ait connu.

Dans une étude qu'ils viennent tout juste de rendre disponible, Oscar Jordà, Sanjay Singh et Alan Taylor (2020) ont cherché à déterminer quelles étaient les répercussions des pandémies sur l’activité économique à moyen à long terme. Pour cela, ils ont étudié les taux de rendements sur les actifs en utilisant une base de données remontant jusqu’au quatorzième siècle, une fenêtre temporelle comprenant douze pandémies majeures au cours de chacune desquelles plus de 100.000 personnes sont mortes. Ils s’appuient en l’occurrence sur la base de données construite par Paul Schmelzing (2020) ; celle-ci recouvre l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. 

GRAPHIQUE 1  Le taux d’intérêt réel naturel européen (en %)

Quelles sont les répercussions des pandémies à long terme ?

source : Jordà et alli (2020)

A partir de cette base de données, Jordà et ses coauteurs ont reconstitué le taux d’intérêt brut pour l’ensemble de ces économies pondérées en fonction de leur PIB, puis ont cherché à estimer le taux d’intérêt naturel (cf. graphique 1). Ce dernier est le niveau des rendements réels sur les actifs sûrs qui équilibre l’offre d’épargne et la demande d’investissement tout en permettant de stabiliser les prix [Laubach et Williams, 2003 ; Woodford, 2003].

GRAPHIQUE 2  Réaction du taux d’intérêt réel naturel européen à une pandémie ou à une guerre (en points de %)

Quelles sont les répercussions des pandémies à long terme ?

source : Jordà et alli (2020)

Jordà et ses coauteurs constatent que les grandes pandémies des derniers siècles ont été typiquement suivies par de faibles rendements sur les actifs et que ces effets se manifestaient encore une quarantaine d’années après la fin de l'épisode pandémique (cf. graphique 2). A titre de comparaison, il apparaît à l’inverse que les guerres ne présentent pas de tels effets, voire qu’elles tendraient plutôt à stimuler l’activité économique à long terme. Ce constat pourrait s’expliquer par le fait que les conflits se traduisent par une destruction du stock de capital, donc entraînent d'importants investissements en vue de reconstituer celui-ci, ce qui peut non seulement stimuler la demande (en augmentant les débouchés des entreprises), mais aussi l'offre (en modernisant le capital). Des données plus éparses suggèrent en outre à Jordà et alii que les salaires réels pourraient être plus élevés dans le sillage des pandémies, ce qui pourrait s’expliquer par le fait que les pandémies entraînent des pénuries de travailleurs et que ces derniers gagnent alors en pouvoir de négociation. 

Cette réaction du taux d’intérêt suggère que les pandémies sont suivis par des périodes longues de plusieurs décennies marquées par de faibles opportunités d’investissement, s’expliquant certainement par l’important volume de capital par tête laissé aux survivants ou par le plus grand désir d’épargner de ces derniers, selon un motif de précaution. Si ce même schéma se répète suite à l’épidémie de coronavirus, les taux d’intérêt réels devraient effectivement se maintenir à un très faible niveau ces prochaines décennies. Cela offre aux gouvernements une marge de manœuvre importante pour emprunter, non seulement pour absorber le choc immédiat que l’épidémie et les politiques de confinement font subir à l’économie, mais aussi pour financer des projets d’investissement public, en premier lieu la transition écologique, qui sont indispensables pour le bien-être des générations futures. 

 

Références

BALDWIN, Richard (2020), « The supply side matters: Guns versus butter, COVID-style », in VoxEU.org, 22 mars 2020. Traduction française, « Récession liée au coronavirus : il ne faut pas oublier l'offre ! ».

BARRO, Robert J., José F. URSUA & Joanna WENG (2020), « The coronavirus and the Great Influenza Epidemic. Lessons from the “Spanish flu” for the coronavirus’s potential effects on mortality and economic activity », CESifo, working paper, n° 8166.

BROADBERRY, Stephen (2013), « Accounting for the great divergence », in VoxEU.org, 16 novembre.

CLARK, Gregory (2007), « The long march of history: Farm wages, population, and economic growth, England 1209–1869 », in The Economic History Review, vol. 60, n° 1.

CLARK, Gregory (2010), « The macroeconomic aggregates for England, 1209–2008 », in Research in Economic History, vol. 27.

INSEE (2020), « Point de conjoncture du 26 mars ».

JORDÀ, Oscar, Sanjay R. SINGH & Alan M. TAYLOR (2020), « Longer-run economic consequences of pandemics », Federal Reserve Bank of San Francisco, working paper, n° 2020-09.

LAUBACH, Thomas, & John C. WILLIAMS (2003), « Measuring the natural rate of interest », in Review of Economics and Statistics, vol. 85, n° 4.

SCHMELZING, Paul (2020), « Eight centuries of global real interest rates, R-G, and the ‘suprasecular’ decline, 1311–2018 », Bank of England, staff working paper, n° 845.

TEMIN, Peter (2014), « The Black Death and industrialisation: Lessons for today’s South », in VoxEU.org, 4 juin.

WOODFORD, Michael (2003), Interest and Prices: Foundations of a Theory of Monetary Policy, Princeton University Press.

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18 mars 2020 3 18 /03 /mars /2020 23:21
Quelles ont été les répercussions de la grippe espagnole ?

Beaucoup dressent des parallèles entre l’épidémie actuelle du coronavirus avec la pandémie grippale de 1918, plus connue sous le nom de « grippe espagnole », appelée ainsi, non en raison de ses origines, mais parce que ce sont tout d’abord les journaux hispaniques qui l’ont évoquée [Godin, 2020 ; Colvin et McLaughlin, 2020].

La grippe espagnole a éclaté et a atteint son pic en 1918, mais elle a continué de faire des ravages jusqu’en 1920. Sa contagion s’est propagée en trois grandes vagues : la première au cours du printemps 1918, la deuxième, la plus mortelle, entre septembre 1918 et janvier 1919 et la troisième de février 1919 jusqu’à la fin de l’année. Certains pays ont été touchés par une quatrième vague en 1920. La fin du conflit mondial a contribué à la propagation de l’épidémie, avec le retour du combat des soldats, en amenant notamment ces derniers à traverser les frontières pour rentrer chez eux. 

D’après les données relatives à 43 pays, représentant environ 89 % de la population mondiale, qu’utilisent Robert Barro, José Ursúa et Joanna Weng (2020), la grippe espagnole aurait entraîné la mort de 39 millions de personnes entre 1918 et 1920, soit 2 % de la population mondiale d’alors : 26,4 millions de morts en 1918, 9,4 millions en 1919 et 3,1 millions en 1920. Une épidémie aussi mortelle ferait aujourd’hui l’équivalent de 120 millions de morts. C’est la plus massive vague de décès associée à un désastre « naturel » ces derniers siècles. Il faut remonter au quatorzième siècle avec l’épidémie de peste pour trouver un désastre touchant une part plus importante de la population.

Tous les pays n’ont pas été affectés dans les mêmes proportions par la grippe espagnole : à un extrême, l’Australie a été épargnée, grâce à sa stratégie de confinement ; à l’autre extrême, l’Inde a perdu 5,2 % de la population. Parmi les 39 millions de morts dans le monde, 16,7 millions, soit 43 % du total, étaient indiens. L’Afrique du Sud et l’Indonésie ont également connu d’importants taux de mortalité. Ce dernier a été faible en Chine, mais dans la mesure où la population chinoise était déjà très importante, 8,1 millions de Chinois en sont morts, ce qui représente 21 % de l’ensemble des décès dans le monde.

Lorsqu’ils se tournent vers la dimension économique de la grippe espagnole, Barro et ses coauteurs notent une corrélation négative entre le taux de mortalité associé à l’épidémie dans un pays donné et le niveau de vie de ce dernier. Cette corrélation s’explique selon eux par le fait qu’un pays dispose d’autant plus de services de santé (et, plus largement, qu’il est capable de s’organiser efficacement) que son niveau de vie est élevé.

Barro et ses coauteurs ont ensuite cherché à déterminer les répercussions macroéconomiques de cette épidémie. Ils ne manquent pas de souligner qu’il est très difficile de mesurer l’impact exact de la grippe espagnole, dans la mesure où cet événement suit immédiatement la Première Guerre mondiale. D’ailleurs, le fait que l’épidémie ait immédiatement suivi le conflit mondial a certainement dû contribuer à ce que les économies ne parviennent pas à achever leur reprise suite à celui-ci.

D’après les estimations de Barro et alii, le pays typique a connu une baisse de 6 % du PIB réel par tête et de 8 % de la consommation du fait de la grippe espagnole. Ces baisses sont comparables à celles observées au cours de la Grande Récession de 2008-2009. En outre, la grippe espagnole a contribué, tout comme la Première Guerre mondiale, à alimenter l’inflation. Notamment pour cette raison, l’épidémie a entraîné une baisse des rendements réels des actions et surtout des titres publics.

Barro et Ursúa (2008) s’étaient déjà penchés sur ce qu’ils qualifient de désastres macroéconomiques rares, c’est-à-dire des épisodes marqués par une baisse du PIB par tête ou de la consommation de 10 % au minimum. Selon cette définition, l’histoire a été marquée par trois grands désastres macroéconomiques depuis 1870, en l’occurrence la Seconde Guerre mondiale, la Grande Dépression des années trente et la Première Guerre mondiale, selon l’ordre décroissant de gravité. D’après les nouvelles estimations qu’obtiennent Barro et alii en distinguant plus finement les impacts respectifs du conflit mondial et de la pandémie, il apparaît que la Première Guerre mondiale aurait réduit de 8,4 % le PIB réel par tête dans le pays typique. La grippe espagnole n’a pas eu de répercussions équivalentes, mais elle s’inscrirait en quatrième position si l’on adoptait une définition moins stricte du désastre macroéconomique.

Barro et ses coauteurs estiment que les valeurs estimées pour l’impact de la grippe espagnole constituent des estimations hautes des répercussions que l’actuelle épidémie de coronavirus est susceptible d’avoir sur une économie typique. Ils ne prolongent toutefois pas leur analyse pour juger de cette hypothèse. L'économie mondiale n'a certainement pas connu d'événement aussi catastrophique que l'actuelle pandémie depuis la crise financière mondiale. Il n'est pas impossible que la récession que ne manquera pas d'entraîner l'épidémie de coronavirus soit plus grave que celle provoquée par la crise financière mondiale. Elle risque toutefois de passer par des canaux bien différents que ceux empruntés par cette dernière, notamment via les pénuries de main-d'oeuvre et les fermetures d'unités de production pour contenir l'épidémie [Wren-Lewis, 2020 ; Baldwin et Weder di Mauro, 2020], comme ce fut le cas lors de la grippe espagnole, d'où l'importance de travaux comme celui que viennent de publier Barro et alii.

 

Références

BALDWIN, Richard, & Beatrice WEDER DI MAURO (2020), « Introduction », in CEPR, Economics in the time of COVID-19, mars. Traduction française, « L'économie au temps du coronavirus ».

BARRO, Robert J., & Jose F. URSÚA (2008), « Macroeconomic crises since 1870 », in Brookings Papers on Economic Activity, vol. 39.

BARRO, Robert J., José F. URSUA & Joanna WENG (2020), « The coronavirus and the Great Influenza Epidemic. Lessons from the “Spanish flu” for the coronavirus’s potential effects on mortality and economic activity », CESifo, working paper, n° 8166.

COLVIN, Chris, & Eoin MCLAUGHLIN (2020), « Coronavirus and Spanish flu: Economic lessons to learn from the last truly global pandemic », in The Conversation, 11 mars.

GODIN, Romaric (2020), « Les leçons économiques de la grippe espagnole, un siècle avant le coronavirus », in Médiapart, 6 mars.

WREN-LEWIS, Simon (2020), « The economic effects of a pandemic », in Mainly Macro (blog), 2 mars. Traduction française, « Les répercussions économiques d’une épidémie ». 

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