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25 janvier 2020 6 25 /01 /janvier /2020 11:41
Quels sont les effets de la politique monétaire à long terme ?

Dans le sillage des travaux des monétaristes, puis des nouveaux classiques, la théorie orthodoxe a longuement considéré que la politique monétaire était neutre à long terme. S’il y avait débat, celui-ci portait sur les effets de la politique monétaire à court terme : à court terme, elle est active pour les monétaristes et les nouveaux keynésiens, mais neutre pour les nouveaux classiques. Dans leur raisonnement, la politique monétaire n’est supposée avoir d’effet que sur la demande globale, si bien qu’elle influence peut-être le cycle d’affaires, mais non la production à long terme ; cette dernière est supposée être déterminée par des facteurs structurels comme la technologie, la démographie et les préférences des agents. Par conséquent, les banques centrales ont peut-être la capacité d'écourter les épisodes de récession en ramenant plus vite la production sur sa trajectoire de long terme, elles n'ont pas la capacité d'affecter cette trajectoire.

Si les monétaristes et les nouveaux classiques partagent la même vision du long terme, c'est notamment parce qu'ils ont adopté la théorie quantitative de la monnaie : selon cette dernière, un assouplissement monétaire entraîne mécaniquement une hausse du niveau des prix. Mais son impact exact sur l'activité à court terme dépend de la nature des anticipations. Si les anticipations sont adaptatives, alors les agents vont dans un premier temps sous-estimer l’inflation courante [Friedman, 1958]. Les salaires réels vont alors diminuer, ce qui va inciter les entreprises à embaucher, si bien que le chômage va diminuer et la production augmenter. Mais, dans un deuxième temps, les travailleurs vont corriger leurs erreurs d’anticipations et exiger une hausse de leurs salaires nominaux, ce qui va inciter les entreprises à licencier et entraîner une baisse de la production : les salaires réels, le chômage et l'activité reviennent alors à leur niveau initial. Mais si les anticipations sont rationnelles, comme le supposent les nouveaux classiques, alors la politique monétaire perd toute capacité à influencer la production et l'emploi : si la banque centrale adopte une politique monétaire accommodante, les agents révisent immédiatement leurs anticipations, si bien qu’ils ne modifient pas leurs comportements en termes de travail et de production [Sargent et Wallace, 1975].

Les nouveaux keynésiens ont répliqué aux nouveaux classiques en montrant que l’hypothèse d’anticipations rationnelles n’impliquait pas forcément une neutralité de la politique monétaire à court terme : cette dernière influence l’activité et le chômage à court terme si les prix et salaires sont visqueux. En l’occurrence, si la banque centrale assouplit sa politique monétaire, la demande globale augmente, ce qui stimule l'activité et réduit le chômage. Mais si la viscosité des prix et salaires les empêche de s’ajuster à court terme, ils s’ajusteront tout de même à long terme : l’assouplissement monétaire entraîne en définitive une hausse des prix, ce qui ramène la demande et donc la production et l'emploi à leur trajectoire initiale. Ainsi, les monétaristes, les nouveaux classiques et les nouveaux keynésiens ne s’accordent pas sur l’effet de la politique monétaire sur l’activité à court terme, mais ils se rejoignent en concluant qu’elle n’influence pas l’activité à long terme.

Depuis les années quatre-vingt, certains nouveaux keynésiens ont toutefois parlé d’effets d’« hystérèse » (ou d’« hystérésis ») en évoquant la possibilité que le niveau de production (et du chômage) à long terme soit influencé par la conjoncture, c’est-à-dire finalement par la demande globale. Ces travaux font souvent transiter ces effets d’hystérèse par le marché du travail ; c’est notamment le cas d’Olivier Blanchard et Larry Summers (1986), de Jordi Galí (2015) ou encore d’Olivier Blanchard (2018). Par exemple, plus les chômeurs passent du temps au chômage, plus ils perdent en compétences et voient leur santé se dégrader, moins ils ont de chances d’être embauchés rapidement, plus ils risquent de se décourager et de quitter la vie active. Autrement dit, plus le taux de chômage persiste à un niveau élevé, plus il risque d’être élevé à long terme et plus le potentiel de croissance s’en trouve dégradé. C’est un tel raisonnement qui amène à plaider en faveur de l’usage agressif de politiques expansionnistes lorsque l’économie bascule dans la récession : plus vite l’économie est ramenée au plein emploi, moins les effets d’hystérèse auront l’occasion de se manifester. 

Plusieurs travaux empiriques réalisés ces deux dernières décennies ont confirmé que le niveau de production à long terme était influencé par la conjoncture et, notamment pour cette raison, par les politiques conjoncturelles : par exemple, Valerie Cerra et Sweta Saxena (2008, 2017) ont montré que les récessions entraînaient une perte du production permanente, même lorsqu’elles ne sont pas synchrones avec une crise financière, tandis qu’Antonio Fatás et Larry Summers (2017) ont mis en évidence les dommages permanents des plans d’austérités sur la production potentielle. De tels travaux pourraient ainsi suggérer que la politique monétaire est susceptible d'avoir des effets sur l'activité à long terme. Pourtant, la littérature peine à le montrer. 

Plusieurs études empiriques, souvent focalisées sur l’économie américaine, ont précisément cherché à déterminer si la politique monétaire était active ou neutre à long terme [James Bullard, 1999]. Mark Fisher et John Seater (1993) estiment que les données permettent de rejeter l’idée d’une neutralité à long terme, mais John Boschen et Christopher Otrok (1994) notent que leurs résultats sont moins robustes lorsque l’épisode de la Grande Dépression des années trente est écarté de l’échantillon. La très grande majorité des études concluent plutôt que les données sont cohérentes avec une neutralité à long terme, mais la plupart d’entre elles, notamment celle de Robert King et Mark Watson (1997), partent de l’idée que la banque centrale contrôle l’offre de monnaie, si bien que ces analyses concluent en définitive davantage en la neutralité des agrégats monétaires à long terme, plutôt qu’en la neutralité de la politique monétaire proprement dite. Les analyses de Ben Bernanke et Ilian Mihov (1998) et de Yunus Aksoy et Miguel León-Ledesma (2005) font exception en partant du fait que la banque centrale contrôle les taux d’intérêt nominaux de court terme.

Attaquant la question sous un autre angle que le faisait la littérature existante, Òscar Jordà, Sanjay Singh et Alan Taylor (2020) se sont demandé si la politique monétaire influençait la capacité productive de l’économie à long terme en étudiant 125 années de données relatives à 17 pays développés. Pour observer les effets propres à la politique monétaire, ils ont cherché à identifier des variations exogènes des taux d’intérêt. Pour ce faire, ils se sont appuyés sur le trilemme de la finance internationale : quand un pays ancre sa monnaie sur la devise d’un autre pays, en retirant toute barrière aux mouvements de capitaux, il perd le contrôle de son taux d’intérêt domestique. Les chocs touchant les taux d’intérêt dans le pays dont la monnaie sert de devise d’ancrage sont alors exogènes pour les taux d’intérêt domestiques. 

Une fois les chocs de politique monétaire identifiés, Jordà et ses coauteurs en observent les effets. Ils notent alors la présence de puissantes forces d’hystérèse : en réponse à un resserrement monétaire, la production décline et, plus d’une décennie après, elle n’est toujours pas retournée à la tendance qu’elle suivait avant le choc. En effet, une hausse d’un point de pourcentage des taux d’intérêt de court terme se traduit par un PIB inférieur de plus de 3 % douze ans après. En conclusion, il apparaît que la monnaie est active bien plus longtemps que ce qui est souvent supposé, ce qui amène à rejeter l’idée d’une neutralité monétaire à long terme.

Lorsqu’ils cherchent à déceler la source de cet effet d’hystérèse, Jordà et ses coauteurs constatent que ce dernier touche le stock de capital et la productivité totale des facteurs, mais non le travail. En effet, le capital et la productivité globale des facteurs connaissent des trajectoires similaires à la production ; à l’inverse, le nombre d’heures travaillées, le nombre d’heures par travailleur et le nombre de travailleurs retournent rapidement à la tendance qu’ils suivaient avant le choc. L’effet d’hystérèse que leur analyse met en évidence n’est donc pas le même que celui habituellement retenu dans la littérature. Dans la modélisation qu’ils proposent alors, le choc de politique monétaire réduit la production et freine temporairement la croissance de la productivité globale des facteurs. Mais ce ralentissement a beau être temporaire, le capital et la production se retrouvent sur une trajectoire tendancielle inférieure à celle qu’ils suivaient avant le choc monétaire : une faiblesse des débouchés incite ou force certainement les entreprises à moins investir, mais le retour ultérieur de la demande ne va pas pour autant les amener à lancer les projets d'investissement qu'elles n'ont voulu ou qu'elles n'ont pu réaliser.

Une telle étude confirme qu'il est nécessaire que les banques centrales réagissent aux contractions de l'activité en assouplissant leur politique monétaire. En l'occurrence, elles doivent le faire rapidement et agressivement pour éviter que des effets d'hystérèse se manifestent et réduisent le potentiel de croissance de l'économie à long terme. Réciproquement, il apparaît justifié que les banques centrales ne resserrent pas trop rapidement leur politique monétaire lorsque l'économie renoue avec l'expansion ; la laisser en légère surchauffe pourrait peut-être même contribuer à relever le potentiel de croissance à long terme.

 

Références

AKSOY, Yunus, & Miguel A. LEÓN-LEDESMA (2005), « Interest rates and output in the long-run », BCE, working paper, n° 434.

BERNANKE, Ben S., & Ilian MIHOV (1998), « The liquidity effect and long-run neutrality », in Carnegie-Rochester Conference Series on Public Policy, vol. 49, n° 1.

BLANCHARD, Olivier J. (2018), « Should we reject the natural rate hypothesis? », in Journal of Economic Perspectives, vol. 32, n° 1.

BLANCHARD, Olivier J., & Lawrence H. SUMMERS (1986), « Hysteresis and the European unemployment problem », in NBER Macroeconomics Annual 1986, vol. 1, MIT Press.

BOSCHEN, John F., & Christopher M. OTROK (1994), « Long-run neutrality and superneutrality in an ARIMA framework: Comment », in American Economic Review, vol. 84, n° 5.

BULLARD, James (1999), « Testing long-run monetary neutrality propositions: Lessons from the recent research », in Federal Reserve Bank of St. Louis Review.

CERRA, Valerie, & Sweta C. SAXENA (2008), « Growth dynamics: The myth of economic recovery », in American Economic Review, vol. 98, n° 1.

CERRA, Valerie, & Sweta C. SAXENA (2017), « Booms, crises, and recoveries: A new paradigm of the business cycle and its policy implications », FMI, working paper, n° 17/250.

FATÁS, Antonio, & Lawrence H. SUMMERS (2017), « The permanent effects of fiscal consolidations », in Journal of International Economics, vol. 112.

FISHER, Mark E., & John J. SEATER (1993), « Long-run neutrality and superneutrality in an ARIMA framework », in American Economic Review, vol. 83, n° 3.

GALÍ, Jordi (2015), « Hysteresis and the European unemployment problem revisited », NBER, working paper, n° 21430.

JORDÀ, Òscar, Sanjay R. SINGH & Alan M. TAYLOR (2020), « The long-run effects of monetary policy », Federal Reserve Bank of San Francisco, working paper, n° 2020-01.

KING, Robert G., & Mark W. WATSON (1997), « Testing long-run neutrality », Federal Reserve Bank of Richmond, Economic Quarterly, vol. 83, n° 3.

SARGENT, Thomas, & Neil WALLACE (1975), « ‘Rational’ expectations, the optimal monetary instrument, and the optimal money supply rule », in Journal of Political Economy, vol. 83, n° 2.

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17 janvier 2020 5 17 /01 /janvier /2020 17:42
La décroissance démographique marquera-t-elle la fin de la croissance économique ?

Beaucoup considèrent que la population mondiale devrait se stabiliser à long terme à un niveau compris entre 8 et 10 milliards de personnes. Mais pour d’autres, notamment Darrell Bricker et John Ibbitson (2019) dans leur livre Empty Planet, il n’est pas improbable qu’elle tende en fait à décliner à long terme avec la poursuite de l’effondrement du taux de fertilité dans l’ensemble des régions du monde (cf. graphique). Dans les pays à haut revenu, le taux de fertilité est déjà inférieur au seuil de remplacement : les femmes ont moins de deux enfants en moyenne. Au Japon et dans certains pays européens comme l’Allemagne et l’Italie, le solde naturel, c’est-à-dire l’écart entre le nombre de naissances et le nombre de décès, est déjà négatif, si bien que leur population tend à réduire en l'absence d'immigration. 

GRAPHIQUE  Taux de fertilité

La décroissance démographique marquera-t-elle la fin de la croissance économique ?

source : Jones (2020)

Cette perspective n’est pas sans susciter des inquiétudes quant à la poursuite de la croissance économique à long terme. D’un point de vue néoclassique, la décroissance démographique est susceptible de freiner la croissance économique du côté de l’offre dans la mesure où elle réduit la main-d’œuvre disponible. Du point de vue keynésien, la décroissance démographique est susceptible de freiner la croissance dans la mesure où elle déprime la demande globale. John Maynard Keynes (1937) s’inquiétait déjà à l’idée que la population puisse décroître. En l’occurrence, selon lui, la décroissance démographique nuit surtout à l’activité économique via ses effets sur l’investissement : si les entreprises s’attendent à ce que la population décline, c’est-à-dire à ce qu’il y ait moins de consommateurs, elles auront moins de raisons d’accroître leurs capacités de production ; elles seront moins incitées à embaucher et à investir, ce qui déprimera en retour davantage la demande globale. En outre, si le nombre de travailleurs décline, les entreprises auront moins à investir pour les équiper. En définitive, il est de moins en moins probable que la demande globale suffise pour maintenir l’économie au plein emploi. C’est d’ailleurs la dynamique démographique qui est au cœur du raisonnement que développait Alvin Hansen (1938) autour de la Seconde Guerre mondiale et celui que développe aujourd’hui Larry Summers (2015) pour évoquer la possibilité d’une stagnation séculaire.

Mais la décroissance démographique peut ne pas nécessairement freiner la croissance des niveaux de vie. D’une part, elle peut inciter les entreprises à innover et à davantage automatiser leur production pour faire face aux pénuries de main-d’œuvre, ce qui stimule les gains de productivité [Acemoglu et Restrepo, 2017 ; 2018], à condition toutefois que la demande globale ne soit pas excessivement déprimée [Eggertsson et alii, 2018]. D’autre part, si la taille de la population diminue, cela tend à réduire son empreinte écologique : la population peut alors plus facilement accroître son niveau de vie, c’est-à-dire le niveau de production par tête, sans que la production agrégée ait à augmenter et finisse par buter sur les contraintes environnementales. 

Aujourd’hui, beaucoup de modèles considèrent que la croissance économique repose sur la découverte de nouvelles idées : c’est le cas des modèles de croissance endogène [Romer, 1990 ; Grossman et Helpman, 1991 ; Aghion et Howitt, 1992], comme celui des modèles de croissance semi-endogène [Jones, 1995 ; Kortum, 1997 ; Segerstrom ; 1998]. Ces modèles considèrent donc que le rythme de la croissance économique à long terme dépend de la taille de la population : plus la population est importante, plus elle disposera de chercheurs, plus ces derniers trouveront de nouvelles idées et plus les innovations résultantes pousseront les niveaux de vie à la hausse.

Ces modèles supposent typiquement soit une poursuite de la croissance démographique, soit une stagnation démographique ; ils ne considèrent pas l’éventualité d’une décroissance démographique. Or, si la population est davantage susceptible d’avoir de nouvelles idées qu’elle est importante, sa décroissance devrait par conséquent réduire le nombre de chercheurs et tendre à freiner le progrès technique. Une telle éventualité est d’autant plus inquiétante qu’il semble déjà en soi de plus en plus difficile de trouver de nouvelles idées [Gordon, 2012 ; Bloom et alii, 2017].

Charles Jones (2020) s’est donc récemment demandé comment se comporte la croissance économique lorsqu’elle est fondamentalement impulsée par les idées et que la croissance démographique devient négative. En utilisant un modèle de croissance endogène, puis un modèle de croissance semi-endogène, il montre que la décroissance démographique est susceptible de conduire à la réalisation du scénario dit de la « planète vide » (empty planet), en référence au livre éponyme de Bricker et Ibbitson : le savoir et les niveaux de vie stagnent pour une population qui décline graduellement. En conséquence, des politiques appropriées doivent être mises en place à temps pour que la fertilité reste supérieure au seuil de remplacement et que se concrétise le scénario du « cosmos en expansion » (expanding cosmos), celui où la population et les niveaux continuent de croître conjointement. Si ces politiques tardent à être mises en œuvre l'économie risque d'être définitivement piégée dans le scénario de la « planète vide ».

Jones conclut toutefois son analyse en notant qu’une poursuite du déclin de la fertilité ne conduit pas forcément à la réalisation du scénario de la « planète vide ». D’une part, l’automatisation peut améliorer la capacité des populations à produire suffisamment d’idées pour que la croissance des niveaux de vie se poursuive malgré le déclin de la population. D’autre part, les nouvelles découvertes peuvent finir par ramener le taux de mortalité proche de zéro, permettant à la population de continuer de croître malgré l’effondrement de la fertilité. 

 

Références

ACEMOGLU, Daron & Pascual RESTREPO (2017), « Secular stagnation? The effect of aging on economic growth in the age of automation », NBER, working paper, n° 23077.

ACEMOGLU, Daron, & Pascual RESTREPO (2018), « Demographics and Automation », NBER, working paper, n° 24421.

AGHION, Philippe, & Peter HOWITT (1992), « A model of growth through creative destruction », in Econometrica, vol. 60, n° 2.

BLOOM, Nicholas, Charles I. JONES, John Van REENEN & Michael WEBB (2017), « Are ideas getting harder to find? », NBER, working paper, n° 23782.

BRICKER, Darrell, & John IBBITSON (2019), Empty Planet: The Shock of Global Population Decline, éditions Crown Publishing Group.

EGGERTSSON, Gauti B., Manuel LANCASTRE & Lawrence H. SUMMERS (2018), « Aging, output per capita and secular stagnation », NBER, working paper, n° 24902.

GORDON, Robert (2012), « Is US economic growth over? Faltering innovation confronts the six headwinds », CEPR, policy insight, n° 63.

GROSSMAN, Gene M., & Elhanan HELPMAN (1991), Innovation and Growth in the Global Economy, MIT Press.

HANSEN, Alvin H. (1938), Full Recovery or Stagnation?

HARDING, Robin (2019), « The costs of a declining population », in Financial Times, 14 janvier.

JONES, Charles I. (1995), « R&D-based models of economic growth », in Journal of Political Economy, vol. 103, n° 4. 

JONES, Charles I. (2020), « The end of economic growth? Unintended consequences of a declining population », NBER, working paper, n° 26651.

KEYNES, John M. (1937), « Some economic consequences of a declining population », in The Eugenics Review, vol. 29.

KORTUM, Samuel S. (1997), « Research, patenting, and technological change », in Econometrica, vol. 65, n° 6.

SEGERSTROM, Paul (1998), « Endogenous growth without scale effects », in American Economic Review, vol. 88, n° 5.

SUMMERS, Lawrence (2015), « Demand side secular stagnation », in American Economic Review: Papers & Proceedings, vol. 105, n° 5.

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12 janvier 2020 7 12 /01 /janvier /2020 09:20
Une stagnation supra-séculaire ?

Les taux d’intérêt réels sont évoqués dans de nombreux débats contemporains. Ils jouent un rôle important dans la conduite de la politique monétaire, puisqu’ils conditionnent la marge de manœuvre dont disposent les banques centrales pour stimuler l’activité économique : plus ils sont faibles, moins elles ont de latitude pour baisser leurs taux directeurs avant qu’ils n’atteignent zéro. Or, ces dernières décennies et notamment les années qui ont suivi la crise financière mondiale ont été marquées par de faibles taux, suggérant à certains que de tels épisodes de bornes inférieures zéro sont susceptibles d’être plus fréquents. De leur côté, les partisans de la théorie de la stagnation séculaire voient dans la faiblesse des taux la preuve d’une faiblesse structurelle de la demande globale : autrement dit, la politique monétaire perdrait de sa capacité à stimuler l’activité précisément à l’instant où l’activité aurait besoin d’être stimulée. Ce sont les mêmes tendances lourdes qui sont accusées de contribuer tant à la faiblesse des taux qu’à la stagnation séculaire : le vieillissement démographique, l’épuisement du progrès technique et le tarissement des opportunités de profit, l’excès d’épargne exporté par les pays émergents, etc.

Les taux d’intérêt n’importent pas seulement pour la politique monétaire. Par exemple, l’écart entre le coût réel du capital pour les titres publics sûrs et le taux de croissance du revenu réel joue un rôle clé dans l’évaluation de la soutenabilité de la dette publique [Blanchard, 2019]. Enfin, le taux d’intérêt réel joue un rôle important dans le débat sur les inégalités de revenu et du patrimoine : en supposant une « quasi-stabilité du rendement pur du capital sur très longue période », Thomas Piketty (2013) estime que l’écart entre le rendement réel du capital et le taux de croissance réel (rg) tend à être positif, ce qui accentue la concentration du capital et accroît mécaniquement les inégalités de revenu.

Ces débats s’appuient souvent sur des analyses des taux d’intérêt qui se focalisent sur une période restreinte. Certaines études ont cherché à adopter un point de vue de très long terme pour étudier la dynamique des taux d’intérêt réels mondiaux ; c’est notamment le cas de Barry Eichengreen (2015), de James Hamilton et alii (2016) ou encore de Pierre-Olivier Gourinchas et Hélène Rey (2019). Paul Schmelzing (2020) estime toutefois qu’elles restent fragiles sur le plan méthodologique, ne serait-ce qu’en raison de l’insuffisance des données sur lesquelles elles s’appuient. Il a alors cherché à reconstruire les taux d’intérêt réels mondiaux en s’appuyant sur une multitude de sources d’informations allant des archives municipales constituées il y a un demi-millénaire aux données de la Réserve fédérale, en passant par les documents des royautés européennes. Ce travail lui a permis de reconstruire les taux réels mondiaux annuels en remontant jusqu’au quatorzième siècle et en couvrant 78 % des pays développés en termes de PIB au cours du temps (cf. graphique).

GRAPHIQUE  Taux d'intérêt réel mondial pondéré selon le PIB (en %)

Une stagnation supra-séculaire ?

Au terme de cette reconstitution, Schmelzing constate que les taux d’intérêt ne sont pas stables : ils ont baissé ces dernières décennies, mais de telles baisses n’ont pas été rares au cours de l’Histoire. Surtout, mis à part quelques périodes de stabilisation, entre 1550 et 1640, entre 1820 et 1850 ou encore entre 1950 et 1980, les taux d’intérêt réels mondiaux ont eu tendance à diminuer au cours des cinq derniers siècles, en l’occurrence depuis la fin du quinzième siècle, à un rythme annuel moyen compris entre 0,009 et 0,016 point de pourcentage. Et cette tendance apparaît dans une variété de classes d’actifs. D’autre part, la volatilité du taux d’intérêt réel a eu tendance à décliner ces cinq derniers siècles, rendant le taux réel de plus en plus visqueux. En conséquence, depuis le quatorzième siècle, les taux d’intérêt réels se sont de plus en plus fréquemment retrouvés en territoire négatif. Schmelzing identifie 46 épisodes de taux négatifs, en l’occurrence 29 au cours du vingtième siècle. Les taux négatifs ont affecté environ les 20 % du PIB des économies développés au cours du temps et cette part augmente en moyenne de 0,012 point de pourcentage par an.

La tendance baissière a été à l’œuvre malgré la succession de différents régimes politiques et de différents régimes monétaires (bâtis alternativement autour de l’or, de l’argent, du bimétallisme et de la monnaie scripturale). Schmelzing ne croit pas qu’elle soit directement impulsée par des facteurs liés à la croissance économique ou à la démographie. Il la relie à l’écrasement des primes de risque, un phénomène qu’il explique notamment par le reflux des conflits militaires au fil des siècles. 

Les constats de Schmelzing ont plusieurs implications. Tout d’abord, si la même tendance se poursuivait à l’avenir, les taux réels devraient continuer de s’enfoncer en territoire négatif et bientôt s’y retrouver définitivement. A partir de la fin des années 2020, les taux réels de court terme mondiaux devraient se retrouver piégés à jamais en territoire négatif. D’ici le milieu du siècle, les taux réels de long terme devraient aussi les y rejoindre définitivement.

Ensuite, cette étude amène Schmelzing à remettre en question les conclusions de Piketty. En reconstruisant les séries historiques de l’écart entre le rendement réel du capital et le taux de croissance réel (rg), Schmelzing en conclut que, loin de faire preuve d’une « quasi-stabilité », les rendements réels sur le patrimoine tendent à décliner au cours du temps et que, si la tendance se poursuivait, l’écart rg devrait bientôt devenir définitivement négatif. Autrement dit, cela priverait Piketty du principal argument qu’il avance pour évoquer une tendance structurelle du capitalisme à engendrer des inégalités.

Les taux faibles constituent la « nouvelle norme » (new normal), mais plus sûrement qu’on ne le pensait jusqu’alors. Schmelzing rejette l’idée que les taux réels mondiaux connaissent un retour à la moyenne dans un certain corridor, contrairement à ce que concluent James Hamilton et alii (2016). L’Histoire ne suggère pas qu’ils atteignent une quelconque valeur d’équilibre à moyen terme, même négative. Contrairement à ce que suggèrent Jordà et alii (2019), il n’apparaît pas non plus que le taux sûr réel fluctue normalement autour des niveaux que nous observons aujourd’hui. La baisse des rendements réels depuis les années 1980 représente en fait un retour à une tendance historique de long terme. En définitive, Schmelzing rejette les justifications de la théorie de la stagnation séculaire qui font apparaître l’évolution des taux d’intérêt ces dernières décennies comme une aberration au regard des dynamiques de long terme [Summers, 2014 ; Rachel et Summers, 2019].

Ces constats ont d’importantes implications pour la conduite de la politique économique, en premier lieu celle de la politique monétaire. L’extrême faiblesse des taux d’intérêt de court terme accroît le risque que les taux directeurs butent sur leur borne inférieure, ce qui prive les banques centrales de leur arme traditionnelle pour contrer les récessions. Elles peuvent certes recourir à des mesures « non conventionnelles » comme les programmes d’assouplissement quantitatif (quantitative easing) pour gagner en marge de manœuvre, mais celles-ci sont notamment supposées exercer leurs effets via leur impact sur les taux d’intérêt de long terme. Or la tendance baissière que met à jour Schmelzing touche également ces derniers.

Si la politique monétaire perd tendanciellement en puissance, les constats de Schmerling pourraient par contre plaider pour un usage plus agressif de la politique budgétaire. En effet, la baisse tendancielle contribue à rendre plus soutenables les endettements publics. Par conséquent, les gouvernements pourraient disposer d’un surcroît de marge de manœuvre pour stimuler l’activité à court terme, mais aussi lancer les investissements nécessaires à long terme comme ceux nécessaires à la transition écologique.  

 

Références

BLANCHARD, Olivier (2019), « Public debt and low interest rates », PIIE, working paper, n° 19-4.

EICHENGREEN, Barry (2015), « Secular stagnation: The long view », in American Economic Review, vol. 105, n° 5.

GOURINCHAS, Pierre-Olivier, & Hélène REY (2019), « Global real rates: A secular approach », BRI, working paper, n° 793.

HAMILTON, James D., Ethan S. HARRIS, Jan HATZIUS & Kenneth D. WEST (2016), « The equilibrium real funds rate: Past, present and future », in FMI, IMF Economic Review, vol. 64, n° 4.

JORDÀ, Oscar, Katharina KNOLL, Dmitry KUVSHINOV, Moritz SCHULARICK & Alan M. TAYLOR (2019), « The rate of return on everything, 1870–2015 », in Quarterly Journal of Economics, n° 134/2.

PIKETTY, Thomas (2013), Le Capital au XXIe siècle.

RACHEL, Łukasz, & Lawrence H. SUMMERS (2019), « On falling neutral real rates, fiscal policy, and the risk of secular stagnation », in Brookings Papers on Economic Activity.

SCHMELZING, Paul (2020), « Eight centuries of global real interest rates, R-G, and the ‘suprasecular’ decline, 1311–2018 », Bank of England, staff working paper, n° 845.

SUMMERS, Lawrence (2014), « U.S. economic prospects: Secular stagnation, hysteresis, and the zero lower bound », in Business Economics, vol. 49, n° 2.

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